PARTIE 8 – Le démantèlement de la French connection, à Marseille, et surtout le durcissement de la législation concernant le trafic de drogue, font comprendre aux « survivants » qu’il est temps de changer de négoce. Tandis que Vanverbergh, alias Francis le Belge bronze rayé derrière les barreaux, Zampa étend son activité en direction du monde du jeu. C’est alors qu’un nouveau larron vient bouleverser la donne, Jacques Imbert, dit Jacky le mat. Pour montrer qu’il « en a », il n’hésite pas à racketter Jean-Dominique Fratoni, le patron du tout nouveau casino à Nice, le Rhul.

lenquete-corse-par-petillon.1172417345.jpgLes malandrins semblent mieux organisés que les policiers, car pour la PJ, la vie n’est pas rose. Les investigations en matière de grand banditisme (on parle aujourd’hui de criminalité organisée), sont contrariées par des structures administratives et judiciaires qui, dans les années 70, étalent leur inadéquation. Les juges d’instruction, isolés dans leur sanctuaire, traitent leurs dossiers au cas par cas, incapables de débobiner l’écheveau de la guerre des gangs. Et les policiers ne font pas mieux, souvent pour des raisons identiques, ou pire, par rivalité. S’ajoute à cela, le début d’une véritable concurrence avec la gendarmerie qui ne veut plus être « la police des campagnes ». À tel point que le gouvernement de Pierre Messmer désignera une commission pour étudier les relations gendarmerie-PJ : la commission Tricot. Composée de personnes incompétentes (dans ce domaine), le rapport Tricot enfante, en janvier 1973, un amoncellement de banalités. Pour faire taire les flics, vingt ans après la création de l’office des stups, un décret du 11 octobre 1973 créé l’office central pour la répression du banditisme (OCRB). On adore en France ce genre de réforme qui ne coûte rien et qui donne l’impression qu’on a réglé le problème. L’office du banditisme mettra de longues années à trouver sa voie. Le commissaire Bellemin-Noël, chef de la 4° division, axe son activité sur la documentation et l’assistance aux autres services. Il choisit un commissaire du SRPJ de Versailles, Joseph Lebruchec, pour le diriger. Les commissaires qui lui succèdent : Lucien Aimé-Blanc, Charles Pellegrini ou moi-même…, voient les choses différemment. Ils sont nettement orientés vers l’intervention et le coup d’éclat. Les frictions avec la BRI de Paris sont inévitables. En effet, la brigade antigang, est enclavée dans un territoire limité à la capitale et à la petite couronne, tandis que l’office bénéficie d’une compétence nationale. Pour ces raisons, le commissaire Robert Broussard, alors chef adjoint de la BRI, et avant tout homme de terrain, se retrouve souvent borderline avec la procédure pénale. Heureusement, son patron, le commissaire Marcel Leclerc, plus diplomate, et de surcroît docteur en droit, est là pour arrondir les angles.

En 1972, l’OCRB accueille l’inspecteur Jacqueline Marinont, l’une des premières femmes affectée en PJ. Deux ans plus tard, le corps des commissaires s’ouvre également au sexe autrefois dit faible. Et en 1978, on verra pour la première fois une femme « gardien de la paix » (gardienne ?).

Pendant ce temps, chez « les hommes », le toilettage se poursuit. Les hostilités démarrent en mars 1973, avec l’exécution dans le parking de son immeuble, à Nla-mafia-vsd.1172417528.jpgeuilly, de Raphaël Dadoun, alias Yeux de velours. Dadoun n’est pas n’importe qui. Il a participé, en 1964, au braquage de la bijouterie Colombo, à Milan, qui reste l’un des plus beaux coups jamais effectué. Il est acoquiné aux frères Zemour. Et Jean-Louis Augé, dit Petit Jeannot, le parrain incontesté du milieu lyonnais, le considère comme son frère. La raison de ce règlement de comptes est, semble-t-il, l’association « un peu forcée » entre Dadoun et Gabriel Loreau, alias Gaby le chanteur. Ce dernier, tenancier de plusieurs boîtes de nuit sur Paris, âgé de 60 ans, préfère pactiser avec le clan Zemour plutôt que défendre son patrimoine l’arme à la main. C’est en fait le début d’un conflit entre le clan Zemour et le clan des Siciliens. Une trentaine de cadavres plus loin, le point final sera probablement le meurtre d’André Gau, surnommé Dédé le gode (on reviendra sur ce surnom incongru), en décembre 1987, dans une cabine téléphonique de Neuilly.

Pour la première fois, en 1974, un débat télévisé oppose deux candidats aux présidentielles. On se souvient des petites phrases de Giscard d’Estaing envers François Mitterrand : « Vous êtes un homme du passé… » ou bien « Vous n’avez pas le monopole du cœur… » Après un coup tordu (l’appel des 43 ) manigancé par Jacques Chirac pour évincer Chaban-Delmas, Giscard d’Estaing bat Mitterrand de 420.000 voix. Et Chirac est nommé Premier ministre.

Tandis que « les grands » s’amusent à nos dépens, une nouvelle forme de criminalité, importée d’Italie, émerge en France : les enlèvements avec demande de rançon. La série sera longue (Hazan, Thodoroff, Fériel, Révelli-Beaumont, Empain…) avant qu’une décision difficile (mais nécessaire pour enrayer cette pratique) ne soit prise : on ne paie pas. L’un des premiers enlèvements répertoriés est celui de Christophe Mérieux, âgé de 9 ans, en décembre 1975. Les ravisseurs exigent une rançon de vingt millions de Francs. Le père, propriétaire d’un groupe pharmaceutique, a le bras long, il peut aisément réunir une telle somme, mais le ministre de l’intérieur, Michel Poniatowski, refuse de céder. Alain Mérieux, relation personnelle du commissaire Claude Bardon, et surtout de Jacques Chirac, passe outre. Il remet la rançon aux ravisseurs. Les kidnappeurs enferment l’enfant dans un sac et l’abandonnent dans une poubelle. Le jeune garçon parvient à se libérer et rentre chez lui, en stop. Alors que toutes les forces de l’ordre sont à sa recherche, il sonne à la porte de son domicile et, d’une petite voix, annonce dans l’interphone : « C’est moi ! » Louis Guillaud, alias la carpe, est arrêté deux mois plus tard, alors qu’il troque des billets de la rançon contre des lingots d’or. L’un de ses complices, Jean-Pierre Marin, est abattu lors de son interpellation, le 5 mars 1976. Il est probablement l’un des assassins du juge Renaud. Christophe Mérieux est mort en juillet 2006, d’une crise cardiaque. Jean-Louis Guillaud, condamné à vingt ans de réclusion, a été libéré au bout de quatorze ans. Il coule une retraite paisible dans le nord du pays. La moitié de la rançon n’a jamais été retrouvée.

Giscard d’Estaing créé un secrétariat à la condition féminine, qui sera confié à Françoise Giroud, et, en juillet 1976, Chirac démissionne (ceci n’a rien à voir avec cela). Il est remplacé par Raymond Barre, qui coiffe deux casquettes : Premier ministre et ministre des finances. Économiste reconnu, il prône une politique de rigueur dont ne veut ni la gauche ni la droite. Bloqué dans son action par l’approche des élections législatives, il attendra 1978 pour mettre en place « le plan Barre ».

Cette année-là, dans la région lyonnaise, la criminalité liée au grand banditisme connaît un pic. Poniatowski décide de réagir. Il crée une antenne de l’OCRB, sous la forme d’une BRI. C’est la première brigade antigang de province.

Moi, à la sortie de l’école de police, je suis bombardé chef du groupe de répression du banditisme, au SRPJ de versailles. Je n’ai aucune expérience, et je me trouve un peu dans la situation du toréador qui s’apprête à descendre dans l’arène. A part que je n’ai jamais vu de taureau. Le service est en sous-effectif, et les commissaires enchaînent les semaines de permanence à un rythme soutenu. Voici, l’une de mes premières permanences : Je suis au lit depuis peu de temps. Le téléphone sonne…

Mon premier cadavre – Vous connaissez le cimetière de Poissy, la nuit, quand le thermomètre se balade autour de zéro ? Vous laissez votre voiture devant la grille et vous prenez l’allée de droite. La lune, derrière les nuages, éclaire votre chemin et balance sur les murs des ombres qui s’agitent comme autant de fantômes. Le vent siffle dans les arbres. Vos dents s’entrechoquent. Le froid, bien sûr. Là, vous êtes en condition ?

Au fond du cimetière, une baraque : la morgue. Je pousse la porte d’un air dégagé. La lumière blanche des néons m’aveugle. Une forte odeur d’antiseptique. Une autre, plus sournoise, prenante et écœurante. Une odeur qui met l’imagination en branle. Sur la table, un corps plié en quatre, attaché par une grosse corde, dans une position qui pourrait être lubrique, si ce n’était son état de décomposition. Des lambeaux de sous-vêtements tentent de cacher une nudité qui n’en a plus rien à foutre. Et l’odeur, toujours. (Cliquer pour voir la photo, mais interdit aux personnes sensibles.)

enigme-picsou.1172480131.jpgLe cadavre a été repêché dans la Seine. A priori, il s’agit d’une femme, entre 20 et 30 ans. Les bêtes lui ont dévoré la moitié du visage. Rien pour l’identifier, si ce n’est ses bouts de vêtements et une alliance. Je fixe « la femme ». Le corps est brun, presque noir, comme momifié. Le buste est quasi entier, tandis que les jambes ne sont que lambeaux de chair. C’est insuffisant pour recouvrir les os. La tête ressemble à une tête de mort typique, telle qu’on la voit sur les pavillons des pirates, ou telle que les enfants en dessinent sur leur cahier de classe. Elle rit de toutes ses dents.

Quelle est ton histoire, ma belle ? Pute, victime d’un règlement de comptes ? Épouse d’un mari jaloux ? Jeune fille jouet d’un détraqué ? Ça va pas être facile… Il faut que tu m’aides un peu. Le seul moyen de l’identifier est de faire un gant de peau, c’est-à-dire, « décalotter » chaque doigt, découper la peau et l’enfiler sur un support, pour tenter de récupérer ses empreintes digitales. Mais nous n’avons pas le matériel. Les deux vieux poulets qui m’accompagnent guettent la réaction du jeune commissaire. J’hésite. C’est le genre de situation qu’on n’envisage pas dans les écoles de police. J’attrape la main gauche du macchabée, et je commence à tirer…

Appelé sur une autre affaire, j’ai oublié les… mains dans la boîte à gants de ma voiture. Lorsque j’y ai pensé, à cause de la putrescence, il était trop tard pour le gant de peau. La morte de Poissy n’a jamais été identifiée. Son assassin court toujours.

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