PARTIE 33 – En revisitant l’année 2004, on s’aperçoit qu’elle est raccord avec l’actualité. Pour la police judiciaire, c’est une époque de mutation: nouveaux textes de loi et avancées technologiques renvoient définitivement Clemenceau et ses brigades du tigre au musée de la police.
Il s’agit pour les policiers de mettre en application la loi Perben II qui a nettement durci le ton contre « les nouvelles formes de délinquance et de criminalité » et la loi sur la sécurité intérieure, dite loi Sarko II.
D’une certaine façon, on a minimisé l’importance de ces textes en médiatisant la pénalisation du racolage passif ou les rassemblements dans le hall des immeubles, mais il s’agit de bien autre chose : pose de micros et de caméras dans les lieux privés, garde à vue de quatre jours, perquisitions de nuit, accès aux fichiers informatiques des administrations, interconnexions entre les différents fichiers de police et de gendarmerie, ouverture des bases de données des services d’Internet, banalisation du fichier Adn, etc.
De fait, ce chambardement juridique s’applique quasiment à toutes formes de délinquance sauf la criminalité et la corruption financières. Alors qu’aujourd’hui on découvre sans cesse de nouvelles malversations qui portent sur des milliards d’euros, on peut se dire que le législateur a manqué une marche. Ce ne sont ni les putes ni les jeunes qu’il fallait viser mais les traders et les banquiers.
Pour expliquer cette exception, le rapporteur (le sénateur de la Mayenne François Zocchetto) a estimé que les infractions financières étaient « rarement le fait de bandes organisées ».
Et pourtant, dans le même temps, la Cour d’appel confirme les condamnations infligées à une quarantaine de personnes impliquées dans une gigantesque escroquerie entre la France et Israël. Il s’agit de l’affaire dite du Sentier. Parallèlement, une seconde enquête bat son plein pour des faits sensiblement similaires (Sentier II). Huit grandes banques françaises, leurs dirigeants et des centaines de personnes sont soupçonnés de blanchiment d’argent. S’il ne s’agit pas d’une bande organisée, ça y ressemble bigrement…
L’affaire du Sentier mobilise des centaines d’enquêteurs et de magistrats, pour aboutir à 40.000 pages de procédure, contenues dans 54 volumes, soit environ 200 kilos de papier. Pour aider les avocats à s’y retrouver, le barreau de Paris fait appel à un développeur de logiciels, la société ZyLAB, afin de numériser le dossier. C’est ainsi que les 200 kilos de papier qu’il aurait fallu dupliquer à l’infini ont été gravés sur 5 CD, d’un poids total d’une centaine de grammes.
124 Personnes devant les tribunaux, une multitude d’avocats et cent grammes de procédure, autant d’éléments qui font de ce procès une affaire unique dans les annales judiciaires.
Pendant ce temps, la sonde Cassini-Huygens, lancée en 1997, approche du terme de son voyage et se place en orbite autour de Saturne. Quant à Google, on peut dire qu’il se met aussi en orbite. Introduit en bourse le 19 août, au prix de 85 $, il prend illico 15 % de mieux. En 2007, l’action atteindra même 683 $, avant de redescendre de moitié l’année suivante. Zinedine Zidane, lui, s’éloigne du ballon rond en annonçant qu’il met fin à sa carrière internationale.
Le 23 novembre, un garde forestier est arrêté en possession des cartes de crédit de Géraldine Giraud et Katia Lherbier. Il se nomme Jean-Pierre Treiber. Il a 41 ans. Les deux femmes ont disparu depuis trois semaines. Le 9 décembre, lors de fouilles effectuées dans son jardin, à Villeneuve-sur-Yonne, les enquêteurs trouvent un trousseau de clés appartenant à Géraldine Giraud et un téléphone portable à demi carbonisé. Ce n’est qu’en fin de soirée qu’ils découvrent deux corps calcinés au fond d’un puits, à proximité du domicile de Treiber. Il s’agit des deux jeunes femmes. Elles seraient mortes après avoir inhalé un puissant insecticide. Mais les policiers sont persuadés que l’homme n’a pu agir seul. Il avait forcément un ou plusieurs complices. Sa compagne, Patricia Darbeau, sera soupçonnée un temps, avant d’obtenir un non-lieu. Faute de preuves formelles, le juge d’instruction ne suivra pas plus les conclusions des enquêteurs (ils pointent la jalousie comme mobile) qui désignent la tante de Géraldine Giraud, Marie-Christine Van Kempen, comme probable commanditaire du meurtre ou pour le moins de l’enlèvement des deux jeunes femmes. Jean-Pierre Treiber sera donc seul devant le jury de la Cour d’assises.
Le 2 novembre s’ouvre le procès des « disparues de l’Yonne ». L’accusé, Émile Louis, nie tout en bloc. La déposition de sa fille est accablante. Elle dit que son père l’a violée alors qu’elle n’avait que cinq ans. Elle raconte également qu’un jour, il a éventré une femme devant elle. Il est condamné à perpétuité pour l’assassinat de sept jeunes femmes, de jeunes handicapées de la DDASS dont il avait ponctuellement la charge lorsqu’il était chauffeur de car.
Aux États-Unis, le 3 novembre 2004, George W. Bush bat nettement le démocrate John Kerry. Et le 11 novembre Yasser Arafat, prix Nobel de la paix en 1993 et président de l’autorité palestinienne en 1996, meurt à l’hôpital militaire de Clamart, en région parisienne. Quinze jours plus tard, Nicolas Sarkozy est élu président de l’UMP. Le 25 novembre, il présente sa démission du gouvernement Raffarin.
Ce même mois de novembre, le juge qui mène l’instruction sur l’explosion, le 21 septembre 2001, de l’usine AZF de Toulouse, signe un non-lieu général concernant les cadres et les employés du site. On se souvient que cette explosion, survenue dix jours après l’attentat du World Trade Center de New-York, avait fait trente morts, des milliers de blessés et des dégâts considérables. Selon l’hypothèse retenue par le magistrat, l’explosion aurait été provoquée par un mélange de nitrate d’ammonium avec un produit chloré. Cependant, de nombreuses personnes sont encore dubitatives… Ainsi, une partie du dossier d’instruction a circulé un moment sur Internet et la teneur de certains documents était paraît-il assez éloignée de la thèse officielle. Un ingénieur des Mines de Montpellier a même émis l’hypothèse qu’il existait sur le site AZF un laboratoire classé secret-défense dans lequel « on » se serait livré à des expérimentations nucléaires… Le juge d’instruction Thierry Perriquet (celui de l’affaire Alègre) a refermé le dossier en juillet 2007, avant de rejoindre son nouveau poste de conseiller à la Cour d’appel de Monaco. À la grande déception des parties civiles, la qualification retenue est celle d’homicides et blessures involontaires. Le procès, plusieurs fois reporté, devrait se tenir en février 2009.
Le 1er décembre, le PS dit oui à l’Europe, et le 16, c’est l’ouverture du viaduc de Millau, au-dessus de la vallée du Tarn. C’est alors le plus haut pont du monde.
Cette année, fait exceptionnel, on change de méthode pour déterminer le taux d’intérêt des livrets A. Trop simpliste, d’après certains. Je ne résiste pas au plaisir de retranscrire, la dernière formulation, qui elle date de février 2008 : « Le taux d’intérêt du livret A est le chiffre le plus élevé, arrondi au quart de point le plus proche, entre l’inflation des douze derniers mois augmentée d’un quart de point ; et la moyenne arithmétique entre l’inflation des douze derniers mois et la moitié de la somme de la moyenne mensuelle de l’EONIA pour le dernier mois connu. »
Et puisqu’on parle d’argent, on peut noter que les dépenses « d’interception » du ministère de la justice ont été de 70 millions d’euros. Les magistrats ont effectué 20.000 écoutes téléphoniques dont le coût a représenté le tiers de cette somme. (je ne sais pas à quoi ont servi les 2/3 restants). Des chiffres qui font réfléchir les hauts fonctionnaires, non pas à une diminution des écoutes, mais à une meilleure… optimisation. Du coup, Place Vendôme, on commence à parler de la mise en place d’une plate-forme d’interceptions automatisée. Prévue pour 2008, on dit que celle-ci aurait pris un certain retard.
Le 26 décembre 2004, un tsunami géant ravage les côtes de l’Océan Indien, faisant plus de 220.000 morts et un million de réfugiés. Preuve que tout n’est pas noir sur la planète bleue, cette catastrophe a suscité un élan de générosité sans précédent dans tous les pays du monde. On parle de 3,5 milliards de dollars. Les ONG ont reçu tellement d’argent que Médecins sans Frontières a dû freiner la générosité de ses donateurs, s’estimant dans l’incapacité d’utiliser de telles sommes (plus de cent millions d’euros) pour cette seule cause. Quelques mois plus tard, des experts internationaux se sont réunis à Djakarta pour examiner les risques de corruption. Y a-t-il eu corruption ou détournements de fonds ? Je n’ai pas trouvé de réponse à cette interrogation.
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Et voilà !… c’est la fin (provisoire) de La petite histoire de la PJ, dont la partie I a été diffusée sur ce blog le 9 janvier 2007. La suite, c’est notre actualité… Pour la raconter, il faut attendre d’avoir un peu de recul.
Toutefois, il me semble qu’il manque quelque chose, une sorte de postface à ces 270 pages : la PJ des temps modernes.
Merci !
J’ai lu l’intégralité de « La petite histoire de la PJ » avec beaucoup d’intérêt. Formidable travail.
Nous sommes en 2015 désormais… au plaisir de continuer cette histoire pas si petite.
Passionnant du début à la fin ! je suis tout à fait d’accord qu’il faut du recul pour commenter l’actualité récente de cette manière, donc nous attendrons. Et les sujets ne manqueront certainement pas…
Il est intéressant de voir et de revoir toute cette actualité, les erreurs et injustices judiciaires notamment qui nous font bondir (nous les citoyens mais aussi les politiques réagissant à coup de lois ad hoc) et qu’on a trop tendance à oublier.
Merci de nous faire voir votre vision des choses qui ne peut (et tant mieux) être neutre et indépendante du fait de votre carrière et qui apporte vraiment une plus value notamment dans la façon dont sont menées les enquêtes.
Les récents procès Viguier ont montré à quel point ces enquêtes de police sont importantes et sont la clé de voute de tout le système pénal. Dès lors qu’elles apparaissent incomplètes, cela devient très dur de « juger » quelqu’un et de se forger cette fameuse intime conviction.