LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Espionnage (Page 2 of 4)

Lutte antiterroriste : où va-t-on ?

Après les événements tragiques du mois de janvier, Manuel Valls a annoncé un nouveau plan de lutte contre le terrorisme. Il s’agit, a-t-il dit, de prendre des mesures « exceptionnelles, et non pas d’exception ». Comme j’ai parfois du mal à comprendre le langage politique, j’ai sorti mon dico, lequel, pour le mot exceptionnel, donne cette définition : qui n’est pas habituel, qui n’est pas ordinaire, qui constitue une exception.

J’ai refermé.

Capture6Parmi ces mesures exceptionnelles, il y a celles qui existent déjà, comme le plan Vigipirate, qui mobilise plus de 120 000 policiers et gendarmes et 10 000 militaires, ou le remplacement de la DCRI par la DGSI, ou la création du SCRT (service central du renseignement territorial), qui se rapproche de plus en plus de ce qu’étaient les RG, supprimés en 2008.

Dans celles qui sont à venir, il y a la création sur 3 ans de 2680 postes dont 1400 pour le ministère de l’Intérieur, dont 1100 pour les services chargés de lutter contre le terrorisme, dont 500 pour la DGSI. Continue reading

Un monde à l’écoute

Il y aurait environ 40 000 interceptions judiciaires par an et, ces jours-ci, deux petites écoutes téléphoniques de rien du tout n’arrêtent pas de faire parler d’elles. Les avocats affirment qu’il s’agit d’une violation des droits de la défense, un syndicat de magistrats défend sa corporation en disant que les avocats font du corporatisme, et Le Canard dégaine sa plume et surprend la garde des sceaux les doigts dans le pot de confiture. Et nous, on n’y comprend rien.

EcouteAlors, en évitant de surenchérir sur les cours de droit professés dans la presse (ça doit être dur d’être journaliste), on peut élucubrer sur la manière dont les juges nous surveillent. Car il est bon de rappeler que même un non justiciable peut faire l’objet d’une écoute. Il suffit d’être en relation avec un suspect. Ou de fréquenter un lieu… branché comme un bar, un bureau…, n’importe quel endroit où la personne visée est susceptible de décrocher le téléphone. Le juge d’instruction détient en effet de l’article 81 du code de procédure pénale un pouvoir d’ingérence dans la vie privée qui n’est limité que par son professionnalisme. La décision d’interception dépend de lui seul, elle est écrite et ne souffre d’aucun recours. La bonne règle veut d’ailleurs que l’impétrant ne soit pas informé puisque le plus souvent les procès-verbaux ne rejoignent la procédure qu’en fin de parcours – et parfois il n’y en a pas. Continue reading

L’État géolocalise et tape dans la caisse

Les députés ont renvoyé la loi sur la géolocalisation dans les enquêtes judiciaires devant le Conseil constitutionnel. Quel sera l’avis des Sages ? Tout le monde semble persuadé qu’il s’agit d’une simple formalité. Réponse « à très vite », comme on dit dans les milieux branchés.

La manchePourquoi n’ont-ils pas fait la même chose pour la géolocalisation effectuée en dehors du champ des magistrats (art. 20 de la LPM) ? La réponse est simple : lorsque ce pistage est fait dans le cadre d’une mission de police administrative, c’est sous le couvert du secret. Du coup, les risques de voir un quidam déposer une QPC sont quasi inexistants, puisqu’il ignorera tout des surveillances électroniques dont il a fait l’objet. Géolocalisation ou autres. L’affaire des fadettes du Monde, ne se reproduira jamais plus. Comme dirait George Sand, dans cette histoire, La Petite Fadette est passée par là. Continue reading

Écoutes et espionnage : les Français sous surveillance

En votant la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, la France a-t-elle adopté un Patriot Act ? Si l’on en croit l’analyse du journaliste Laurent Borredon parue dans Le Monde du 13 décembre, la réponse est non. Cette loi, nous dit-il, « s’efforce au contraire de clarifier et d’adapter notre droit à des évolutions technologiques qu’on pouvait à peine soupçonner lorsque la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité (les écoutes par les services de renseignement, aussi appelées écoutes administratives) a été adoptée. De manière imparfaite, certes, mais sans justifier un tel tollé ». Je ne suis pas sûr qu’il ait raison, car, sous prétexte de mieux encadrer, on ne fait qu’ouvrir la porte à une surveillance généralisée des citoyens.

Extrait de l’affiche du film « La vie des autres »

Extrait de l’affiche du film.

C’est un sujet qui nous concerne tous. Il était donc prévisible qu’en l’absence de communication et d’explications de la part du gouvernement, cette loi allait mettre le feu à Internet. Et ces jours-ci, une pétition circule afin de dénicher une soixantaine de parlementaires suffisamment téméraires pour saisir le Conseil constitutionnel.

Pour bien comprendre les enjeux, il n’est peut-être pas mauvais de remonter dans le temps. Avant 1991, on était devant un vide juridique et, depuis, les lois s’accumulent. Aussi bien pour les surveillances techniques effectuées par des policiers et des gendarmes sous le contrôle d’un magistrat, que pour celles qui n’apparaîtront jamais dans aucune procédure. Continue reading

Géolocalisation et autres bidouilles électroniques : ce qui nous attend

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Fais dodo…

La défense nationale est du domaine de l’armée. Pourtant, de plus en plus, on y entremêle les stratégies de sécurité nationale et de sécurité publique. C’est ainsi que de nouvelles mesures dérogatoires au droit commun – et même au droit tout court – viennent se nicher discrètement au cœur d’un projet de loi de 136 pages relatif à la programmation militaire. Cela fait penser aux petites lignes, tout en bas d’un contrat d’assurances, celles que l’on ne lit jamais. Parmi les divers aménagements qui concernent la sécurité nationale et la sécurité publique, l’article 13 mentionne la clarification du cadre juridique relatif aux données de connexions et à la géolocalisation en temps réel.

La géolocalisation en temps réel consiste à suivre les déplacements d’une personne en live ou en léger différé. On peut l’assimiler à une surveillance ou à une filature, rien qui ne présente, à mes yeux en tout cas, une atteinte importante à la vie privée. La filoche, c’est comme les indics, ça fait tourner la boutique. Continue reading

Géolocalisation : les enquêteurs devront s’adapter

La surveillance par géolocalisation est devenue un moyen habituel d’enquête tant pour rechercher les auteurs d’un crime ou d’un délit que pour surveiller les faits et gestes de délinquants potentiels. Ce procédé serait utilisé dans plus des deux tiers des enquêtes. Mais la récré est finie, les policiers et les gendarmes devront accepter des pratiques plus encadrées. Cela fait grincer des dents, mais il n’y a pas le choix : la Cour de cassation vient de siffler la fin de la partie. Le 22 octobre 2013, elle a rendu deux arrêts qui soulignent que ces pratiques constituent des atteintes à la vie privée : « La géolocalisation et le suivi dynamique en temps réel d’une ligne téléphonique à l’insu de son utilisateur constituent une ingérence dans la vie privée et familiale qui n’est compatible avec les exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qu’à la condition d’être prévue par une loi suffisamment claire et précise. » Continue reading

Faut-il démanteler la DCRI ?

La direction centrale du renseignement intérieur, c’est un peu le fait du prince. Créée par la seule volonté du président Sarkozy, sur les conseils forcément autorisés d’on ne sait trop qui, à ce jour, elle n’a pas réussi à convaincre. Pire, elle draine la suspicion. Sa première affaire, l’arrestation spectaculaire, au fin fond de la Corrèze, de Julien Coupat et de son équipe de pseudo-terroristes, restera dans les annales. Une enquête, affirmait alors sans rire le ministre de l’Intérieur (Mme Alliot-Marie), effectuée en collaboration avec les services secrets américains et ceux de plusieurs pays d’Europe, qui a mis à mal une « structure à vocation terroriste ». Et aujourd’hui, une affaire qui semble en déliquescence. D’autant qu’une information judiciaire a été ouverte pour faux en écriture publique, en raison d’un procès-verbal de surveillance peut-être bidonné. Et une seconde, par un juge de Brive-la-Gaillarde, pour des écoutes sauvages mises en place sur le bar-épicerie que tenaient les « terroristes ».

On pourrait se dire qu’il s’agissait d’une mise en jambes… Sauf que si le service était tout récent, les policiers, eux, ne manquaient pas d’expérience. C’est donc l’organisation même qui a failli. Trop proche du pouvoir politique, diront certains.

C’est sans doute l’avis du député Jean-Jacques Urvoas. Dans une étude de trente pages, que l’on peut télécharger sur le site de la fondation Jean Jaurès, Il revient sur la suppression de la direction de la surveillance du territoire (DST) et des renseignements généraux (DCRG). Une réorganisation effectuée à l’emporte pièces, sans aucune étude préalable, supprimant d’un coup des services qui marchaient bien, même si tous deux ont connu parfois quelques trous d’air. Avec un objectif principal : centraliser le renseignement « fermé », c’est-à-dire secret, voire protégé par l’estampille « secret-défense ». Les RG de Paris, qui dépendent du préfet de police, sont d’ailleurs restés en dehors de la réforme. Même si l’on a changé leur nom : les RGPP sont devenus la DRPP (direction du renseignement de la préfecture de police).

Pour le reste de la France, la direction des renseignements généraux a été dissoute pour faire place à une sous-direction de l’information générale (SDIG) rattachée à la sécurité publique. Perdant au passage plus de la moitié de ses effectifs. Rappelons que si les RG avaient souvent mauvaise presse dans l’opinion publique, aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’avait pris jusqu’ici le risque de s’en passer. Ils étaient un peu le thermomètre de la société. La SDIG, qui les a remplacés, a-t-elle les moyens de suivre les difficultés de la population, des entreprises, des commerçants, des administrations… ? En fait, avec cette réforme, il semble bien que nos dirigeants se soient coupés de la France profonde. Ils sont à présent souvent dans l’impossibilité de prévoir une fermeture d’usine, un mouvement social…, ou tout simplement de prendre le pouls d’une cité de banlieue.

Quant à la gendarmerie nationale, qui excelle dans le domaine du renseignement « ouvert », après une période de flottement, elle a finalement relancé son activité dans ce domaine. Ce qui entraîne une compétition gendarmerie-police qui va à l’encontre de l’objectif fixé par le rapprochement de ces deux grands corps de l’État.

« Comment se fait-il qu’à l’heure actuelle, demande M. Urvoas, en pleine crise économique, aucune synthèse ne vienne centraliser les notes alarmistes qui remontent des services territoriaux, annonçant la fermeture imminente en cascade d’entreprises et d’usines ? » Et de quand date la dernière synthèse nationale sur les violences urbaines ? Le député socialiste propose plusieurs pistes de réflexion pour « reconstruire » le renseignement social, dont la création d’une direction générale. Peu importe les modalités, le plus important, me semble-t-il, tient dans le titre même de la note : Rebâtir le renseignement de proximité.

Et, comme cela suppose des moyens en hommes et en matériel, il est probable que l’on déshabille la DCRI. En deux mots, on reviendrait peu ou prou à la case départ. En essayant de faire mieux, mais en se disant aussi que cela ne marchait pas si mal avant.

La mafia du Québec trahie par BlackBerry

Des bandits de haut vol ont été arrêtés grâce à l’interception de messages envoyés sur le système BlackBerry Messenger, pourtant réputé inviolable. Et, malgré la pression des avocats, les enquêteurs refusent de dévoiler la technique utilisée.

Ces truands ne sont pas n’importe qui. Ils sont soupçonnés d’avoir liquidé, le 24 novembre 2011, Salvatore Montagna, alias Sal le Ferronnier, chouchou désigné pour devenir le successeur du parrain Nicolo Rizzuto, assassiné l’an dernier. Il aurait reçu une balle et se serait jeté dans la rivière Charlemagne, sur l’Île de Vaudry, pour tenter d’échapper à son meurtrier. En tout cas, c’est là que son corps a été retrouvé. Montagna a longtemps dirigé le clan new-yorkais de la famille Bonanno, l’une des cinq familles de la Cosa Nostra, avant d’être expulsé des États-Unis, en 2009.

Le principal suspect, Raynald Desjardins, 57 ans, avait lui-même fait l’objet d’une tentative de meurtre deux mois auparavant. Sa voiture de sport a été criblée de balles près du pont d’une autoroute. Il s’agit de l’ancien bras droit du parrain de la mafia italienne à Montréal, Vito Rizzuto, le fils du précédent, qui purge une longue peine de prison aux États-Unis pour avoir liquidé trois membres du clan Bonanno. Cette famille mafieuse a tenu un rôle prépondérant dans la French Connection, puis, plus tard, dans la Pizza Connection. Desjardins est l’un des rares Québécois de souche à avoir été admis par le milieu italien. Mais il est vrai qu’il a passé son enfance en Sicile. Il a été condamné à quinze ans de prison, en 1993, pour avoir importé au Canada 740 kilos de cocaïne. On dit que les barreaux, pour lui, étaient plutôt dorés : bibliothèque, ordinateur, petits plats… Il aurait même restauré à ses frais une ancienne piste de jogging dans la cour du pénitencier. Il est aujourd’hui considéré, au Québec, comme l’un des personnages les plus influents du crime organisé. Mais c’est aussi un homme d’affaires actif, notamment dans le bâtiment.

C’est à partir de cette agression manquée sur Raynald Desjardins que les enquêteurs, persuadés que l’affaire aurait des suites, lui ont collé aux basques. Il semble même que la sûreté du Québec et ceux de la GRC (gendarmerie royale du Canada) aient pour l’occasion uni leurs efforts.

Au mois d’octobre 2011, c’est-à-dire quelques semaines après la fusillade à proximité de l’autoroute, un autre membre du clan, Lorenzo Lopresti, était assassiné alors qu’il prenait l’air sur son balcon. Et en décembre, un de plus. C’est le tour d’Antonio Pietrantonio, gravement blessé par balle, en pleine rue, à Montréal. On pourrait comme ça remonter sans arrêt en arrière et compter les cadavres. En fait, le Québec vit ces derniers mois au fil des règlements de comptes. Sans doute la suite d’une guerre des gangs sans fin qui a commencé il y a des dizaines d’années.

Coupure du journal La Presse Canada

C’est dans ce contexte que les avocats de Desjardins et de ses comparses sont montés au créneau pour demander des comptes à la police : Comment les écoutes sur lesquelles est basée une partie de la procédure, ont-elles été effectuées ? Comme la justice traîne les pieds pour répondre, plusieurs hypothèses circulent : soit la société Research in Motion (RIM), dont le siège se trouve à Waterloo, en Ontario, a répondu à une réquisition judiciaire ; soit les enquêteurs de la sûreté du Québec avaient placé un mouchard dans l’appareil de l’un ou plusieurs des suspects. Par exemple dans celui de Desjardins, alors qu’ils l’avaient sous la main, après son agression. Soit, et c’est la devinette qui circule sur le Net, les policiers ont réussi à percer le secret de la messagerie cryptée qui fait la renommée de l’entreprise canadienne. Dans une région où 46 % des utilisateurs de smartphones utilisent un BlackBerry, cela, évidemment, intéresse beaucoup de monde. Et pas uniquement les mafiosi.

Pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec ce type de téléphone, il faut rappeler qu’en plus des SMS, il est possible avec un BlackBerry d’envoyer des messages instantanés aux autres utilisateurs de BlackBerry. Et que ces messages sont cryptés. Et, si j’ai bien compris, ne laissent aucune trace ni chez l’opérateur téléphonique ni sur Internet. Ils seraient uniquement conservés au siège de RIM. Mais sans être décodés. Si cette confidentialité a fait une partie du succès de la marque, elle a déjà, de par le monde, posé pas mal de problèmes à l’entreprise. Généralement, les États n’acceptent pas que les communications privées soient chiffrées. C’est le cas de la France*. Ou alors, il faut fournir la clé de déchiffrement aux autorités. Ce que BlackBerry se refuse à faire.

Du coup, au Québec, certains experts pensent que la GRC, dont la lutte contre le crime organisé est l’une des cinq priorités, aurait réussi à percer le secret des BlackBerry. Peut-être en recrutant l’un des 2000 salariés licenciés par la firme… En tout cas, il semble bien que pour cette affaire hors du commun, leurs services techniques aient redoublé d’imagination et utilisé un matériel d’espionnage dernier cri. Au point que lors des auditions, les policiers connaissaient tellement de choses sur la vie des truands, que ceux-ci ont cru avoir été victimes d’une balance.

Ils le croient peut-être encore. L’ambigüité des sources, c’est toujours  jubilatoire pour les policiers. Et finalement, un peu d’insécurité chez les voyous, ce n’est pas si mal.

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Qui a volé le téléphone de DSK ?

« M. Strauss-Kahn n’était pas espionné par la police française ! C’est scandaleux de le prétendre aujourd’hui… », vient de déclarer le ministre de l’Intérieur au JDD. Et pourtant, on peut s’interroger…

Dans ce marmitage médiatique autour de DSK, le plus troublant, c’est ce téléphone qui a mystérieusement disparu dans la suite présidentielle du Sofitel de New York. Cela pourrait bien être le nœud de l’affaire. Or, avec le recul, il semble que l’on ait un peu vite zappé sur cette disparition : une pièce du puzzle qui s’emboîte pilepoil dans cette matinée du 14 mai 2011.

M. Strauss-Kahn aurait, explique le journaliste américain Edward Epstein, appelé son épouse avec cet appareil à 10 heures 07, pour lui dire qu’il avait un gros souci avec son BlackBerry, et qu’il désirait le faire examiner par un technicien dès son arrivée à Paris. À 12 heures 28, il quitte l’hôtel. 23 minutes plus tard, pratiquement au moment même où Nafissatou Diallo est prise en charge par le service de sécurité de l’hôtel, l’appareil est désactivé. Ce n’est donc pas lui qui l’a éteint, puisqu’il ne l’avait plus.

Si C pas DSK, CKI ?

Pour tout un chacun, la perte ou le vol de son mobile est un coup dur. On peut y perdre des choses essentielles, comme ses contacts ou ses applications, mais surtout, c’est un bout de sa vie privée qui risque de tomber entre de mauvaises mains. Alors, imaginez, pour le directeur du FMI…  C’est tellement vrai qu’un représentant du Fonds s’est présenté devant les policiers new-yorkais afin d’en demander la restitution. Car on peut faire avouer bien des choses à la mémoire interne d’un téléphone. Ce que les spécialistes appellent la rétro-ingénierie. Toutefois, le plus intéressant, pour quelqu’un de malveillant, ce n’est pas d’autopsier un téléphone, mais l’usage qui en est fait. Et là, c’est beaucoup plus simple.

Aujourd’hui, même si c’est illégal, l’espionnage d’un mobile est un jeu d’enfant. Pour cela, il suffit d’un petit logiciel. Une entreprise suisse tient la corde dans ce domaine. Pour quelques centaines d’euros, elle vous envoie un mail avec une clé pour le téléchargement, le mode d’emploi, et des codes pour accéder à l’espace privé qu’elle vous réserve sur son site. C’est sur cette page qu’il sera possible de suivre en live l’activité de l’appareil placé sous surveillance : lire les SMS et les mails, consulter la liste des appels sortants et entrants, suivre les déplacements GPS sur une carte… Quant aux conversations, elles peuvent être écoutées en direct sur son propre téléphone. Il est même possible de transformer le mobile piégé en micro d’ambiance, ce qui permet de suivre les conversations en dehors de toute communication. Les flics en ont rêvé…

Le portable est un tel cafteur que la société Thales, qui travaille pour la Défense nationale, a été chargée de se pencher sur le problème. Et elle a mis au point l’appareil le plus sûr du monde (?), le Teorem, réservé, dans un premier temps, au président de la République et aux membres du gouvernement. Extérieurement, il a un petit côté rétro, mais à l’intérieur, c’est le must, avec des composants cryptographiques de toute dernière génération. Un bijou dont même le prix est classé top-secret. Là, c’est Dominique Strauss-Kahn qui doit en rêver…

Alors qu’il dirigeait le FMI, le personnage était un véritable globe-trotter. Toujours la valise à la main (j’ai dit la valise). Donc, pas moyen de l’espionner par des méthodes classiques. La « réquise » à Orange, comme pour obtenir les fadettes d’un journaliste, ça ne marchait pas. Le seul moyen était de bidouiller son BlackBerry. Il serait, nous dit-on, tombé du placard en apprenant que l’un de ses messages avait mystérieusement atterri sur le bureau d’un membre de l’UMP. Le parti a démenti. Mais cela n’a guère d’importance, car ce détail lui aurait mis, si j’ose dire, la puce à l’oreille. Par parenthèse, on peut s’étonner de la naïveté de l’un des hommes les plus puissants de la planète et de l’incapacité des services de sécurité du FMI… En tout cas, les policiers qu’il fréquentait à l’époque n’étaient pas de bon conseil, du moins en ce domaine. Cependant, d’après Libération, le commissaire Lagarde l’aurait avisé qu’il était sur écoute. La DCRI, par exemple, sensibilise les hommes politiques ou les hommes d’affaires, notamment lorsqu’ils se déplacent à l’étranger. Premier conseil : ne jamais se séparer de son mobile. Et si c’est une condition imposée (ce qui est de plus en plus fréquent, tant l’espionnite gagne tout le monde), par exemple avant une réunion, elle recommande de retirer la batterie et la carte SIM. Ce qui entre nous n’est pas évident. L’Iphone va-t-il faire renaître la mode de l’épingle au revers de son veston ?

Donc, pour en avoir le cœur net, dès son arrivée en France, DSK compte faire examiner son BlackBerry par un technicien de confiance. Et si les choses s’étaient déroulées comme ça… On peut imaginer, comme dans la série Fringe, un univers parallèle où les gros titres de la presse n’auraient pas fait de lui un pervers accusé de viol, mais un homme politique d’envergure internationale, chouchou des français pour les Présidentielles, victime des barbouzes de son propre pays. Un scandale à l’envers. Ainsi va le monde parallèle…

Téléphone de Bell

Mais revenons sur terre. Si son téléphone était piégé, pour éviter le scandale, il était donc indispensable d’effacer de toute urgence les traces d’espionnage. Soit en l’empruntant quelques minutes, le temps de supprimer le logiciel pirate, soit en le dérobant. Tout cela avant que l’intéressé ne pose le pied sur le sol de notre beau pays. Une décision à prendre en quelques heures… Il fallait donc improviser. Ce qui va à l’encontre de la théorie du complot. On serait juste alors dans une minable affaire d’espionnage. Et le reste ne serait qu’un concours de circonstances. Une opportunité à saisir pour les opposants à M. Strauss-Kahn. Qu’ils soient en France ou aux États-Unis. Tout seul, il s’était mis la tête sous l’eau, on n’allait quand même pas lui tendre la main…

Ce n’est qu’une hypothèse parmi tant d’autres, mais je trouve l’histoire intéressante. Et dans ce cas, qui a volé le téléphone de DSK ? Les Français, les Américains, les Russes… Des tas de gens avaient intérêt à surveiller le directeur du FMI. Et même la justice, puisqu’il apparaissait dans l’affaire du Carlton de Lille. Or, dans une enquête pour proxénétisme en bande organisée, la loi permet aux juges de pirater le téléphone des protagonistes. Mais attention à bien faire la différence entre pirates et corsaires. Les premiers sont des brigands et les seconds sont mandatés par le Roi.

Un cabinet noir à l’Elysée !?

C’est ce que semble penser François Hollande : « Il y aurait à l’Élysée, au côté même du président de la République, une cellule qui, avec la police, avec la justice, ferait pression pour que des affaires soient lancées et d’autres étouffées » Et l’édito du Monde du 2 septembre parle même d’un « cabinet noir ».

Une « bad brigad » dans les murs du Palais présidentiel, voilà de quoi mettre l’imagination en branle !

L’histoire bégaie – Ce ne serait pas la première fois. Au début de son mandat, François Mitterrand créait à ses côtés un service parallèle officiellement destiné à lutter contre le terrorisme (déjà !). En fait, il était surtout là pour protéger sa vie privée, masquer ses incartades et éloigner ses « ennemis ». Car le bonhomme était un rien parano. Le nom de cette fameuse cellule élyséenne est lié à jamais aux écoutes téléphoniques illégales.

Une condamnation pour bons et loyaux services – Placée sous les ordres du commandant Christian Prouteau, la cellule était composée essentiellement de gendarmes. Il faut dire que, depuis l’affaire de l’Observatoire, Mitterrand avait une dent contre la police. Les écoutes qu’elle a effectuées tant sur certaines personnalités que sur des journalistes n’avaient évidemment rien à voir avec le terrorisme. Elles avaient beau avoir été ordonnées par la plus haute autorité de l’État, elles étaient illégales. Le président Mitterrand a défendu ses hommes jusqu’au bout et le parquet a freiné des quatre fers pour éviter des poursuites pénales, mais les plaignants ont eu finalement gain de cause au civil. Dans son arrêt, la Cour d’appel a insisté sur le fait que les cinq personnes citées (de mémoire : deux hauts fonctionnaires, deux militaires et un policier) avaient bel et bien commis des délits et qu’il s’agissait de fautes personnelles détachables du service.

L’histoire nous montre donc qu’un fonctionnaire ou un militaire qui exécute un ordre illégal engage sa propre responsabilité.

Si donc, comme nous le dit aujourd’hui M. Guéant, les fonctionnaires de la DCRI ont effectué des réquisitions auprès d’un opérateur téléphonique en dépit de la loi, ils risquent fort de connaître les foudres de la justice. Toutefois, d’après ses dernières déclarations, lui aussi semble prêt à défendre ses hommes, en l’occurrence MM. Péchenard et Squarcini. Des propos qui l’engagent.

Écoutes ou simples repérages ? – Pourtant, ces réquisitions ne sont probablement que la partie émergée de l’iceberg. Car les policiers de la DCRI n’ont nul besoin d’Orange pour effectuer des écoutes. Ils peuvent avoir recours à d’autres procédés, ou aux écoutes dites administratives (ou de sécurité) qui, elles, sont protégées par le secret-défense. Et celles-là, même la juge Sylvia Zimmermann ne peut en avoir connaissance.

Les bidouilleurs de la DCRI – Mais ces enquêteurs triés sur le volet sont-ils obligés de passer par l’opérateur pour connaître le « passé téléphonique » d’un suspect, que ce soit un terroriste, un informateur ou… un journaliste ? La question vaut la peine d’être posée, car, par définition, un service secret agit en secret – et non pas sous couvert d’une réquisition plus ou moins judiciaire. On pourrait donc en conclure soit que notre DCRI, qu’on nous a présentée comme un service de pointe, ne serait pas si en pointe que ça… Soit que ses agents, sûrs de leur impunité, ont cédé à la facilité… Soit que ces investigations ont été faites par un noyau d’affidés, dans le dos de la hiérarchie. Des bidouilleurs, quoi ! Car il est bien difficile d’admettre que les deux vieux routiers cités plus haut n’aient pas senti la patate… Même s’ils acceptent de porter le chapeau. Quand on est près du Bon Dieu, on imagine assez mal le purgatoire.

Celà irait dans le sens de la rumeur concernant un possible cabinet noir, ou du moins une cellule occulte. Et pour colporter moi aussi une rumeur, on dit que, lorsque des infos crapoteuses ont circulé sur Mme Aubry, celle-ci a décroché son téléphone pour signaler à l’Élysée le nom des personnes « bien en place » susceptibles d’être à l’origine de cette intox. Qui a cessé aussitôt.

François Mitterrand voulait camoufler ses frasques et, maintenant, Nicolas Sarkozy chercherait à dissimuler ses casseroles… Vrai ou faux ? Peu importe, car, comme disait Pablo Picasso « Tout ce qui peut être imaginé est réel ».

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