LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Droit (Page 8 of 20)

Le secret de l’instruction a-t-il encore un sens ?

Le procureur de Paris vient d’ouvrir une information judiciaire contre X pour violation du secret de l’instruction dans l’enquête mettant en cause Nicolas Sarkozy. Il aura donc fallu que l’une des nombreuses fuites concerne le barreau de Paris pour que la justice s’intéresse enfin aux manquements répétitifs à l’un des éléments clés de l’instruction judiciaire : le secret.

C’est un article du Monde citant un mail du bâtonnier Pierre-olivier Sur qui a fait déborder le vase. Du coup, le X est facilement identifiable. Au point que le directeur du journal qui abrite ce blog a pris la plume dans le numéro de dimanche dernier estimant que cette enquête « vise purement et simplement à identifier les sources du Monde. Ou à les intimider ». Il rappelle d’ailleurs que les journalistes ne sont pas astreints au secret de l’instruction.

Pas plus que vous et moi. Le secret de l’instruction et de l’enquête ne s’impose qu’aux personnes qui concourent à la procédure : magistrats, greffiers, policiers, gendarmes, experts, interprètes… Continue reading

Indices graves ET/OU concordants

On a beaucoup lu et entendu qu’il existait contre Nicolas Sarkozy des indices graves ET concordants suffisants pour justifier sa mise en examen. Pourtant, la formule n’est pas exacte. En fait, le code de procédure pénale (art. 80-1) se contente « d’indices graves OU concordants rendant vraisemblable » que le suspect ait pu participer, comme auteur ou complice, aux faits dont le juge d’instruction est saisi. À notre époque binaire, cette conjonction de coordination (mais ou et donc or ni car) est pour le moins dérangeante.

Avec l'aimable autorisation de Jean-Michel Sicot

Avec l’aimable autorisation de Jean-Michel Sicot

Les choses étaient différentes par le passé. L’évolution n’est pas inintéressante. Ainsi, à une époque où les juges étaient moins surchargés et plus à même d’instruire à charge et à décharge, de simples indices étaient suffisants pour justifier une mise en examen. Une notion assez subjective. Puis, vers la fin des années 80 (époque où les policiers disparaissent des médias), les juges n’hésitent plus à mettre les mains dans le cambouis. Ils deviennent de véritables enquêteurs, perdant sans doute un peu de leur objectivité au fur à mesure que se renforce leur instinct de chasseur.

La loi du 15 juin 2000 a donc tenté de limiter les mises en examen au profit du statut de témoin assisté. Elle a cherché à durcir les conditions nécessaires. Lors des travaux préparatoires de ce texte, il était question d’utiliser une formule retenant « des indices précis, graves ou concordants » Continue reading

Des agents paramilitaires pour affronter les pirates de la mer

Nos parlementaires viennent d’adopter une loi autorisant la mise en place d’une force armée privée à bord des navires de commerce. La France, deuxième puissance maritime mondiale (presque à jeu égal avec les États-Unis) est pourtant l’un des derniers pays d’Europe à franchir ce cap. Il n’a pas dû être facile pour nos autorités de déléguer ainsi au « privé » le devoir régalien d’assurer la protection des personnes et des biens. Mais dans une société où les comptables sont rois, l’enjeu était trop gros : un préjudice évalué entre 7 et 12 milliards d’euros. D’autant que certains armateurs français louchaient vers les pays où il existe déjà des sociétés militaires privées, envisageant même de changer de pavillon.

CaptureLa loi a mis près de deux ans à sortir du chapeau. Elle est compliquée, contraignante et un rien timorée, au point de se demander si les entreprises françaises qui vont se lancer dans l’aventure parviendront à rester concurrentielles ? Il faut l’espérer, car c’est un marché en pleine expansion. Continue reading

La justice européenne cherche à s’imposer

Alors que la coopération européenne bat son plein dans la police, le système judiciaire est à la traîne. Il faut dire que si les États soutiennent haut et fort la lutte transfrontière contre la criminalité et le terrorisme, bien peu sont prêts à abandonner leur souveraineté, notamment en ce qui concerne le déclenchement de l’action publique, autrement dit, l’initiative des poursuites. Raison pour laquelle le traité de Lisbonne, applicable depuis fin 2009, apporte des garanties aux États membres lorsque certaines mesures risquent de mettre en cause leur justice pénale, comme la définition des infractions, le barème des sanctions ou la création d’un parquet européen. Le garde-fou consiste en une clause dite « frein-accélérateur » que les États membres peuvent évoquer pour bloquer une décision ou au contraire demander un renforcement de la coopération.

Eurojust_LogoLe traité de Lisbonne pose le principe d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques de chaque pays de l’Union. Il définit une coopération accrue en matière de justice civile et pénale par le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions – ce qui implique le rapprochement des législations nationales et l’application de règles minimales communes. Continue reading

Le mandat d’arrêt européen : arrestations sans frontière

Après un procès dérangeant qui aurait sans doute inspiré Jean de la Fontaine, Jérôme Kerviel a entamé un bras de fer avec la justice, attendant, sous l’œil bienveillant des médias, que les forces de l’ordre viennent le chercher de l’autre côté de la frontière italienne – mais au sein de l’Europe. Ce fait-divers braque les projecteurs sur l’avancée la plus importante de l’UE en matière de justice et de police : le mandat d’arrêt européen (MAE).

Touriste de bananes de Georges Simenon, illustré par Loustal (Vertige Graphic)

Touriste de bananes de Georges Simenon, illustré par Loustal (Vertige Graphic)

En effet, l’extradition n’existe plus entre les États membres de l’Union. La France a entériné la chose en 2003 en modifiant sa Constitution : « La loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris par les institutions européennes ».

L’extradition a donc été remplacée par un système « basé sur la confiance réciproque » qui consiste à remettre au pays demandeur les personnes condamnées, comme Jérôme Kerviel en France, ou celles qui font simplement l’objet de poursuites pénales. On ne parle donc plus d’une personne extradée mais, en l’absence de synonyme, d’ « une personne dont la remise a été demandée ».

Le vieux principe selon lequel la France n’extrade pas ses nationaux a donc vécu. Il s’est incliné devant la citoyenneté européenne. Continue reading

L’Europe bouscule la procédure pénale

L’adoption en urgence de la loi relative au renforcement des droits des personnes dans le cadre des procédures pénales montre combien on a du mal à suivre le rythme de l’Europe. Il faut dire que nos méthodes d’investigation sont souvent en contradiction avec les directives européennes. Celles-ci tentent en effet d’installer une harmonisation basée sur une procédure orale, publique et accusatoire ; aux antipodes de celle que nous appliquons qui, elle, est écrite, secrète et inquisitoire.

Cette divergence explique en grande partie pourquoi l’avocat a du mal à faire son trou dans l’enquête pénale, du moins en amont du jugement ou de l’instruction judiciaire. Car notre système est basé sur un postulat : une personne soupçonnée d’un crime ou d’un délit est présumée innocente. Et un innocent n’a pas besoin d’un défenseur. On pourrait presque en faire un syllogisme dérisoire si nos prisons n’étaient pas en partie remplies de « présumés innocents ». Continue reading

Juges et journalistes : secret de l’instruction contre secret des sources

Après la publication d’extraits d’écoutes téléphoniques judiciaires, Nicolas Sarkozy, dans sa lettre aux Français, s’interroge : « Qui a donné ces documents alors même qu’aucun avocat n’a accès à la procédure ? Les seuls détenteurs en sont les juges ou les policiers… Sont-ils au-dessus des lois sur le secret de l’instruction ? » Et simultanément, son avocat, Me Herzog, d’annoncer le dépôt d’une plainte.

Ecoutes L’affaire est intéressante, car, lorsqu’il y a des fuites dans une procédure, il est de coutume d’en accuser les avocats. Il faut dire que c’est souvent le cas, les avocats, et surtout les pénalistes, aiment à briller dans les médias. Et les renvois d’ascenseur ne sont pas rares… Mais ici, il semble bien que les juges aient tenu ces écoutes secrètes jusqu’au dernier moment, quelques semaines après la nomination du nouveau procureur national financier, Mme Houlette, dont les compétences s’étendent de la fraude fiscale au blanchiment, en passant par la corruption et son duplicata, le trafic d’influence. Ce sera donc l’un des tout premiers dossiers du nouveau parquet « mains propres ». Je ne sais pas si le procureur de Paris a été consulté Continue reading

Le maire, 1er flic de sa ville ?

Si l’insécurité n’est pas le débat majeur des élections municipales, à quelques jours du scrutin, il n’est peut-être pas inutile de revenir sur les pouvoirs de police du maire et de sa police municipale. Alors que Manuel Valls revendique le titre de premier flic de France, le maire peut-il dire de même dans les limites de sa commune ?

Et le souhaite-t-il ?

Yosemite SamLe maire, officier de police judiciaire – En tant qu’officier de police judiciaire, le maire peut recevoir les plaintes et les dénonciations, constater des faits par procès-verbal, arrêter des suspects lors d’un flagrant délit, les placer en garde à vue, faire des perquisitions, des saisies… Mais il doit également en informer le procureur de la République, lequel va probablement le sermonner et lui conseiller gentiment de passer à la main à des professionnels.

Car si le maire et ses adjoints sont OPJ de droit (art. 16-1 du CPP), c’est une qualité tombée en désuétude. Cette prérogative originale et révolutionnaire ne fait plus recette. Et peu de maires la revendiquent. Pourtant, si l’on remonte le temps… Continue reading

L’État géolocalise et tape dans la caisse

Les députés ont renvoyé la loi sur la géolocalisation dans les enquêtes judiciaires devant le Conseil constitutionnel. Quel sera l’avis des Sages ? Tout le monde semble persuadé qu’il s’agit d’une simple formalité. Réponse « à très vite », comme on dit dans les milieux branchés.

La manchePourquoi n’ont-ils pas fait la même chose pour la géolocalisation effectuée en dehors du champ des magistrats (art. 20 de la LPM) ? La réponse est simple : lorsque ce pistage est fait dans le cadre d’une mission de police administrative, c’est sous le couvert du secret. Du coup, les risques de voir un quidam déposer une QPC sont quasi inexistants, puisqu’il ignorera tout des surveillances électroniques dont il a fait l’objet. Géolocalisation ou autres. L’affaire des fadettes du Monde, ne se reproduira jamais plus. Comme dirait George Sand, dans cette histoire, La Petite Fadette est passée par là. Continue reading

Garde à vue : cumul et saucissonnage

L’ex-policier municipal suspecté dans l’enquête sur le quadruple meurtre de Chevaline a été blanchi après trois jours de garde à vue. Mais il n’a pas été libéré, enchaînant une nouvelle garde à vue pour une affaire incidente. Une même personne peut-elle ainsi être placée sous contrainte de police plusieurs fois et sans limitation de temps ou existe-t-il des garde-fous pour éviter les abus ?

ChevalineComme souvent, le précepte est fixé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dont les dispositions de l’article 5 § 3 édictent l’obligation de traduire « aussitôt » toute personne détenue devant un magistrat, dans le but de « réduire au minimum le risque d’arbitraire ».

Afin d’éviter toute tentation pour un OPJ ou un magistrat de contourner ce principe soit en fractionnant la garde à vue soit en enchaînant plusieurs gardes à vue pour des faits différents, la Cour de cassation s’est penchée à plusieurs reprises sur ce sujet. Continue reading

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