LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Affaires criminelles (Page 9 of 12)

Maddie : l’inspecteur raconte l'enquête

maddie_jungalig.1241539623.jpg« La télévision montre Gérald McCann qui descend de l’avion en portant son fils. L’enfant a la tête contre son épaule gauche, ses bras pendent le long de son corps (…) En Irlande, les Smith regardent le journal télévisé (…) Pour eux, c’est le choc (…) Il s’agit de l’homme aperçu le 3 mai à 22 heures, avec une petite fille profondément endormie dans les bras. »

Quatre mois plus tôt, les Smith étaient en vacances en Algarve, au sud du Portugal. C’est une famille nombreuse, en tout quatre adultes et cinq enfants. Ce soir-là, ce soir du 3 mai 2007, ils regagnent à pied leur appartement lorsqu’ils croisent un homme qui porte un enfant dans ses bras. Ils n’ont pu distinguer son visage, mais c’était une petite fille. Et elle était vêtue d’un pyjama clair, elle avait les pieds nus, et elle avait des cheveux blonds – comme Madeleine McCann, cette petite anglaise disparue alors qu’elle dormait dans sa chambre. Maddie, dont la photo a fait le tour de monde et qu’on n’a jamais retrouvée (ici).

L’inspecteur de la police judiciaire portugaise, Gonçalo Amaral, nous fait revivre son enquête, minute par minute, dans un livre qui vient d’être traduit en français Maddie, l’enquête interdite, chez Bourin Editeur.

D’un ton qu’il voudrait neutre, mais qui ne l’est pas, tant cette histoire l’a marqué, il nous livre le détail de ses investigations. Il nous énumère les différentes pistes qu’il a suivies, certaines farfelues, et d’autres, plus sérieuses, comme la piste polonaise qui n’a jamais vraiment été élucidée. Et surtout, il met en avant les difficultés qui se sont amoncelées devant lui lorsqu’avec ses coéquipiers il a envisagé la responsabilité, voire la culpabilité, des parents de la fillette. Et notamment les pressions politiques de la part de la Grande-Bretagne. Au point que certains enquêteurs ont imaginé que la signature prochaine du traité de Lisbonne (déc. 2007) pouvait influencer l’enquête sur la disparition d’une enfant d’à peine quatre ans…

Dans cette affaire, Amaral a échoué. Il reconnaît certains manquements : on aurait dû… etc. Mais il a surtout l’impression qu’on l’a empêché d’aller jusqu’au bout. Et sa hiérarchie a profité d’une réponse maladroite à un journaliste pour le limoger.

À la lecture de ce récit, qui pourrait se lire comme un polar si les faits n’étaient pas réels, personnellement, j’ai eu l’impression que les policiers portugais, à tous les étages, ont trop tenu compte de la personnalité et de la nationalité des parents, des amis, des témoins…

Autrement dit, ils ont pris des gants ! Ainsi, pour recouper les témoignages, une reconstitution s’imposait. avis-recherche-interpol_53974070.1241590905.jpgElle n’a jamais eu lieu. Parmi les raisons invoquées : « les gens pourraient croire que les parents et les amis sont suspects ». Dans les premières heures, les premiers jours, les enquêteurs n’ont suivi qu’une seule piste, celle de l’enlèvement.  Chez nous, on ne fait pas toujours mieux. On se souvient de la disparition du petit Antoine, à Issoire, en septembre 2008, et du lynchage de sa mère et son compagnon… Ou, pour coller à l’actualité du procès AZF, du procureur de Toulouse qui d’entrée de jeu a bloqué l’enquête en claironnant qu’il s’agissait d’un accident à 90 %. Ou encore de l’arrestation prématurée de Jacques Viguier, après la disparition de son épouse, par un commissaire qui a voulu à tout prix faire coïncider les faits avec son intuition.

La liste est longue. Or dans une affaire criminelle, on commence par faire un champ large avant de zoomer, et l’on met dans sa poche ses petites idées de grand flic.

livre-maddie.1241539722.jpgJeudi prochain, le 7 mai, à 14 heures, Jacques Pradel recevra Gonçalo Amaral dans son émission Café crimes, sur Europe1.

Dans cette affaire, l’inspecteur a acquis au moins une certitude : la petite Madeleine McCann « est décédée dans l’appartement où la famille passait ses vacances ».

Et comme je participerai à cette émission, je lui demanderai pourquoi !

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Pour écouter l’émission : ici.

Procès Viguier : un coup pour rien ?

Avant même l’ouverture des débats, l’avocat de Jacques Viguier l’avait annoncé : « Si mon client est acquitté, le parquet va faire appel, et s’il est condamné, c’est nous qui allons faire appel ». Autrement dit, c’est un procès qui ne sert à rien.

shadok-pompe_castaliefr.1241099206.jpgAlors, aujourd’hui qu’on connaît le verdict, on recommence tout à zéro ?

Auparavant, les décisions de la Cour d’Assises étaient définitives. On trouvait deux justifications à cet état de fait :
1/ Vox populi, vox dei (j’ai pompé). Autrement dit, la voix du peuple est la voix de Dieu.
2/ Le double degré d’instruction assuré par le juge d’instruction, puis la chambre d’accusation, était supposé corriger le défaut d’appel.

Mais la Convention européenne des droits de l’homme a vu les choses différemment : « Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité… »

En ratifiant la Convention, en 1974 (après une hésitation de 24 ans – ici), la France a biaisé en faisant valoir que le recours en cassation pouvait très bien faire l’affaire.

Puis, en l’an 2000, Élisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, a donné la possibilité à tout condamné par une Cour d’assises de faire appel de la décision devant une Cour d’assises composée différemment.

Dans cette loi destinée à renforcer la présomption d’innocence, il est dit que seul un condamné a la possibilité de faire appel, à condition qu’il soit… condamné. Autrement dit il lui est impossible de faire appel d’une décision d’acquittement.

C’est vrai qu’on voit mal un type se plaindre de ne pas avoir été condamné…

Mais certains juristes ont estimé qu’il y avait là rupture d’équilibre entre les parties lors d’un procès criminel. Et en mars 2002, le nouveau garde des Sceaux, Madame Marylise Lebranchu, devait penser la même chose puisqu’elle a fait adopter une loi pour corriger le tir : « Le procureur général peut également faire appel des arrêts d’acquittement ». On peut s’interroger sur cet ajout, qui donne au pouvoir exécutif la possibilité d’aller contre une décision d’acquittement rendue par un jury populaire !

Donc aujourd’hui, si l’accusé est condamné, il fait appel ; et s’il n’est pas condamné, c’est le procureur général qui fait appel.

Pour Jaques Viguier, la balle est dans son camp.

Et s’il y a un deuxième procès… On se souvient de Maurice Agnelet (ici), innocent en première instance, vingt ans de réclusion en appel.

Je ne suis pas sûr que cette impression de loterie rehausse le standing de notre justice ! 

Alors, je ne sais pas ce vous en pensez, mais puisqu’on marche à pas forcés vers une réforme de la procédure pénale, on pourrait peut-être se montrer un rien cartésien descartes_cent-francs_les-mathematiques-copie-2.1241099488.jpget trouver autre chose, un autre système, je ne sais pas moi…, peut-être un premier tour réservé aux magistrats (pour juger sur le droit) et un second tour réservé au populi-populo, pour juger avec son coeur !

Mais existe-t-il un rien de cartésianisme chez les gens qui nous gouvernent ! Voici l’avis de Monsieur René Descartes, en personne : « Tout ce qui n’est pas imaginable leur semble n’être pas intelligible ».

Les enlèvements avec demande de rançon

Alors que débute le procès des accusés soupçonnés d’avoir participé de près ou de loin à l’enlèvement d’Ilan Halimi, certains s’interrogent sur l’efficacité de la brigade criminelle. Les enquêteurs ont-ils choisi la bonne méthode? C’est la question que certains se posent, mais c’est surtout la question que doivent se poser certains policiers.

enigme-picsou.1241004836.jpgLes enlèvements avec demande de rançon sont différents des prises d’otages en ce sens que l’enlèvement et la séquestration sont le moyen choisi pour obtenir ce qu’on veut : de l’argent.

Ce phénomène est apparu en France vers le milieu des années 70. En 1975, on a compté pas moins de 12 affaires de ce genre. Devant cette explosion, les autorités ont alors donné des instructions précises à la police : on ne paie plus. Le résultat de cette politique a été spectaculaire et ce type d’affaires a progressivement diminué. Avec toutefois une reprise dans les années 80 (8 enlèvements en 1980, dont 2 se sont soldés par la mort de l’otage). Il semble qu’ensuite le grand banditisme ait plus ou moins renoncé à ce genre d’action.

On voit d’ailleurs que la recrudescence des actes de piraterie dans le golfe d’Aden est la conséquence du paiement systématique des rançons exigées par les ravisseurs. Lorsqu’on entend Hervé Morin, le ministre de la défense, annoncer devant les caméras que l’État « avait proposé de payer une rançon » lors de la dernière prise d’otages, on se dit qu’il y a là pour le moins une erreur de communication. Car s’il y a un message qu’il ne faut pas faire passer, c’est que la France est disposée à payer.

Mais comment faire comprendre à un père, une mère, un conjoint… qu’il est préférable de ne pas payer la rançon demandée ? Et si les ravisseurs tuent l’otage ! Quelle responsabilité !

Pourtant, sans qu’on puisse parler de statistiques, l’otage a plus de chances de s’en tirer si l’on ne paie pas. Car une fois l’argent encaissé, les malfaiteurs n’ont plus qu’une crainte : se faire prendre. Et la tentation est grande d’éliminer le seul obstacle qui se dresse devant eux.

J’ai dû participer à une dizaine d’affaires de ce genre, et voici les questions qu’à chaque fois on se pose :

– Dans les premières heures, les premiers jours : s’agit-il réellement d’un enlèvement ? Et pas d’une disparition volontaire ou d’un scénario monté de toutes pièces par la… supposée victime ? Souvent, je ne sais pas pourquoi, c’est le scepticisme qui l’emporte. L’enquête sur la personne disparue doit éclairer les enquêteurs. Mais on a perdu du temps.

– Si l’enlèvement est confirmé, à quel genre d’adversaires a-t-on à faire ? S’agit-il de malfaiteurs chevronnés ou d’amateurs ? Ces derniers étant souvent plus imprévisibles que les truands professionnels, il faut s’adapter en conséquence. Le montant de la rançon est souvent une première indication. Je me souviens d’une affaire où les ravisseurs exigeaient des milliards et des milliards (de francs), avant d’accepter une transaction autour de cinq millions.

– La presse est-elle au courant ? Faut-il l’informer ? La diffusion de l’information risque-t-elle de faire peur aux ravisseurs et ainsi les amener à commettre l’irréparable… Ou au contraire cela peut-il permettre de recueillir des témoignages et augmenter les chances de sauver l’otage ? Je n’ai pas en mémoire de cas où la presse a joué un rôle négatif (mais il peut y en avoir). En revanche, dans deux affaires au moins, à l’issue d’une première arrestation « médiatisée », les ravisseurs ont préféré plier bagages en abandonnant leur otage sain et sauf.

– Les relations avec la famille, les proches, sont-elles bonnes ? Existe-t-il un climat de confiance ou de méfiance ? Souvent, la police n’est pas considérée comme un allié, mais plutôt comme un ennemi. Dans un enlèvement sur la Côte d’Azur, au bout de 24 heures, je me suis fait virer comme un malpropre de la maison de l’otage. Je n’avais pas su gagner la confiance de la famille (nombreuse).

– Les négociations (ne jamais dire oui, ne jamais dire non) sont l’un des moments clés, avec l’espoir de récupérer des indices (téléphone, voix…) et surtout de se forger une opinion sur la personnalité des malfaiteurs.

– La remise de la rançon est le moment charnière : les ravisseurs sont obligés de sortir de l’anonymat pour la récupérer (qu’il s’agisse d’argent ou de journaux entassés dans un sac). Ils savent qu’ils vont prendre des risques, mais l’appât du gain est le plus fort. Si l’on réussit à interpeller l’un des membres de la bande, il y a de fortes chances que l’affaire trouve rapidement une issue heureuse.

Ces enquêtes sur les enlèvements s’étirent souvent dans le temps, avec pour les policiers des journées de travail non-stop qui s’accumulent, la crainte de faire une bêtise, de prendre la mauvaise décision, et une hiérarchie souvent pesante et parfois à côté de la plaque. À l’arrivée, si l’otage est sauf, aucune gloire à attendre, juste la satisfaction d’avoir bien fait son boulot. Et si l’affaire se termine mal…

Si l’affaire se termine mal, si l’otage est tué, alors on se fiche bien des yakatistes qui claironnent qu’il fallait faire ceci ou cela, on reste avec ce souvenir, ce poids sur la conscience, cette question obsédante : Est-ce que j’ai merdé !

La délinquance en bandes

abel_pollet_hazebrouck-autrefois.jpgIl y a un siècle, l’insécurité est partout. Les brigands de grands chemins parcourent le pays en semant la terreur : les travailleurs de nuit, les apaches… Ou parmi les plus connus les chauffeurs de la Drôme, qui ont sur la conscience l’assassinat d’au moins dix-huit personnes âgées. Ou encore la caravane à pépère, une centaine de coupe-jarrets itinérants qui se livrent aux vols de toutes natures en traversant la France de la Touraine à la Charente.

Au nombre de ceux qui ont le plus marqué les esprits, on trouve les frères Pollet. Avec des complices recrutés au fil de leurs crimes, ils formèrent une bande, les brigands d’Hazebrouck – qu’on surnomma par la suite « Les chauffeurs », pour avoir remis à la mode une sinistre tradition : brûler les pieds de leurs victimes pour leur faire dire où elles cachent leurs économies.

Abel Pollet est né en 1873 à Vieux-Bourquin, près d’Hazebrouck, dans une famille pauvre. Il vit plus ou moins dans la rue, et le jour de sa communion, il se fait pincer pour avoir dérobé une pièce dans le tiroir-caisse d’une épicerie. Il a douze ans et il fait connaissance avec la maison de redressement.

En 1901, il est pris en flagrant délit alors qu’il tente de pénétrer chez des agriculteurs pour les voler. Il écope de trois ans de prison qu’il passe à la prison de Loos, cette ancienne abbaye cistercienne transformée en centre pénitentiaire par Louis XVIII.

Lorsqu’il sort, ce n’est plus le même homme. Le voleur, le chapardeur…, est devenu un assassin en puissance.

En juillet 1905, lui et son frère Auguste rouent de coup un paysan de 77 ans qui a eu la mauvaise idée de se réveiller alors qu’ils cambriolaient sa ferme. Ils l’abandonnent agonisant. C’est le début d’une sombre épopée. Ils écument le nord de la France et vont jusqu’en Belgique. Ils sèment la souffrance, ils pratiquent la torture et ne laissent souvent derrière eux que des morts.

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Abel Pollet est finalement identifié et arrêté grâce à son beau-frère, qui, pour une raison inconnue le dénonce aux gendarmes. La bande aurait compté jusqu’à soixante comparses, mais ils ne sont que vingt-sept devant les jurés d’assises, à Saint-Omer, et certains ne sont que des figurants. Cinq seront d’ailleurs acquittés, et dix-huit condamnés à la prison. Quatre écoperont de la peine capitale. Le 11 janvier 1909, ils sont conduits sur la place de Béthune où se dresse la guillotine, et où dix mille personnes sont massées : « À mort ! À mort, les salauds ! ». En « exécuteur des hautes œuvres » qui soigne la mise en scène, le bourreau, Anatole Deibler, fait passer Abel en dernier. La foule est chauffée à blanc « C’est Abel, c’est Abel qu’il nous faut ! ». Il arrive enfin, fier, arrogant. Il fait face à la foule en criant : « À bas les calotins ! ». Les choses vont très vite, mais la tête sur le billot, il a encore le temps de hurler à la société : « Merde, merde, et encore merde ! ». Le couperet tombe.

C’est en grande partie pour faire face à cette barbarie que bande_pollet_execution_hazebrouck-autrefois.1240302486.jpgClemenceau créa les brigades mobiles, dont l’objectif premier était de s’attaquer aux bandits itinérants et aux criminels, comme celui qu’on a surnommé le vagabond Vacher. En dix ans, Joseph Vacher se serait rendu coupable de 41 assassinats. Il violait ses victimes, souvent des adolescents de treize à dix-huit ans, souvent des bergers. Puis il les tuait et les dépeçait.

Pourquoi je raconte cela ? Je ne sais pas trop. Sans doute à trop entendre nous seriner que nous vivons une époque de violences et d’insécurité, j’ai comme l’impression bizarre qu’on nous prend pour des… billes. En tout cas, la délinquance en bandes n’est pas une invention de ce siècle, loin s’en faut.

Est-il possible d'éviter les erreurs judiciaires ?

arrestation_koi29be.1237891177.jpgEn novembre 2000, dans un petit village de Loire-Atlantique, un ouvrier agricole de 47 ans est arrêté par les gendarmes : une adolescente l’accuse d’agressions sexuelles. Il clame son innocence, mais le juge d’instruction le place en détention provisoire. Au bout d’un an, il est libéré. L’instruction judiciaire suit son cours. En 2003, il est convoqué devant la Cour d’assises. Une simple formalité, pense-t-il. Verdict : 16 ans de réclusion criminelle.

Aujourd’hui, la « victime » n’est plus une adolescente, mais une jeune femme de 22 ans. Et elle revient sur ses accusations. « J’ai raconté beaucoup de bêtises », avoue-t-elle.

Ce lundi 23 mars 2008, la Cour de révision a demandé un complément d’information avant de se prononcer. En attendant, Loïc Sécher reste en prison. Mais cela fait un an que la jeune femme a avoué ses mensonges. Un an de « complément d’information », c’est long – surtout quand on est en prison.

Alors, on peut se poser une question : est-on armé pour faire face aux erreurs judiciaires ? Lorsqu’on pense à des affaires récentes, comme l’affaire d’Outreau, Dils, Machin…, on se dit que oui, même si l’on a parfois l’impression que la justice traîne les pieds pour reconnaître ses erreurs.

C’est probablement en raison des remous de l’affaire Seznec qu’une loi du 23 juin 1989 a modifié la procédure de révision des condamnations pénales. Auparavant, il fallait un fait nouveau susceptible d’innocenter l’accusé. Pas évident. Aujourd’hui, il faut apporter la preuve d’un doute raisonnable. Dans l’affaire Dils, par exemple, la révision a été accordée en raison de la présence de Francis Heaulme sur les lieux du crime.

La demande de révision peut émaner soit du ministre de la justice, soit du condamné, soit, après la mort de ce dernier, de son conjoint, de ses enfants ou de ses parents. De 1989 à 2005, 33 condamnations ont été annulées, la plupart d’ordre correctionnel (ici). La justice ne parle pas d’erreur judiciaire mais d’annulation de condamnation.

Il est vrai qu’une erreur judiciaire va dans les deux sens. Cela peut être la condamnation d’une personne innocente ou l’acquittement d’une personne coupable. Toutefois, la révision est à sens unique. Contrairement à ce qui se passe en matière criminelle (appel d’une décision d’acquittement de la Cour d’assises : aff. Agnelet), le procureur général ne peut pas demander la révision d’une décision d’acquittement.

Dernier recours pour un condamné, la Cour européenne des droits de l’homme. Elle a pour but d’assurer la garantie des droits énoncés dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toute personne s’estimant victime d’une violation de la Convention et qui a épuisé les voies de recours devant les juridictions de son pays, peut saisir la Cour. À défaut de solution amiable, la Cour prend un arrêt que l’autorité nationale mise en cause est tenue d’appliquer.

En fait, en prenant un peu de recul, on a l’impression d’un décalage entre une justice « automatique » et des condamnations « subjectives ». Ainsi, le président de la Cour d’assises demande aux jurés de « s’interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement, et de chercher dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont fait, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense ». Autrement dit : « Avez-vous une intime conviction ? » (art. 353 du CPP).
C’est le cas, également lors d’une demande de révision, puisque les magistrats doivent estimer s’il existe un doute sur la culpabilité du condamné.image-senat.1237891255.jpg

Alors que les éléments de preuves se basent sur des notions de plus en plus techniques, n’y a-t-il pas là une certaine … antinomie. Que se passerait-il par exemple si un détenu condamné pour un crime commis il y a une dizaine d’années demandait à bénéficier d’un test Adn pour prouver son innocence ? S’agirait-il d’un élément suffisant pour entraîner la révision de son procès ?

Je n’ai pas les réponses. Mais cela ne doit pas être un problème, car à ma connaissance aucune modification n’est prévue dans le projet de réforme de la procédure pénale, tant sur la révision des affaires jugées que sur la procédure de jugement de la Cour d’assises.

Angle de tir

Le procès Colonna a donné lieu à des interprétations variées sur la taille de l’assassin du préfet Érignac. Combat d’experts. Est-il possible de déterminer la taille d’un tireur en fonction de l’angle de tir ? Rien n’est moins sûr.

pistolet-mas-sous-licence-beretta_pmgblog.1236157495.jpgUn expert en balistique qui avait soutenu que le meurtrier devait être pour le moins d’une taille égale à celle du préfet (1.83 mètre) s’est finalement retiré du débat. À sa place, on a eu un pseudo expert qui a affirmé que le tireur devait mesurer au moins 1.85 mètre, en se référant à des tirs de comparaison effectués sur des boîtes de lait concentré avec une arme de collection datant du XIX° siècle. Il s’est fait ridiculiser (ici).

Le médecin légiste avait commis la même erreur, en 2007, avant de revenir sur ses propos en disant que cela ne relevait pas de son métier. Parole d’or.
Il est en effet plus convaincant dans ce cas : Claude Érignac a été tué d’une balle qui a pénétré le crâne derrière l’oreille gauche à une hauteur de 1.70 mètre. Elle est ressortie par le front à une hauteur de 1.68 mètre. Les deux balles qui ont suivi ont été tirées alors qu’il était à terre – et déjà mort (ici).

Alors, j’ai cherché à savoir si l’on pouvait déterminer la taille d’un tireur en fonction d’une trajectoire quasi horizontale. La réponse est non.

Dans son ouvrage ABC de la police scientifique, Jean Gayet nous dit :
« Sur les distances relativement courtes, on peut estimer que la trajectoire d’un projectile est rectiligne… Tous les points particuliers de son parcours se situent sur une même droite :
– le départ de la bouche du canon de l’arme ;
– l’entrée dans le corps de la victime et la sortie ;
– éventuellement l’impact contre un objet ou un obstacle ».

Il conclut en affirmant que si l’on possède deux points, on peut reconstituer le troisième – à condition que le tir ne soit pas horizontal.
«  Mais il n’en est pas de même si la trajectoire est oblique. En effet, compte tenu des attitudes que pouvait avoir chaque antagoniste, on connaît les hauteurs maximum et minimum où l’arme était tenue… ». Du moins « si le médecin légiste a pris soin de mesurer la distance des blessures par rapport aux talons… ».
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On peut donc en conclure que vouloir déterminer la taille du tueur de préfet Érignac relève de la mystification ou de l’amateurisme.

On peut d’ailleurs noter en passant que la théorie d’un meurtrier de la taille ou plus grand que le préfet, en raison d’une trajectoire quasi horizontale, voire légèrement descendante s’inverse complètement si l’arme est tenue crosse horizontale. Ce qui serait une prise en main logique pour une arme de la taille du pistolet utilisé (photo) – si le tireur est plus petit que sa victime.

Mais il s’agit d’une hypothèse qui n’a pas été envisagée.

Colonna : P-V de chique et turlututu

Des policiers qui mentent ou qui se font porter pâles, des suspects dans la nature, des indics fantomatiques, un accusé qui porte plainte contre le président de la République, des avocats qui insultent un président de Cour d’assises : le procès Colonna se poursuit normalement.

shadok-escalier_castaliefr.1235921493.jpgVoici un petit pensum des bizarreries que l’on a pu découvrir au fil des jours :

Un expert désigné par la défense a voulu démontrer que l’assassin du préfet Érignac était nettement plus grand que Colonna. Il a fait un bide.
De plus, les deux témoins oculaires ont définitivement démoli ses déclarations. Marie-Ange C. se souvient d’un homme qui tirait par terre. Lorsqu’il s’est redressé, elle a croisé son regard. Quant à Joseph C., il a vu Claude Érignac courbé en avant tandis qu’un individu tirait sur lui, par derrière.
Aucun des deux n’a reconnu Yvan Colonna.

Antoine Albertini nous apprend, dans Le Monde du 26 février 2009, que deux informations judiciaires avaient été ouvertes simultanément par le parquet antiterroriste. Deux enquêtes parallèles visant les mêmes faits, dont l’une aurait été baptisée « enquête poubelle ». On nous dit que ce n’est pas illégal… Je demande à voir. Dans une enquête criminelle, ouvrir un dossier de « défaisance », un peu comme on le fait aujourd’hui dans une banque pour séparer les actifs pourris de ceux qui semblent sains… C’est pour le moins surprenant.

Là-dessus, un commissaire de police, Didier Vinolas, soulage sa conscience, persuadé qu’il détient le nœud de l’affaire. Et il chuchote le nom de son indic, Michel Poirson, en fait l’un de ses collègues des RG (c’est la première fois à ma connaissance qu’un flic a pour indic un autre flic), lequel lui aurait fourni les noms de deux mystérieux personnages qui auraient participé à l’assassinat du préfet. Ceux-ci ne sont pas des inconnus. Ils ont apparu, dit-on, dans l’enquête sans être autrement inquiétés. Auraient-ils un quelconque rapport avec ces informateurs qui auraient peut-être encaissé la somme rondelette de 300.000€ ? Euh ! Je m’y perds un peu… Là-dessus, Poirson dément les allégations de Vinolas. Turlututu ! C’est le nom qu’on donnait jadis dans un service très secret situé boulevard Saint-Germain, aux opérations complètement bidons dont les militaires sont friands.
Enfin, scrogneugneu ! y a quand même un tonton qui a balancé un tuyau aux gendarmes, lesquels ont répercuté sur le préfet Bonnet. Lequel a fait suivre au procureur et à Roger Marion, le chef de la DNAT. Celui-ci n’y a pas cru. Pourtant, c’était le bon. Vous suivez, vous ?

Après l’arrestation de Bonnet (ici), pour autre cause, Marion finit par se bouger. Une grande rafle parmi les suspects. À l’arrivée, il en manque trois, dont Yvan Colonna. Mais il ne s’est pas mis en cavale, nous affirme son comité de soutien. Il n’était pas au courant. Il gardait ses chèvres. Ce n’est que plusieurs jours plus tard, en ouvrant le journal, qu’il aurait appris qu’il était le principal suspect. Pourquoi parfois j’ai l’impression d’être aussi bête !

On accuse maintenant, le commandant de police Georges tast-qi_moikikicenterblog.1235921639.jpgLebbos d’avoir obtenu des aveux par des moyens… intellectuellement malhonnêtes. Il est certain qu’une garde à vue, ça se rapproche plus du poker menteur que de la belote. D’un côté, il y a ceux qui veulent obtenir des renseignements, voire des aveux ; et de l’autre, ceux qui n’ont pas envie de partir en galère. Alors, il y a trois méthodes. Celle de la guerre d’Algérie, celle de l’ENA, et la bonne : on baratine pour tenter de convaincre les suspects qu’il est de leur intérêt de se confesser. C’est pas beau-beau, mais chez les flics, il n’y a que les gens de la police technique qui mettent des gants blancs. L’un des procédés consiste à établir un P-V de chique : on enferme un suspect dans ses mensonges. Ensuite, on lui met sous le nez les déclarations (bidonnées ou pas) de l’un de ses complices. Ça marche des fois. Rarement chez les voyous. Mais là, on n’est pas dans le « milieu ».

Yvan Colonna a été condamné une première fois. Aujourd’hui, il a pu faire appel grâce à la loi sur les libertés individuelles qui date de l’an 2000, c’est-à-dire après les faits qui lui sont reprochés. Il bénéficie ainsi « rétroactivement » d’une loi qui n’existait pas en 1998. Mais c’est normal, puisqu’elle lui est favorable. Principe de droit.

Il a plus de chance que Maurice Agnelet qui, lui, avait été déclaré innocent du meurtre de sa maîtresse Agnès Le Roux (ici). Après l’appel interjeté par le procureur général, il a écopé de 20 ans. On s’est alors assis sur le fait qu’on utilisait rétroactivement une loi qui allait à l’encontre des intérêts d’un suspect. Peu de réactions dans le monde judiciaire.

Contre Maurice Agnelet, n’y avait pas de preuve (même pas de cadavre), juste un faisceau de présomption et… sa sale gueule. Je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu en sa faveur le moindre comité de soutien. Il est entré libre et il est sorti entre deux gendarmes.

Contre Yvan Colonna, il semble qu’il n’y ait pas de preuves matérielles, mais un faisceau de présomptions et… sa bonne gueule de berger corse. Il bénéficie de nombreux soutiens et d’un courant de sympathie. Certains allant même jusqu’à comparer son procès à l’affaire Dreyfus. Il est entré entre deux gendarmes, va-t-il sortir libre ?

rires-et-pleures.1235922031.gifDans cet embrouillamini, on ne sait plus si on doit rire ou pleurer. Mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas un jeu : un homme de 60 ans a été lâchement assassiné. Un autre homme a été condamné pour cet acte. Il a fait appel. Il est rejugé.

En attendant le verdict, Yvan Colonna est-il présumé coupable ou présumé innocent ?

Colonna : les méandres de l’enquête

Une arme qui mène les enquêteurs sur une fausse piste, des informations qui ne sont pas exploitées, des nationalistes corses qui se tirent la bourre, tout ça sur fond de guerre des polices et de pressions politiques. Comment s’y retrouver ?

erignac_reconstitution_ladepeche.1235130502.jpgVers 21 heures, le 6 février 1998, le préfet de Corse Claude Erignac est assassiné en pleine rue. Trois balles dans la nuque, à bout portant. Une véritable exécution. Les assassins abandonnent l’arme du crime sur place, un Beretta 9mm (ici).

À l’exception de quelques vagues témoignages, au début de l’enquête, cette arme est la seule piste. Elle a été dérobée à un gendarme six mois plus tôt.

Trois jours après cet assassinat, un mystérieux groupe dit des « anonymes » le revendique dans un verbiage de trois pages qui se termine par : « L’arme utilisée pour l’action contre le préfet Erignac provient de la gendarmerie de Pietrosella (MAS sous licence Beretta A 00199) ».

Les enquêteurs de la DNAT (division nationale antiterroriste) n’ont pas attendu cette revendication pour s’engouffrer dans la piste qui leur était ainsi offerte. Ce qu’ils appellent « la piste agricole ». Le 9 février, ils arrêtent Marcel Lorenzini, un militant actif de la mouvance nationaliste qui est soupçonné de longue date d’avoir participé à l’attentat contre la gendarmerie de Pietrosella. Un coupable désigné.

Les policiers sont alors persuadés d’avoir quasiment bouclé leur enquête. Et plus d’un an plus tard, ils arrêteront un autre agriculteur et militant nationaliste, Mathieu Filidori, soupçonné d’être l’un des complices de Lorenzini. Tous deux seront relâchés par la suite, lorsqu’on connaîtra le nom des véritables suspects.

Bizarrement, l’élément charnière de cette enquête est ailleurs. Il s’agit de l’affaire dite des paillotes. En effet, à la suite de la mise en examen du préfet Bernard Bonnet (le remplaçant de Claude Erignac), il semble que certaines personnes aient redouté les déclarations qu’il pourrait faire à la presse – pour se venger. Car Bonnet est persuadé d’avoir été victime d’un complot. Son avocat, Me Vergès, parlera même d’une « opération barbouzade ». Un préfet qui gêne alors que le gouvernement Jospin « s’apprête à négocier avec les clandestins ».bouc-emissaire_ougen__umourcom.1235130220.jpg
Bonnet pourrait notamment parler des trois rapports (novembre et décembre 1998, février 1999) qu’il a fait parvenir au procureur et dans lesquels, il indique le nom de l’un des assassins présumé de son prédécesseur : Alain Ferrandi. Renseignement dont personne n’a jamais tenu compte.

Du coup, après de longues surveillances, les 21 et 22 mai 1999, les hommes de la DNAT, dirigés par le commissaire Roger Marion, arrêtent Ferrandi et huit personnes de son entourage. Les chefs n’y croient pas trop, mais les policiers de base sentent tout de suite que cette fois, ils ont fait mouche. Les suspects sont habilement cuisinés et au bout de 24 heures, dans la nuit du 22 au 23, devant le commandant de police Georges Lebbos, l’un d’eux craque. Et dans la foulée, il balance le nom de deux autres complices et de Colonna, qu’il désigne comme celui qui tenait l’arme.

Ici, se produit un petit cafouillage lourd de conséquences. Au lieu de foncer sur place, les policiers attendent le petit matin. Manque d’effectifs ? Fatigue ? Défaut de commandement ? Résultat, sur les trois hommes désignés, deux sont arrêtés et Yvan Colonna se fait la belle.

Par la suite, deux autres individus mentionnés dans les notes du préfet Bonnet sont également arrêtés. Mais une arrestation bien tardive. À tel point que « pour récupérer le coup », certains P-V sont antidatés.  Des irrégularités qui seront découvertes plus tard.

Au cours de l’année 2000, un bruit circule : dans le cadre du projet de Lionel Jospin de modifier le statut de la Corse, une loi d’amnistie pourrait s’appliquer aux assassins du préfet Erignac. Sa veuve est scandalisée. Dans une lettre ouverte, elle dit : « Ce serait tuer une deuxième fois mon mari ». Quant au ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, il démissionne.

Le 2 août 2001, l’enquête est close. Colonna est toujours en cavale.

La Cour d’assises « spéciale » de Paris se réunit le 2 juin 2003. Le procès dure plus d’un mois. Le 11 juillet 2003, le verdict tombe : des peines allant de 15 ans à perpète contre les huit accusés.

Pendant ce temps-là, le 4 juillet 2003, Yvan Colonna est arrêté dans une bergerie, près de Propriano, où il avait trouvé refuge. Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, annonce « l’arrestation de l’assassin du préfet Erignac ». Mais devant le juge d’instruction, Colonna se dit innocent.

Le 23 février 2006, en appel, Andriuzzi et Castella, sont acquittés (condamnés par ailleurs pour des attentats à l’explosif) en raison de la découverte de procès-verbaux « maquillés », les irrégularités dont il est fait mention plus haut.

Le procès d’Yvan Colonna s’ouvre le 12 novembre 2007. L’avocat général demande une peine de réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans et la défense plaide l’acquittement. Colonna est finalement condamné à la perpétuité, sans peine de sûreté.

Son procès en appel vient d’être suspendu à la suite des déclarations d’un commissaire de police (ici) qui a des choses à dire mais qui ne veut les dire que dans le secret du cabinet d’un juge d’instruction. Mais à l’époque il avait tout raconté à un procureur, affirme-t-il.  Ledit procureur, interrogé à son tour, déclare ne pas vouloir trahir un secret qui n’est pas le sien.esquimau_roudoudouet-petitebouclee.1235130311.jpg

On croit rêver ! Un procureur et un policier qui refusent de témoigner devant une Cour d’assises. Un président qui se laisse insulter par des avocats sans réagir et un accusé qui vitupère contre le chef de l’État…

Chers amis, c’est l’entracte. On peut aller faire pipi ou sucer son esquimau. Le spectacle va bientôt reprendre.

Colonna : les états d'âme d'un commissaire

claude-erignac_lepelerin.1234690166.jpgLe commissaire Vinolas n’est pas ce qu’on appelle un flic de terrain. Au début de sa carrière, après deux années à la direction de la PJ où il s’occupe des vols de voitures, il est nommé « chargé de mission » au cabinet du directeur général de la police nationale, peu après l’arrivée de Pierre Joxe à la place Beauvau. À l’époque, il pouvait d’ailleurs côtoyer le père d’Yvan Colonna, le député socialiste des Alpes-Maritimes, Jean-Hugues Colonna, qui avait un bureau voisin au sien. Plus tard, en 1991, le député deviendra le conseiller technique de Philippe Marchand, le nouveau ministre de l’Intérieur,.

En 1998, Didier Vinolas est secrétaire général adjoint de la région Corse. C’est lui qui vient chercher Dominique Erignac, au théâtre, où elle attend son époux. « Il est arrivé un accident grave à votre mari », lui souffle-t-il à l’oreille.

Une demi-heure auparavant, Claude Erignac a été tué de trois balles dans la nuque.

Ce préliminaire pour situer l’homme par qui le scandale arrive. S’il est sans doute au fait des subtilités de la haute administration et de la politique, je ne suis pas sûr, malgré son titre, qu’il connaisse parfaitement les rouages d’une enquête policière.

L’enquête avait été bien menée jusqu’à la zizanie qui peu à peu s’est installée entre les services de police – et surtout entre les hommes. Trop de pression politique. On se souvient des déclarations du préfet Bernard Bonnet (celui des paillotes) qui soutenait avoir transmis au procureur de précieux renseignements fournis par un informateur proche de la mouvance nationaliste… Renseignements négligés par Roger Marion, alors responsable de la division antiterroriste, et que le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière a omis de communiquer à ses collègues chargés de l’information judiciaire sur l’assassinat du préfet Erignac.

Or, que déclare Didier Vinolas ? En résumé, il sait depuis sept ans que deux hommes X et Y sont impliqués dans le meurtre du préfet Erignac, et ces deux hommes n’ont jamais été arrêtés. Il dit que les plus hautes autorités de la justice et de la police étaient au courant et que personne n’en a tenu compte. Et là-dessus, il refuse d’en dire plus. Il refuse de donner les noms de ces deux assassins ou pour le moins complices d’un assassinat, ainsi que le nom de son informateur.

Là, je dois dire que je ne le comprends pas. Pendant des années, il a gardé ce secret pour lui. Il s’est même rendu coupable d’un parjure lors du premier procès d’assises d’Yvan Colonna, et aujourd’hui il lâche quelques bribes, pour soulager sa conscience. Et pour se dédouaner, il renvoie la balle sur Yves Bot, qu’il aurait informé en 2002, alors que celui-ci était procureur général de Paris, ainsi que sur le commissaire Christian Lambert, à l’époque patron du RAID. (Yves Bot est à présent avocat général à la Cour de justice des communautés européennes et Christian Lambert est préfet, directeur de cabinet du préfet de police de Paris.)

Vinolas aurait obtenu, en 2001, les confidences d’un commando-des-assassins-erignac_lefigaro.1234690286.jpgmystérieux indic. Ce dernier aurait monnayé des informations sur Yvan Colonna, alors en cavale, pour une somme de 300.000 €. Ses déclarations rejoignent les propos de Frédéric Charpier et Antoine Albertini (correspondant du Monde en Corse), dans leur livre Les dessous de l’affaire Colonna, aux éditions Presse de la Cité, paru en 2007. Je n’ai pas lu le livre, mais seulement un résumé: ces deux journalistes seraient les premiers à avoir parlé d’un informateur qui aurait indiqué la planque de Colonna contre une somme de 300.000 €…

Alors, ou Didier Vinolas se fait du cinéma ou il dit vrai. Dans ce dernier cas, si la justice a couvert ces deux hommes, je ne vois qu’une raison : ceux-ci ont passé un deal et ils ont balancé leurs complices.

Vu l’importance que prend aujourd’hui cette affaire, ils pourraient bien être à leur tour balancés.

Ils ont du mouron à se faire.

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A lire sur ce blog : La Cour d’assises spéciale (ici).

« Une seule balle, un seul tir »


vieux-port-bastia_flickr.1234471815.jpgC’est l’épitaphe prononcée par le procureur de Bastia, après l’assassinat de Pierre-Marie Santucci, l’un des vétérans de la Brise de Mer.

Vers la fin des années 70, une bande de copains prend l’habitude de se retrouver dans un bar du Vieux Port, quai de la Marine, à Bastia, à l’ombre de l’église Saint-Jean-Baptiste. Certains sont connus des services de police, d’autres non. Le plus jeune n’a guère plus de 20 ans et le plus âgé, une petite quarantaine. Ils veulent refaire le monde, les armes à la main, pas pour une révolution, mais pour de l’argent, du fric, de l’oseille, du grisbi, de l’artiche… Et peut-être aussi avec l’ambition de se faire un nom dans le milieu du banditisme.

Je pense que ce sont les flics qui les ont ainsi baptisés « l’équipe de la Brise de Mer », du nom de ce troquet qui était devenu leur QG. En fait, ils devront attendre des années avant d’avoir « l’honneur » d’être inscrits au « fichier spécial de la répression du banditisme », le  Who’s who de la criminalité.

Le plus vieux de la bande, c’est Castelli, dont la première fiche, en 1987, se résume ainsi :


– CASTELLI Antoine
né le 27.07.1939 à Bastia
Nouvel inscrit au F.S.R.B., il apparaît comme le responsable de l’équipe dite de  » La brise de Mer « .

Il circule à bord d’un véhicule Mercedes 190 E, immatriculé 604 EF 2B. Il est actuellement employé par la société Europcar de Bastia, etc.

Et derrière lui, toute une tripotée de noms, dont certains depuis ont fait couler beaucoup d’encre, et d’autres beaucoup de sang.

Voici le casting, non pas par ordre d’apparition mais par ordre alphabétique : Campana, Casanova, Castelli, Flori, les Guazelli (3), Mariani, Moracchni, les Patacchini (2), les Santucci (2-1=1)… Et tutti quanti.

Je crois qu’au début, on les a pris pour des charlots. Ils parlaient beaucoup, ils agissaient peu. Une fois, ils sont montés sur un braquage à deux ou trois, mais arrivés sur place, ils se sont aperçus qu’ils avaient oublié leurs calibres. Ça les a fait beaucoup rire. Leur premier grand coup répertorié, c’est un vol à main armée, en 1982, à Bastia, au préjudice d’une agence du Crédit Lyonnais. Bien loin du casse du siècle.

En 1987, à défaut de réussir à les accrocher sur des affaires sérieuses, la PJ a cherché à les « alcaponiser » en leur mettant les agents du fisc sur le dos. Ils se sont régalés, mais à ma connaissance, les redressements fiscaux qui ont suivi sont restés lettre morte.

Au fil des ans, convaincus de toujours pouvoir « passer au travers », ils ont pris de l’assurance et leurs rangs ont grossi, renforcés par de nouveaux membres, dont certains étaient de vieux chevaux de retour.

Le casse du siècle, ça sera pour 1990. Un hold-up dans une agence de l’Union des banques suisses. Butin : 31 millions de francs suisses. À la suite de l’arrestation de comparses, à Genève, en janvier 1991, une opération d’envergure est déclenchée en Haute-Corse par l’OCRB et le SRPJ d’Ajaccio.  Chou blanc. Tous les suspects ont quitté leur domicile. Décidément, elle est trop petite cette île.

Finalement, à l’issue d’une enquête de six ans, les enquêteurs ont retenu huit noms. Aucun n’a été condamné.
En Suisse, deux complices ont écopé d’une peine de 7 ans ½ de réclusion criminelle.
Quant au butin, il n’a jamais été retrouvé.

Cette affaire est la plus marquante. Il y en a eu des dizaines d’autres. Certaines ont été résolues, avec des condamnations souvent bien trop légères, non pas par mansuétude des juges, mais en raison de témoignages qui avec le temps bizarrement s’effilochaient.

Je n’ai pas fait le tableau synoptique des morts, qui touchent de près ou de loin cette « association de malfaiteurs ». Il y en a tellement qu’on s’y perd. Entre quinze et vingt. Une estimation à la louche. Lors de sa récente visite en Corse, Michèle Alliot-Marie a dit qu’on assiste à une « redistribution des cartes pour la conquête de territoires propices à des trafics en tout genre ».corse_petillon.1234472159.jpg

Eh ben !… Si elle a lu ça dans un rapport de police, ils ont drôlement changé leur vocabulaire dans la Grande maison…

Je me souviens d’un ancien qui disait, en parlant des règlements de comptes : « Laisse faire petit… On s’occupera du dernier ».

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Ce billet est écrit en partie à l’aide de souvenirs. Ce n’est donc pas dans le marbre. Pour ceux qui veulent aller plus loin, deux liens sur Investigateur ici et ici, qui me paraissent sérieux.

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