La guerre des casinos, l’appétit de la mafia italienne et une série de règlements de comptes entre truands… autant d’événements qui faisaient désordre dans la capitale azuréenne, à la fin des années 70.
On dit qu’un jour, le Président de l’époque, un certain Giscard d’Estaing, a tapé du poing sur la table : « Keskevoukontéfer? » a-t-il demandé au ministre de l’Intérieur, un certain Christian Bonnet. Le Bonnet s’est gratouillé la tête (sous son chapeau) pour faire jaillir une idée. Puis finalement, il s’est retourné vers le directeur central de la police judiciaire, un certain Maurice Bouvier : « Keskevousalléfer ? », lui a-t-il demandé. Bouvier n’avait pas plus d’idée sur la question que son ministre. Mais c’était un vieux routier de l’administration. Au débotté, il a répondu n’importe quoi. Du genre : Faut créer une BRI à Nice.
C’est souvent comme ça que s’écrit l’Histoire. Ou pour le moins la petite histoire de la PJ.
C’est ainsi qu’il y a 30 ans, Bouvier m’a chargé de mettre sur pied la brigade antigang *. Et qu’une petite trentaine de policiers se sont retrouvés assis par terre, en cercle, dans la salle vide d’un bâtiment délabré abandonné par l’Armée de Terre, dans le quartier Saint-Roch, à Nice. Car on avait désigné les gens, mais rien n’était prévu pour les accueillir. Il a fallu se battre pour le moindre crayon. Mais le jeu en valait la chandelle, car non seulement on peut dire qu’on a obtenu des résultats, mais en plus… on s’est bien amusés.
C’est ce que me rappelait la dizaine de vétérans qui avaient fait le déplacement, il y a quelques jours, jusqu’à ce restaurant de Carros, dans l’arrière-pays niçois. Là où était organisé ce repas d’anniversaire.
Les souvenirs fusaient…
Tu te souviens Lorsqu’on a serré X. On peut dire qu’il nous avait fait ch… Surtout qu’avec sa Ferrari, on n’arrivait pas le filocher. C’est C. qu’a ramené sa caisse à la brigade. On se demandait pourquoi il n’avançait pas… 70 avec une Ferrari, c’est pas la peine. À l’arrivée, le moteur était nase et innocemment il nous dit : « Je roulais en première… J’ai pas réussi à trouver la seconde… »
Et la fois où le Chinois a coincé le soum (sous-marin : fourgon de planque) dans le souterrain… Et la fois où l’on attendait un braqueur pour le serrer à la descente d’avion et qu’on s’est gouré de bonhomme. C’était un haut fonctionnaire. Il a fallu s’excuser, mais, beau mec, il n’a pas porté plainte – malgré ses ecchymoses.
Au dessert, c’était plus nostalgique. Les pépins, les bavures, les drames… On a eu une pensée pour ceux qui n’étaient plus là. Non sans émotion, Chico nous a rappelé comment le terroriste Carlos a froidement abattu ses copains de la DST. Le lascar est sorti de la salle de bain, tout nu, juste une serviette à la main. Et une arme. Une balle dans la tète pour chacun, et le coup de grâce, au sol. Un projectile a même traversé le plancher pour aller transpercer le journal que lisait un pépé, à l’étage en-dessous. Aucun de ses collègues de la DST n’était armé. Ils venaient juste pour notifier un arrêté d’expulsion.
Il y avait peut-être deux cents personnes à ce repas d’anniversaire. Avec des policiers de Nice, bien sûr, mais aussi de Marseille, Montpellier, Bordeaux… Autant de villes où à présent il existe une brigade antigang.
Et à les voir ainsi festoyer, je me disais que s’il y a une chose que les flics savent bien faire, c’est la bamboula.
Avant le repas, malicieusement, mon complice de l’époque, le commissaire Pierre Guiziou, m’avait poussé à prendre la parole. Ils étaient là, tous ces flics, debout devant moi, en demi-cercle, à s’interroger : Qui c’est ce vieux con qui s’agrippe au micro ?
Et je vais vous faire une confidence… Alors, j’ai compris quelque chose : Dans la police les moyens ont changé, les techniques ont changé, les grades ont changé, mais les hommes, ce sont les mêmes. Les mêmes qu’il y a 30 ans.
Et je voulais leur dire combien j’aurais souhaité me retrouver à leurs côtés. Au lieu de ça, j’ai bafouillé quelques banalités. J’avais trop peur de craquer.
Un flic, la larme à l’œil, cela n’aurait pas fait pas sérieux.
___
* Voir sur ce blog dans » La PJ sous Giscard (3) » : […] C’est ainsi que s’est tenue la première réunion de la brigade antigang de Nice. Alors que nous discutions, j’observais ces hommes (et cette femme) qui allaient constituer cette brigade de choc… Cliquer pour lire la suite.
Merci encore d’avoir accepté de vous joindre à nous l’espace d’une journée. Votre présence m’a redonné un brin de vitalité au sein de cette BRI que j’aime pour tout ce qu’on y vit. Surtout ces moments inoubliables où, après avoir conclu une affaire dans la douleur, « un dégagement » s’impose. On ne sait pas combien de temps il va durer alors on en profite.
Les anciens m’ont transmis leur passion, je la vis souvent religieusement et chaque jour est un combat pour ne pas « fonctionnariser » la BRI.
A bientôt j’espère car l’organisation de cette journée m’a privé d’instants précieux à vos côtés.
En tous cas rendez-vous pour les 40 ans de la Brigade.
pfff !
la concurrence…
@+
torquemada
super cet article 🙂 C’est vrai que ça doit mettre les boules de ne plus être là avec vos collègues. Mais vous avez fait du bon boulot:)
Les grosses crapules ont tout de même morflé, même le chinois lol!
Et des sales types comme Carlos, je suis certaine qu’un jour ou l’autre, ils serrons tous serrés.(même si ça pousse comme des champignons c bêtes là)
Bon, moi je suis de Nice! Alors à quand une petite garde à vue avec Monsieur Moréas? lol (C’est juste histoire d’aller s’en trancher une dans un p’tit resto de Carros…ou autre! lol)
Bravo pour tout 🙂 L
J’allais vous demander si les petits noms de chacun étaient revenus ,ceux que l’on disait tout haut, ces petits noms parfois les mêmes que ceux vos « clients » et qui humanisent un peu plus les rapports d’un groupe ,d’une famille …
En regardant la suite j’en ai découvert quelques uns..
Que l’on soit ancien combattant ,ancien flic ,ou issu d’une même école ,même si elle n’était pas grande ,c’est toujours un plaisir de regarder en arrière ,la mémoire ne retient souvent que le meilleur.. et on relativise avec les années les chicaneries du passé