LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Droit (Page 18 of 20)

Le SMS peut-il servir de preuve ?

Le SMS est devenu le meilleur indic de la police*. C’est un véritable phénomène de société. Entre 7 et 11 milliards (selon les sources) en France, au dernier trimestre 2008. Quelles conséquences pour ces mots souvent écrits à la hâte et souvent dans un français approximatif ? Peuvent-ils servir de preuve dans une enquête judiciaire ?

sms_blog-de-100drine.jpgEn 2007, dans une affaire de harcèlement entre un patron et sa salariée, l’employeur soutenait que les SMS qui prouvaient sa faute devaient être assimilés à des conversations téléphoniques, et qu’à ce titre leur retranscription sans son consentement constituait un moyen déloyal de preuve.

La Cour de cassation a effectivement confirmé que l’enregistrement d’une conversation téléphonique à l’insu de l’auteur des propos est un procédé déloyal qui rend irrecevable la preuve, mais qu’ « il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ».

Rappelons que le principe de loyauté de la preuve est un principe général. Dans ce domaine précis, il repose sur l’information préalable des procédés d’enregistrement. Toutefois, lorsqu’on envoie un SMS, on sait qu’il est destiné à être enregistré sur le téléphone de son correspondant. Il y a donc connaissance et acceptation implicite de cet enregistrement.

Pourtant, cette « preuve électronique », est à manipuler avec circonspection, car elle est contestable. Ainsi, dans le Recueil Dalloz 2007, Céline Castets-Renard, Maître de conférences à l’Université des sciences sociales de Toulouse, nous dit : « Il est peu probable que le procédé du SMS puisse garantir l’identité et l’intégrité. Cela est d’autant plus vrai des téléphones portables bluetooth qui peuvent permettre une prise de commande à distance par un tiers, sans que le titulaire du téléphone s’en aperçoive. Également, il ne faut pas négliger l’hypothèse simple et classique de la perte du téléphone ou encore de l’usage du téléphone par un tiers, à l’insu de son propriétaire ».

Madame Castets-Renard a raison, mais comme souvent dans le domaine des arguments techniques ou scientifiques, il existe un risque (non formulé) du retournement de la preuve. Et il va appartenir au propriétaire du téléphone de démontrer qu’il n’est pas l’expéditeur du SMS… sms_3g4g_blogspot.1248941047.gif

En tout cas, lorsqu’on pianote un texte sur son portable, il faut avoir en tête que sur le plan juridique cela peut présenter les mêmes conséquences qu’une lettre. Ce SMS qui traîne sur l’appareil de votre correspondant ou dans l’informatique de votre opérateur téléphonique pourra un jour ou l’autre être ressorti comme une preuve, tant au pénal qu’au civil.

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* Les SMS intéressent de plus en plus la police, article de Jean-Marc Leclerc dans Le Figaro.fr

Du Flash-ball à la dispersion d’un attroupement

Les forces de l’ordre sont-elles autorisées à utiliser le Flash-ball pour disperser un attroupement ? Ces jours-ci, à la suite des incidents de Montreuil1, on a lu tout et son contraire. Petite tentative pour faire le point.

la_manifestation_lacusongirl_carnet-de-croquis.1247824154.jpgIl faut d’abord distinguer l’attroupement de la manifestation.

La manifestation relève des libertés publiques car elle a pour objet d’exprimer une opinion. Par nature pacifique, elle doit faire l’objet d’une déclaration préalable et être autorisée.

L’attroupement est défini par l’article 431-3 du Code pénal : « Constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ».

La notion de « lieu public » est importante. Ainsi des ouvriers qui occupent les locaux de leur entreprise, comme c’est le cas actuellement, ne forment pas un attroupement au sens juridique. Leur évacuation ne peut se justifier que par l’existence d’un crime ou d’un délit, l’obligation de porter assistance à une personne en danger ou l’exécution d’une décision de justice.

Toutefois, tout rassemblement sur la voie publique ne constitue pas nécessairement un attroupement. Il appartient aux responsables des forces de l’ordre de faire preuve de bon sens. Et en dernier ressort, c’est à l’autorité judiciaire de trancher.

Dans l’ancien Code pénal, l’attroupement était interdit. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais il peut en revanche être dissipé par la force publique.

« La dispersion de l’attroupement et l’éventuel usage de la force, nous dit le commissaire divisionnaire Didier Perroudon2 (photo), résultent de l’enchaînement plus ou moins visible de trois phases toutes aussi didier-perroudon_zoom42.1247824647.jpgfondamentales les unes que les autres. La dispersion de l’attroupement doit avoir été décidée par l’autorité civile présente sur les lieux, les sommations doivent avoir été effectuées dans leur solennité, la foule doit se maintenir sur les lieux. »

Il existe cependant deux cas dans lesquels l’usage de la force peut être mis en œuvre sans que les sommations soient nécessaires :

– Les forces de l’ordre font l’objet de violences ou de voies de fait. A condition que les violences présentent une certaine gravité. « L’acte isolé d’un individu, des voies de fait bénignes ne sauraient justifier un recours à la force sans sommations », note le commissaire divisionnaire Jean Montreuil

– Le nouveau code pénal autorise également le recours à la force sans sommations, lorsque les membres de la force publique ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent (une préfecture, un bâtiment…).

« Dans toutes les autres situations, l’absence de sommations rendrait illégal l’usage de la force, et les agents de la force publique ne pourraient se prévaloir du fait justificatif de l’ordre de la loi et du commandement de l’autorité légitime. Seule, la légitime défense de soi-même ou d’autrui pourrait, le cas échéant, être évoquée » (Vitu et Montreuil).

Par « emploi de la force », il convient d’entendre l’utilisation violente de la force physique comme les mouvements de refoulement, bonds offensifs, charges comportant l’usage en tant que de besoin des bâtons de défense, bâtons de police à poignée (tonfa), etc. Constituent également un usage de la force, l’utilisation des grenades lacrymogènes, la mise en œuvre d’engins lanceurs d’eau et de véhicules anti-barricades (Circ. min. Int. du 4 mars 1987).

L’ouverture du feu ne peut se concevoir que dans des situations d’une exceptionnelle gravité. Une instruction interministérielle précise qu’à l’exception du cas de légitime défense, il faut éviter l’usage des armes « en faisant preuve jusqu’aux dernières limites de calme et de sang-froid ».

Alors, pour en revenir au Flash-ball…

Le Flash-ball est une arme trop récente pour être mentionnée dans les textes, mais dans la mesure où elle a été classée en 4° catégorie, au même titre qu’un revolver, on peut en déduire que son utilisation est réservée aux cas de légitime défense.
Elle ne pourrait donc être utilisée pour disperser un attroupement qu’après une décision de l’autorité civile et les sommations d’usage.
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1/ Sur ce blog : Montreuil, le Flash-ball en question.

2/ Au moment où il a écrit son recueil sur l’attroupement (dont je me suis inspiré), Didier Perroudon était professeur à l’École nationale supérieure de la police et professeur associé à la Faculté de droit de l’université Jean Moulin à Lyon. Il est aujourd’hui (je crois) directeur départemental de la sécurité publique de Seine-Maritime.

L’aveu : reine des preuves !?

En 2001, Marc Machin a passé 48 heures en garde à vue dans les locaux de la brigade criminelle. Et il a craqué. Il a raconté comment il avait tué Marie-Agnès Bedot, le 1er décembre, sous le pont de Neuilly. À part que tout était probablement faux… Comment une telle erreur est-elle possible ? Comment un officier de police aguerri, un juge d’instruction et toute la chaîne judiciaire jusqu’au jury d’assises peuvent-ils à ce point se tromper ?

claques_trucs-en-vrac-par-gotlieb.1247048055.jpgC’est que notre justice, quoiqu’on dise, reste obnubilée par l’aveu. Lorsqu’un individu nie les faits, clame son innocence, on s’interroge. On se demande s’il ne s’agit pas d’une erreur. Les médias décortiquent l’enquête, lancent des hypothèses, parfois même des comités de soutien se mettent en place. Dans le cas contraire, lorsqu’un individu avoue son crime, l’affaire est… pliée, et plus personne ne se pose de questions. Lorsque j’ai écrit un billet sur Marc Machin, en mars 2008, je n’ai même pas réussi à trouver une photo de lui. Et je me permettais de conclure par ce mauvais jeu de mots : Tu sais quoi, Machin, ton truc il n’intéresse personne.

Pourtant, à la différence du droit civil, où l’aveu possède une force probatoire extrêmement forte, le Code de procédure pénale (art. 428) présente l’aveu comme un simple élément de preuve qui « est laissé à la libre appréciation des juges ».

Mais l’appréciation des juges est basée en grande partie sur les premières confidences, celles faites à chaud, durant la garde à vue.  Un face-à-face entre le suspect et le policier au cours duquel chacun tente de persuader l’autre. Il s’agit souvent d’un véritable combat psychologique avec un réel enjeu : la liberté pour l’un, l’erreur pour l’autre. Mais le policier à ce moment-là peut difficilement envisager qu’il se trompe, car s’il n’est pas persuadé de la culpabilité de « son » suspect, il aura bien du mal à se montrer persuasif (on ne parle pas ici de l’audition d’un plaignant ou d’un témoin, mais d’un individu contre lequel il existe pour le moins des raisons sérieuses de penser qu’il est coupable).

Très bizarrement, on parle souvent de la psychologie du criminel – et beaucoup plus rarement de celle de l’enquêteur. Si l’on pouvait se glisser dans le moi inconscient de ce dernier, on aurait sans doute à peu près ce monologue : Je fais partie d’une institution (police, gendarmerie, justice) solide avec autour de moi des collègues qui pensent comme moi. Certes, je peux me tromper, mais tout le monde ne peut pas se tromper en même temps ! Ce que je fais est bien. J’agis dans le cadre de la loi, laquelle me donne certains pouvoirs que je peux exercer si besoin est. Je suis un pro (face à un amateur), j’ai reçu une formation et j’ai l’expérience de ces situations.

« C’est dans ce cadre que le policier construit son identité sociale, nous dit le commissaire divisionnaire belge Jean-Paul Wuyts, dans son livre Psy et flic (Psychologie policière et interrogatoire). Ce par quoi il va se reconnaître lui-même, ce par quoi il sera reconnu par d’autres, ce par quoi il va se situer dans de multiples catégories socioculturelles, tout en se singularisant et en s’affirmant. Cette représentation de soi est nécessairement sociale. »

Lorsque le policier obtient les aveux d’un suspect, il en tire une légitime fierté, et cela pour deux raisons : il a réussi à faire craquer son client et il a bouclé son enquête. Car nous sommes toujours dans la culture de l’aveu, et même, pourrait-on dire, du chasseur et du gibier. Avec un risque, sous-jacent : le désir (plaisir ?) de réussir ne peut-il pas éclipser l’objectivité ?

Mais qu’est-ce qui peut pousser quelqu’un à avouer un crime qu’il n’a pas commis ? Psychologues, professeurs, magistrats, policiers… ont tenté d’expliquer le pourquoi d’un tel comportement. Je crois que la réponse de base se trouve dans le renoncement, le désir que cela s’arrête, le syndrome de la pile d’assiettes (on casse une assiette et volontairement on jette la pile au sol). Vous savez ce sentiment que chacun de nous a ressenti un jour ou l’autre : lorsqu’on touche le fond, on ne peut pas descendre plus bas ! Si toutes les assiettes sont cassées, le problème est réglé.

Il y a bien sûr d’autres raisons aux aveux mensongers, comme la faiblesse psychologique du suspect, le besoin de se vanter, etc., mais il arrive aussi que le mensonge soit le résultat d’un calcul plus ou moins machiavélique : Un coupable veut brouiller les pistes… Un innocent veut protéger un proche… Un étranger veut éviter l’extradition…
Et puis, il y a aussi les mythomanes, ceux qui s’inventent des histoires, qui ont envie de jouer un rôle. Imaginons que Michael Jackson ait été assassiné, il y aurait sans doute aujourd’hui des centaines de cornichons pour se déclarer coupables ; comme ce fut le cas en 1932, lors du kidnapping de l’enfant de Charles Lindbergh (au cours de l’enquête, plus de deux cents personnes ont revendiqué cet enlèvement). Quant à Bruno Hauptmann, qui fut condamné à mort pour le rapt et le meurtre du bébé, lui, il n’a jamais avoué – et aujourd’hui encore on se demande s’il n’était pas innocent !

Parfois, il faut bien le dire, les aveux, qu’ils soient vrais ou faux, sont obtenus par des faux-fuyants, des subterfuges de l’enquêteur. La question se pose d’ailleurs de savoir si des aveux « suscités » (par des mensonges, des tromperies, voire des violences…) ne sont pas contraires au principe de la loyauté de la preuve. Ainsi, la Cour de cassation a estimé qu’un juge d’instruction ne pouvait engager une conversation téléphonique avec un suspect, en cachant son identité, afin d’obtenir des preuves contre lui (arrêt Wilson, 31 janvier 1998).

Les aveux sont consignés sur un P-V. C’est la seule trace qui subsiste, celle qui va suivre le suspect jusqu’à son procès. On comprend combien sa rédaction est importante. À tel point que parfois, le flic marc-machin_lepost.1247048208.jpgva « négocier ».  Pour obtenir telle confidence, il peut proposer une présentation plus soft des faits. Je ne connais pas la teneur du P-V d’aveux de Marc Machin (photo de droite), mais pour prendre un exemple célèbre, l’interrogatoire de première comparution de Christian Ranucci1 est un long monologue dans lequel il confesse son crime. Voici ce qu’en dit Serge Portelli, vice-président du TGI de Paris, en réponse aux questions de Le Dalloz, en 2002 : « Si vous lisez ce document, vous entendez l’inculpé s’expliquant d’une seule traite et spontanément sur le meurtre. Aucune question n’est mentionnée. Si vous regardez de plus près, même sans être un habitué du monde judiciaire, simplement avec un peu de bon sens, vous constatez que les déclarations de Ranucci ne sont en fait qu’une succession de réponses à des questions habilement posées. On suit la pensée du juge. On entend même ses mots, son jargon. Quelle est la valeur de ces « aveux » ? En tout cas, leur poids a été énorme. Les dénégations ultérieures n’y ont rien fait. Ranucci a été condamné et exécuté, et les questions, nous nous les posons aujourd’hui. Revenir sur un aveu est presque impossible. Une fois le procès-verbal signé, il a une force irréfragable. »

Autre exemple (cité également par Serge Portelli) : avant que Patrick Dils2 avoue le meurtre des deux enfants retrouvés morts le long d’une voie SNCF, à Montigny-lès-Metz, en 1986, deux autres suspects avaient été interrogés et avaient eux aussi reconnu les faits.

Mais les choses devraient évoluer…

La loi du 15 juin 2000 a modifié l’article 429 du CPP en précisant que « Tout procès-verbal d’interrogatoire ou d’audition doit comporter les questions auxquelles il est répondu ». Finis donc les fameux « S.I. » (sur interpellation) qui fleurissaient dans les P-V d’antan.

On peut également penser que l’enregistrement audiovisuel de la garde à vue en matière criminelle va modifier le comportement des enquêteurs (et probablement celui des personnes gardées à vue) en apportant plus de rigueur lors des auditions.

L’enquête, tant au niveau de la police ou de la gendarmerie que du juge d’instruction, devient de plus en plus technique, voire scientifique. Elle se déshumanise. Et bizarrement, la course à l’aveu persiste. Pourtant, rapporte Jean-Paul Wuyts, sur un échantillon de 350 cas d’erreurs judiciaires analysés aux États-Unis parmi des condamnés à mort ou à de lourdes peines d’emprisonnement, 49 (11.4 %) résultaient d’aveux obtenus sous la contrainte.

laveu.1247048140.jpgL’aveu d’un crime donne bonne conscience aux enquêteurs, aux magistrats et aux citoyens qui composent le jury d’assises. Puisqu’« il » a avoué son crime, nous ne risquons pas l’erreur judiciaire… C’est sans doute la principale raison qui justifie cette concentration des moyens et des efforts dans la recherche de cette preuve.

Pourtant, à la différence de celui qui clame son innocence et qui souvent profite du doute qu’il fait naître dans l’esprit de ses juges, l’accusé qui avoue n’en tire aucun avantage.

Car contrairement à ce qu’il pourrait espérer, faute avouée n’est jamais pardonnée.

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1. Christian Ranucci a été condamné à mort et guillotiné. Aujourd’hui tout le monde est persuadé qu’il était innocent, or toutes les demandes de révision le concernant ont été rejetées. Aux yeux de la justice, Christian Ranucci est donc toujours coupable du meurtre de la petite Marie-Dolorès, âgée de huit ans.

2. Patrick Dils avait 16 ans lorsqu’il a reconnu avoir tué deux enfants. En janvier 1989, il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Son innocence est finalement reconnue en avril 2002, après que le tueur en série Francis Heaulme ait laissé entendre qu’il se trouvait sur les lieux au moment du meurtre. Dils aurait touché un million d’euros à titre d’indemnisation. Quant à Heaulme, il a bénéficié d’un non-lieu pour ces faits en 2007.

De la criminalité organisée aux violences en bande

Les lois pour lutter contre l’insécurité s’empilent l’une sur l’autre à une cadence telle qu’on se demande comment les magistrats s’y retrouvent. Et de plus en plus, elles corto-maltese-par-hugo-pratt.1245942343.jpgdérogent au droit commun. Byzantinisme ou problème nouveau ? Autrement dit, notre pays, notre monde, a-t-il vraiment sombré dans la délinquance, le crime, le terrorisme… au point qu’il faut à tout prix le sauver de lui-même ?

Depuis plus de 20 ans, les procédures dérogatoires au droit commun se sont multipliées. Ainsi, pour lutter contre le terrorisme, en 1986 on voit apparaître dans le Code de procédure pénale la notion d’infractions « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Le texte prévoit notamment un allongement de la durée de garde à vue et adopte la Cour d’assises sans jury.

Quelques années plus tard, la loi du 16 décembre 1992 reprend ces procédures pour le trafic de stupéfiants et le proxénétisme.

Mais peu à peu, au plan international, une idée s’impose : Il ne peut y avoir de lutte efficace contre ces deux fléaux sans prendre en compte la notion de réseaux organisés. Et la plupart des États renforcent alors leur législation pour lutter contre les infractions commises par ces réseaux : blanchiment, corruption, enlèvements, meurtres, séquestrations…

À la suite du Conseil européen de Dublin réuni les 13 et 14 décembre 1996, le premier programme d’action relatif à la criminalité organisée est adopté le 28 avril 1997.

En France, les procédures dérogatoires deviennent monnaie courante. Prises souvent sous le coup de l’émotion, elles se veulent parfois ponctuelles, mais dans les faits, elles survivent toujours à l’événement. Ainsi, après les attentats du 11 septembre 2001, le Parlement adopte une série de dispositions dérogatoires pour une durée limitée, visant la lutte contre le terrorisme : contrôles d’identité et visites de véhicules, perquisitions sans le consentement exprès de la personne en enquête préliminaire, ou hors des heures légales pour certaines infractions, etc.

Toutes les dispositions temporaires adoptées ont par la suite été pérennisées.

La loi du 9 mars 2004, dite Perben II, crée une nouvelle procédure dérogatoire spécialement conçue pour lutter contre la criminalité organisée et applicable à un large champ d’infractions (articles 706-73 et 706-74 du CPP) : le terrorisme, le trafic de stupéfiants et le proxénétisme mais aussi des infractions d’atteintes aux personnes, aux biens ou à l’État et à la paix publique. Toutefois, dans de nombreux cas, ce n’est pas l’infraction qui est visée mais une circonstance aggravante : la bande organisée. Si cette circonstance est retenue, le moindre délit devient punissable d’une peine de dix ans d’emprisonnement.

Il reste à définir la notion de bande organisée. Or la jurisprudence française semble montrer qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une criminalité organisée, contrairement aux recommandations du Conseil de l’Europe. En effet, la convention des Nations Unies donne cette définition du « groupe criminel organisé » : « Un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel ».

Donc :

– Au minimum 3 personnes…

– Une certaine durée…

– Une action groupée…

– Des infractions graves ou définies par la Convention…

– Dans le dessein d’en retirer un avantage financier ou matériel.

Chez nous, on s’éloigne nettement de cette définition. On ne retient en effet ni la durée ni l’objectif matériel ou financier ; et surtout on applique la notion de bande organisée à des délits qui n’ont rien à voir avec des infractions graves ou celles qui sont définies par la Convention.

Aujourd’hui, il semble que l’on ait franchi un échelon de plus en punissant le simple fait d’appartenir à une bande, même si l’on n’a commis aucun délit – et même si la bande n’a commis aucun délit, puisqu’il suffit d’un ou plusieurs faits matériels dans le but de commettre des violences contre des personnes, ou dans le but de commettre des destructions ou dégradations de biens. Ce qui pose le double problème de la responsabilité collective et du délit d’intention. Et sur le plan pratique, du renversement de la preuve, car il appartiendra au « suspect » de prouver qu’il ne connaissait pas les intentions délictueuses de ses amis.

On peut se demander quel sera l’avis du Conseil constitutionnel !

En 1980, la droite croyait sans doute que la sécurité était un bon cheval de bataille. Et en décembre de cette année-là, malgré de nombreuses manifestations, la loi dite « Sécurité et Liberté » présentée par le garde des Sceaux Alain Peyrefitte est adoptée par le Parlement. Elle étend les prérogatives de la police en matière de flagrant délit et de contrôle d’identité, ainsi que celles du Parquet, et réduit notablement les droits de la défense.

flic-mal-aime_extrait_stripsjournal.1245942877.jpgQuelques mois plus tard, François Mitterrand gagne les élections présidentielles. Les Français rêvaient sans doute d’autre chose que de sécurité…

Mais entre ne pas faire et Defferre, en quelques années, les socialistes cassent la mécanique policière et perdent toute crédibilité en matière de sécurité.

Une autoroute pour la droite… Mais qui sait de quoi nous rêverons en 2012 ?

Julien Coupat est-il filoché ?

propos-divrogne.jpgC’est le genre de question piège qu’on vous pose généralement entre le fromage et le dessert, et il y a quelques jours, ça n’a pas manqué ! Et si sa libération était un piège des poulets ! a renchéri quelqu’un. J’ai levé mon verre. Un rayon de soleil s’est accroché à la robe pourpre d’un Saint-Amour 2005 ; dans le ciel, un avion traçait un sillage vers l’ouest ; la pollution était normale : bien trop élevée. J’avais envie de répondre un truc du genre j’en sais rien et j’en ai rien… Et puis, je me suis dit que le contrôle judiciaire valait bien une petite réflexion.

Que je vous livre. Sous toutes réserves.

Le principe de droit est fixé par l’article 137 du Code de procédure pénale : « La personne mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois (…) elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire (…) Elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire ».

Dans la pratique, il faut bien admettre qu’après sa mise en examen un présumé innocent devient vite un présumé coupable. Ce qui a été le cas pour Julien Coupat. À tel point qu’à l’issue de sa détention provisoire on a entendu des commentaires du genre : Vous voyez bien qu’il est innocent, puisqu’il est libéré ! Et que le procureur de Paris a dû se fendre d’une explication pour assurer que la fin de sa détention provisoire « ne saurait être interprétée comme le signe de l’absence ou l’insuffisance de charges ».

Donc, après six mois d’emprisonnement, le voici placé sous contrôle judiciaire. Avec des obligations piochées dans l’article 138 du CPP (plus de 2 pages dans le Dalloz) et qui en soit n’ont rien d’extraordinaires. Il est astreint à résidence, il doit pointer toutes les semaines, ne pas voir ou parler aux autres mis en cause, et verser une caution de 16.000 €. On peut trouver qu’il s’agit là d’une somme élevée, mais son montant doit en principe être raccord avec ses ressources. Elle est considérée comme « une garantie de représentation ». Une fraction pourra lui être remboursée s’il satisfait aux obligations du contrôle judiciaire et le reste sera éventuellement utilisé pour dédommager la partie civile (la SNCF est-elle partie civile dans cette affaire ?). En cas de non-lieu ou d’acquittement, cette deuxième fraction lui sera intégralement remboursée.

Mais dans son malheur Julien Coupat a de la chance : il semble avoir échappé au bracelet électronique. Considéré comme une mesure d’application de la peine, ce bijou moche réservé à l’origine aux condamnés peut maintenant garnir la cheville d’un suspect mis en examen.

La personne placée sous contrôle judiciaire supporte nombre d’obligations, d’interdictions…, mais le juge d’instruction a lui des devoirs : Il ne peut porter atteinte à la liberté d’opinion ni aux convictions politiques (si, si !) et religieuses, ni faire échec aux droits de la défense (art R.17 du CPP).

Alors, pour en revenir à la question de base, Coupat est-il filoché ? il me semble qu’une surveillance policière, physique ou à l’aide d’écoutes téléphoniques ou tout autre moyen plus ou moins sophistiqué, porterait forcément atteinte aux droits de la défense. En tout cas, cela donnerait du grain à moudre à ses avocats.

Mais les policiers ont-ils les mêmes contraintes que le juge ? Dans la mesure où ils sont officiers de police judiciaire, la réponse est oui. C’est le cas pour les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste de la PJ. Mais ceux qui sont à l’origine de l’affaire appartiennent à la DCRI, un service de contre-espionnage et de renseignements dont les fonctionnaires sont à la fois OPJ et… agents secrets. Alors, la réponse est mitigée. Rien ne les empêche, si ce n’est la morale, l’éthique, de mettre en œuvre toute la panoplie du parfait petit contre-espion : écoutes administratives, micros, caméras, mouchards informatiques, etc. Aucun risque, puisque leur activité est en grande partie couverte par le « secret-défense ». Entendons-nous bien, je ne remets pas en cause l’intégrité des fonctionnaires de la DCRI, mais il faut bien admettre que dans une démocratie, la justice et le secret d’État ne font pas bon ménage.

La création de ce service a d’ailleurs engendré une ambiguïté dont nombre de policiers sont parfaitement conscients. Et de l’ambiguïté naît le doute, voire la défiance…

Pour couper court à ces bruits, au mois de mars, Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, a répondu à une interview du Point. Hervé Gattegno lui demande si cette enquête sur des sabotages de voies ferrées relevait réellement du terrorisme : « Ce n’est pas à la police d’apprécier les qualifications pénales retenues contre ces suspects, mais à la justice. Le cadre juridique a été choisi par le parquet, l’enquête est menée par un juge d’instruction, qui a prononcé des mises en examen. La DCRI surveillait ces individus depuis longtemps (…) Assez pour savoir que ce groupe se situait dans les prémices de l’action violente ; le stade où les choses peuvent basculer à tout moment (…) Dans l’affaire de Tarnac, il n’y a pas de délit d’opinion mais un long travail de renseignement. Le problème, c’est que nous avons dû l’interrompre quand la SNCF a déposé plainte : on ne pouvait pas laisser se multiplier des actions qui bloquaient des milliers de passagers dans les gares. Quand le ministère de l’Intérieur et la justice nous l’ont demandé, nous avons communiqué nos éléments… ».

Autrement dit, sous la pression des autorités politiques on est passé directement d’un travail classique de RG à une action judiciaire afin d’éviter que les TGV prennent du retard. J’exagère à peine. 

En l’état, Coupat et ses antinucleaire_celine-lecomte_liberation.pgamis ne sont pas soupçonnés d’avoir voulu faire dérailler un train, mais uniquement d’avoir détérioré des caténaires SNCF. Des actions fréquentes de la part des groupements antinucléaires tant en France qu’en Allemagne, et qui donnent généralement lieu à des enquêtes judiciaires relativement banales. Ainsi, la française Céline Lecomte qui a bloqué pendant une heure un train transportant de l’uranium en Allemagne.

Bernard Squarcini a créé au sein de la DCRI un service chargé d’évaluer les coûts de fonctionnement « pour que les contribuables sachent que leur argent est bien utilisé ».

On aimerait lui poser la question : ces « terroristes » méritaient-ils un tel déploiement de moyens policiers ? Et combien ça nous a coûté ?

Désolé, je me suis éloigné du sujet. C’est à cause du Saint-Amour…

Quels sont nos droits en garde à vue ?

On n’est pas dans une série américaine… Le flic ne va pas vous lire vos droits – et pourtant vous avez le droit de garder le silence.

Garde-a-vue-et-empreintes_Tardi_120-rue-de-la-gareLe nombre des gardes à vue (GAV) dont il a été question dans le billet précédent provient d’un tableau récapitulatif  « État 4001 ». Il reflète l’activité « chiffrée » de la police et de la gendarmerie. Dans ce tableau on ne retient que les crimes et les délits, à l’exception des délits routiers (les contraventions ne sont pas comptabilisées).

On voit qu’en 2008, il y a eu 577.816 gardes à vue dont 100.593 ont fait l’objet d’une prolongation. Celles-ci ont abouti à l’incarcération de 62.403 personnes. (Je ne sais pas si les mandats de justice, dont l’exécution ne donne pas lieu à GAV, sont comptabilisés dans la liste des écrous.)

Il y a une cinquantaine d’années, la garde à vue n’existait pas. Aussi, en marge du législateur, la police (avec l’appui du parquet) avait « inventé » l’enquête officieuse. Et une pratique de l’arrestation qu’on qualifierait aujourd’hui d’arbitraire.

Dans le Code de procédure pénale, créé en 1958, le législateur officialise la GAV : dorénavant, le policier peut maintenir à sa disposition non seulement un suspect, mais un témoin, s’il le juge nécessaire. Certes, il doit respecter un certain formalisme, mais sans réelles contraintes (un manquement n’entraîne pas la nullité de la procédure).

On peut dire que durant 35 ans, la GAV a été une prérogative du policier, sans trop s’occuper des droits intrinsèques de chaque citoyen. Pour mémoire, la loi du 15 janvier 1963 qui a créé la Cour de sûreté de l’État, permettait une GAV de 15 jours, en cas d’urgence !

Mais en 1993, renversement complet de la philosophie. Pour la première fois on met l’accent sur la protection du gardé à vue et l’on va même jusqu’à autoriser la présence d’un avocat. Au grand dam des policiers, il faut le dire.

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Depuis, le législateur joue au ping-pong, balloté entre les nécessités de l’enquête policière, la liberté d’aller et venir et la présomption d’innocence.

Aujourd’hui, la GAV est encadrée par un formalisme contraignant auquel l’OPJ doit se plier.

Seule la personne qui peut être soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit peut être mise en GAV. Mais on a vu dans le billet précédent ( 1 Français sur 90 en garde à vue ) qu’en l’absence de critères précis cette notion est parfois difficile à maîtriser.

Le procureur ou le juge d’instruction doit être informé dès le début de la mesure de GAV, alors qu’avant cela se faisait plutôt vers la fin.

Et de nos jours la personne gardée à vue possède des droits qu’il est sans doute bon de connaître. On va tenter un petit résumé.

Le droit de prévenir un proche
L’OPJ n’a pas à proposer cette possibilité, sauf s’il s’agit d’un mineur. C’est à l’intéressé d’en faire la demande. Selon l’article 63-2, « Toute personne placée en gardé à vue « peut, à sa demande, faire prévenir par téléphone une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et sœurs ou son employeur ». Dans ce cas, il fournit un numéro. Il n’y a pas d’entretien direct entre la personne gardée à vue et son destinataire, c’est le policier qui passe l’appel. S’il s’agit d’un mineur, l’avis sera donné aux parents, tuteur, personne ou service auquel est confié le mineur.
Toutefois, dans certaines affaires, l’OPJ peut refuser, mais il doit alors en informer le procureur qui seul a le pouvoir de décider.

Le droit d’être examiné par un médecin
À tout moment au cours des premières vingt-quatre heures, le gardé à vue peut demander un examen médical. En présence d’un mineur de seize ans, la désignation aura lieu dès le début de la garde à vue.
C’est le policier qui choisit le médecin et il est admis qu’en attendant sa venue, la GAV se poursuit normalement. En cas de prolongation, un nouvel examen est possible. Le certificat médical est versé au dossier. Il joue un rôle préventif pour le gardé à vue (pas de violences) et pour le policier (pas de fausses accusations de violences). Si le médecin estime que l’état de santé de la personne n’est pas compatible avec la GAV, l’OPJ en informe le procureur.
Rappelons que les investigations corporelles internes ne peuvent être réalisées que par un médecin requis à cet effet.

Le droit de s’entretenir avec son avocat
C’est aujourd’hui un droit fondamental, et sa remise en question par la voie législative est devenue impossible. En revanche, le législateur dispose d’une grande latitude pour en déterminer les modalités d’exercice.
Dans la pratique, c’est à l’OPJ d’informer la personne de cette possibilité. Elle peut y renoncer. Elle peut également revenir sur ce refus à tout moment. Pour les mineurs de seize ans, la demande peut aussi émaner de ses représentants légaux.
Soit le gardé à vue désigne un avocat, et alors le policier doit tout faire pour le joindre, soit il demande la désignation d’un avocat d’office. Dans ce cas, le policier doit accomplir les démarches nécessaires, mais il n’est pas responsable du résultat : c’est au Barreau de prévoir une permanence. En attendant, la GAV se poursuit normalement.
L’avocat intervient dès le début de la GAV, puis dès le début de la prolongation (CPP, art. 63-4). Par conséquent, si le suspect a renoncé à ce droit au début de la GAV, en clair s’il a raté le coche, il ne pourra réclamer un entretien immédiat.
La rencontre avec l’avocat est limitée à 30 minutes. Elle doit s’effectuer en tête-à-tête, en principe dans un local réservé à cet usage. L’avocat est informé de la date et de la nature de l’infraction (on ne lui détaille pas les faits). Il n’a pas accès au dossier. Il peut présenter des observations écrites qui seront jointes à la procédure et qui pourront éventuellement servir pour relever des irrégularités. La commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau a envisagé d’autoriser l’avocat à prendre connaissance du dossier à partir du moment où la garde à vue est prolongée…

Vous avez le droit de garder le silence…
Cependant, l’enquêteur n’a pas à notifier le droit de se taire – ce qui semble logique puisque son objectif est d’obtenir des aveux. La loi du 18 mars 2003 a réaffirmé que le droit au silence est un droit naturel qui possède une force quasi constitutionnelle, mais la Cour EDH admet cependant que le silence peut être utilisé comme élément d’appréciation pour le juge.
Et il est probable que l’exercice de ce droit, celui de se taire, rendra le climat de la GAV plus tendu.

La lecture des droits
On oublie les séries américaines. En France, l’OPJ informe la personne gardée à vue de la nature de l’infraction, de la durée possible de la mesure et des droits visés ci-dessus, éventuellement à l’aide d’un formulaire traduit en huit langues étrangères (allemand, anglais, espagnol, italien, néerlandais, portugais, arabe et russe).
Le déroulement de la garde à vue figure sur le P-V établi par l’OPJ (avec le détail des différentes étapes, les heures d’audition, de repos, de repas…, et sur un registre réservé à cet usage qui peut être contrôlé à tout moment par le procureur de la République.
Ces rappels sont émargés par la personne gardée à vue. En cas de refus, il en est fait mention.

Certes, la GAV est une atteinte à la liberté élémentaire d’aller et venir, et aux droits de la-verite-de-jack-palmer-par-petillon.jpgla défense, en raison du rôle réduit confié à l’avocat, mais si la mesure est justifiée par les nécessités d’une enquête qui concerne un crime ou un délit (et pas un coup de tête) et si la procédure est strictement respectée, on peut dire que de nos jours, c’est « moins pire » qu’avant. On se place ici dans l’hypothèse d’une GAV dite « objective ».

Celle qui pose problème, c’est la GAV « subjective ». Je cite André dans son commentaire du 14 mai 2008. Il est policier à la retraite. Il y a un an, son amie se fait voler son sac. Il l’accompagne au commissariat pour déposer une plainte : « (Nous sommes reçus) comme des chiens dans un jeu de quilles jusqu’à ce que je crie pour leur signifier que nous étions la victime et le témoin des faits. Et là, un gardien m’a signifié que si j’élevais encore la voix il me “collait en garde à vue”. Il a fallu l’arrivée d’un commandant de police à qui j’ai présenté ma carte de retraité pour que l’ambiance se calme.(…) Si quelqu’un qui a passé 31 ans de sa vie dans la police se plaint de l’accueil (…), quid du “quidam” lambda ? ».

À suivre : la garde à vue vacharde…

1 Français sur 90 en garde à vue

Pour nombre de Français, l’augmentation constante des gardes à vue (GAV) devient préoccupante. 577.816 en 2008, pour une population (des plus de 15 ans) d’environ 52 millions d’habitants. Soit une inflation de plus de 35 % en cinq ans (50,70 % d’après un syndicat de police). S’agit-il d’un plus pour notre sécurité ou d’un moins pour notre liberté ?

Menottes dans le dos_blog moreas_photo S. DellusAfin d’appliquer le précepte souvent énoncé par le président Sarkozy « Je veux protéger les plus faibles », on met la pression sur les forces de l’ordre pour que policiers et gendarmes deviennent plus répressifs – et du même coup on les éloigne de la population.

L’excès en tout est néfaste. L’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dit que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Il s’agit donc de trouver un équilibre entre notre « liberté » et notre « sûreté ». À ce jour, j’ai l’impression que peu de pays y parviennent…

Pour revenir à la garde à vue, il s’agit bien d’une privation de liberté. Mais à la différence d’une décision de justice, elle est de la responsabilité d’un homme ou d’une femme : l’officier de police judiciaire ou OPJ.

En fait, depuis que le juge d’instruction ne peut plus décider d’une mesure de détention, seul l’OPJ possède maintenant un tel pouvoir au cours d’une enquête*. Et on a l’impression aujourd’hui que cette mesure est appliquée d’une manière trop… automatique, qu’il y a inflation.

L’une des raisons avancée pour justifier cette situation est la « crânite » ou la « bâtonnite » dont seraient atteints certains chefs de service.

La phobie informatique
Dans l’administration comme dans le privé, on ramène tout au système binaire, de 1 à 0. Or l’activité d’un policier est difficilement quantifiable.
Trois gardiens en patrouille peuvent être attentifs au moindre incident ou au contraire complètement déconnectés de leur environnement. Ils émargeront de la même manière au budget de la Nation. Comment contrôler leur travail ? Les technocrates ont horreur de ce vide… Aussi, depuis des lustres, a-t-on pris l’habitude de recenser différents chiffres : dossiers entrés, dossiers sortis, affaires résolues, GAV de moins de 24 heures, de plus de 24 heures, nombre d’écroués, etc.
En fait, c’est le seul moyen qui a été trouvé pour contrôler l’activité du personnel et des services, et cela bien avant le passage de M. Sarkozy à l’Intérieur et la création de son fameux « sarkomètre ».

Donc, il faut faire du chiffre !

Une deuxième raison pourrait être l’augmentation de la délinquance… Mais d’après Mme Alliot-Marie, les chiffres sont en baisse. Je sais, je sais, on peut toujours dire que si la délinquance est en baisse c’est grâce à l’action de la police. Là, on tourne en rond.

Mais puisqu’on parle chiffres…

25% d’OPJ en plus en 6 ans
Il a 6 ans, on comptait 20.794 OPJ. Aujourd’hui, il y en 25.984 (selon les calculs de l’UNSA). Cela ne veut pas dire que le nombre de fonctionnaires de police a augmenté, non, au contraire ! Mais on attribue la qualité d’OPJ différemment. Peut-on dire qu’on la brade ? Aujourd’hui, 44 % des OPJ font partie du corps d’encadrement et d’application (CEA) qui va du gardien de la paix au brigadier major. Cette réforme date d’une loi de 1998 qui a été rajoutée à l’article 16 du Code de procédure pénale. Dans le jargon on les appelle les OPJ 16.
Auparavant, seuls les officiers de police et les commissaires pouvaient être habilités à cette fonction.

Lorsque je suis entré dans la police, il fallait 5 ans de terrain à un officier de police adjoint (OPA) pour accéder au concours d’officier de police (OP), le premier grade qui permettait alors d’être OPJ.

Dans un rapport du Sénat (2005-2006), il est dit : « Il conviendra d’être particulièrement vigilant à ce que l’attribution de la qualité d’OPJ à un plus grand nombre de fonctionnaires ne se traduise pas par une détérioration du niveau moyen des connaissances des OPJ constatée par les magistrats ».

Mais en général, les syndicats ne sont pas d’accord avec cette analyse. Ils estiment que l’augmentation des GAV n’a rien à voir avec l’augmentation des policiers OPJ, car pour eux, bon nombre d’OPJ sont « virtuels ».

emploi-des-opj-surchauffe-dans-les-services_syndicat UNSA-police.jpgTableau extrait d’une note UNSA-Police concernant l’emploi des OPJ.

Pour UNSA-Police, par exemple, le corps des officiers se rapproche de plus en plus de sa nouvelle mission de commandement et délaisse peu à peu les missions procédurales, les permanences et les astreintes  (Emploi des OPJ  : surchauffe dans les services).

Ce sont donc les gardiens et leurs gradés qui sont le plus souvent à la tâche. Et ils se cognent le boulot à risques ! Mais ont-ils les épaules pour ça ?
N’existe-t-il pas une certaine disproportion entre leurs responsabilités de police judiciaire et leur échelon « administratif » qui les tire vers le bas de la grille indiciaire de la police ?

Rappelons que le policier a comme tout fonctionnaire un devoir d’obéissance. Toutefois, dans l’exercice de ses attributions judiciaires, il ne devrait plus dépendre de sa hiérarchie mais du procureur ou du juge d’instruction, car son action relève directement des règles de la procédure pénale.

C’est la théorie.

Une double casquette !
Mais comment garder la maîtrise d’une enquête lorsqu’on a au-dessus de sa tête tant de monde auquel il faut rendre des comptes ? D’autant que le port généralisé de l’uniforme (dès l’école de police) a engendré, au moins chez les plus jeunes, une sorte de fantasme militaire qui les éloigne chaque jour de l’esprit de la fonction publique.

Cela n’est pas fortuit. Il s’agit d’une volonté politique, au point que certains se demandent si demain ce n’est pas la gendarmerie qui va absorber la police… Je plaisante.

Il semble d’ailleurs que le nouveau Code de procédure pénale actuellement en gestation (Police et réforme pénale, sur ce blog) va conforter l’autorité hiérarchique dans les enquêtes judiciaires. Une sorte de filtre « administratif » entre le magistrat et l’OPJ.

Au final, on se demande quelle marge de manœuvre on laisse à ces policiers de terrain, lorsqu’on les encourage à faire du chiffre ! 

La raison officielle
Dans son bulletin Grand Angle n° 16,
l’Observatoire national de la délinquance, dont le président est Alain Bauer, s’embarbouille un peu dans ses explications : « La cause principale du phénomène observé n’est pas le recours plus fréquent à la garde à vue, même si celui-ci augmente, mais la hausse du nombre de personnes mises en cause. On rappelle que les violences et menaces et les infractions révélées par l’action des services sont les principales composantes de cette augmentation. Ces deux types d’infractions expliquent non seulement plus de 83,1 % de la hausse des mis en cause depuis 2003 mais aussi 75,6 % de celle des gardes à vue ».

Comme ça, c’est clair.

Définition de la GAV
Il n’y en a pas. Disons que c’est une prérogative de l’OPJ qui lui permet de garder une personne à sa disposition contre son consentement. C’est donc une mesure contraignante qui s’applique à un suspect. Ça n’a pas toujours été le cas. Avant les années 2000, un témoin ou une personne susceptible de fournir des renseignements pouvait être placé en GAV « pour les besoins de l’enquête ». Puis la loi sur la présomption d’innocence a changé la donne en précisant qu’il fallait justifier cette mesure par « des indices faisant présumer (que la personne) a commis ou tenté de commettre une infraction
Declaration-droits-homme_dessin-de-serguei-pour-la-France.gif ». Sous la pression des policiers eux-mêmes, quelques mois plus tard, une circulaire faisait machine arrière en appuyant sur le fait que la nouvelle loi ne parlait pas d’indices « graves » et qu’un simple témoignage, des déclarations contradictoires, un comportement anormal…, tout cela pouvait faire l’affaire. En 2005, une nouvelle loi a repris les mots de l’article 5 -1 de la Convention EDH : « raisons plausibles de soupçonner ».

Après tout ce charivari politico-législatif, on peut dire aujourd’hui que l’OPJ va se fier à son flair pour prendre sa décision. Sachant que le simple témoin peut à tout moment devenir un suspect. Mais qu’on se rassure, dans ce cas le temps passé comme simple témoin sera défalqué des premières 24 heures de la GAV.
Le seul moyen pour un témoin de savoir s’il est devenu suspect, serait de se lever et de partir. Si on le retient, il doit être placé en GAV. C’est une boutade, évidemment, car le simple fait de vouloir s’en aller en ferait un suspect…
Je-plonge

Combien de temps peut durer la GAV ? Quels sont les pouvoirs de l’OPJ ? Quelles sont ses obligations ? Quels sont les droits de la personne placée en GAV ? Et dans la pratique, ça se passe comment ?… Plein de questions auxquelles je vais tenter de répondre dans un prochain billet.

________________________________

* C’est le juge des libertés et de la détention qui peut prendre une décision de détention provisoire. Une institution créée par la loi du 15 juin 2000. Ce magistrat doit avoir rang de président, de premier vice-président ou vice-président du TGI. On peut considérer qu’il est détaché de l’information judiciaire.

Les dégâts collatéraux de la loi HADOPI

 hacker_googlestoriescom.1241430487.jpg« Un scan de votre ordinateur a été effectué… Vous avez un ou plusieurs logiciels dont vous ne possédez pas la licence légale. Vous devez remédier à cette situation dans les 24 heures sous peine de poursuites… » Pour les aigrefins, HADOPI, c’est déjà fait. Ils n’avaient pas envisagé le bon tour de ces diablotins de députés socialistes qui, planqués à la buvette du Parlement, ont surgi au dernier moment pour faire capoter le texte.

Bon, c’est pas grave : vont revoter, scrogneugneu ! Ils feront ainsi les frais (à leur tour) du nouveau postulat : Si tu votes mal, tu revotes !

Ces dernières semaines, des pourriels menaçants arrivent dans nos boîtes aux lettres : On a scanné votre ordinateur… Vous êtes en infraction… Alors, imaginons demain, lorsque cette loi sera adoptée…

La pauvre africaine qui veut qu’on l’aide à rapatrier son héritage en France moyennant une substantielle commission est complètement dépassée… Entre les arnaques et les bonnes blagues, va-t-y avoir du rififi dans les foyers ! En effet, comment détecter les avertissements réels, des arnaques, et même de la pub ?!

Car en cas de manquement à la loi HADOPI, l’internaute sera avisé par mail.
Et comme ce n’est pas l’auteur du piratage qui est visé par la loi, mais le titulaire de l’accès à la ligne, cela laisse la place à bien des incertitudes…

En effet, en tant que détenteur d’un abonnement au web, nous allons nous trouver « dans l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins » frauduleuses susceptibles de porter atteinte aux ayants droit (art. 336-3).

C’est le défaut à cette obligation de surveillance qui déclenchera les foudres HADOPI. Dans le recueil Dalloz 2009, Me Asim Singh, spécialiste en propriété intellectuelle, remarque toutefois que ce texte « n’a de sens et n’est intelligible que si l’internaute sait quels actes sont en effet soumis à l’autorisation des ayants droit. Or, dit-il, la réponse à cette question demeurant parfois incertaine même pour les spécialistes, il nous semble illégitime de la part du législateur de demander aux internautes de faire mieux ».

Pour parler simple, Le législateur se montrant incapable de définir l’objet exact du « délit », l’usager moyen se trouve dans l’incapacité de savoir quelles sont exactement ses obligations.

Bon, ça s’éclaircit pas !

En fait, si j’ai bien compris le système alambiqué qui nous attend, des agents assermentés rémunérés par des entreprises privées (Sacem, SACD, producteurs de film, de disques…) scanneront la Toile à longueur de journée pour détecter les pirates du Net. Ensuite, ils transmettront l’adresse IP des suspects à d’autres agents assermentés auprès d’une autorité administrative. Lesdits agents s’adresseront alors aux fournisseurs d’Internet pour obtenir l’identité des titulaires de la liaison en vue de leur adresser une mise en garde, et de les sanctionner en cas de récidive.

En principe, ils n’auront accès ni à l’historique des pages visitées ni au contenu des boîtes mails.

Ce n’est pas l’avis d’Anthony Astaix, de la rédaction de Dalloz. Dans une étude parue en 2008, il estime que l’art. L.331-20, permettra d’aller plus loin. Les agents publics habilités « pourront obtenir tous documents, quel qu’en soit le support, y compris les données nominatives conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques telles que identité, adresse postale et électronique, coordonnées téléphoniques du titulaire de l’abonnement utilisé… ».

Les gens qui s’y connaissent un peu en informatique (ce qui n’est pas mon cas) m’assurent que tout ça n’est pas très réaliste. Certains pensent même que le piratage pourrait du coup devenir une sorte de challenge chez les jeunes. On pirate et l’on se fait peur et on vous em… !

hadopi_leblog-de-djib.1241430851.jpgL’ancien directeur de l’Adami (Société pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes), Bruno Ory-Lavollée, a déclaré dans un article du Monde du 14 avril 2009 : « Aucun des artistes qui ont signé des pétitions pour soutenir cette loi ne peut accepter qu’en son nom on s’attaque aux libertés individuelles, ni que la culture, synonyme de liberté et d’épanouissement, entre en ménage avec l’espionnage des vies privées ».

Aujourd’hui, certains artistes (de gauche) ont écrit à Martine Aubry pour lui dire qu’elle avait perdu son âme en ne soutenant pas ce projet…

Alors, au risque de perdre ma place au paradis, je m’y suis mis aussi. J’ai téléchargé un ouvrage numérisé par Google : Les lettres choisies de Voltaire, 1792, tome deux. Et j’ai noté cette petite phrase : « Mais remarquez, Monsieur, pour la consolation des grands artistes, que les persécuteurs sont assurés du mépris et de l’horreur du genre humain, et que les ouvrages demeurent ».

_______________________

Le deuxième dessin provient du blog de Djib (ici).

Procès Viguier : un coup pour rien ?

Avant même l’ouverture des débats, l’avocat de Jacques Viguier l’avait annoncé : « Si mon client est acquitté, le parquet va faire appel, et s’il est condamné, c’est nous qui allons faire appel ». Autrement dit, c’est un procès qui ne sert à rien.

shadok-pompe_castaliefr.1241099206.jpgAlors, aujourd’hui qu’on connaît le verdict, on recommence tout à zéro ?

Auparavant, les décisions de la Cour d’Assises étaient définitives. On trouvait deux justifications à cet état de fait :
1/ Vox populi, vox dei (j’ai pompé). Autrement dit, la voix du peuple est la voix de Dieu.
2/ Le double degré d’instruction assuré par le juge d’instruction, puis la chambre d’accusation, était supposé corriger le défaut d’appel.

Mais la Convention européenne des droits de l’homme a vu les choses différemment : « Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité… »

En ratifiant la Convention, en 1974 (après une hésitation de 24 ans – ici), la France a biaisé en faisant valoir que le recours en cassation pouvait très bien faire l’affaire.

Puis, en l’an 2000, Élisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, a donné la possibilité à tout condamné par une Cour d’assises de faire appel de la décision devant une Cour d’assises composée différemment.

Dans cette loi destinée à renforcer la présomption d’innocence, il est dit que seul un condamné a la possibilité de faire appel, à condition qu’il soit… condamné. Autrement dit il lui est impossible de faire appel d’une décision d’acquittement.

C’est vrai qu’on voit mal un type se plaindre de ne pas avoir été condamné…

Mais certains juristes ont estimé qu’il y avait là rupture d’équilibre entre les parties lors d’un procès criminel. Et en mars 2002, le nouveau garde des Sceaux, Madame Marylise Lebranchu, devait penser la même chose puisqu’elle a fait adopter une loi pour corriger le tir : « Le procureur général peut également faire appel des arrêts d’acquittement ». On peut s’interroger sur cet ajout, qui donne au pouvoir exécutif la possibilité d’aller contre une décision d’acquittement rendue par un jury populaire !

Donc aujourd’hui, si l’accusé est condamné, il fait appel ; et s’il n’est pas condamné, c’est le procureur général qui fait appel.

Pour Jaques Viguier, la balle est dans son camp.

Et s’il y a un deuxième procès… On se souvient de Maurice Agnelet (ici), innocent en première instance, vingt ans de réclusion en appel.

Je ne suis pas sûr que cette impression de loterie rehausse le standing de notre justice ! 

Alors, je ne sais pas ce vous en pensez, mais puisqu’on marche à pas forcés vers une réforme de la procédure pénale, on pourrait peut-être se montrer un rien cartésien descartes_cent-francs_les-mathematiques-copie-2.1241099488.jpget trouver autre chose, un autre système, je ne sais pas moi…, peut-être un premier tour réservé aux magistrats (pour juger sur le droit) et un second tour réservé au populi-populo, pour juger avec son coeur !

Mais existe-t-il un rien de cartésianisme chez les gens qui nous gouvernent ! Voici l’avis de Monsieur René Descartes, en personne : « Tout ce qui n’est pas imaginable leur semble n’être pas intelligible ».

Petit essai sur le terrorisme

Les uns après les autres les journaux reviennent sur l’affaire de Tarnac pour dénoncer le décalage entre une éventuelle tentative de dégradation de lignes SNCF et la procédure exceptionnelle utilisée, visant une organisation terroriste.

shadok-cerveau_castaliefr.1239954564.jpgEt la ministre de l’Intérieur fait front, affirmant que « ce ne sont pas les journaux qui rendent la justice ». Certes, mais si la presse en l’occurrence n’est pas dans son rôle, il faut biffer Zola des manuels scolaires. Il est vrai qu’après son fameux « J’accuse ! », l’écrivain-journaliste a été obligé de s’exiler… mais ses cendres sont au Panthéon.

Ces jeunes gens du plateau de Millevaches n’ont pas le profil d’un Carlos ou d’un Rouillan. On n’y peut rien. Alors, terroristes ou pas ?

Mais juridiquement, c’est quoi le terrorisme ?

Oserais-je dire que juridiquement le terrorisme n’existe pas ! Il y a des règles internationales, européennes, mais pas une définition unique, claire et précise. La Convention de Strasbourg de 1977 envisage : « tout acte grave de violence dirigé contre la vie, l’intégrité corporelle ou la liberté des personnes et tout acte grave contre les biens lorsqu’il a créé un danger collectif pour les personnes ».

En France, l’article 421-1 du Code pénal1 reprend certains des mots de cette convention, mais le sens du texte diffère assez nettement. Et l’expression « acte grave » est remplacée par l’énumération des infractions concernées. À part les excès de vitesse (là, je fais du mauvais esprit), tout y est : les atteintes à la vie, les armes, les explosifs, les vols, les extorsions de fonds, les destructions, les dégradations et détériorations, l’informatique, le recel, le blanchiment d’argent, le délit d’initié, etc.

Le législateur n’a pas voulu créer d’infractions spécifiques. Il a préféré une notion subjective appliquée à des crimes et des délits déjà existants. Il appartient donc aux autorités judiciaires de déterminer au cas par cas si tel acte délictueux est considéré comme un acte terroriste. Ce qui change à la fois les conditions de l’enquête (garde à vue, surveillances, juridictions…) mais aussi les peines encourues. Si les faits incriminés sont inscrits dans le tableau des infractions ciblées, le juge n’a qu’une question à se poser : l’auteur de l’acte revendique-t-il un caractère politique ?

zola-pantheon_assemblee-nationale.1239954658.jpgLa France n’est pas une exception. La plupart les États ont fait du terrorisme un acte criminel de droit commun, en se dotant d’un arsenal juridique hors du commun.

Lors de la discussion des lois antiterroristes, certains députés ont rappelé que sous l’Occupation les résistants étaient qualifiés de terroristes. Tant il peut s’avérer difficile de distinguer le terrorisme d’une lutte pour la libération ! Et personne ne s’est mis d’accord, ni chez nous ni ailleurs, sur une définition.

Dans la Revue de science criminelle, David Cumin, Maître de conférences à l’université Jean-Moulin, Lyon-III, estime qu’il est impossible de parvenir à une définition objective du terrorisme, mais il en donne l’approche criminologique suivante : « Relève du terrorisme l’acte isolé et sporadique de violence armée commis dans un but politique en temps de paix contre des personnes ou biens protégés. Est terroriste l’auteur d’un tel acte, quelles que soient la composition du groupe auquel il appartient et l’idéologie qui l’anime ».

Cette définition s’applique-t-elle à Coupat et à ses acolytes ? On peut en douter. N’est-on pas en train de « banaliser » le terrorisme ? Supposons que ces bandes de banlieues qui font si peur à Monsieur Sarkozy deviennent plus virulentes, plus dangereuses pour la société, ne pourrait-on pas dénicher derrière leur action une volonté politique qui en ferait des terroristes ? Et la procédure exceptionnelle deviendrait alors le tout-venant.

Toujours dans la Revue de science criminelle, Philippe Mary, professeur ordinaire à l’École des sciences criminologiques de l’Université Libre de Bruxelles, se pose la question de la différence entre le terrorisme et la délinquance urbaine. Pour lui, le terrorisme se caractérise par son aspect « grande criminalité » (des malveillances contre la SNCF ?). Mais ce qui rapproche ces deux types de criminalité, c’est que dans les deux cas, il s’agit de phénomènes indéfinis. Traités le plus souvent dans l’urgence, ils génèrent une politique de gestion des risques, dans laquelle la sécurité apparaît comme une fin en soi. « Une telle évolution de la notion de sécurité est le signe de passage d’un État social à un État sécuritaire », affirme-t-il.

Sur 57 propositions en matière de lutte contre le terrorisme présentées au sommet de l’Union européenne tenu à Bruxelles, en mars 2004, plus de la moitié n’avait que peu ou rien à voir avec le terrorisme.

Dans un récent rapport au Sénat2, Robert Badinter déclare : « Nous n’avons pas été, à ce jour, capables d’avoir une définition internationale du terrorisme. Ceci pour des raisons éminemment politiques. Si on regarde les textes existants, on trouve des définitions faites par « raccroc » (…) Quand on regarde de très près les textes et notamment le texte fondateur de la Cour pénale internationale, on trouve une définition du terrorisme qui paraît acceptable : on considère comme crime contre l’humanité les actions décidées par un groupement organisé, pas nécessairement un État, ayant pour finalité de semer la terreur, dans des populations civiles, pour des motifs idéologiques. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent une de ces actions… »

Dans une résolution du 14 janvier 2009, le Parlement européen « se préoccupe du fait que la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme a souvent abouti à une baisse du niveau de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, notamment du droit fondamental au respect de la vie privée, à la protection des données à caractère personnel et à la nondiscrimination (…) ».

En France, une loi du 13 février 2008 autorise la coluche_forumdoctissimofr.1239955291.jpgratification d’une convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme. Elle oblige les États à incriminer certains actes perçus comme pouvant conduire à la commission d’infractions terroristes, même si l’acte terroriste n’est pas commis. Il en va ainsi du recrutement et de l’entraînement de futurs terroristes, ou encore de la provocation à commettre des infractions terroristes.

Certains pays doivent donc adapter leur législation. Pour nous, c’est inutile, on est à la pointe du combat, puisqu’on en est à poursuivre une bande d’anars3 qui auraient eu l’intention de tenter de détruire des caténaires de la SNCF.

Coluche, tu nous manques !

______________________________________________

1/ L’article 421-1 du Code pénal sur légifrance (ici)
2/ Le rapport de Robert Badinter sur l’Union européenne et les droits de l’Homme sur le site du Sénat (ici)
3/ La cellule invisible sur ce blog (ici)

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