LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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Inass, la fillette de l’A10 : les ombres juridiques de l’enquête

C’était en août 1987. La période estivale, celle où il est fréquent, hélas, de découvrir des animaux abandonnés par leur maître sur le chemin des vacances. Mais cette fois, ce n’est pas un chien que découvrent les employés chargés de débroussailler en bordure de l’A10, entre Orléans et Blois, mais un petit corps humain, celui d’une fillette d’environ quatre ans, enveloppée dans une couverture.

C’est le début d’une longue enquête.

Elle démarre par une minutieuse autopsie aux résultats effrayants : le corps de la petite fille porte des cicatrices de fractures non soignées, des traces de brûlures au fer à repasser et des cicatrices qui sont le fruit de morsures, probablement par une femme ou un adolescent. Cette fillette a été martyrisée pendant de longs mois avant de renoncer et se laisser mourir.

Les blessures sont tellement inhabituelles que les enquêteurs se demandent si elle n’a pas été la victime d’un sacrifice sectaire !

Des recherches sont lancées, colossales, pour tenter de l’identifier, notamment dans les écoles, les milieux hospitaliers, les associations…, sans résultat. Et des décennies plus tard, on s’aperçoit que l’enquête s’est jouée au tout début, au bord de l’autoroute, lorsque le premier gendarme intervenant, un motard, semble-t-il, dans un réflexe professionnel inhabituel à cette époque, saisit la couverture de la victime et la sauvegarde avec soin « pour les besoins de l’enquête ». Sans savoir qu’il protégeait ainsi les indices du futur. Continue reading

J’ai l’AD-haine

Il y a une dizaine de jours, à Marseille, deux frères jumeaux âgés de 25 ans ont été mis en examen et écroués pour une série de viols et d’agressions sexuelles. Ils ont été confondus par leur ADN. Mais lequel des deux est le coupable ? Une question à laquelle la police scientifique ne peut répondre. Et qui pourrait cependant devenir de moins en moins exceptionnelle, puisque le nombre de jumeaux ne cesse d’augmenter. En une quarantaine d’années, il a presque doublé en France – même s’ils ne sont pas tous monozygotes. Les techniques actuelles de la police scientifique ne sont pas assez fines pour prendre en compte ces cas particuliers. Pour faire la distinction entre les deux hommes, il faudrait faire appel à un labo privé et la facture pourrait monter à plusieurs centaines de milliers d’euros. Comme le dit Simoneduchmole sur Twitter, le bon vieux bottin coûtait quand même moins cher…

Extrait du livre « Notre ADN et nous », aux éditions Vuibert

Les journalistes ont relaté cette affaire sans étonnement (la presse serait-elle blasée ?), comme si l’on pouvait mettre deux suspects à l’ombre sous le prétexte que l’un est forcément coupable. Il existe bien sûr d’autres charges contre eux, sinon le juge d’instruction aurait une bizarre conception de la justice.

Pourtant, dès que l’on parle d’ADN, les excès ne sont pas rares, tant du côté de la police, de la gendarmerie que de la justice. Ainsi, lorsqu’un magistrat décide de passer tous les mâles d’un village breton au tamis pour tenter d’identifier un incendiaire, ne dépasse-t-il pas les bornes ?

Ce n’est probablement pas l’avis de la Chancellerie, puisque dans l’enquête sur le viol et le meurtre d’une collégienne anglaise, Caroline Dickinson, en 1996, le juge chargé du dossier qui avait refusé d’effectuer un test systématique a été remplacé par son collègue Van Ruymbeke, qui, lui, ne fait pas dans la dentelle. Si la pêche au filet n’a pas permis d’identifier le meurtrier, l’assassin a néanmoins été démasqué par ses gènes – mais grâce à une enquête des plus traditionnelles.

Le coton-tige n’a rien d’une baguette magique ! Bien sûr, je n’ai pas la haine de l’ADN (je n’ai pas résisté à ce titre), c’est un formidable atout pour découvrir les criminels, mais il faut prendre garde de ne pas tomber dans l’excès de confiance. La police scientifique ne doit pas engourdir « les petites cellules grises » chères à Hercule Poirot. Ainsi, ce mégot que l’on jette (à tort) dans le caniveau pourrait très bien se retrouver sur la scène d’un crime. Et l’on aura beau crier son innocence, sans alibi béton, on risque fort de passer quelques jours de vacances dans un hôtel Taubira.

Comme le dit en résumé le commissaire Cécile Moral, du service régional d’Identité judiciaire de Paris, dans la revue PPrama, le rôle de l’Identité judiciaire consiste à remettre des éléments aux enquêteurs, à eux d’en faire bon usage. Et tant pis pour les séries télé.

Chez nous, le législateur a tenté de placer des garde-fous en limitant l’utilisation du fichier national (FNAEG) à la simple comparaison. Un peu comme pour les empreintes digitales. Un seul marqueur est archivé : celui qui correspond au sexe. Toutefois, les prélèvements sont soigneusement conservés. L’enregistrement des traces est effectué pour les condamnés et les mis en cause pour les crimes et les délits énumérés à l’article 706-55 du Code de procédure pénale. Si l’ADN d’un simple suspect peut être prélevé pour réaliser un rapprochement, la formulation ne doit pas être introduite dans la base de données. Si l’on revient un instant sur l’affaire de l’incendiaire du Morbihan, les habitants de Larmor-Baden sont-ils tous des suspects ? La réponse est non. Les enquêteurs doivent donc obtenir leur consentement pour effectuer un prélèvement salivaire. Et – à mon avis – si l’un d’eux refuse, la sanction de l’article 706-56 du CPP (1 an de prison et 15 000 € d’amende) ne s’applique pas. On peut en discuter à l’infini, mais cela ne vaut pas le coup, puisque ledit réfractaire deviendrait illico un suspect. Il serait donc tenu de se soumettre. Et la boucle serait bouclée.

Faut-il s’inquiéter de l’archivage de notre ADN ? Je crois que oui. D’abord, parce que l’on touche à notre moi profond et surtout, parce qu’on est à l’aube d’un gigantesque marché industriel. « L’accroissement massif de la quantité d’information disponible sur l’ADN humain est l’émergence d’une nouvelle industrie basée sur l’exploitation de ces données », écrit le professeur Colin Masters dans son livre Notre ADN et nous (Ed. Vuibert). Par simple rapprochement d’idées, on se souvient que lors de la discussion de la dernière loi sur la sécurité (Loppsi 2, en 2011), M Hortefeux avait envisagé de créer un fonds alimenté par les compagnies d’assurance  pour assurer le financement du FNAEG. J’ai comme l’impression que notre patrimoine génétique excite bien des convoitises. Cela va bien au-delà d’un simple fichier de police.

Allez, ceux qui se plaignent du flicage de notre société n’ont encore rien vu !

Le journaliste scientifique Pierre Barthélémy, sur son blog, Passeur de sciences, nous raconte qu’une artiste new-yorkaise, en partant de quelques mégots et d’un chewing-gum récupérés au hasard dans la rue, a réussi à reconstituer le visage de leurs propriétaires respectifs. L’anecdote est exagérée. On ne peut évidemment pas (pas encore) reconstituer un visage à partir d’un prélèvement ADN. Mais il est possible d’établir des éléments distinctifs : l’origine ethnique, le sexe, la couleur de la peau, des yeux, des cheveux… Autant d’éléments qui peuvent venir compléter des témoignages visuels pour dresser un portrait-robot pas très éloigné d’une photographie. Et demain, le résultat pourra être introduit dans l’informatique d’un système de vidéosurveillance pour une détection quasi automatique.

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