Il avait 86 ans. Nicolo Rizzuto, dit Nick, ou encore Le Vieux, a été abattu mercredi 10 novembre, dans sa somptueuse demeure de Cartierville, à Montréal. Il se trouvait dans sa cuisine lorsqu’il a été atteint d’une balle dans la tête, une seule, tirée depuis le bois situé à l’arrière de sa maison. Un petit trou dans la vitre, et c’est tout. Constatations confirmées par le résultat de l’autopsie.
Qui était donc ce vieux bonhomme ?
Né en Sicile, il émigre au Canada en 1954. Rapidement, il se lie à des mafieux italiens, notamment calabrais, les Cotroni, qui tiennent le haut du pavé à Montréal. Il fera aussi alliance avec les Bonanno, l’une des cinq familles de la Cosa Nostra de New-York.
À cette époque, le clan Bonanno tient une place prépondérante dans le trafic de stupéfiants aux États-Unis. Montréal étant considéré alors comme la base arrière du réseau. L’héroïne vient des laboratoires du sud de la France, jusqu’au jour où les Américains se fâchent. En 1971, Nixon tape du poing sur la table, et c’est le démantèlement de la French Connection – aussitôt remplacée par la Pizza Connection.
Mais dans les années 76-81, une guerre éclate entre les trois familles. Une vingtaine de morts, tant au Québec qu’en Italie. Finalement, Nick Rizzuto, ce petit homme que l’on dit illettré, remporte la victoire (ou du moins la première manche). Il a gagné sa place au soleil et devient le parrain incontesté de la mafia de Montréal.
Nick a trempé dans le scandale du village olympique de Montréal, pour les Jeux de 1976, et il a forcément croisé le chemin d’un truand français qui, lui aussi, avait mouillé sa chemise pour ce projet juteux : Gilbert Zemour. Mais celui-ci ne devait pas être de taille, car, bien vite, il est rentré au pays. « L’exportation » de la famille Zemour n’a pas fonctionné. Concurrence trop dure, sans doute.
En fait, depuis longtemps, c’est le fils, Vito Rizzuto, qui a pris les commandes. Pour l’heure, il purge une peine de prison aux Etats-Unis pour avoir occis trois membres de la famille Bonanno. Sans doute le chapitre final de la guéguerre des années quatre-vingt. En réalité, il n’a été arrêté qu’en 2004, perdant du coup son surnom de Teflon Don (on n’avait jamais réussi à lui « coller » une affaire sur le dos auparavant). Du fond de sa cellule, on dit qu’il n’en continue pas moins à diriger son commerce. Tel ce fumeux projet d’investissement pour la construction du pont de Messine. Le pont de la mafia, comme on dit en Italie. Un moyen inespéré de recycler des centaines de millions de narcodollars. D’après des écoutes téléphoniques effectuées en 2005, la famille aurait été prête à investir cinq milliards d’euros dans ce projet. Soit la quasi-totalité du montant des travaux. En fait, personne ne connaît le montant de la fortune de Rizzuto. L’année dernière, par exemple, il a fait l’objet d’un redressement fiscal pour avoir négligé de déclarer l’équivalent d’environ quatre millions d’euros, une somme qui représenterait « seulement » les intérêts perçus sur un compte en Suisse…
En 2004-2005, une opération de grande envergure a été lancée au Canada, aux Etats-Unis, en Italie, en Suisse, en France…, pour démanteler un réseau de blanchiment d’argent. Une enquête difficile, pour arriver, en 2007, à des dizaines d’interpellations dans ces différents pays. En fait, on comprend bien qu’aujourd’hui, le principal souci de la mafia est de réinsérer l’argent du crime et de la drogue dans les circuits traditionnels. Ce qui devient de plus en plus difficile. Cela nécessite une organisation internationale et des contacts à tous les niveaux, tant dans le monde des affaires que de la politique. En Italie, lors de cette enquête, on aurait frôlé le pouvoir en place… Dans ce bizness, il semble bien que le clan Rizzuto soit tête de liste.
On ne vit pas vieux chez les Rizzuto. Le patriarche est une exception. Ainsi son gendre, Paolo Renda a été enlevé… On ne l’a jamais revu. L’un de ses lieutenants, Agostino Cuntrera, pressenti pour prendre du galon, a été assassiné. C’est tellement chaud dans la « famille » que, lors d’une arrestation, les policiers ont eu la surprise de constater que plusieurs de ses membres portaient un gilet pare-balles, sous le costard. Ce qui ne devait pas être le cas de son petit-fils. L’insouciance de la jeunesse (42 ans)… Il a été tué en décembre dernier. Plusieurs balles, en pleine rue. Le suspect, dont on sait juste qu’il est noir, n’a pas été identifié. Du moins pour la police. Car, trois mois plus tard, une fusillade, rue Saint-Jacques, à Montréal, avait pour cible un certain Joseph Ducarme, que l’on présente comme l’ancien chef de l’ancien gang des 67. Un gang de rue. Il s’en est tiré sans bobo, mais il y a eu deux morts. Dans son camp, d’autres n’ont pas eu sa chance. Plusieurs sont décédés de mort violente et un autre circule en fauteuil roulant.
En fait, les autorités locales semblent compter les coups. Une guerre a débuté, mais il reste encore des doutes sur l’identité du véritable adversaire, le challenger de la Rizzuto and son. Car ce gang de rue ne serait que la partie visible de l’iceberg. Une autre famille pourrait bien être à l’affût, planquée derrière la glace : celle des Calabrais. Ils ont une revanche à prendre.
En attendant, le clan des Siciliens contre un gang de rue, ça parle au diable, comme disent nos cousins québécois.
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