C’était en août 1987. La période estivale, celle où il est fréquent, hélas, de découvrir des animaux abandonnés par leur maître sur le chemin des vacances. Mais cette fois, ce n’est pas un chien que découvrent les employés chargés de débroussailler en bordure de l’A10, entre Orléans et Blois, mais un petit corps humain, celui d’une fillette d’environ quatre ans, enveloppée dans une couverture.
C’est le début d’une longue enquête.
Elle démarre par une minutieuse autopsie aux résultats effrayants : le corps de la petite fille porte des cicatrices de fractures non soignées, des traces de brûlures au fer à repasser et des cicatrices qui sont le fruit de morsures, probablement par une femme ou un adolescent. Cette fillette a été martyrisée pendant de longs mois avant de renoncer et se laisser mourir.
Les blessures sont tellement inhabituelles que les enquêteurs se demandent si elle n’a pas été la victime d’un sacrifice sectaire !
Des recherches sont lancées, colossales, pour tenter de l’identifier, notamment dans les écoles, les milieux hospitaliers, les associations…, sans résultat. Et des décennies plus tard, on s’aperçoit que l’enquête s’est jouée au tout début, au bord de l’autoroute, lorsque le premier gendarme intervenant, un motard, semble-t-il, dans un réflexe professionnel inhabituel à cette époque, saisit la couverture de la victime et la sauvegarde avec soin « pour les besoins de l’enquête ». Sans savoir qu’il protégeait ainsi les indices du futur.
L’enquête préliminaire dure un an. Elle est gérée en direct par Pierre Bouyssic, alors premier substitut au TGI de Blois. À l’été 1988, avant de quitter ses fonctions, il ouvre une information judiciaire.
C’est le juge Georges Domergue qui prend le relais. Une affaire qui va marquer sa carrière et sa vie, comme il l’a récemment déclaré au Parisien.
Avec les enquêteurs de la section de recherches de la gendarmerie de Blois, le juge lance une large campagne d’affichage pour tenter d’identifier la petite victime. Ils recevront 300 appels. Le visage est tellement abîmé, notamment par une morsure à la joue, que la photo doit être retouchée. Mais, en 1993, c’est l’émission Témoin n° 1, récemment lancée sur TF1 par Jacques Pradel et Patrick Meney, qui entraînera le plus de réactions (Un extrait sur LCI). De mémoire, cette affaire est l’une des premières de Témoin n° 1. Une émission controversée qui a succédé à Médiations, lancé en 1987 par François de Closets, Richard Michel et Jean-Marie Perthuis, qui elle n’a pas résisté à ce que certains considéraient comme un appel à la délation. Les temps ont bien changé.
Aujourd’hui, trente ans plus tard, les parents de la fillette sont mis en examen et écroués. Pourtant, malgré ce résultat inespéré, il semble que les enquêteurs restent très prudents sur les suites de l’information judiciaire. Deux questions de droit doivent probablement les tarabiscoter.
D’abord la prescription de l’action publique qui, jusqu’à la loi du 27 février 2017, était de dix ans en matière criminelle (elle est désormais de 20 ans). Autrement dit, il ne faut pas qu’un blanc judiciaire de dix ans se soit écoulé entre le mois d’août 1987 et février 2017. Or, il n’est pas évident de faire vivre un dossier dans lequel la victime n’est pas identifiée. Si c’était le cas, l’avocat des suspects se devrait de soulever la prescription des faits. C’est peut-être pour éviter ce risque qu’à la qualification de meurtre et de violences sur une mineure de quinze ans, il a été rajouté le recel de cadavre. Sinon, comment l’expliquer ! L’assassin ne peut receler le cadavre de sa victime. Le fait pour l’auteur d’un homicide volontaire « d’avoir recelé ou caché le cadavre de sa victime, qui n’est que la suite de son crime, ne peut jamais prendre le caractère d’un délit distinct de l’homicide volontaire » (Crim. 19 juillet 1956, Bull. crim. n° 556).
Cependant, le recel de cadavre peut être aussi considéré comme une entrave à l’action de la justice. L’article 434-7 du code pénal dit : « Le fait de receler ou de cacher le cadavre d’une personne victime d’un homicide ou décédée des suites de violences est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende ». Mais cet article n’existait pas en 1987. Et d’une manière générale le recel cesse lorsque l’objet n’est plus détenu. Ce qui met en chantier le délai de prescription. On n’en sort pas ! Il est pourtant de bonne guerre pour le procédurier de laisser la porte entr’ouverte et de retenir la double qualification, laissant aux juges le soin d’apprécier s’il y a ou non cumul d’infractions. Dans le doute, il vaut mieux bétonner le dossier.
Toutefois, pour se rassurer sur le risque de prescription de l’enquête sur la mort de la petite Inass, il faut noter que la simple réquisition d’un OPJ aux fins d’inscription de l’ADN résultant d’une trace prélevée sur le vêtement de la victime constitue un acte d’instruction, interruptif de la prescription au sens de l’article 7 du code de procédure pénale (Crim. 12 déc. 2012, n° 12-85274). On espère que le prélèvement sur la couverture entourant l’enfant a été fait dans les temps.
Le second point qui peut inquiéter les enquêteurs, c’est la légalité d’une recherche dans le fichier génétique, le FNAEG, sur des personnes apparentées à un auteur inconnu. La recherche, dite en parentèle, c’est-à-dire effectuée sur l’ensemble des parents. Cette recherche conduit les enquêteurs à des investigations sur les ascendants, descendants et collatéraux de la personne que l’on cherche à identifier. Ce qui heurte nos principes, car il s’agit là de données sensibles susceptibles de porter atteinte au droit à la vie privée et au droit à la dignité. Les informations sur notre génome sont d’un caractère absolument privé. Admettre que l’on farfouille dans nos séquences ADN, c’est se déshabiller de l’intérieur. Cette utilisation du fichier génétique est discutée, car elle aboutit d’une manière indirecte à ficher une famille entière pour peu que l’un des membres soit fiché. Les ados récemment placés en garde à vue pour avoir manifesté leur réprobation au dispositif Parcoursup, s’ils ont subi l’épreuve de la « tige cotonnée », sont-ils conscients qu’ils risquent de ficher leurs parents, leurs frères, leurs sœurs, et plus tard leurs enfants, et sans doute plus tard encore, au gré des progrès de la science et de l’évolution d’un code pénal qui se veut de plus en plus prédictif, tout leur arbre généalogique !
Depuis 2016, la loi permet de procéder à une comparaison entre une empreinte génétique inconnue – établie à partir d’une trace biologique – et les empreintes des personnes condamnées ou simplement soupçonnées d’un crime ou d’un délit (garde à vue) inscrites au FNAEG (art. 706-56-1-1 du CPP).
C’est probablement la technique utilisée pour identifier Inass, sauf que les enquêteurs ne disposaient vraisemblablement pas de son ADN, tant il est probable que les prélèvements biologiques effectués lors de l’autopsie aient été détruits depuis longtemps. Et, du moins à notre connaissance, il n’y a pas eu d’exhumation. Il a donc fallu faire des recherches à partir d’une séquence ADN inconnue prélevée sur une pièce d’étoffe. Un rapprochement a pu être effectué avec un ADN entrant, lequel – après enquête – s’est avéré être celui du frère d’Inass.
Même si la Cour de cassation a validé des recherches au FNAEG en ligne directe et exceptionnellement sur des collatéraux, il faut bien reconnaître qu’on marche sur des œufs.
Ce prélèvement exploité des années après le crime n’est donc pas la preuve matérielle de ce crime. En revanche, c’est le point de départ de l’enquête, le détonateur. Et il faut espérer de tout cœur que cette affaire au long cours ne donnera pas lieu à un couac juridique afin que les deux parents indignes, s’ils devaient être mis en accusation, passent devant le jury populaire d’une cour d’assises qui saura comment les juger.
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Le FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques) est né de la loi no 90-468 du 17 juin 1998 relative à la répression des infractions sexuelles et à la protection des mineurs, et du décret no 2000-413 du 18 mai 2000, dans le but de centraliser les profils génétiques recueillis sur les scènes d’infractions et les génotypes des individus définitivement condamnés pour des infractions sexuelles. Au fil des réformes, la liste des infractions justifiant une inscription a été allongée et depuis la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, il est possible d’y inscrire toute personne suspectée d’un simple délit punissable d’une peine d’emprisonnement (c’est-à-dire pratiquement tous), au nom de l’efficacité (qui est indéniable). Son utilisation affole les compteurs.
Cette même loi donne la possibilité d’enregistrer les empreintes génétiques à l’occasion des enquêtes sur la recherche des causes de la mort ou d’une disparition.
En 2014, il avait été annoncé par le ministre de l’Intérieur une refonte de la réglementation du FNAEG pour permettre de demander plus facilement l’effacement des données personnelles et pour « moduler les durées en fonction de la gravité de l’infraction et de la minorité éventuelle de la personne mise en cause » (question parlementaire, JO 4 mars 2014). Sans suite. Et pourtant, en 2008, La Grande-Bretagne a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, en raison du « caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions, mais non condamnées ».
Une nouvelle loi, celle du 3 juin 2016 améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, a prévu une autre utilisation du FNAEG : l’identification d’une personne décédée ou disparue en comparant son empreinte génétique établie à partir d’une trace biologique avec celle issue d’un prélèvement non identifié, comme c’est souvent le cas sur une scène de crime. Le nombre et la nature des segments d’ADN non codants (celui qui différencie les espèces) nécessaires à cette comparaison sont fixés par arrêté.
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Mon commentaire a été curieusement supprimé. J’ indiquais que le corps d’Inass avait été exhumé plusieurs années après et son profil ADN établi.
G. M., « les deux parents indignes » sont déjà condamnés???
Une affaire abominable,
ces gens sont des ogres bledards, des sauvages d’une pervesité sans égale, on ne peut pas comprendre cela, comment est-ce possible?
Martyser, massacrer une fillette puis la jeter dans un fossé comme un détritus et partir en vacances, même le diable doit avoir peur de telles personnes
Dommage que cela ne se passe pas aux usa ou même au maroc, pays de ses parents car la seule peine acceptable pour ce genre de monstres est la peine de mort!!
Pauvre petite, qui n’aura connu que la solitude, la peur et la barbarie de son court passage sur terre.
Il fallait se documenter davantage : la petite a été exhumée plusieurs années après, son ADN prélevé et à partir de celui-ci le profil des parents établi.
Comme d’habitude, beaucoup de vent, comme à propos de la prescription…
C’est ce que j’ai pensé en lisant ce billet de Georges Moréas, qui ici pèche par approximation, ce qui m’étonne de lui. Le magistrat a bien fait procéder à l’exhumation et chacun, gendarmes (pas tellement cités je dois dire alors qu’ils ont fait un boulot remarquable) et juges n’ont eu de cesse que d’éviter la prescription, et respectant cette petite fille atrocement mutilée, martyrisée de l’âge de 18 mois à 4 ans, brûlée, membres brisés. On a frôlé l’arrestation des parents lorsqu’une directrice d’école de Villers-Cotterêts a signalé l’absence d’ Inass à la rentrée 1986, avertissant les services sociaux. Certains internautes occultent complètement le caractère immonde des sévices infligés, seules comptent les constructions faites à partir d’approximations, puisque l’ADN de la petite fille a bel et bien été prélevé contrairement à ce qui est dit.
Il signalait dans son billet que la façon dont l’ADN de la gamine avait été récupré n’était pas connue de lui (n’a pas les mêmes facilités qu’un journaliste, par exemple. C’était très honnête, et ne change rien à son raisonnement….
Comme enseignant du primaire, j’ai déjà vécu quelques cas où j’aurais bien aimé que les gendarmes soient un peu plus curieux quand aux relations entre certain,s élèves et leurs parents. Mais il ne semble pas que ce soit leur priorité. En disant cela, je ne vise pas le pandore de base, mais l’autorité de tutelle de la gendarmerie.
Un article très complet sur Libération https://t.co/WNo4RKCaKR
Un physicien, c’est comme dans l’entreprise : pour faire accepter un changement qui n’est pas pour le bien de tous, en faire habilement remonter la demande de la base. Les trois quart du travail sont faits déjà, il suffit de parler aux gens de sécurité et d’exploiter leur passion des gadgets payants ou gratuits censés faciliter la vie.
Des exemples précis, pas de vue globale des conséquences ou des risques à plus long terme et c’est plié.
Qui peut croire aujourd’hui que notre monde est stable et qu’on peut mettre en jeu les libertés de base que nos aïeux ont tenté de protéger par expérience ?
La Chine a le fichier du comportement du citoyen sur sa vie entière et la note d’harmonie sociale. L’Occident a le fichier génétique bientôt exhaustif qui fera rayonner sur tout une famille le comportement non-conforme d’un individu, comme au temps de Mao. On est bien loin du totalitarisme soviétique qui laissait les individus dangereux disparaître et commencer une nouvelle vie pourvu qu’ils ne se manifestent plus. Dès maintenant, les seuls qui soient à l’abri sont les clandestins vivant dans un pays pas trop policier au quotidien. Finalement, l’affiche que j’avais vue dans un hôpital « Donnez votre vrai nom à l’accueil, faire autrement risque de causer des erreurs de dossier médical dangereuses pour vous » suggère en réalité un sage conseil.
La Chine a bien plus que ça : elle a désormais un fichier d’empreintes vocales qui s’étend lentement mais surement à tous ses citoyens. Imparable.
Ce fait divers est odieux, mais son instrumentalisation pour imposer insidieusement le fichage génétique de tout le monde est terrifiant. Qui peut exclure l’avènement d’un régime autoritaire à l’avenir ? Devons nous vraiment lui préparer la voie ?
Comment réagiriez vous si votre enfant , votre petite fille , disparaissait ou aurait été victime, dans son innocence, d’une agression criminelle ??? Cela peut arriver à tout le monde , on ne le souhaite à personne …J’espère que toutes les lois, décrets , délais et autres dispositions , permettront à la Justice de passer pour Inass , pour redonner toute sa dignité à cette pauvre petite martyre …si longtemps ignorée de tous ceux qui auraient du la protéger et jetée telle un déchet le long de l’auto route en partant en vacances…Bravo aux autorités et aux enquêteurs qui ne l’ont jamais abandonnée…Merci le FNAEG !!
Malheureusement il y a eu beaucoup plus d’enfants victimes de massacres massifs perpétrés par des moyens d’état que par des assassins. Hitler, Staline, Pol Pot, Hiro Hito, Biafra, Rwanda, etc.. En France même, la police de Vichy a envoyé à la mort des dizaines de milliers d’entre eux. Et beaucoup plus y seraient restés si la police avait eu de meilleurs fichiers.
Déjà rendre sa dignité à cette enfant , c’est un bon début ..chaque vie est précieuse , les respecter est un devoir comme essayer d’en sauver d’autres …Le temps ont changé, pourquoi se priver de moyens d’aller plus vite à la vérité, qui a sauvé plus de 150 personnes du couloir de la mort aux States, rendant plus rares les erreurs judiciaires pour les agresseurs , plus rapide la vérité pour tous , des affaires de 30 ans ont vu des réponses , arrêtant enfin des chemins qui sèment la mort et le malheur le long de leurs chemin …Rien n’est parfait , tout est perfectible mais sauver une vie est déjà un pas vers l’humanité…d’autres suivront , il faut l’espérer ….
Un physicien : je suppose que vous n’avez pas de compte bancaire avec une carte bleue , ne prenez jamais l’autoroute , ni vous promenez dans les grandes villes , ni un téléphone portable , ni internet ???etc … quoique pour mettre votre billet , vous avez accepté d’être fiché !!! et bien filé !! tant pis pour vous : Retirez vous dans une grotte bien à l’abris de toute civilisation et moyens de communication , attention aux satellites , sinon, c’est fichu …pauvre physicien …..
« quoique pour mettre votre billet , vous avez accepté d’être fiché !!! et bien filé ! »
Les affectations de haute technologie sont navrantes, surtout quand elles viennent d’ignares roulant sottement des mécaniques.
Pour faire sentir le ridicule qui affecte ces personnages (au mieux, des demi savants; en tous cas, des ignares intégraux), je ne peux que conseiller, si vous n’habitez pas en Turquie (dans ce cas, ce serait soit déjà utilisé, soit impossible) de consulter wikipédia, la Providence des cancres, avec le mot clef « proxy anomyseur » ou le mot clef « Réseau_privé_virtuel » (demandez vous pourquoi la Chine interdit les VPN… et comment un Turc peut consulter wikipédia)
Titi 06, ce que vous décrivez est déjà inquiétant et on en est conscients. Ce n’est certainement pas un argument pour qu’en plus on file notre code génétique, encore moins sans le savoir.
Restons vigilants sur l’évolution de notre civilisation, elle a déjà pris une direction dangereuse, à mon avis.
la réalité a toujours rejoint la fiction : 2001 Odyssée de L’espace ou Minority report… Et là, on y est.
Je suis persuadée que certains diront :
« – moi, ça m’dérange pas d’être filmé ou cotonné : j’ai rien à me reprocher »
– Et ficher ton gosse (pour le cas où tu pourrais procréer !) ça te dérange pas ? Nan parce que s’il est pas décrété normal selon les critère Educ Nat’, on le mettra direct en institution. Que tu paieras bien sûr, histoire de faire faire des éco à l’état. Et puis bientôt, on aura une société d’humains parfaits ! style idéologie tabassante ! ».
La prochaine étape sera de rejoindre cette excellente fiction : bienvenu à Gattaca de 1997 !
Enfin là, il s’agit de résoudre le crime d’un enfant que nous trouvons tous particulièrement odieux. Pourquoi ? Parce qu’on a tous été enfant.
Bon billet. Merci M’sieur l’Etoilé du Net