… provisoirement », a dit le président Jacques Richiardi au témoin qui venait de faire une déclaration fracassante. L’homme a tout simplement affirmé que l’amant de Suzanne Viguier lui avait confié avoir pénétré dans la maison (vide) de sa maîtresse, le dimanche 27 févier 2000, jour de sa disparition. Élément qui n’apparaît pas dans le dossier d’instruction. Après de tels propos, on se pose des questions : Olivier Durandet, l’amoureux, aurait-il pu effacer des traces, ou, pire, arranger une mise en scène susceptible de compromettre Jacques Viguier ? « Cette version est différente de celle qu’il avait jusqu’à présent servie. Si elle reflète la vérité, elle éclaire le dossier d’une lumière sensationnelle : M. Durandet pénétrant dans la maison déserte aurait [eu] tout loisir d’y déposer les indices compromettants pour le mari… », écrit Stéphane Durand-Souffland, qui suit le procès pour Le Figaro.
Cette mystérieuse affaire n’a pas fini de nous surprendre, et elle remet en question les méthodes d’investigation de la police et de la justice. Ainsi, lors du premier procès, en 2009, le commissaire Saby a déclaré à la barre des témoins que la garde à vue avait été un « mano a mano » entre lui et Jacques Viguier, et que ce dernier avait bien failli craquer. Mais rien n’apparaît dans la procédure. D’ailleurs, comment rendre compte par écrit d’une conviction, d’une impression, d’un sentiment…
À l’époque, au bout d’une quarantaine d’heures, Viguier avait été laissé libre. Sans doute pour mieux le surveiller. Attendre la faute.
Mercredi dernier, les jurés ont pu prendre connaissance des écoutes téléphoniques installées au début de l’enquête, ce qui est inhabituel dans un procès d’assises. Mais le président Richiardi a probablement pensé que c’était le meilleur moyen pour eux de se faire une opinion. En effet, souvent, la simple lecture d’une conversation ne suffit pas. Il faut entendre les mots, les intonations… Et parfois interpréter les silences.
Si les auditions de Jacques Viguier, lors de sa garde à vue, avaient été filmées, il est vraisemblable que le magistrat aurait fait de même. On aurait alors mieux compris pourquoi le commissaire Saby était convaincu de la culpabilité du suspect.
Car cette enquête semble bien avoir été menée au pif ! Je veux dire au flair, à l’ancienne. Il existe des indices sérieux, notamment ce matelas, que Viguier reconnaît avoir jeté dans une décharge, et qui a mystérieusement brûlé. S’agissait-il de faire disparaître des traces de sang ou d’une réaction primaire, celle d’un homme qui croit que sa femme est partie ?
Et surtout cette question : où est le corps ? Pas facile de dissimuler un cadavre.
Jacques Viguier a été maintenu en détention pendant neuf mois. Il s’est présenté libre devant la Cour d’assises de Toulouse, en 2009. Il a été acquitté. L’avocat général, Marc Gaubert, avait demandé une condamnation à 15 ou 20 ans de réclusion criminelle. Il a donc fait appel.
Ici, on ne peut s’empêcher de s’interroger. Depuis 2000, l’accusé a le droit de faire appel d’une condamnation en Cour d’assises, cela pour satisfaire aux exigences européennes. Depuis 2002, l’avocat général, qui représente la société, a le droit de faire appel d’une décision d’acquittement, cela pour satisfaire au principe d’égalité devant la loi. Mais y a-t-il vraiment égalité ? La décision du procureur est-elle toujours motivée par un souci d’équité ? Aucune vanité ? Et la victime ? La victime (ou ses proches), n’est que partie civile et ne peut donc interjeter appel de la condamnation pénale, cela, nous dit-on, pour éviter que la justice ne laisse la place à la vengeance. Pourtant, Me Szpiner, avocat de la mère de la victime, lors du procès du gang des barbares, s’était vanté de pouvoir obtenir un appel du garde des Sceaux, quel que soit le verdict. Ce qui a d’ailleurs été le cas – contre l’avis de l’avocat général Philippe Bilger.
Aujourd’hui, il n’y a pas plus de preuves contre Viguier que l’année dernière, mais il y a un Président qui semble vouloir
responsabiliser les jurés, et non pas les considérer comme de simples figurants. En filigrane, il leur dit, je vous demande votre intime conviction non pas sur les impressions des uns ou des autres, mais sur des faits.
Une Cour d’assises qui se prononce uniquement sur des preuves et non pas sur de simples hypothèses, c’est du solide. Ce n’est pas toujours le cas. Rappelons-nous l’affaire Maurice Agnelet. Cet homme, après avoir été acquitté en première instance, a été condamné en appel à vingt de réclusion – sans aucun élément nouveau, sans preuve matérielle, et sans cadavre.
Pourtant, avec la réforme claironnée de la procédure pénale, il semble que dans un futur proche le président de la Cour d’assises ne pourra plus refaire l’instruction lors des débats, comme c’est le cas aujourd’hui. Il deviendrait une sorte d’arbitre entre l’accusation et la défense.
À moins que ce procès ne démontre que ce n’est pas une bonne idée…


