Dans la réforme pénale qu’il a voulue du bout des lèvres, François Hollande va devoir départager ses ministres sur la partie probablement la plus importante, ou du moins la plus sensible : les peines et leur exécution. Alors que Manuel Valls ferme le poing, Christiane Taubira penche pour la main tendue. Qui a raison, qui va gagner ? Continue reading
Auteur/autrice : G.Moréas (Page 20 of 82)
Les recherches dans l’intérêt des familles (RIF) ont été supprimées il y a quelques mois. Une banale circulaire du 26 avril 2013 a mis fin à un système vieux de près d’un siècle. Pourtant, si la coutume avait résisté aux ans, c’est peut-être qu’elle avait son utilité. La prise en charge de la détresse d’une personne, désorientée par la disparition d’un proche, n’est-elle pas un devoir de service public ? Même si l’on ne peut pas faire grand-chose… Non, nous dit la circulaire ministérielle, il faut « orienter les demandeurs vers les réseaux sociaux sur l’Internet qui offrent d’intéressantes possibilités ». On pourrait presque lire en filigrane : dé… brouillez-vous ! Continue reading
Le renvoi de Dominique Strauss-Kahn et des autres personnes mises en cause dans l’affaire du Carlton de Lille a donné lieu à un petit pataquès dans les médias. On a pu lire ici ou là que DSK était renvoyé devant le tribunal correctionnel et qu’il risquait 20 ans de prison. Continue reading
Kristian Vikernes, présenté par le ministre de l’Intérieur comme étant « susceptible de préparer un acte terroriste d’envergure », a été relâché à l’issue de sa garde à vue. Et l’emballement médiatique sur ce « néonazi sataniste et meurtrier de l’un de ses amis » n’a pas mis longtemps à retomber. Peut-on en déduire que Manuel Valls a volontairement grossi l’affaire ? Ou qu’il a été mal informé ? Ou que la DCRI s’est plantée ?
En fait, même si l’on est en droit de s’étonner que les enquêtes de police judiciaire se traitent autant dans les salles de rédaction que dans les bureaux cotonneux des magistrats, cette arrestation préventive met en exergue une question importante – maîtresse depuis l’affaire Merah : faut-il prendre le risque d’agir trop tôt pour ne pas intervenir trop tard ?
Nous sommes ici dans le flou d’investigations et de surveillances d’individus que l’on suppose capables du pire mais qui ne sont pas passés à l’action. C’est la définition même de l’enquête proactive. Par opposition à l’enquête réactive, qui, elle, résulte d’un crime ou d’un délit bien réel.
Dans la vie de tous les jours, les contrôles d’identité, par exemple, sont souvent proactifs : ils sont destinés à éviter une infraction ou un trouble à l’ordre public. Tandis que les policiers qui viennent sur les lieux d’un cambriolage sont eux « réactifs » à une infraction consommée. Plus de 60 % des enquêtes sont proactives.
L’enquête proactive a deux casquettes : l’une police, l’autre justice. Les policiers, qu’ils soient de la DCRI ou de la PJ peuvent démarrer des surveillances et des investigations sur des individus qu’ils pensent susceptibles de fomenter un mauvais coup. Cela depuis la nuit des temps. C’est l’abc de la lutte contre la criminalité organisée. C’était même l’une des missions confiée aux brigades mobiles par Georges Clemenceau. Les enquêteurs ne disposent alors d’aucun pouvoir particulier, si ce n’est éventuellement l’utilisation d’écoutes administratives. S’ils vont au-delà, c’est à leurs risques et périls. Comme ce fut le cas pour les enquêteurs de la BRB, empêtrés dans une procédure pour justifier une balise GPS placée « au cas ou » sous un véhicule suspect, deux jours avant la fusillade de Villiers-sur-Marne, le 20 mai 2010. Comment envisager alors que cette « pêche à la ligne » se terminerait par une fusillade et la mort d’une jeune policière municipale ! C’est pourtant cette initiative qui a permis l’identification des auteurs présumés, dont le fumeux Redouane Faïd. Car le principe veut que les éléments de ces « surveillances » de police ne figurent pas dans la procédure. C’est un travail hors justice. Toutefois, les enquêteurs peuvent à tout moment franchir le pas et rédiger un procès-verbal. Auquel cas, ils passent de l’enquête d’initiative à l’enquête préliminaire, dont les règles sont fixées par le code de procédure pénale. Ils doivent alors en rendre compte au procureur de la République. Même s’il s’agit toujours d’une enquête proactive, la différence est de taille : les policiers perdent leur liberté d’agir ou de ne pas agir.
Kristian Vikernes était dans le collimateur de la DCRI depuis pas mal de temps, probablement depuis son arrivée en France, en 2010. Vu le profil du personnage, une surveillance normale pour un service de renseignements, et qui peut s’éterniser. D’autant que le terrorisme n’est pas nécessairement violent. En droit français, il peut prendre d’autres formes (terrorisme écologique, cyberterrorisme…). Il ne se traduit donc pas nécessairement par une atteinte à l’intégrité physique. Et dans ce cas, il n’y a pas urgence à intervenir.
Mais lorsque sa compagne a acheté plusieurs carabines, la DCRI s’est fait peur et elle a refilé la patate chaude à la section antiterroriste du parquet de Paris. Plaçant du même coup son action sous la responsabilité d’un magistrat. Qu’est-ce qu’ils me disent, ceux-là ? Un loup solitaire en Corrèze… Avec le profil de Breivik ! Le procureur ne pouvait guère prendre une autre décision que celle d’intervenir. Pas question de jeter la pierre à l’un ou à l’autre, on peut simplement regretter qu’aujourd’hui, dans toutes les administrations et au plus haut niveau de l’État, c’est le principe de précaution qui génère l’action.
Dans la police, l’époque du flag est révolue. Il est d’ailleurs inenvisageable en matière de terrorisme violent, et inutile, car il existe à présent des « infractions obstacles » qui permettent d’intervenir avant le moindre préjudice. En effet, pour éviter le pire, on peut opérer dès que les suspects se préparent en vue de commettre un crime ou un délit. Une arrestation proactive ! Peu importe qu’ils aient ou non l’intention de passer à l’action. Leur comportement suffit. L’infraction n’est pas constituée par un « commencement d’exécution », comme pour la tentative, mais par la simple matérialisation de la pensée criminelle. À la limite du délit d’intention. Une limite déjà franchie par certains pays, comme l’Italie.
Que voulez-vous, il faut vivre avec son temps ! Au risque d’y perdre son âme, le droit pénal moderne est comme notre société, à la recherche d’efficacité. La conception romantique du délinquant politique n’est plus de mise. On imagine mal François Hollande faire adopter une loi d’amnistie pour absoudre des terroristes, comme l’a fait François Mitterrand, en 1981, pour des membres d’Action directe. Six ans plus tard, ils étaient de nouveau arrêtés à Vitry-aux-Loges (Loiret).
Peu à peu notre société glisse donc vers la répression des comportements à risque. Ce que démontre parfaitement l’arrestation de Kristian Vikernes : ses allures de néonazi ont fait peser sur lui la suspicion, alors qu’il n’est probablement que le « Canada Dry » du terrorisme. C’est du moins l’impression que l’on ressent après l’interpellation et la libération de ce Corrézien d’adoption. À moins, évidemment, que les enquêteurs de la DCRI ne cachent quelques mystérieux secrets dans leur sac à malices.
« On ne peut pas accepter des décisions comme ça », clame-t-il avec sa fougue habituelle. Les magistrats se seraient concertés pour lui « piquer ses biens » et toute cette procédure n’aurait d’autre but que de le descendre en flammes. « Je ne savais pas qu’on vivait dans un pays où l’on peut exécuter des gens avant d’avoir été jugés. » Pour lui, c’est la seule raison de cette enquête ouverte pour escroquerie en bande organisée. Pourtant, la loi du 9 juillet 2010 qui a donné aux juges et aux procureurs la possibilité de saisir les biens lors de l’enquête ou de l’information judiciaire ne vise pas que la criminalité organisée, mais toutes les infractions dont le but recherché est le profit. Et pour cela, les magistrats ont besoin d’un bilan de fortune, une sorte d’inventaire qui vient de plus en plus souvent se joindre au dossier judiciaire : l’enquête patrimoniale.
C’est l’une des missions de base de la PIAC (plate-forme d’identification des avoirs criminels). Créée en 2005, pour répondre à un besoin, à l’initiative du chef de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), la PIAC a été officialisée le 15 mai 2007. C’est un service de police judiciaire à compétence nationale, dirigé par un commandant de police, composé
de policiers, de gendarmes et de fonctionnaires relevant d’autres administrations (impôts, douanes…).
À l’époque, la loi n’autorisait la confiscation des biens avant jugement que dans quelques cas précis, notamment par mesure de sûreté (armes, produits nocifs…) ou s’ils étaient directement liés à l’infraction. Même si certains juges pugnaces allaient bien au-delà. La loi de 2010 a changé la donne en instituant un principe de base : tous les biens confiscables sont saisissables.
Autrement dit, tout ce qui pourrait être récupéré après le jugement peut être saisi avant le jugement. Quitte à procéder à une restitution en cas de non-lieu ou d’acquittement.
Les biens concernés sont donc les mêmes que ceux visés à l’article 131-21 du CP qui prévoit la peine complémentaire de confiscation. Une sanction qui peut être prononcée à l’égard de l’auteur de n’importe quelle infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an (sauf délit de presse). Et lorsqu’il s’agit d’un délit punissable d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, pratiquement
tous les biens sont saisissables, qu’ils soient ou non matériels, sauf à pouvoir en justifier expressément l’origine. La confiscation peut même être générale pour les crimes les plus graves. On parle alors de saisie patrimoniale.
Le préalable à ces saisies est donc l’enquête patrimoniale. Elle est destinée à identifier et à localiser, en France comme à l’étranger, les biens mobiliers ou immobiliers qui composent le patrimoine d’une personne condamnée ou d’un suspect. Rien de plus simple pour un individu lambda, mais dès que l’on s’attaque à un « gros poisson », les écrans et les intermédiaires se multiplient. Les enquêteurs doivent donc connaître toutes les ficelles du monde underground de la finance.
Comme toujours dans une enquête de police, tout commence par la consultation des fichiers. Les fichiers de police et de gendarmerie, mais également, par voie de réquisition, les administrations, les banques, les assureurs, le cadastre, le bureau de conservation des hypothèques, etc. Il est évident que l’interrogation des différents fichiers fiscaux (revenus déclarés, comptes bancaires, coffres-forts, immeubles, participation dans des sociétés, etc.) est le béaba de l’enquête patrimoniale. Celle-ci s’étend le plus souvent aux proches de la personne soupçonnée.
Les documents recueillis lors des perquisitions sont également une source de renseignements. Les officiers de police judiciaire doivent désormais se livrer à un « calcul patrimonial » lors des perquisitions et des scellés. En garde à vue, il est même possible de réserver un temps d’audition pour inviter la personne à s’expliquer sur ses biens.
À la finale, la PIAC dressera une fiche d’identification patrimoniale (FIP) qui pourra être exploitée par le magistrat.
Mais l’identification des biens va au-delà des frontières. Une loi-cadre de 2006 (dite initiative suédoise) prévoit l’échange direct d’informations entre les services répressifs au niveau européen. En cas d’urgence, cela peut ne prendre que quelques heures. Et il existe, depuis 2007, dans presque tous les États de l’U-E, une unité nationale de dépistage et d’identification des avoirs criminels. D’une manière plus large, le réseau CARIN (Camden Asset Recovery Inter-agency Network) permet des échanges opérationnels et juridiques entre une soixantaine de pays.
Monsieur et Madame Tapie détiennent de nombreux biens à l’étranger. Les magistrats instructeurs en possèdent donc la liste et, s’ils l’estiment opportun, ils ont la possibilité de faire appel à l’entraide judiciaire internationale pour en obtenir la saisie, ou même délivrer directement un « certificat de gel de biens », conformément à l’article 695-9-1 du CPP. La raison voudrait qu’ils se limitent à la somme en litige (278 millions d’euros) et aux acquisitions effectuées après l’encaissement de cette somme, en juillet 2008. Cependant, comme l’intéressé est mis en examen pour escroquerie en bande organisée (dix ans de prison), rien ne les empêche d’élargir leurs exigences et de demander la justification de l’origine de l’ensemble de son patrimoine.
La saisie est devenue la nouvelle arme des juges d’instruction. Une arme d’une efficacité redoutable, parfaitement adaptée à la lutte contre la criminalité organisée et qui trouve son assise sur l’enquête patrimoniale. Mais est-elle toujours justifiée ? Il ne faudrait pas que cela devienne une sanction et que le justiciable ait l’impression d’être condamné avant d’être jugé, comme le dit Bernard Tapie. La liberté de disposer de ses propres biens constitue en effet l’un des attributs les plus importants du droit de propriété.
Sur un autre plan, ce droit de propriété ne serait-il pas menacé par l’application de cette pratique à un délit aussi mal défini que la fraude fiscale ? En effet, la peine encourue dans la loi actuellement en
discussion va jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Un individu soupçonné de fraude fiscale pourra donc se voir privé de tout ou partie de ses biens, en attendant d’être jugé.
Riches ou pauvres, nous n’aimons pas trop que l’on furète dans notre vie. Ce ne sont pas les sénateurs qui diront le contraire, eux qui viennent de rejeter le projet de loi sur la transparence. L’un d’entre eux a même déclaré que la publication de leur patrimoine serait une « atteinte au droit à la vie privée ». Pas mieux ! doit se dire Bernard Tapie.
De Mesrine à DSK, un livre au titre un rien racoleur (mais nous mettrons ça sur le dos de l’éditeur) dans lequel René-Georges Querry, alias Jo, nous livre les moments forts de sa vie professionnelle. Et dieu sait si elle a été riche et variée : stups, antigang, antiterrorisme, protection des hautes personnalités… Il a même été associé à la préparation de la Coupe du monde de football.
Pourtant, en 2002, il quitte la police pour se lancer dans le privé. Il faut dire qu’on lui offre un poste en or : responsable de la sécurité pour le groupe hôtelier Accor. Un poste qui n’existe pas et qu’il faut créer de toutes pièces. Un challenge. Il a quand même dû hésiter… Je me souviens d’un déjeuner avec notre ami commun Ange Mancini, où tous deux s’interrogeaient sur l’orientation à donner à leur carrière. Ils étaient sur les rails pour devenir préfets et ils barguignaient. Pas facile de quitter la boîte ! Querry a démissionné, (avec le grade d’inspecteur général, quand même) et Mancini a sauté le pas. Et comme ce dernier vient de prendre sa retraite (de l’administration), je m’interroge pour savoir s’il va lui aussi nous livrer ses mémoires. Il aurait des choses bien intéressantes à nous raconter…
Jo, on l’attendait sur l’affaire DSK. Il est presque
minuit, ce 14 mai 2011, lorsqu’il reçoit un coup de fil dans sa voiture : Dominique Strauss-Kahn a été interpellé à l’aéroport de New York. « Il est accusé, lui dit son interlocuteur, d’agression à caractère sexuel sur une de nos femmes de ménage. » Arrivé chez lui, il appelle Ange Mancini, alors coordonnateur chargé du renseignement à la Présidence, persuadé que celui-ci est déjà au courant. Sauf que ce n’est pas le cas. C’est donc lui qui a informé le premier l’Élysée de l’arrestation du patron du FMI, et ensuite… Ensuite, il a été pris dans un tourbillon de rumeurs qui lui ont mis les nerfs à vif. « Lors de cette affaire DSK, on a épluché mon CV, relevé mon parcours. Mes amitiés professionnelles, mes divers postes, le côté flic de terrain qui voisinait avec des emplois » sensibles « , notamment au sein du ministère de l’Intérieur… ». On sent qu’il a été meurtri d’être considéré comme complice d’un coup tordu. Dans ce blog, j’ai dit combien j’étais dubitatif sur la version officielle, un rien trop lisse, de cette affaire, mais je dois reconnaître que Querry m’a convaincu en partie qu’il n’y avait pas de complot et que les choses étaient relativement simples. Une sorte d’engrenage. Strauss-Kahn s’est noyé tout seul, et personne ne lui a tendu la main – bien au contraire. Mais, lorsque Querry dit que la DGSE n’a pas ses entrées secrètes dans le groupe Accor, là, j’ai du mal à le croire. Sinon, il faudrait envisager un sérieux recyclage des cadres au sein de notre service de renseignements.
S’il débute son livre par cette épopée humiliante pour DSK, René-Georges Querry le fait pour mieux vider l’abcès. Il revient vite sur ce qui l’intéresse : la PJ. Et comme pas mal de flics, l’affaire qui l’a le plus marqué c’est la traque de Jacques Mesrine. Il est à cette époque l’adjoint de Robert Broussard. Lors de l’opération, place de Clignancourt, il est en planque dans sa GS avec deux piliers de la BRI, Gérard Marlet et Bernard Pire. Lorsqu’il aperçoit le camion piloté par Christian Lambert (l’ex-préfet du 93) débouler à toute allure le boulevard Ornano, il vient se placer sur la droite de la BM dans laquelle se trouve le truand. « Il tourne la tête, me voit avec les autres policiers qui avancent sur sa gauche. Le camion le bloque devant, j’aperçois les fusils qui dépassent. Si le Grand lève les mains… » Mais il ne l’a pas fait. Il s’est penché pour ramasser quelque chose sous son siège. Et la fusillade a éclaté. « C’est rapide. Je hurle : Halte au feu ! C’est fini. »
Quelques années plus tard, sans doute las de traîner dans les couloirs poussiéreux du quai des Orfèvres, Jo découvre les paillettes des cabinets ministériels. Sur l’album photos inséré dans son livre, on le voit côtoyer les grands de ce monde. Il a été félicité, décoré, jalousé et il a même été viré. Une vie normale, quoi ! Et pourtant, il n’a pas pris la grosse tête.
Tous les deux, on se connaît depuis les bancs de l’école de police et ce que j’ai toujours apprécié chez lui, c’est son humour au deuxième degré et cette façon de faire des choses sérieuses sans se prendre au sérieux.
Dans l’affaire Tapie, trois personnes ont été mises en examen pour escroquerie en bande organisée. Les mots sont cinglants, et surtout, ils parlent à tout le monde. Mais en droit, quel est le sens réel de cette épithète à l’infraction de base ?
La bande organisée suppose l’existence d’une organisation structurée en vue de commettre un crime ou un délit (art.132-71). Lorsque cette hypothèse est retenue, elle entraîne une aggravation de la peine, un peu comme la préméditation transforme le meurtre en assassinat. Mais surtout, elle donne des moyens d’investigation plus importants.
Dans notre droit, la différenciation est récente. Une ébauche apparaît dans la loi « Sécurité et liberté » de 1981. Mais le texte était tellement mal fichu qu’il n’a pratiquement jamais été utilisé. C’est la loi du 9 mars 2004 qui a rendu l’idée cohérente.
L’intérêt principal de la bande organisée se situe dans les pouvoirs d’enquête. Cette qualification permet des mesures dérogatoires au droit commun, assimilables à celles qui sont utilisées pour lutter contre le terrorisme, le proxénétisme ou le trafic de stupéfiants. Lorsque les magistrats ajoutent les mots magiques, les enquêteurs disposent de tout ou partie des pouvoirs détaillés dans le titre XXV du Code de procédure pénale : garde à vue plus longue, infiltration, écoutes téléphoniques, perquisitions en dehors des heures légales, sonorisation, captation d’images et de données informatiques, etc.
Toutefois, la conséquence la plus visible est l’alourdissement de la peine. En fin de parcours, c’est souvent la cour d’assises. En théorie. Car, dans la pratique, la justice « correctionnalise » à tout va. Ainsi, une information judiciaire ouverte pour vol en bande organisée passible des assises et de 15 ans de réclusion criminelle peut devenir un vol en réunion, délit passible de 5 ans d’emprisonnement. Les juges feront mine de croire que la réunion est fortuite. Il n’y aurait donc ni organisation ni préméditation.
Il pourrait bien en être ainsi dans l’affaire du Carlton de Lille. Les personnes poursuivies, dont DSK, ont été mises en examen pour proxénétisme en bande organisée. Une infraction qui relève de la Cour d’assises, punissable de 20 ans de réclusion criminelle et de 3 millions d’euros d’amende. Or, au terme de ce dossier particulièrement médiatisé et qui a coûté fort cher au contribuable (il y aurait plus de 3.000 P-V), les juges envisageraient de requalifier l’infraction en proxénétisme en réunion (10 ans d’emprisonnement), ce qui permettrait au procès de se tenir devant un tribunal correctionnel. En l’occurrence, il faut reconnaître que des magistrats professionnels montreraient peut-être plus de sérénité qu’un jury populaire dans une affaire qui a un peu chatouillé l’opinion publique.
La bande organisée permet donc de donner des armes supplémentaires aux juges et aux enquêteurs. Mais la généralisation de son application semble donner raison aux juristes qui s’inquiètent de cette vulgarisation des moyens dérogatoires au droit commun. Et si son utilisation devait devenir une ficelle juridique, il y a fort à parier que, sous la pression de la Cour européenne, le législateur pourrait être amené un jour ou l’autre à revoir sa copie.
Et pour revenir à l’affaire Tapie, en clin d’œil à Brassens, qui sera le cinquième de la bande ?
En ce mois de mai 2013, les parlementaires se sont penchés sur deux rapports concernant les services de renseignement français. Le premier concerne l’encadrement juridique de leur action, tandis que le second analyse leur fonctionnement « dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés ». Et comme les deux portent la griffe du député Jean-Jacques Urvoas, on retrouve un peu de l’un dans l’autre. À la lecture de ces documents, au demeurant fort intéressants (que l’on peut trouver ici et ici), il reste une question en suspens : Faut-il accorder aux agents qui luttent contre le terrorisme des pouvoirs extra-judiciaires ?
De quoi s’agit-il ? De donner à des policiers des pouvoirs de police administrative équivalents à ceux qu’ils détiennent dans le cadre d’une enquête judiciaire : surveillance, captation d’images, de sons, géolocalisation, intrusion occulte dans un domicile, une voiture… Tout cela sur des personnes qui n’ont commis aucun crime, aucun délit. De simples suspects.
Quels sont les services concernés ?
Les principaux acteurs du renseignement français sont au nombre de six, mais trois seulement ont un rôle important dans la lutte contre le terrorisme :
La DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), autrefois surnommée La Piscine en raison de la proximité de ses bureaux avec la piscine des Tourelles, est chargée du renseignement et de l’action à l’extérieur des frontières. Sous sa forme actuelle, ce service a été créé en 1982. Il a remplacé le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), lequel a été rattaché au ministère de la Défense en 1966, après l’affaire Ben Barka. La DGSE n’a aucune relation avec la Justice.
Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est rattaché au ministère des Finances. Ce service a été créé en 1990 pour lutter contre le blanchiment d’argent. Dix ans plus tard, il a vu ses compétences élargies à la lutte contre le financement du terrorisme, et, en 2007, il a rejoint la communauté du renseignement. Il y a deux ans, une cellule spécifique a été créée pour mieux détecter le financement du terrorisme. Un travail de fourmi. C’est un service d’enquêtes administratives.
La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) a été créée en 2008 en mariant la DST (Direction de la surveillance du territoire) et une grande partie de la DCRG (Direction centrale des renseignements généraux). Particularité française, c’est à la fois un service secret et un service de police judiciaire.
C’est cette double casquette qui pose problème, car, comme tout service secret, une partie de son activité est clandestine, voire entachée d’illégalité. En revanche, dès qu’un OPJ de la DCRI rédige un procès-verbal, il doit respecter scrupuleusement la loi et il agit alors sous le contrôle d’un magistrat. Or, les informations recueillies en tant « qu’agent secret » ne peuvent figurer dans une procédure, sauf à se livrer à des acrobaties qui aboutissent souvent à des dossiers bancales et à mettre les magistrats dans l’embarras (l’affaire de Tarnac en est un bon exemple). Ainsi, le juge anti-terroriste Marc Trévidic n’hésite pas à déclarer devant les parlementaires : « J’ai moi-même été amené à faire des choses qui ne sont pas légales, car il n’est pas possible de faire autrement… ».
Alors, pour pallier cette difficulté, le député Urvoas, qui est aussi le président de la Commission des lois, propose de faire adopter une loi qui aurait l’avantage de rendre les choses illégales légales.
Aucun risque de dérapage, nous assure-t-il, car aujourd’hui l’État ne peut se soustraire aux juridictions administratives ou à l’acuité des médias. Lire dans un rapport parlementaire que les journalistes sont là pour assurer le contrôle de l’État est assez surprenant…
Yves Bertrand, l’ancien directeur des RG, qui vient de mourir, déclarait l’année dernière à Médiapart (cité par Wikipédia) en parlant de la création de la DCRI « On ne fusionne pas un service dont la vocation est avant tout judiciaire et opérationnelle, comme la DST, avec un service d’information, comme les RG (…) sinon pour créer une » police politique » ». Je ne suis pas loin de partager son avis. En tout cas, si le rapport parlementaire sur « le nouveau cadre juridique pour les activités du renseignement » est suivi d’effet, on prend le risque de s’en approcher un peu plus.
Vous me direz, il faut bien se donner les moyens de lutter contre le terrorisme !
Comment lutter contre le terrorisme ? – En fait il y a deux méthodes pour combattre ce fléau. Soit on estime qu’il s’agit d’une guerre, et alors le terroriste est un ennemi qu’il faut éliminer à tout prix. Dans ce cas, la Justice devient un obstacle. C’est la voie choisie par les États-Unis. Pour les autorités de ce pays, on se trouve en présence d’un conflit d’un nouveau genre, sans uniforme et sans patrie, et l’on peut par conséquent s’affranchir de toutes les conventions internationales. – Mais ceux qui font le sale boulot ne sont pas des policiers.
Soit on considère les terroristes comme des criminels et on les combat par le code pénal. C’est la méthode européenne. Pour nous, Français, cette démarche est conforme à notre passé qui veut que l’on ne déclare pas la guerre à des hommes mais seulement à des États et que l’on ne condamne pas a priori un mouvement, mais uniquement ceux qui, à l’intérieur de ce mouvement, se livrent à des actes criminels. Et cependant, il faut bien reconnaître que la menace islamiste remet les pendules à l’heure, car l’action d’un juge ne sera jamais suffisante.
Pourtant, il n’y a pas d’alternative : le terroriste est un ennemi ou un justiciable. Et se cacher derrière une loi pour effectuer des opérations hors la loi relève du clair-obscur. Dans les services techniques de la DST où j’ai œuvré durant plusieurs années, il y avait des fonctionnaires qui posaient des micros, d’autres ouvraient les serrures, d’autres le courrier… Chacun savait qu’il faisait une chose illégale, mais c’était pour la bonne cause, du moins le croyait-on (le contre-exemple étant la pose de micros dans les locaux du Canard Enchaîné). Si ces actes avaient été couverts par une loi, ils n’auraient eu que l’apparence de la légalité. Ce que le professeur Massimo Donini, de l’Université de Modène, qualifie de « droit pénal de l’ennemi », et qu’il ne considère en aucun cas comme un droit légitime. Il faut prendre garde de ne pas glisser de l’État de droit à l’État de police, ajoute-t-il dans la Revue de science criminelle 2009.
À ce jour, on peut dire que les deux méthodes sont plutôt inefficaces. Mais la méthode américaine présente au moins l’avantage de bien séparer le terrorisme des autres activités criminelles. Alors que chez nous, il y a fréquemment confusion des genres et les décisions prises pour lutter contre le terrorisme s’appliquent souvent à des infractions de droit commun. Et, à l’arrivée, nos libertés individuelles sont de plus en plus écornées, au point aujourd’hui de pouvoir condamner quelqu’un non pas pour un crime ou une tentative de crime, mais pour une simple intention criminelle.

Chérie, tu peux arrêter l’aspirateur ! Je suis en train de lire Urvoas dans le texte.. et le bruit m’empêche de me concentrer.
Il n’existe sans doute aucune solution satisfaisante, mais notre exigence de sécurité ne doit pas nous inciter à faire n’importe quoi. Il faut faire le moins mal possible. Il existe bien l’article 15 de la Convention européenne de droits de l’homme qui prévoit des dérogations à certains grands principes. Et notre Constitution, elle, renforce sérieusement les pouvoirs de police administrative lorsque l’état d’urgence est décrété. Alors, il y a peut-être quelque chose à envisager en se rapportant à ces textes… Une sorte d’état d’urgence au coup par coup : pour un temps déterminé et pour des faits précis, il serait accordé des pouvoirs exceptionnels à des services de police spécialement désignés… Et leur action serait contrôlée a posteriori. Mais finalement c’est peut-être ça que préconise M. Urvoas.
Allez, je vais relire les 360 pages de ses deux rapports…
Le jeune homme qui a avoué avoir violé et tué Léa, à Montpellier, une nuit de la Saint-Sylvestre, sera-t-il un jour jugé ? En tout cas, si, malgré les arguties juridiques, il doit rendre compte de ses actes devant un jury d’assises, son procès sera bardé d’incertitudes. Mais pas sûr qu’il ait lieu. On le saura le 18 mai prochain.
Pourtant, pour Thomas Meindl, le juge qui a instruit l’enquête, les faits ne font guère de doutes. Rarement une affaire criminelle n’aura été aussi carrée. Du moins dans les actes – car sur le plan juridique, on patauge dans la semoule. Aussi, il y a une quinzaine de jours, il a refermé son dossier en ordonnant la mise en accusation du dénommé Seureau Gérald, 26 ans, pour avoir dans la nuit du 31 décembre 2010 donné volontairement la mort à Léa. Crime accompagné de plusieurs viols caractérisés.
Mais l’avocat du (futur ?) accusé ne l’entend pas de cette oreille. Il a fait appel de cette décision et demande à la chambre d’instruction de constater l’insuffisance de charges, en tenant compte du fait que les aveux de son client ne sont pas conformes au droit : absence d’avocat lors des auditions et droit de garder le silence. Pour lui, avec ce qu’il reste dans le dossier, il pourrait tout au plus être poursuivi pour des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
On imagine la consternation de la famille de la victime. Et ce sentiment de révolte, cet écœurement, contre une justice qui ne ferait pas justice.
Et pourtant, dans cette affaire, les enquêteurs, les magistrats, tout le monde a fait son job. Aucune erreur.
Enfin si. On peut quand même reprocher aux policiers de ne pas avoir prévu que quelques mois après ce crime, les députés allaient adopter une loi pour réformer la garde à vue. Un truc qu’on n’apprend pas encore dans les écoles de police : prévoir le futur.
Donc, en ce 1er janvier 2011, Gérald Seureau a reconnu ses crimes, après avoir – comme c’était la règle à l’époque – simplement consulté son avocat. Et, 3 mois plus tard, nos élus pondent un texte plus conforme au droit européen applicable en principe au 1er juin 2011. Toutefois, pour éviter l’annulation des procédures en cours, on déroge et l’on applique les grandes lignes dans l’urgence. Et urgence il y a, puisqu’au lendemain de cette loi, la Cour de cassation estime en deux mots que toutes les gardes à vue antérieures sont entachées de nullité. Une tempête judiciaire. Heureusement, il y a dans le code de procédure pénale un petit article, le 173-1, qui fixe la durée de l’appel à 6 mois après la mise en examen. Ouf ! On limite la casse.
Mais pour le meurtre de Léa, on est en plein dedans.
Durant sa garde à vue, Gérald Seureau fait des aveux circonstanciés. Et comme c’était à craindre, en juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse annule tous les procès-verbaux d’auditions ainsi que les enregistrements audiovisuels afférents et certaines investigations connexes.
Néanmoins, le dossier n’est pas vide. Il existe contre lui de nombreux témoignages et des éléments matériels : sa gourmette retrouvée sur les lieux du crime, ses vêtements tâchés du sang de la victime, saisis à son domicile, et surtout des traces de sperme, identifié comme étant le sien, prélevées en plusieurs endroits sur le corps de la jeune fille.
Mais aujourd’hui, Gérald Seureau, ne se souvient plus de rien. Tout au plus reconnaît-il un flirt avec Léa et quelques coups sans conséquences qu’il lui aurait administrés.
Alors, peut-il s’en sortir comme ça ?
On peut résumer les premières heures de l’enquête de la manière suivante :
Vers 21 heures, le père de Léa vient signaler au commissariat la disparition de sa fille. Il est accompagné de Seureau, la dernière personne à lui avoir parlé. Les policiers enregistrent son témoignage, mais, lorsqu’il retire un gant pour signer son P-V, ils constatent l’existence d’ecchymoses sur sa main. On peut penser qu’ils le pressent de questions. Il y a peut-être quelque part une jeune fille à sauver ! Dans le même temps, un témoin déclare que, lorsqu’il a aperçu le jeune homme vers 14 heures, il a remarqué qu’il avait des griffures sur les avant-bras, que son tee-shirt était déchiré et que son pantalon portait une large tache de sang.
Spontanément, Gérald Seureau avoue alors qu’il a abandonné Léa dans un parc, sans trop savoir dans quel état elle se trouvait. Et il accepte de conduire les enquêteurs sur place. Sur ses indications, ceux-ci découvrent le corps dénudé et sans vie de la jeune fille. Lors de l’autopsie, les médecins légistes noteront de nombreuses blessures et des lésions en plusieurs endroits consécutives à des pénétrations sexuelles.
Entre ces événements et les éléments matériels subsistants après l’écrémage de la Cour d’appel, il reste probablement suffisamment d’éléments pour convaincre les jurés d’une Cour d’assises. Mais qu’en dit le droit, ou plutôt la jurisprudence ?
« Quand bien même des aveux auraient été recueillis au cours d’une garde à vue s’étant déroulée dans des conditions irrégulières, il reste possible à la juridiction de jugement de prononcer une déclaration de culpabilité dès lors que cette déclaration se fonde sur des éléments autres que ces aveux » (Xavier Salvat, avocat général à la Cour de cassation – Revue de science criminelle 2013). Mais encore faut-il que ces « éléments autres » n’aient aucun lien avec les aveux obtenus hors de la présence de l’avocat, a décrété la Cour de Strasbourg en 2012. En fait, pour résumer, en cas de jugement et de condamnation, il appartiendrait probablement à la plus haute juridiction pénale, voire à la Cour de Strasbourg, de vérifier que cette condamnation a été faite sans tenir compte des zones de l’enquête invalidées.
Un long parcours judiciaire.
Karine Bonhoure, la maman de Léa, crie son indignation : « Le procès, initialement prévu au début de l’année 2012, n’a toujours pas eu lieu. Je me trouve aujourd’hui confrontée, pour la quatrième fois, à un recours de la défense… » Face aux techniciens du droit, elle n’a que sa douleur. Seuls les élus locaux l’appuient. Dans la mairie de Mauguio, près de Montpellier, un livre de soutien a été ouvert. Et, le 15 mai à 18 heures 30, une réunion silencieuse est prévue à Montpellier, Toulouse et Paris.
À qui devons nous ce pataquès ? Je vous laisse juge. En tout cas, si Gérald Seureau évitait le procès, ou s’il devait être acquitté aux seuls bénéfices de règles de procédure pénale, je me demande si la famille de Léa ne pourrait pas attaquer la France devant la Cour européenne pour déni de justice.
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Sur son blog, Maître Éolas voit les choses de façon différente : De l’absurde jusqu’au droit.
L’ancien ministre de l’Intérieur a justifié des dépenses en liquide par des primes reçues de la main à la main alors qu’il était directeur de cabinet Place Beauvau. Du coup, l’ancienne ministre de la Solidarité Roselyne Bachelot se désolidarise de son pair et le traite gentiment de menteur ou de voleur. Et, bouclant le grand 8, si j’ose dire, M. Guéant lui rétorque qu’elle n’y connaît rien et qu’il y avait sous l’ère Sarkozy deux régimes de primes différents. Ce que dément un autre ancien ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant.
Comment s’y retrouver dans cet embrouillamini ? On est tiraillé entre l’idée qu’ils nous racontent tous des craques ou celle qu’ils n’y connaissent rien. Et je ne sais pas ce qui est le plus inquiétant.
Si les primes de cabinet en liquide ont été supprimées par Lionel Jospin en 2002, n’en déplaise à ceux qui veulent que ça saigne, M. Guéant a raison. Il a existé, après cette date, au sein du ministère de l’Intérieur, une sorte de pompe à fric parallèle pour attribuer aux policiers des primes qui officiellement n’en étaient pas. Et cette carotte n’est pas celle d’un homme, mais d’un système qui a duré plusieurs décennies. Cela concernait aussi bien les frais de déplacements plus ou moins bidons que des fonds spéciaux, au cas où. Et pour les « belles affaires », il y avait les primes de réussite. Ce qu’on appelait si j’ai bonne mémoire les « secteur 2 ».
À une époque plus lointaine, à la préfecture de police, dans leur chasse aux proxénètes, les enquêteurs de la brigade mondaine parlaient de la prime au julot ou « julot casse-croûte ». Un brin de poésie ne nuit pas à l’efficacité…
Tout cela en bon argent sonnant et trébuchant. Bien entendu, pour débloquer ces fonds, il fallait l’aval du contrôleur financier, mais ensuite, il n’y avait pratiquement pas de contrôle sur la répartition. Et entre le ministre et le policier de base, les intermédiaires étaient nombreux.
Il est donc exact, comme l’affirme M. Guéant que, même après 2002, et durant encore plusieurs années, des milliers de fonctionnaires de police touchaient chaque mois une enveloppe en argent liquide. Même si, pour le lampiste, elle n’était pas très épaisse. Une somme qui dépendait du grade et du service et dont le percepteur ne voyait jamais la couleur. Parfois, bobonne non plus ! Et comme les billets de la Banque de France s’entassaient chaque mois sur le bureau du ministre avant de redescendre toute la hiérarchie, il n’est pas invraisemblable de penser que chacun se servait au passage… D’après ses dires, M. Guéant faisait partie de la chaîne.
D’ailleurs, à la direction générale, tout le monde se souvient de la « boite à biscuits d’Henriette ». C’était elle, la secrétaire du grand patron,
qui assurait la distribution. Inutile de dire qu’elle était chouchoutée…
Ces temps sont évidemment révolus. Aujourd’hui, toutes les primes portent des abréviations énigmatiques et sont virées en même temps que le traitement. Enfin, presque toutes… il existe encore ici et là, des sommes en liquide mises à la disposition des chefs de service pour des missions exceptionnelles. Et si, en fin d’année, tout n’a pas été dépensé, ledit chef de service distribue le solde à ses hommes. Bof, un pourboire !
Alors, même si tout le monde lui tombe dessus, Claude Guéant ne ment pas. Mais on peut aussi se dire que ce grand commis de l’État, comme disent ses amis, tapait dans la caisse des flics. Et je trouve finalement assez amusant qu’à la suite d’une perquisition effectuée par ces mêmes flics, il soit obligé de justifier l’origine de ces fonds.
Allez, soyons miséricordieux. Après tout, comme disait Jean-Paul Sartre dans Les mains sales : Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ?








