LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Affaires criminelles (Page 7 of 12)

Une seule balle pour le parrain québécois

Il avait 86 ans. Nicolo Rizzuto, dit Nick, ou encore Le Vieux, a été abattu mercredi 10 novembre, dans sa somptueuse demeure de Cartierville, à Montréal. Il se trouvait dans sa cuisine lorsqu’il a été atteint d’une balle dans la tête, une seule, tirée depuis le bois situé à l’arrière de sa maison. Un petit trou dans la vitre, et c’est tout. Constatations confirmées par le résultat de l’autopsie.

Qui était donc ce vieux bonhomme ?impact-de-balle_illustration-france-soir.jpg

Né en Sicile, il émigre au Canada en 1954. Rapidement, il se lie à des mafieux italiens, notamment calabrais, les Cotroni, qui tiennent le haut du pavé à Montréal. Il fera aussi alliance avec les Bonanno, l’une des cinq familles de la Cosa Nostra de New-York.

À cette époque, le clan Bonanno tient une place prépondérante dans  le trafic de stupéfiants aux États-Unis. Montréal étant considéré alors comme la base arrière du réseau. L’héroïne vient des laboratoires du sud de la France, jusqu’au jour où les Américains se fâchent. En 1971, Nixon tape du poing sur la table, et c’est le démantèlement de  la French Connection – aussitôt remplacée par la Pizza Connection.

Mais dans les années 76-81, une guerre éclate entre les trois familles. Une vingtaine de morts, tant au Québec qu’en Italie. Finalement, Nick Rizzuto, ce petit homme que l’on dit illettré, remporte la victoire (ou du moins la première manche). Il a gagné sa place au soleil et devient le parrain incontesté de la mafia de Montréal.

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Nick a trempé dans le scandale du village olympique de Montréal, pour les Jeux de 1976, et il a forcément croisé le chemin d’un truand français qui, lui aussi, avait mouillé sa chemise pour ce projet juteux : Gilbert Zemour. Mais celui-ci ne devait pas être de taille, car, bien vite, il est rentré au pays. « L’exportation » de la famille Zemour n’a pas fonctionné. Concurrence trop dure, sans doute.

En fait, depuis longtemps, c’est le fils, Vito Rizzuto, qui a pris les commandes. Pour l’heure, il purge une peine de prison aux Etats-Unis pour avoir occis trois membres de la famille Bonanno. Sans doute le chapitre final de la guéguerre des années quatre-vingt. En réalité,  il n’a été arrêté qu’en 2004, perdant du coup son surnom de Teflon Don (on n’avait jamais réussi à lui « coller » une affaire sur le dos auparavant). Du fond de sa cellule, on dit qu’il n’en continue pas moins à diriger son commerce. Tel ce fumeux projet d’investissement pour la construction du pont de Messine. Le pont de la mafia, comme on dit en Italie. Un moyen inespéré de recycler des centaines de millions de narcodollars. D’après des écoutes téléphoniques effectuées en 2005, la famille aurait été prête à investir cinq milliards d’euros dans ce projet. Soit la quasi-totalité du montant des travaux. En fait, personne ne connaît le montant de la fortune de Rizzuto. L’année dernière, par exemple, il a fait l’objet d’un redressement fiscal pour avoir négligé de déclarer l’équivalent d’environ quatre millions d’euros, une somme qui représenterait « seulement » les intérêts perçus sur un compte en Suisse…

En 2004-2005, une opération de grande envergure a été lancée au Canada, aux Etats-Unis, en Italie, en Suisse, en France…, pour démanteler un réseau de blanchiment d’argent. Une enquête difficile, pour arriver, en 2007, à des dizaines d’interpellations dans ces différents pays. En fait, on comprend bien qu’aujourd’hui, le principal souci de la mafia est de réinsérer l’argent du crime et de la drogue dans les circuits traditionnels. Ce qui devient de plus en plus difficile. Cela nécessite une organisation internationale et des contacts à tous les niveaux, tant dans le monde des affaires que de la politique. En Italie, lors de cette enquête, on aurait frôlé le pouvoir en place… Dans ce bizness, il semble bien que le clan Rizzuto soit tête de liste.

On ne vit pas vieux chez les Rizzuto. Le patriarche est une exception. Ainsi son gendre, Paolo Renda a été enlevé… On ne l’a jamais revu. L’un de ses lieutenants, Agostino Cuntrera, pressenti pour prendre du galon, a été assassiné. C’est tellement chaud dans la « famille » que, lors d’une arrestation, les policiers ont eu la surprise de constater que plusieurs de ses membres portaient un gilet pare-balles, sous le costard. Ce qui ne devait pas être le cas de son petit-fils. L’insouciance de la jeunesse (42 ans)…  Il a été joseph-ducarme_ctv-montreal.JPGtué en décembre dernier. Plusieurs balles, en pleine rue. Le suspect, dont on sait juste qu’il est noir, n’a pas été identifié. Du moins pour la police. Car, trois mois plus tard, une fusillade, rue Saint-Jacques, à Montréal, avait pour cible un certain Joseph Ducarme, que l’on présente comme l’ancien chef de l’ancien gang des 67. Un gang de rue. Il s’en est tiré sans bobo, mais il y a eu deux morts. Dans son camp, d’autres n’ont pas eu sa chance. Plusieurs sont décédés de mort violente et un autre circule en fauteuil roulant.

En fait, les autorités locales semblent compter les coups. Une guerre a débuté, mais il reste encore des doutes sur l’identité du véritable adversaire, le challenger de la Rizzuto and son. Car ce gang de rue ne serait que la partie visible de l’iceberg. Une autre famille pourrait bien être à l’affût, planquée derrière la glace : celle des Calabrais. Ils ont une revanche à prendre.

En attendant, le clan des Siciliens contre un gang de rue, ça parle au diable, comme disent nos cousins québécois.

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Alors que ce blog était en panne, une première version de ce billet a été publiée sur Le Monde.fr, dans la rubrique internationale. Cette seconde mouture a été mise à jour en fonction des derniers éléments connus. (Et j’ai enlevé la virgule de trop …smiley.png)

Aff. Maddie : le policier retrouve la parole

À la suite des nombreuses péripéties qui ont suivi la disparition de la petite Madeleine McCann, en mai 2007, au Portugal, le directeur de l’enquête, le commissaire Gonçalo Amaral, a été prié de se taire. Et son livre, qui reprend le détail de ses investigations. a été retiré de la vente sur décision de justice.

Un livre-maddie-lenquete-interdite-copie.1287993570.jpgbest-seller au Portugal, dans lequel Amaral estime que la police judiciaire a été freinée dans son enquête par le comportement des parents de la fillette. Et il émet l’hypothèse d’une mort accidentelle à la suite d’un défaut de surveillance, voire de l’utilisation abusive d’un somnifère. Les époux McCann auraient alors dissimulé le corps de leur enfant pour fuir leurs responsabilités. Lançant volontairement les enquêteurs sur la piste d’un enlèvement. Sans apporter de preuves formelles, le policier tisse au fil des pages un faisceau de présomptions. Des éléments troublants.

L’arrêt tout récent de la Cour d’appel a pris le contre-pied du premier jugement. Il y est dit que « le contenu du livre ne prêtait atteinte à aucun de droits fondamentaux des McCann » et que l’interdiction dont il était frappé était une atteinte à la liberté d’expression telle qu’elle est garantie tant par la Convention européenne des droits de l’homme que par la Constitution portugaise. Et qu’il ne pouvait y avoir violation de la vie privée des McCann dans la mesure où ceux-ci avaient largement utilisé les médias et fourni des informations privées à la presse : « Ce sont eux qui, volontairement, ont décidé de limiter leur droit à une vie privée ».

Amaral a donc retrouvé le droit de s’exprimer et de se défendre. Il doit cependant faire face à deux autres procès. En effet, Il fait encore l’objet  d’une action en diffamation de la part des époux McCann, lesquels lui réclame 1.2 million d’euros de dommages et intérêts, et d’une plainte pour violation du « secret de justice ».

Et son livre, Maddie, l’enquête interdite, édité en France chez Bourin éditeur, va retrouver sa place dans les rayons des librairies. De même, la censure qui touchait le documentaire tiré de cette affaire est levée.  Il pourrait d’ailleurs être diffusé sur une chaîne française.

En attendant, on ne sait toujours pas ce qui est arrivé à la petite Maddie. Récemment, un Anglais, déjà condamné pour pédophile, et qui avait figuré parmi les suspects, aurait fait des confidences avant de mourir. Dans une lettre adressée à son fils, il affirmerait que la petite fille aurait été choisie sur photo, par les clients d’un « gang d’adoption illégale ». Une histoire plutôt biscornue, dans laquelle se sont engouffrés les détectives privés payés par le fonds de soutien créé par les McCann.

Dans son exposé, Amaral charge les parents de l’enfant, mais on peut également s’interroger sur la manière dont cette enquête a démarré. Et notamment (mais c’est facile après coup) de la lenteur à mettre en place une alerte généralisée… Dans des circonstances identiques, aurions-nous, en France, déclenché le plan « Alerte enlèvement » ?

Pour tenter d’harmoniser les procédures, lorsqu’un tel événement se produit, un plan est à l’étude au niveau européen. Le mois dernier, un exercice a été effectué entre la France, la Grande-Bretagne et la Belgique à partir du scénario suivant : une fillette a été enlevée en Grande-Bretagne par un homme seul. Tout porte à croire qu’il a gagné la France avec sa victime, puis la Belgique. Le résultat a été mitigé : la collaboration entre les différents services est bonne, mais les moyens de communication devront être améliorés. La création d’un site extranet est envisagée.

Chez nous, lorsqu’il a été déclenché, ce plan a montré son efficacité. La principale diffalerte-enllevement_chiffres.JPGiculté réside dans la prise de décision : les critères sont-ils remplis pour lancer l’alerte ? Pour prendre un exemple, lors de la disparition du petit Antoine, en septembre 2008, le plan Alerte Enlèvement aurait-il dû être déclenché ? Avec le temps, on peut penser que oui, puisqu’on ne sait toujours pas ce qu’est devenu l’enfant…

Il y a des affaires criminelles qui marquent plus que d’autres. La disparition de Maddie McCann est de celles-ci. Et, 26 ans plus tard, le mystère sur l’assassinat du petit Grégory Villemin est toujours bien ancré dans les esprits. Et il y en a d’autres qu’on oublie.

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Plus de détails sur le blog SOS Maddie.  On peut lire aussi : La mystérieuse disparition de Maddie McCann. Et sur le site du Ministère de la Justice, Vers un plan Alerte Enlèvement européen.

Réflexions après l’acquittement du gendarme de Draguignan

« Ce qui me paraît malsain, c’est qu’on autorise les gendarmes à faire usage de leurs armes, et qu’ensuite on leur reproche. On met les gendarmes dans des situations impossibles. Si on ne veut plus que les gendarmes fassent usage de leur arme, il faut avoir le courage politique de modifier le cadre légal et d’aligner leur statut sur celui des policiers. »

Après ces propos, lors de son réquisitoire devant la Cour d’assises, l’avocat général Philippe Guémas a estimé que le maréchal de logis-chef Christophe Monchal avait agi dans « le cadre légal » et « conformément à ce qu’on lui a enseigné ».

Ce qui n’est pas l’avis de son confrère, le procureur Christian Girard, qui estime, lui, que le gendarme ne se trouvait pas dans « la situation d’absolue nécessité d’ouvrir le feu ».

Le jury a tranché, mais les interrogations demeurent.
En 2009, lors du débat qui a précédé le vote de la loi qui redéfinit le statut de la gendarmerie nationale, les élus se sont penchés sur le « droit exorbitant d’usage des armes des gendarmes par rapport aux policiers » : Fallait-il maintenir cette particularité, la supprimer, ou au contraire l’étendre à l’ensemble des forces de l’ordre ? Finalement, les choses sont restées en l’état. Dans l’utilisation des armes, c’est donc toujours l’article L-2338-3 du Code de la défense qui s’applique aux gendarmes, et le Code pénal aux policiers. Cette prérogative militaire a d’ailleurs été jugée conforme à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, sous réserve, a dit la Cour de cassation, que l’usage de la force soit absolument nécessaire au regard des circonstances. À noter que cet article prévoit plusieurs hypothèses, dont « l’évasion d’une personne régulièrement détenue ».

Le problème n’a d’ailleurs pas échappé au député Franck Marlin puisqu’il a posé la question au ministre de l’Intérieur – mais dans l’autre sens – en lui demandant s’il entendait aligner l’emploi des armes dans la police sur celui de la gendarmerie.

C’était au mois d’août 2009. La réponse a un peu traîné. Elle date du 13 juillet 2010. Brice Hortefeux rappelle à « l’honorable parlementaire » les cas où les gendarmes peuvent déployer la force armée :

1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;
2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte Gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.

Il justifie la différence entre les deux corps par les risques que feraient encourir l’usage des armes en zone police, c’est-à-dire en milieu urbain, et également par le statut militaire de la gendarmerie nationale et la nature des missions susceptibles de lui être confiées. Toutefois, il ajoute qu’un décret est à l’étude pour uniformiser les conditions d’emploi des armes dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, mettant au diapason policiers et gendarmes ; et même les forces armées.

Qu’entend-on par maintien de l’ordre ? Réprimer une manif ? On n’ose imaginer une troupe hétérogène composée de policiers, de gendarmes et de soldats ouvrant le feu place de la République !

Soyons sérieux. Le jugement de Draguignan pose une autre question : la place de la victime dans un procès d’assises.

En effet, la loi du 15 juin 2000 a donné à l’accusé le droit de faire appel d’une décision de condamnation. Puis une nouvelle loi, du 4 mars 2002, a autorisé le procureur général à faire appel d’une décision d’acquittement. En vertu du principe de « l’égalité des armes ». Mais dans un cas comme celui-ci, où l’accusé a agi au nom de la société et où le procureur (qui représente la société) n’a demandé aucune peine contre lui, que peut-il se passer – alors que la victime ne peut faire appel que de ses intérêts civils ?

Ce gouvernement se vante de protéger les victimes, mais quid quand la victime est un gitan multirécidiviste ?

Décidément, dans ce procès, atypique, on a l’impression qu’il y a rupture d’équilibre.

Le gendarme est donc blanchi, mais au plus profond de lui, il doit bien savoir qu’il n’y a aucune gloire à vider la moitié de son chargeur sur un homme qui s’enfuit…

Comme il n’y avait aucune gloire pour l’antigang à fusiller Mesrine au volant de sa voiture, et encore moins à se réjouir de sa mort. Même s’il s’agissait de la pire des crapules.

Dans ma carrière, j’ai vu parfois des policiers se vanter d’avoir « flingué un truand ». Je me souviens d’une affaire de prise d’otages ou la BRI de Paris et l’Office du banditisme se disputaient la mort de deux braqueurs. Il a fallu attendre l’autopsie pour les départager. Parfois, je me demande comment ils vieillissent, ces flics d’un autre âge… Comment on vieillit.

Dans une étude qui date d’une douzaine d’années, le capitaine de police Frédérick Bertaux, auteur d’un mémoire universitaire de criminologie sur le stress et l’usage des armes dans la police, écrit : « Tuer ou blesser quelqu’un est ce qui peut arriver de pire à un policier ». Je dirais que policier ou pas, cela ne change rien. Tuer un homme est la pire des choses, du moins pour un homme normal. Et cela laisse des traces. Même les soldats sont parfois victimes de ce syndrome, comme un flash-back qui revient par intermittence, avec des interrogations sur une décision prise à chaud, en un trait de temps. Et cela, que le tir soit légitime ou pas.

Alors, Christophe Monchal pourra-t-il oublier ?

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Saint-Aignan : le tir du gendarme en question a été lu 28.374 fois et a suscité 181 commentaires.

Le témoin PT02/08 ne répond plus

Par un curieux effet de distorsion, dans ce procès de Villiers-le-Bel, on parle surtout des  témoins sous X. Vont-ils venir, ne pas venir, confirmer leurs déclarations, se rétracter… Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce jeu du chat et de la souris ne sied pas à la sérénité d’une cour d’assises.

homme-yeux-bandes_dutronwordpress.1277797831.jpgCe recours à l’anonymat résulte du souci de rassurer les témoins. S’il s’agit le plus souvent d’une initiative des enquêteurs, ce ne sont pas eux qui décident, mais les magistrats. En l’occurrence, le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République ou du juge d’instruction. Et dans une affaire qui touche à la paix publique, on imagine qu’il a dû sérieusement potasser le dossier avant de prendre sa décision…

La marge de manœuvre est étroite, car la justice ne peut être rendue en catimini : une justice qui se cache serait l’aveu de l’échec de notre société. Elle doit donc être publique. Alors comment concilier la protection des témoins et la nécessité de rendre justice ?

En fait, le processus est basé sur un mot qui aujourd’hui semble avoir une connotation obsolète : la confiance.

Dans la pratique, le policier recueille le témoignage par procès-verbal, comme il est fait habituellement, mais à la place de l’état-civil, il se contente de mentionner le numéro d’ordre attribué au témoin. Dans le corps du P-V, il ne doit pas être fait mention d’éléments qui, par rapprochements, permettraient son identification.
C’est le procureur de la République qui est chargé du secret de son état-civil. La révélation de l’identité du témoin sous X tombe sous le coup de la loi (5 ans de prison et 75 000 € d’amende).

Mais il ne faut pas être naïf. Le plus souvent, on sait bien que ce sont les enquêteurs qui tirent les ficelles. Ce sont eux, sur le terrain, qui peuvent trouver le témoin et le convaincre de parler en lui assurant la plus complète discrétion. Le problème devient épineux lorsque ce sont des policiers qui se trouvent parmi les victimes. Comment éviter la suspicion ?

Ainsi, dans cette affaire, on entend dire que certains témoins pourraient être des indics de la police. C’est évidemment un habile moyen pour la défense, laquelle a beau jeu de dire aux jurés que l’accusation porte sur les déclarations des victimes – qui sont des policiers – et sur les témoignages d’inconnus – qui sont sous l’emprise de policiers. Une façon de semer le trouble parmi les esprits : témoin anonyme ou informateur ? Car s’il s’agit d’indics, la jurisprudence considère qu’ils ne peuvent témoigner.

Alors, comment faudrait-il faire ?indien_revedesoleilspaceslive.1277797896.gif Je ne sais pas. On se trouve devant la difficulté classique, habituelle dans le délit de rébellion : le policier peut-il être à la fois la victime et celui « qui punit » la victime ?

« Il ne suffit pas d’avoir juridiquement raison pour être médiatiquement compris », disait le procureur Burgelin. Cette réflexion colle assez bien à ce procès, me semble-t-il.

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Liliane, fais les valises ! a été lu 1 798 fois et a suscité 19 commentaires.

Aff. Boulin : pourquoi pas une enquête parlementaire ?

L’élément déterminant de l’enquête sur les causes de la mort de Robert Boulin se trouve dans le courrier qu’il avait adressé à des amis et à des journalistes et dans lequel il annonçait son intention de mettre fin à ses jours. justice_barakanewsunblog.jpgPatatras ! les lettres et les enveloppes ont disparu du coffre où elles étaient enfermées. Une enquête administrative est en cours.

Une enquête administrative, ce n’est pas ce que demande la fille du défunt, qui, elle, souhaite la réouverture de l’enquête judicaire, notamment pour pouvoir comparer l’adn laissé sur les timbres desdites enveloppes avec celui de son père – comme il a été fait dans l’affaire Grégory. Cela ne débrouillerait pas complètement le dossier, mais il faut bien reconnaître que si l’on peut affirmer d’une manière scientifique que Boulin est bien l’expéditeur de ces lettres, la thèse de l’assassinat aurait sérieusement du plomb dans l’aile !

Et dans le cas contraire…

Ce n’est pas l’avis du procureur général. Pour lui aucun élément nouveau ne justifie la réouverture de l’enquête. Je suppose qu’il avait pris cette décision avant de savoir que les scellés avaient disparu…

Car l’élément nouveau, il est bien là !

En effet, dans une affaire qui laisse planer le doute et  la suspicion, et derrière laquelle on imagine un machiavélisme politique impitoyable, comment ne pas prendre en compte la disparition d’une preuve capitale !

Alors, meurtre ou suicide ?

S’il s’agit d’un meurtre, il serait donc l’œuvre d’une équipe de barbouzes à la solde de quelques politiciens véreux. Avec une mise en scène soigneusement orchestrée (dont les fameuses lettres tapées sur la machine à écrire personnelle du ministre) pour faire croire à un suicide. Des heures et des heures de préparation. Tout ça pour finir dans 50 cm d’eau ?

Mais s’il s’agit bien d’un suicide, alors, pourquoi tant d’invraisemblances ? Peut-être parce que, lorsqu’un membre influent de la politique disparaît brutalement, il est de tradition de « faire le ménage » avant l’arrivée des enquêteurs. Manquerait plus qu’un document compromettant se retrouve entre les mains d’un petit juge, crénom ! Or dans les heures qui ont précédé la découverte du corps, il y a des blancs, c’est incontestable.

Mais dans un cas comme dans l’autre, il est ridicule de penser que tout un service de police judiciaire (que je connais bien) puisse s’être laissé corrompre… En revanche, que l’on ait attendu « un peu » avant de prévenir les enquêteurs, et qu’ensuite on les ait « un peu » baladés, cela n’est pas impossible…

Sur ce blog, un vieux billet sur l’affaire du petit Grégory est devenu un forum où se retrouvent ceux qui refont l’enquête, ou tout simplement ceux qui cherchent à comprendre. À ce jour, plus de 6 000 commentaires. La mort de cet enfant est devenu un véritable questionnement sur le fonctionnement de notre justice – tout comme l’affaire Boulin. Je crois même qu’on peut parler de trouble à l’ordre public.

Avec une différence, c’est que dans un cas il s’agit d’une affaire criminelle et dans l’autre d’une affaire politique.

Alors, si la Justice ne veut pas rouvrirporte-cles-cocarde.1276071012.jpg le dossier sur la mort de Boulin, le principe de la séparation des pouvoirs n’existe plus, et dans ce cas… nos parlementaires ne pourraient-ils pas envisager la création d’une commission d’enquête ?

Une enquête des députés, au nom du peuple français, sur la mort de l’un des leurs, ç’aurait du panache, non !

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A-t-on le droit d’être armé, a été lu 45 745 fois et a suscité 230 commentaires, certains très limites, ou très deuxième degré. Il est évident qu’il ne s’agit pas de laisser chacun se balader avec une arme à feu, mais de simplifier la réglementation actuelle. Mais le fait intéressant dans la démarche du député Marlin est de vouloir légiférer dans ce domaine. Autrement dit, de passer du règlement à la loi. Un bon point pour la démocratie.

Viguier, Leroux, Grégory : l’intime conviction

La chaîne de l’enquête pénale est concernée d’un bout à l’autre. De l’enquêteur de base à l’avocat général, en l’absence de preuves formelles, tout le monde agit en fonction de sa conviction. Pour finalement demander à de simples citoyens, désignés comme jurés, de trancher des années plus tard et une fois pour toute – en leur intime conviction.

balance_sylvie-tribut-astrologuecom.JPGN’est-on pas à deux doigts d’une justice mystique ?

De nombreux pénalistes sont d’accord sur la nécessité d’une réforme en profondeur d’un système pénal aujourd’hui un rien archaïque, et des voix s’élèvent entre autres pour demander la fin d’une justice basée sur l’intime conviction.

Voici ce qu’en disent deux pénalistes, Me Jean-Marc Marinelli et Me Parvèz Dookhy, dans une réflexion sur la réforme pénale : « L’intime conviction est tout le contraire d’un raisonnement légal construit tendant vers la déclaration de culpabilité. Elle ressemble plus au mode de croyance du profane que celui que doit avoir un juriste. Comment peut-on demander à des juges professionnels de juger à la manière de l’homme de la rue ? L’intime conviction fait place à des décisions purement subjectives et non objectives. Elle n’est pas réellement conciliable avec le principe selon lequel le doute profite à l’accusé, doute qui se trouve de la sorte amputé de toute sa substance. »

Ainsi, il y a quelques jours, et pour la deuxième fois, prenant le contre-pied de la chaîne judiciaire, les jurés ont acquitté Jacques Viguier, accusé du meurtre de sa femme. Pas de preuve, pas de cadavre.

En 2006, dans des circonstances identiques, les jurés ont acquitté Maurice Agnelet du meurtre de sa maîtresse, avant de le condamner en appel à vingt ans de réclusion criminelle. Les affaires ne sont pas similaires, bien sûr, mais, là non plus, aucune preuve formelle, juste un faisceau de présomptions, et pas de cadavre.

On a un peu l’impression d’une justice à pile ou face.

Tout le monde se souvient du meurtre du petit Grégory Villemin, dont le corps ligoté avait été repêché dans les eaux de la Vologne, dans les Vosges. Une enquête au long cours où policiers, gendarmes et juges se sont cassé les dents. Eh bien, plus de 25 ans après les faits, de nombreuses personnes sont persuadées de l’innocence ou de la culpabilité d’untel ou d’untel. Sur ce blog, le billet rédigé en décembre 2008 compte aujourd’hui plus de 2 900 commentaires.

Chacun refait son enquête, et à chacun son intime conviction.

Il me semble qu’une justice moderne devrait s’affranchir au maximum des risques que fait encourir la simple conviction, parfois érigée comme un dogme. On ne peut condamner des gens sur une impression. On ne peut demander à des gens de condamner des gens sur une impression.
Un accusé devant une Cour d’assises devrait traîner derrière lui un dossier solide, basé d’abord sur des faits incontestables, puis, pourquoi pas, sur des faits moins évidents, tant à charge qu’à décharge, réunis en toute impartialité. Ensuite, mais ensuite seulement, il appartiendrait au jury populaire de soupeser le pour et le contre et de statuer.

Car un procès, ce n’est pas un match de foot avec une équipe qui gagne et l’autre qui perd. Et la pire des choses pour la justice serait de prendre le risque d’une injustice dans le but inavoué ne pas désavouer le système judiciaire.

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Dammarie-Lès-Lys : « On aurait pu faire mieux » a été lu 7 874 fois et a suscité 43 commentaires. Et je rends à la DCPJ ce qui n’appartient pas à la DCRI.

Dammarie-lès-Lys : « On aurait pu faire mieux… »

C’est quasi traditionnel, à chaque fois que le pouvoir politique se mêle d’une enquête judiciaire, cela se termine par un fiasco – et le plus souvent par un retour de bâton. Voici deux versions du déroulement de l’enquête sur la mort du brigadier-chef Jean-Serge Nérin…

logo_surlaterreorg.pngVersion I – Grâce au témoignage d’un ancien collègue, les enquêteurs visionnent la vidéo d’un supermarché sur laquelle apparaît un groupe d’individus qui pourraient bien être des terroristes basques. Avant de les présenter aux témoins du drame, ils préparent soigneusement une parade d’identification. Procédé classique qui consiste à mélanger les photos des suspects à celles d’individus qui n’ont strictement rien à voir avec l’affaire. Devant ce flot de portraits, et malgré leur désir de faire avancer les recherches, les amis du policier assassiné hésitent.

Dans le même temps, en se fiant à l’heure indiquée sur la vidéo, les policiers décortiquent les paiements effectués aux caisses du grand magasin. Il ne doit pas y avoir beaucoup de clients qui ont réglé leurs achats avec une carte de crédit espagnole, se disent-ils. Bingo, ils en trouvent un ! Une rapide vérification, et là, c’est la déception. On découvre que la piste est bidon et qu’il s’agit d’un groupe de pompiers catalans qui prennent des vacances dans la région parisienne. Heureusement qu’on n’a pas mis tous nos œufs dans le même panier, se disent les enquêteurs. Car pendant ce temps, d’autres investigations sont menées tous azimuts. Une équipe d’une demi-douzaine d’Espagnols, dans ce coin de Seine-et-Marne, c’est bien le diable s’ils n’ont pas laissé des traces…

C’est de la fiction, vous l’aurez bien compris, car les choses se sont déroulées différemment.

Version II – Ils parlaient espagnol, affirme le policier retraité, en désignant le groupe de suspects sur la vidéo. On la fait visionner aux collègues du policier assassiné, et ceux-ci, encore sous le choc, pensent reconnaître certains des malfaiteurs qui les ont pris pour cible. Aussitôt, on interroge les autorités espagnoles en leur fournissant la vidéo et la photo de l’individu arrêté, Joseba Fernandez Aspurz. Celui-ci est recherché pour des violences urbaines dans son pays. Les policiers espagnols sont-ils victimes du même phénomène d’autosuggestion que leurs collègues français ? Le fait est qu’ils désignent les pompiers catalans comme des terroristes. Il faut dire que dans le même temps, la presse espagnole ne fait pas mieux. joseba-fernandez.jpgElle diffuse la photo de Joseba Fernandez, militant de gauche, comme étant le suspect principal du meurtre du policier français. Alors qu’il s’agit d’un homonyme. Désolé pour le désagrément, dit l’agence de presse EFE.

Même si elle est bâtie sur une série de quiproquos, à ce stade, la piste semble néanmoins sérieuse. Il s’agit donc de tout mettre en œuvre pour identifier les auteurs présumés du meurtre d’un policier, les localiser et les arrêter.

Aussi, j’imagine la bobine des enquêteurs lorsqu’on leur dit que la DCRI va « réquisitionner » les médias pour diffuser à tout va la vidéo du grand magasin… Car en  agissant ainsi, on grille ses cartouches, on se prive de l’effet de surprise, on informe les malfaiteurs qu’ils sont repérés et en passe d’être identifiés. Pas besoin d’être un superflic pour comprendre qu’il s’agit là d’un procédé de bout de chaîne, de dernière chance, lorsqu’on a tout tenté et qu’il ne reste plus aucun espoir de pouvoir arrêter les individus recherchés.

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Photo 1 : Le gang de la mort                                 Photo 2 : Terroristes ou pompiers ?

Existe-t-il une troisième version ? Le procureur nous l’expliquera peut-être. Pour l’instant, on ne l’a pas entendu, comme si les enquêtes judiciaires étaient placées sous la direction du pouvoir exécutif… En attendant, le ministre espagnol de l’Intérieur, lui, s’est excusé. « On aurait pu faire mieux », a-t-il soupiré. En France, c’est le directeur général de la police, Frédéric Péchenard, qui est monté au créneau. La diffusion de cette vidéo a permis de ne pas « polluer » le dossier, a-t-il affirmé devant les caméras de télévision, sinon, « on aurait traîné ça dans le dossier un moment ». Des propos étonnants de la part d’un ancien péjiste… On pourrait en faire shadok-escalier_castaliefr.jpgune devise Shadok : si on élimine tous les innocents d’un crime, on va bien finir par découvrir les coupables.

Dans cette affaire, une nouvelle fois la police ne sort pas grandie, mais on comprend bien que le chapeau est trop large pour sa seule tête.

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Que vaut la vie d’un homme ? a été lu 5 964 fois en 3 jours et a suscité 24 commentaires.

Du procès Viguier à la réforme pénale

Au risque d’oublier qu’un homme encourt une lourde peine de réclusion criminelle, le procès qui se tient devant la Cour d’assises d’Albi a tout pour passionner le grand public : une jolie danseuse a disparu. On la suppose morte, mais on n’a pas retrouvé son corps. Son mari, bel homme au visage énigmatique, est juge.jpgbien sûr le suspect idéal. D’autant que ce professeur de droit est connu pour ses nombreuses aventures féminines, surtout auprès de ses étudiantes, et qu’il a, bien maladroitement, accumulé les indices contre lui. À moins que l’amant de sa femme, à l’évidence très amoureux de sa maîtresse, n’ait pris un malin plaisir à en rajouter quelques-uns…

Et dans le prétoire, douze jurés, deux assesseurs, un avocat général qui a probablement mal digéré la décision d’acquittement prise l’an dernier, et un président, Jacques Richiardi, qui connaît son dossier sur le bout des doigts et qui n’a pas envie de s’en laisser conter. Défense et partie civile, quant à elles, sont représentées par des figures médiatiques du barreau, des avocats connus pour leurs effets de manche scéniques et leurs expressions théâtrales.

Jeudi, après avoir mis à mal la déposition d’un témoin qui aurait été influencé par l’amant, jetant ainsi le doute sur la culpabilité de Viguier, le président s’en est pris à celui-ci, le confondant dans ses mensonges à propos d’une histoire de clés, comme nous l’explique Pascale Robert-Diard dans son blog du Monde : « La voix du président est devenue sèche tout à coup. Il précise : Cet agenda a été saisi dans votre véhicule le 11 mars. Or, vous êtes venu avec ce véhicule au commissariat le 10 et il n’en a pas bougé. Vous n’y avez pas eu accès. Donc, je reprends ma question : quand et pourquoi avez-vous mentionné cela ? – Je ne sais pas… »

Dans ce procès, on refait l’enquête de A à Z, comme l’autorise l’article 310 du Code de procédure pénale : « Le président est investi d’un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut, en son honneur et sa conscience, prendre toutes mesures qu’il croit utiles pour découvrir la vérité… » Il peut par exemple faire citer un témoin à la barre, même contre son gré.

Mais qu’en sera-t-il demain ? 

Dans le projet de réforme pénale, il est fortement question de retirer au président de la Cour d’assises ce pouvoir discrétionnaire. Il deviendrait alors une sorte d’arbitre entre l’avocat général et les avocats de la défense. Un animateur, en quelque sorte.

Or l’enquête risque dans le même temps de devenir moins rigoureuse, car les policiers ne seront plus placés sous la direction drastique d’un juge d’instruction. Les OPJ vont d’ailleurs récupérer une partie de ses pouvoirs, vraisemblablement la procédure de mise en examen. Ce que le Syndicat de la magistrature appelle « Un interrogatoire de notification de charges ».

Ainsi, on va retrouver les mêmes personnages du début de l’enquête au jugement. Un parquet surpuissant, placé hiérarchiquement sous l’emprise d’un ministre, qui décide de l’opportunité des poursuites, des moyens à utiliser pour l’enquête, et qui soutient l’accusation lors du jugement.

Un système dont on devine les risques. Et en face de lui un avocat. Or, tout le monde n’a pas les moyens de s’offrir les services d’une pointure du barreau ! Certains devront se contenter d’un avocat commis d’office. Le problème, c’est que rien dans la réforme en cours ne fait référence à une modification de l’assistance judiciaire.

Il existe donc bel et bien le risque d’un déséquilibre important entre une accusation monolithique et une défense rachitique.

shadok-e-atlantidecom.jpgSi l’on prend en compte le nombre de gardes à vue, on en déduit qu’en 2009, un adulte sur cinquante a été considéré comme suspect d’un crime ou d’un délit. Alors, si cette réforme devait être adoptée en l’état, je propose la création d’une caisse d’assistance judiciaire, copiée sur celle de la sécurité sociale.

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La Justice en miettes a été lu 1 223 fois en 3 jours et a suscité 17 commentaires.

Procès Viguier : « La Cour vous remercie…

… provisoirement », a dit le président Jacques Richiardi au témoin qui venait de faire une déclaration fracassante. L’homme a tout simplement affirmé que l’amant de Suzanne Viguier lui avait confié avoir pénétré dans la maison (vide) de sa maîtresse, le dimanche 27 févier 2000, jour de sa disparition. Élément qui n’apparaît pas dans le dossier d’instruction. Après de tels propos, on se pose des questions : Olivier Durandet, l’amoureux, aurait-il pu effacer des traces, ou, pire, arranger une mise en scène susceptible de compromettre Jacques Viguier ? «  Cette version est différente de celle qu’il avait jusqu’à présent servie. Si elle reflète la vérité, elle éclaire le dossier d’une lumière sensationnelle : M. Durandet pénétrant dans la maison déserte aurait [eu] tout loisir d’y déposer les indices compromettants pour le mari… », écrit Stéphane  Durand-Souffland, qui suit le procès pour Le Figaro.

Cette mystérieuse affaire n’a pas fini de nous surprendre, et elle remet en question les méthodes d’investigation de la police et de la justice. Ainsi, lors du premier procès, en 2009, le commissaire Saby a déclaré à la barre des témoins que la garde à vue avait été un « mano a mano » entre lui et Jacques Viguier, et que ce dernier avait bien failli craquer. Mais rien n’apparaît dans la procédure. D’ailleurs, comment rendre compte par écrit d’une conviction, d’une impression, d’un sentiment…

À l’époque, au bout d’une quarantaine d’heures, Viguier avait été laissé libre. Sans doute pour mieux le surveiller. Attendre la faute.

Mercredi dernier, les jurés ont pu prendre connaissance des écoutes téléphoniques installées au début de l’enquête, ce qui est inhabituel dans un procès d’assises. Mais le président Richiardi a probablement pensé que c’était le meilleur moyen pour eux de se faire une opinion. En effet, souvent, la simple lecture d’une conversation ne suffit pas. Il faut entendre les mots, les intonations… Et parfois interpréter les silences.

Si les auditions de Jacques Viguier, lors de sa garde à vue, avaient été filmées, il est vraisemblable que le magistrat aurait fait de même. On aurait alors mieux compris pourquoi le commissaire Saby était convaincu de la culpabilité du suspect.

Car cette enquête semble bien avoir été menée au pif ! Je veux dire au flair, à l’ancienne. Il existe des indices sérieux, notamment ce matelas, que Viguier reconnaît avoir jeté dans une décharge, et qui a mystérieusement brûlé. S’agissait-il de faire disparaître des traces de sang ou d’une réaction primaire, celle d’un homme qui croit que sa femme est partie ?

Et surtout cette question : où est le corps ? Pas facile de dissimuler un cadavre.

Jacques Viguier a été maintenu en détention pendant neuf mois. Il s’est présenté libre devant la Cour d’assises de Toulouse, en 2009. Il a été acquitté. L’avocat général, Marc Gaubert, avait demandé une condamnation à 15 ou 20 ans de réclusion criminelle. Il a donc fait appel.

Ici, on ne peut s’empêcher de s’interroger. Depuis 2000, l’accusé a le droit de faire appel d’une condamnation en Cour d’assises, cela pour satisfaire aux exigences européennes. Depuis 2002, l’avocat général, qui représente la société, a le droit de faire appel d’une décision d’acquittement, cela pour satisfaire au principe d’égalité devant la loi. Mais y a-t-il vraiment égalité ? La décision du procureur est-elle toujours motivée par un souci d’équité ? Aucune vanité ? Et la victime ? La victime (ou ses proches), n’est que partie civile et ne peut donc interjeter appel de la condamnation pénale, cela, nous dit-on, pour éviter que la justice ne laisse la place à la vengeance. Pourtant, Me Szpiner, avocat de la mère de la victime, lors du procès du gang des barbares, s’était vanté de pouvoir obtenir un appel du garde des Sceaux, quel que soit le verdict. Ce qui a d’ailleurs été le cas – contre l’avis de l’avocat général Philippe Bilger.

Aujourd’hui, il n’y a pas plus de preuves contre Viguier que l’année dernière, mais il y a un Président qui semble vouloir justicable_ledroitpourlajustice.jpgresponsabiliser les jurés, et non pas les considérer comme de simples figurants. En filigrane, il leur dit, je vous demande votre intime conviction non pas sur les impressions des uns ou des autres, mais sur des faits.

Une Cour d’assises qui se prononce uniquement sur des preuves et non pas sur de simples hypothèses, c’est du solide. Ce n’est pas toujours le cas. Rappelons-nous l’affaire Maurice Agnelet. Cet homme, après avoir été acquitté en première instance, a été condamné en appel à vingt de réclusion – sans aucun élément nouveau, sans preuve matérielle, et sans cadavre.

Pourtant, avec la réforme claironnée de la procédure pénale, il semble que dans un futur proche le président de la Cour d’assises ne pourra plus refaire l’instruction lors des débats, comme c’est le cas aujourd’hui. Il deviendrait une sorte d’arbitre entre l’accusation et la défense.

À moins que ce procès ne démontre que ce n’est pas une bonne idée…

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Changement de registre sur la garde à vue a été lu 10 935 fois en 3 jours et a suscité 76 commentaires. A noté qu’il ne s’agissait pas de faire un parallèle entre la police d’hier et celle d’aujourd’hui. Le sujet était la garde à vue. Certains policiers considèrent qu’il s’agit d’un « pouvoir » qu’on voudrait aujourd’hui leur retirer. Un peu comme si on voulait les désarmer. Or, il s’agit uniquement d’un moyen d’enquête, et non d’une finalité. (Le dessin utilisé dans ce billet provient du magazine internet rennais alter1fo.)

Un détective privé épinglé par la Commission de déontologie

On se souvient de ce massacre à Thorigné-sur-Dué, une petite ville de la Sarthe. En 1994, une famille entière, dont deux enfants en bas âge, sauvagement assassinée à l’aide d’une « feuille de boucher ». Un crime horrible, une policier-et-son-double.gifenquête sur les chapeaux de roues et les aveux de Dany Leprince, proche parent des victimes, à la quarante-deuxième heure de sa garde à vue. Très vite, celui-ci revient pourtant sur ses déclarations et clame son innocence. En 1997, il est condamné à la prison à vie, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans. À cette époque, impossible de faire appel de la décision d’une Cour d’assises, donc, pour la justice, l’affaire est close.

En 2002, l’association Action-Justice, s’empare du dossier et tente de sensibiliser l’opinion publique à ce qu’elle considère comme une erreur judiciaire. Un détective privé, que nous appellerons M., est alors mandaté pour effectuer une contre-enquête : 18.000 € d’honoraires pour quatre pages de rapport sans réel intérêt. Les choses tournent alors au vinaigre entre la famille du condamné et l’enquêteur – un désaccord qui aboutit à une plainte contre ce dernier pour abus de confiance. En retour, celui-ci publie sur son site Internet des pièces du dossier pénal qui lui avait été confié. Et en 2008, alors que la Commission de révision des condamnations pénales instruit cette affaire afin de déterminer s’il existe ou non un fait nouveau susceptible de relancer l’action de la justice, il écrit, sur son site et sur son blog, que l’apparition d’un témoin nouveau n’est qu’une supercherie destinée à justifier la thèse de l’erreur judiciaire. Affirmant que « personne ne se trouvait dans le grenier de la maison le soir où furent perpétrés les crimes », alors que ceux qui se battent pour la révision du procès ont axé en grande partie leur action sur cet événement inconnu lors de l’enquête.

C’est du moins la position de la CNDS dans son avis du 21 septembre 2009.

Celle-ci, saisie par un député, commence par « affirmer sans réserve toute sa compétence en ce qui concerne la déontologie professionnelle des agents de recherches privées ». En effet, estime-t-elle, depuis une loi de 1983, modifiée en 2003, cette profession concourt à la sécurité générale au même titre que les entreprises de gardiennage, de surveillance et de transports de fonds.

Elle relève que la publication de ces informations sur Internet, « constitue une violation flagrante de l’obligation de loyauté à laquelle est tenu tout enquêteur à l’égard de son mandant ». Et elle rappelle que le secret professionnel constitue « le socle même de la déontologie des enquêteurs privés ». Elle va même plus loin, en assimilant le détective privé à un acteur des droits de la défense, au même titre que l’avocat.

C’est la première fois que la CNDS se penche sur la déontologie des détectives privés. Désormais, lit-on, dans La Gazette des enquêteurs, « les détectives et enquêteurs privés, les enquêteurs d’assurances et, d’une façon générale toutes les professions effectuant des recherches privées (y compris l’intelligence économique et les sociétés de recherches de débiteurs) pourront faire l’objet de contrôle par la CNDS et par son futur remplaçant, le « Défenseur des Droits » qui devrait reprendre ses attributions ».

Christian Borniche*, qui dirige le cabinet créé par son père il y a plus d’un demi-siècle, semble très satisfait de cette décision. Depuis des années, en effet, il bataille dans cette direction. Il est d’ailleurs à l’origine du diplôme d’État créé le 21 juin 2006 par le ministre de l’Éducation nationale. Car, dit-il, le secret professionnel est à la base des relations qui existent entre un enquêteur privé et son client. Pour lui, le secret s’oppose même aux commissaires de police ou aux officiers de gendarmerie chargés de surveiller les agences de recherches privées pour le compte des préfets.

« Toute violation du secret professionnel par un enquêteur privé, rappelle-t-il sur le site du Centre d’information sur les détectives, constituerait un délit passible des peines (1 an de prison et 15.000€ d’amende) visées à l’article 226-13 du code pénal ou 226-17 du même code (300.000€ d’amende et 5 ans de prison) en cas de transmission, sur Internet, d’informations nominatives confidentielles sans borniche-pere-et-fils.jpgprendre les précautions nécessaires pour empêcher qu’elles ne soient interceptées par des tiers non autorisés ».

Même s’il est possible de le trouver sur Internet, le rapport de la CNDS n’a pas été rendu public. Il a été transmis au ministre de l’Intérieur, au procureur de la République et aux préfets concernés.

Quant au détective M., sur son blog, il se défend comme un beau diable, prenant le contre-pied des affirmations de la CNDS.

Mais celle-ci ne se prononce pas sur le fond, mais sur la forme. Pourrait-on imaginer un policier ou un juge qui pour justifier son enquête en publierait des extraits ? En tout cas, il sera intéressant de connaître les suites de cette affaire, tant sur le plan administratif que judiciaire.

Entre nous, il est quand même surprenant  que les manquements supposés d’un détective privé aboutissent aujourd’hui à renforcer le statut d’une profession en quête, depuis des dizaines d’années, d’une certaine forme de reconnaissance.

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* Christian Borniche est président de l’Union des enquêteurs de droit privé et chargé d’enseignement à l’Université Panthéon-Assas, Paris II.
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Les vigiles ont-ils le droit d’arrestation ? a été lu 43.406 fois en 5 jours et a suscité 156 commentaires.
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