Alors que débute le procès des accusés soupçonnés d’avoir participé de près ou de loin à l’enlèvement d’Ilan Halimi, certains s’interrogent sur l’efficacité de la brigade criminelle. Les enquêteurs ont-ils choisi la bonne méthode? C’est la question que certains se posent, mais c’est surtout la question que doivent se poser certains policiers.
Les enlèvements avec demande de rançon sont différents des prises d’otages en ce sens que l’enlèvement et la séquestration sont le moyen choisi pour obtenir ce qu’on veut : de l’argent.
Ce phénomène est apparu en France vers le milieu des années 70. En 1975, on a compté pas moins de 12 affaires de ce genre. Devant cette explosion, les autorités ont alors donné des instructions précises à la police : on ne paie plus. Le résultat de cette politique a été spectaculaire et ce type d’affaires a progressivement diminué. Avec toutefois une reprise dans les années 80 (8 enlèvements en 1980, dont 2 se sont soldés par la mort de l’otage). Il semble qu’ensuite le grand banditisme ait plus ou moins renoncé à ce genre d’action.
On voit d’ailleurs que la recrudescence des actes de piraterie dans le golfe d’Aden est la conséquence du paiement systématique des rançons exigées par les ravisseurs. Lorsqu’on entend Hervé Morin, le ministre de la défense, annoncer devant les caméras que l’État « avait proposé de payer une rançon » lors de la dernière prise d’otages, on se dit qu’il y a là pour le moins une erreur de communication. Car s’il y a un message qu’il ne faut pas faire passer, c’est que la France est disposée à payer.
Mais comment faire comprendre à un père, une mère, un conjoint… qu’il est préférable de ne pas payer la rançon demandée ? Et si les ravisseurs tuent l’otage ! Quelle responsabilité !
Pourtant, sans qu’on puisse parler de statistiques, l’otage a plus de chances de s’en tirer si l’on ne paie pas. Car une fois l’argent encaissé, les malfaiteurs n’ont plus qu’une crainte : se faire prendre. Et la tentation est grande d’éliminer le seul obstacle qui se dresse devant eux.
J’ai dû participer à une dizaine d’affaires de ce genre, et voici les questions qu’à chaque fois on se pose :
– Dans les premières heures, les premiers jours : s’agit-il réellement d’un enlèvement ? Et pas d’une disparition volontaire ou d’un scénario monté de toutes pièces par la… supposée victime ? Souvent, je ne sais pas pourquoi, c’est le scepticisme qui l’emporte. L’enquête sur la personne disparue doit éclairer les enquêteurs. Mais on a perdu du temps.
– Si l’enlèvement est confirmé, à quel genre d’adversaires a-t-on à faire ? S’agit-il de malfaiteurs chevronnés ou d’amateurs ? Ces derniers étant souvent plus imprévisibles que les truands professionnels, il faut s’adapter en conséquence. Le montant de la rançon est souvent une première indication. Je me souviens d’une affaire où les ravisseurs exigeaient des milliards et des milliards (de francs), avant d’accepter une transaction autour de cinq millions.
– La presse est-elle au courant ? Faut-il l’informer ? La diffusion de l’information risque-t-elle de faire peur aux ravisseurs et ainsi les amener à commettre l’irréparable… Ou au contraire cela peut-il permettre de recueillir des témoignages et augmenter les chances de sauver l’otage ? Je n’ai pas en mémoire de cas où la presse a joué un rôle négatif (mais il peut y en avoir). En revanche, dans deux affaires au moins, à l’issue d’une première arrestation « médiatisée », les ravisseurs ont préféré plier bagages en abandonnant leur otage sain et sauf.
– Les relations avec la famille, les proches, sont-elles bonnes ? Existe-t-il un climat de confiance ou de méfiance ? Souvent, la police n’est pas considérée comme un allié, mais plutôt comme un ennemi. Dans un enlèvement sur la Côte d’Azur, au bout de 24 heures, je me suis fait virer comme un malpropre de la maison de l’otage. Je n’avais pas su gagner la confiance de la famille (nombreuse).
– Les négociations (ne jamais dire oui, ne jamais dire non) sont l’un des moments clés, avec l’espoir de récupérer des indices (téléphone, voix…) et surtout de se forger une opinion sur la personnalité des malfaiteurs.
– La remise de la rançon est le moment charnière : les ravisseurs sont obligés de sortir de l’anonymat pour la récupérer (qu’il s’agisse d’argent ou de journaux entassés dans un sac). Ils savent qu’ils vont prendre des risques, mais l’appât du gain est le plus fort. Si l’on réussit à interpeller l’un des membres de la bande, il y a de fortes chances que l’affaire trouve rapidement une issue heureuse.
Ces enquêtes sur les enlèvements s’étirent souvent dans le temps, avec pour les policiers des journées de travail non-stop qui s’accumulent, la crainte de faire une bêtise, de prendre la mauvaise décision, et une hiérarchie souvent pesante et parfois à côté de la plaque. À l’arrivée, si l’otage est sauf, aucune gloire à attendre, juste la satisfaction d’avoir bien fait son boulot. Et si l’affaire se termine mal…
Si l’affaire se termine mal, si l’otage est tué, alors on se fiche bien des yakatistes qui claironnent qu’il fallait faire ceci ou cela, on reste avec ce souvenir, ce poids sur la conscience, cette question obsédante : Est-ce que j’ai merdé !
Je recherche des renseignements sur l' »affaire Chaine », l’enlévement au début des années 80 d’un jeune interne en médecine (ami d’ami) fils d’un banquier connu, qui s’est bien terminé heureusement, quelqu’un aurait il des renseignements?
Les informations que vous nous fournissez sont des plus pertinentes. Elles nous font découvrir le travail qui s’opère en cas de rapt. Merci
Spéculer à postériori sur ce qu’aurait du faire la police pour éviter le pire est un exercice facile.
Pour autant, cela ne doit pas empecher cette institution de faire une auto-critique sévère, non-pas pour blamer les enqueteurs qui ont mis toute leur énergie pour retrouver la victime, mais pour comprendre les dysfonctionnements.
Le livre de Ruth Halimi est éclairant sur les erreurs commises, et notamment le manque de communication entre les services de police – dans la diffusion du portrait des suspects notamment.
Un autre point concerne les affaires précédentes liées au gang, qui avaient déjà fait une victime avec le meme mode opératoire, mais qui avait pu etre sauvée par les voisins.
Il semble que l’enquete n’avait pas été très poussée, notamment les informations fournies par la victime. Il y a eu également une arrestation de certains protagonistes du gang sur une affaire antérieure, mais elles n’ont pas permis de remonter jusqu’a Fofana…
On peut donc apprendre de cet échec, mais on ne peut pas reprocher à la police d’avoir mis tous les moyens en oeuvre pour retrouver l’otage.
Dominique Hasselmann a écrit : « Dans l’affaire Halimi, la police a manqué d’indices réels, et disposait pourtant de moyens matériels sophistiqués. Il faudrait s’interroger sur les dysfonctionnements policiers, s’il y en a, qui ont abouti au résultat funeste de cet enlèvement. »
Je vais plagier Georges Moréas en vous rappelant que lorsque l’issue est heureuse on ne s’interroge pas sur les méthodes choisies par la Police pour arriver à ses fins.
Dans ce dossier tous les moyens techniques ont été mis en œuvre. En ce qui concerne la méthode de négociation, elle a été assumée par les enquêteurs (en l’espèce la Brigade Criminelle) en charge de ce dossier et avalisée par le père de la victime.
Vouloir à tout prix mettre en cause la police dans ce dossier ne me paraît pas pertinent.
Il faut davantage se focaliser sur les personnalités ou les motivations de toutes ces personnes (aujourd’hui traduites en Cour d’assises) responsables de ce crime.
Je découvre votre blog comme une bonne surprise. J’en serai désormais un lecteur assidu.
Dans l’enlèvement du baron Empain en 1978 (63 jours de captivité), à laquelle vous me faites penser, il est intéressant de suivre le déroulement compté par le menu sur Wikipédia.
Où l’on voit que la police – comme vous le démontrez – n’a jamais voulu payer la rançon exigée, contrairement à la famille. L’enquête, certes longue, apparaît déjà moderne pour l’époque, avec liaisons radios, enregistrement par magnétophone des impulsions téléphoniques d’un combiné pour retrouver le numéro appelé, et ce détail (qui bientôt sera complètement obsolète)concernant une planque montée à Megève :
« Pour que les voitures de police banalisées en provenance de la région parisienne ne soient pas repérées, leurs plaques d’immatriculation sont changées[14]. »
Il est également significatif que les ravisseurs se soient faits passer d’emblée pour un groupuscule d’extrême gauche, sachant que ça pourrait marcher auprès de l’Etat.
Dans l’affaire Halimi, la police a manqué d’indices réels, et disposait pourtant de moyens matériels sophistiqués. Il faudrait s’interroger sur les dysfonctionnements policiers, s’il y en a, qui ont abouti au résultat funeste de cet enlèvement.
George,
J’aime vraiment ton blog pour la seule et bonne raison que tu humanises la police.
C’est vrai qu’il est très lourd, le poids des cons qui ne savent pas sortir de leurs jeux d’ambitieux dangereusement contre-productifs.
En vous lisant, c’est à eux d’abord que je pensais : si j’étais policier et qu’un otage meure par l’arrivisme criminel et irresponsable d’un quelconque énarque mêlé à l’enquête, je ferais quoi ?
J’ai mal vécu les ingérences incompétentes de cadres pleins d’eux-mêmes qui ont bousillé des projets industriels, pourtant il n’y avait ni mort ni danger de mort directe (et qui cherchaient ensuite à tout prix des coupables)
Je crois que je ne supporterais pas. Dans les situations critiques, nos propres lacunes et limites pèsent lourds sur nos âmes, « ne pas merder ». Si ça merde, supporter son propre poids dans l’échec est souvent trop. Le poids d’un autre, qui viendrait en plus, serait au delà de mes forces.
Je serais incapable d’être flic. Déjà parce que ce genre de considérations distrait du coeur de l’enquête et obscurcit le jugement. Je deviendrais aussi dangereux pour l’otage que l’énarque susmentionné.
Très instructif!
Merci.
Ca m’a toujours paru être une très mauvaise façon de « se faire » de l’argent pour des malfaiteurs.