LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

« Une seule balle, un seul tir »


vieux-port-bastia_flickr.1234471815.jpgC’est l’épitaphe prononcée par le procureur de Bastia, après l’assassinat de Pierre-Marie Santucci, l’un des vétérans de la Brise de Mer.

Vers la fin des années 70, une bande de copains prend l’habitude de se retrouver dans un bar du Vieux Port, quai de la Marine, à Bastia, à l’ombre de l’église Saint-Jean-Baptiste. Certains sont connus des services de police, d’autres non. Le plus jeune n’a guère plus de 20 ans et le plus âgé, une petite quarantaine. Ils veulent refaire le monde, les armes à la main, pas pour une révolution, mais pour de l’argent, du fric, de l’oseille, du grisbi, de l’artiche… Et peut-être aussi avec l’ambition de se faire un nom dans le milieu du banditisme.

Je pense que ce sont les flics qui les ont ainsi baptisés « l’équipe de la Brise de Mer », du nom de ce troquet qui était devenu leur QG. En fait, ils devront attendre des années avant d’avoir « l’honneur » d’être inscrits au « fichier spécial de la répression du banditisme », le  Who’s who de la criminalité.

Le plus vieux de la bande, c’est Castelli, dont la première fiche, en 1987, se résume ainsi :


– CASTELLI Antoine
né le 27.07.1939 à Bastia
Nouvel inscrit au F.S.R.B., il apparaît comme le responsable de l’équipe dite de  » La brise de Mer « .

Il circule à bord d’un véhicule Mercedes 190 E, immatriculé 604 EF 2B. Il est actuellement employé par la société Europcar de Bastia, etc.

Et derrière lui, toute une tripotée de noms, dont certains depuis ont fait couler beaucoup d’encre, et d’autres beaucoup de sang.

Voici le casting, non pas par ordre d’apparition mais par ordre alphabétique : Campana, Casanova, Castelli, Flori, les Guazelli (3), Mariani, Moracchni, les Patacchini (2), les Santucci (2-1=1)… Et tutti quanti.

Je crois qu’au début, on les a pris pour des charlots. Ils parlaient beaucoup, ils agissaient peu. Une fois, ils sont montés sur un braquage à deux ou trois, mais arrivés sur place, ils se sont aperçus qu’ils avaient oublié leurs calibres. Ça les a fait beaucoup rire. Leur premier grand coup répertorié, c’est un vol à main armée, en 1982, à Bastia, au préjudice d’une agence du Crédit Lyonnais. Bien loin du casse du siècle.

En 1987, à défaut de réussir à les accrocher sur des affaires sérieuses, la PJ a cherché à les « alcaponiser » en leur mettant les agents du fisc sur le dos. Ils se sont régalés, mais à ma connaissance, les redressements fiscaux qui ont suivi sont restés lettre morte.

Au fil des ans, convaincus de toujours pouvoir « passer au travers », ils ont pris de l’assurance et leurs rangs ont grossi, renforcés par de nouveaux membres, dont certains étaient de vieux chevaux de retour.

Le casse du siècle, ça sera pour 1990. Un hold-up dans une agence de l’Union des banques suisses. Butin : 31 millions de francs suisses. À la suite de l’arrestation de comparses, à Genève, en janvier 1991, une opération d’envergure est déclenchée en Haute-Corse par l’OCRB et le SRPJ d’Ajaccio.  Chou blanc. Tous les suspects ont quitté leur domicile. Décidément, elle est trop petite cette île.

Finalement, à l’issue d’une enquête de six ans, les enquêteurs ont retenu huit noms. Aucun n’a été condamné.
En Suisse, deux complices ont écopé d’une peine de 7 ans ½ de réclusion criminelle.
Quant au butin, il n’a jamais été retrouvé.

Cette affaire est la plus marquante. Il y en a eu des dizaines d’autres. Certaines ont été résolues, avec des condamnations souvent bien trop légères, non pas par mansuétude des juges, mais en raison de témoignages qui avec le temps bizarrement s’effilochaient.

Je n’ai pas fait le tableau synoptique des morts, qui touchent de près ou de loin cette « association de malfaiteurs ». Il y en a tellement qu’on s’y perd. Entre quinze et vingt. Une estimation à la louche. Lors de sa récente visite en Corse, Michèle Alliot-Marie a dit qu’on assiste à une « redistribution des cartes pour la conquête de territoires propices à des trafics en tout genre ».corse_petillon.1234472159.jpg

Eh ben !… Si elle a lu ça dans un rapport de police, ils ont drôlement changé leur vocabulaire dans la Grande maison…

Je me souviens d’un ancien qui disait, en parlant des règlements de comptes : « Laisse faire petit… On s’occupera du dernier ».

____________________________

Ce billet est écrit en partie à l’aide de souvenirs. Ce n’est donc pas dans le marbre. Pour ceux qui veulent aller plus loin, deux liens sur Investigateur ici et ici, qui me paraissent sérieux.

16 Comments

  1. riri

    Madame A.M semble souffrir de cécité, puisqu’elle a autorisé le renouvellement de l’agrément du cercle de jeux concorde, alors que la pégre corso-mafieuse faisait ses petites affaires, au vu de tous.

  2. Tietie007

    Je dis toujours à mes élèves que le plus dangereux, pour les voyous, ce n’est pas la Police, mais le truand concurrent qui veut ou prendre ta place ou ne pas partager …

  3. michel-j

    Tu es sur la bonne voie, La Fée !

    Intéresse-toi de près à l’histoire de l’énorme lessiveuse à papier monnaie que représente la main mise sur les jeux.

    Interroge-toi sur le nombre de mètres cube de billets non remis en circulation (mais ne demandant qu’à l’être) dont la côte vient précisément de se casser la tronche, déclenchant un séisme économique mondial (monnaie supposée forte d’un pays supposé très fort dont les habitants sont raides dingues des héros… et de leur compagne homonyme !).

    Interroge-toi sur l’intérêt de posséder des réservoirs à voix dans des moments d’élections difficiles, surtout dans des contrées où même les défunts possèdent encore leur carte d’électeur !

    Interroge-toi… et puis non !… T’es quand même pas buse au point de devoir t’interroger aussi longtemps que la moyenne nationale ! 😉

  4. La Fée

    C’est lumineux en effet.

    Ce qui est plus ardu c’est que Madame Alliot-Marie parle de jeu de cartes à redistribuer, et michel-j de jeu de dames, alors qu’il apparaît qu’il s’agirait d’une sorte de Monopoly remasterisé collin-maillard.
    Cagoule Hermès sur la tête, il y a ceux qui passent leur tour, pour éviter d’aller en prison, sont priés de passer par la case départ, empochent bien plus que vingt mille de la Caisse de Communauté, en dégommant au passage un préfet.
    Il y a ceux qui sont dans le bain, et ceux qui les arrosent.
    Le choix des armes se fait à pile ou face.
    Pile c’est le plastic. Face le karcherou inversement.
    Le jeu se termine avec le coq qui comme il se doit se fera plumer. Les deux pieds dans la merde en chantant la Marseillaise et pour se rincer ira prendre un bain.
    Fin du jeu Le vainqueur est le dernier joueur n’ayant pas fait faillite et qui possède de ce fait le monopole (mais en revanche ne dispose plus d’aucun client potentiel) Y sont tous morts !
    C’est alors qu’arrive « Z » Zorro, lui aussi masqué.
    ça va !
    J’ai tout compris à ce jeu.

    Wizz !
    Aphorisme hermétique :
    La nuit fut brève et la journée furtive. A « la brise de mer », Doumé fait la lessive.
    La Fée

    ps : jour de Saint-Claude. Une pensée pour le défunt préfet. Mort pour QUOI, au fait ???
    Retourné tout droit à la case départ.
    En parlant de « pétante »…
    toutes sonnent, la dernière tue.

  5. michel-j

    Ahhhhhhhhhhh ! La Féeeeeeee !

    L’un des mystères que tu voudrais voir levé ne pose aucun problème ; de nombreuses tractations eurent lieu avant le tournage des Borsalinos… et la presse, toujours enchantée par les belles histoires sentimentales, ne manqua pas relater le cadeau du jeune premier (A. D.) au (second) parrain de la citée Phocéenne… Nous eurent même droit aux photos (que tu pourras trouver dans un N° du Crapouillot consacré au sujet) du couple Delon dans la cadillac de Mémé Guérini, et aux côtés de celui-ci.

    Le poulet en plâtre sus-désigné est celui qui s’offrit un bain dans la piscine d’un augustissime acteur jouissant d’une somptueuse villa (jamais dynamitée) dans l’île de beauté… et qui serait ami avec le père de peits Corses (par la mère)… Le reste ne tient qu’à une spéculation intellectuelle de vieil observateur des moeurs discrêtes du monde de l’ombre… Car lorsqu’une équipe pousse brutalement ses pions en expédiant ceux de l’ennemi « à dames », c’est rarement en position instable… ou ca ressemble à du grand « n’importe quoi » comme dans la guerre des « Z » contre ses dissidents; du charclage à tout va, désordonné, sans réelle stratégie autre que celle du « meilleur tirant »… Dans le cas présent, et avec un peu de recul, il est clair que le nettoyage « au karcher » de l’île ne doit paqs grand chose au hasard.

    Qui est l’habile stratège ? Difficile de savoir… mais ce gars voit grand, voit loin… et se sent les coudées franches.

    Bise amicale à toi, Valentine !

  6. La Fée

    « Une seule balle, un seul tir » et une rafale de wizzous pour fêter la Saint-Valentin et évoquer, (où mieux que ce blog), le célèbre massacre du même nom, le 14 février 1929. L’année d’une autre « crise » ayant marqué l’histoire.

    @ michel-j : pour la « tocante » au profit de mémé j’ai dû râter un épisode. J’étais encore un peu « petite ».
    Même pour une passionnée d’hermétisme comme moi, quelques bribes d’informations supplémentaires sont requises pour une meilleure compréhension du texte dans sa globalité.
    Je me suis surprise à sourire, mais ne sachant pourquoi. Idem pour le poulet en plâtre ??? ;(((
    « In medio stat virtus » (la vertu est au milieu)
    Bonne Fête à tous les Valentins et Valentines de ce blog.
    J’ai dignement fêté comme il se doit à la Veuve Cliquorini Ponsardini.
    En tout cas, en regardant le cadavre de la bouteille qui git sur la table, je me dis que celle-ci n’a pas fait un pli.
    ;)))
    Ras pour le reste.
    Et ce soir ça recommence ???
    La Fée-feu !!!!!!

  7. michel-j

    Des films sur les clans Corses, effectivement,il y en eut très peu !

    Arcady a célébré la « grandeur » des « Z » avec le talent qu’on lui connait dans « Le grand Pardon », mais le même boulot sur les Corsicos rebelles s’averre autrement plus mortifère !… Dejà que pour tourner Borsalino, Delon y a « perdu » sa tocante de grand orfèvre au profit de Mémé Guérini; s’il fallait parler de la Brise de Mer avant quer la relève n’ait balayé le terrain ; dur dur pour les cinéastes plaisantins !

    Ces messieurs avaient l’amour du boulot si bien fait qu’ils commençaient par flinguer tout l’entourage « vendétisable » de leurs futures cibles… Ainsi de pauvres bougres sont ils morts en pagaille sans même savoir pourquoi on les expédiait ad’patres !

    C’est d’ailleurs pourquoi le décompte des morts de notre cher Georges me laisse un peu rêveur… venant d’un humoriste moins fin, cette comptabilité à la petite cuillère eut pu paraître… « louche » 😉 !

    Changement de couverture, changement de moeurs, changement d’équipe régnante sur le Milieu… un « renouveau » cyclique parfaitement connu !

    Reste à connaître ( pour bientôt, à la une des journaux) les patronymes des nouveaux « intouchables »… A moins qu’il ne s’agisse de la relève d’une arrière-garde mise en sommeille parmanque de combattants ?… Auquel cas, certaines souris corses cesseraient de se nourrir de dollars difficilement blanchissables pour être recyclés dans le domaine des jeux ?

    Eh ! Qui sait ! Le vieux rêve des mafieux corses est-il peut-être déjà en route alors qu’on l’ignore ; un super Cuba du temps de Batista juste devant la principauté ?… Allez donc savoir si le bain forcé d’un gallinacée de plâtre n’a pas marqué le point de départ d’une ère nouvelle ?? 😉

  8. hervebaudry

    Merci pour ces éclaircissements,
    la « Brise de mer » était donc un troquet…

    http://hervebaudry.blog.lemonde.fr/2009/02/12/corse-vague-dassassinats-dans-le-clan-corse-de-la-brise-de-mer/

  9. Romain

    « Laisse faire petit… On s’occupera du dernier »
    « on » s’est fait les derniers, donc?

  10. Pop9

    D’accord avec michel-j : le bouquin de Jacques Follorou et Vincent Nouzille est bien foutu (parfois rébarbatif mais carré), et il souligne certaines connexions pour le moins curieuses avec certain gouvernement. Quand on sait ça, et s’agissant effectivement d’une bien petite île…

  11. J.

    « A-t-on vu en France un seul film… sérieux (autre que celui tiré de la BD de Pétillon) sur le banditisme en Corse ? »

    une série assez bien faite a été diffusé sur c+
    Mafiosa, le clan
    saison 1 et 2

  12. TONTON MATTEI

    Cette fameuse équipe dont nous n’oublierons pas qu’elle a pratiqué avec beaucoup de succes l’attaque de banques en postiche. Il s’agissait de casser les coffres des banques et des particuliers en un temps record. Pensée en banlieue sud de PARIS et developpée par cette équipe de gangsters mais aussi par des anciens complices moins chanceux…

  13. Vieillard

    Charles Pellegrini l’a dit récemment sur la 5.
    En substance, »il n’y a pas lieu de s’inquieter de ces réglements de comptes, c’est cyclique « . Alors……..

  14. gui

    brise de la mer

  15. michel-j

    Pour ceux qui désireraient approfondir le sujet ; « Les parrains corses », Jacques Follorou & Vincent Nouzille. Fayard 2004.

    Une enquête vraiment très sérieuse menée par des journalistes d’investigation pas timorés du tout.

    Vous y découvrirez même comment un simple coup de fil ministériel, sans aucun complexe, peut entraver l’arrestation d’un « ami » appartenant à cette équipe.

    Une enquête « caponisante » sérieuse entreprise contre « La Brise » ??… Aussi sérieuse que ne furent celles menées contre Francisci, honorable directeur du « Grand Cercle » ou son mortel ennemi Andréani pour le contrôle des jeux dans la capitale ?… Alors oui, sans doute, juste pour dire de justifier un peu le salaire de leurs avocats susceptibles, eux, d’avoir à subir un contrôle… 😉 !

    Les équipes Corses ont été les seules a parvenir, à la manière de la Mafia ou de Cosa Nostra, à se ménager des rélations et protections aux plus hauts niveaux de l’Etat… et pas auprès de simples « sous-secrétaires ».

  16. Dominique Hasselmann

    En Italie, il y a eu des tas de films, sans remonter à l’Affaire Mattei, et, plus récent, Gomorra, sur la mafia et les règlements de comptes entre bandes rivales.

    A-t-on vu en France un seul film… sérieux (autre que celui tiré de la BD de Pétillon) sur le banditisme en Corse ?

    Il faut croire que c’est un sujet qui les « brise » à certains producteurs de cinéma français.

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