Il y a une dizaine de jours, à Marseille, deux frères jumeaux âgés de 25 ans ont été mis en examen et écroués pour une série de viols et d’agressions sexuelles. Ils ont été confondus par leur ADN. Mais lequel des deux est le coupable ? Une question à laquelle la police scientifique ne peut répondre. Et qui pourrait cependant devenir de moins en moins exceptionnelle, puisque le nombre de jumeaux ne cesse d’augmenter. En une quarantaine d’années, il a presque doublé en France – même s’ils ne sont pas tous monozygotes. Les techniques actuelles de la police scientifique ne sont pas assez fines pour prendre en compte ces cas particuliers. Pour faire la distinction entre les deux hommes, il faudrait faire appel à un labo privé et la facture pourrait monter à plusieurs centaines de milliers d’euros. Comme le dit Simoneduchmole sur Twitter, le bon vieux bottin coûtait quand même moins cher…
Extrait du livre « Notre ADN et nous », aux éditions Vuibert
Les journalistes ont relaté cette affaire sans étonnement (la presse serait-elle blasée ?), comme si l’on pouvait mettre deux suspects à l’ombre sous le prétexte que l’un est forcément coupable. Il existe bien sûr d’autres charges contre eux, sinon le juge d’instruction aurait une bizarre conception de la justice.
Pourtant, dès que l’on parle d’ADN, les excès ne sont pas rares, tant du côté de la police, de la gendarmerie que de la justice. Ainsi, lorsqu’un magistrat décide de passer tous les mâles d’un village breton au tamis pour tenter d’identifier un incendiaire, ne dépasse-t-il pas les bornes ?
Ce n’est probablement pas l’avis de la Chancellerie, puisque dans l’enquête sur le viol et le meurtre d’une collégienne anglaise, Caroline Dickinson, en 1996, le juge chargé du dossier qui avait refusé d’effectuer un test systématique a été remplacé par son collègue Van Ruymbeke, qui, lui, ne fait pas dans la dentelle. Si la pêche au filet n’a pas permis d’identifier le meurtrier, l’assassin a néanmoins été démasqué par ses gènes – mais grâce à une enquête des plus traditionnelles.
Le coton-tige n’a rien d’une baguette magique ! Bien sûr, je n’ai pas la haine de l’ADN (je n’ai pas résisté à ce titre), c’est un formidable atout pour découvrir les criminels, mais il faut prendre garde de ne pas tomber dans l’excès de confiance. La police scientifique ne doit pas engourdir « les petites cellules grises » chères à Hercule Poirot. Ainsi, ce mégot que l’on jette (à tort) dans le caniveau pourrait très bien se retrouver sur la scène d’un crime. Et l’on aura beau crier son innocence, sans alibi béton, on risque fort de passer quelques jours de vacances dans un hôtel Taubira.
Comme le dit en résumé le commissaire Cécile Moral, du service régional d’Identité judiciaire de Paris, dans la revue PPrama, le rôle de l’Identité judiciaire consiste à remettre des éléments aux enquêteurs, à eux d’en faire bon usage. Et tant pis pour les séries télé.
Chez nous, le législateur a tenté de placer des garde-fous en limitant l’utilisation du fichier national (FNAEG) à la simple comparaison. Un peu comme pour les empreintes digitales. Un seul marqueur est archivé : celui qui correspond au sexe. Toutefois, les prélèvements sont soigneusement conservés. L’enregistrement des traces est effectué pour les condamnés et les mis en cause pour les crimes et les délits énumérés à l’article 706-55 du Code de procédure pénale. Si l’ADN d’un simple suspect peut être prélevé pour réaliser un rapprochement, la formulation ne doit pas être introduite dans la base de données. Si l’on revient un instant sur l’affaire de l’incendiaire du Morbihan, les habitants de Larmor-Baden sont-ils tous des suspects ? La réponse est non. Les enquêteurs doivent donc obtenir leur consentement pour effectuer un prélèvement salivaire. Et – à mon avis – si l’un d’eux refuse, la sanction de l’article 706-56 du CPP (1 an de prison et 15 000 € d’amende) ne s’applique pas. On peut en discuter à l’infini, mais cela ne vaut pas le coup, puisque ledit réfractaire deviendrait illico un suspect. Il serait donc tenu de se soumettre. Et la boucle serait bouclée.
Faut-il s’inquiéter de l’archivage de notre ADN ? Je crois que oui. D’abord, parce que l’on touche à notre moi profond et surtout, parce qu’on est à l’aube d’un gigantesque marché industriel. « L’accroissement massif de la quantité d’information disponible sur l’ADN humain est l’émergence d’une nouvelle industrie basée sur l’exploitation de ces données », écrit le professeur Colin Masters dans son livre Notre ADN et nous (Ed. Vuibert). Par simple rapprochement d’idées, on se souvient que lors de la discussion de la dernière loi sur la sécurité (Loppsi 2, en 2011), M Hortefeux avait envisagé de créer un fonds alimenté par les compagnies d’assurance pour assurer le financement du FNAEG. J’ai comme l’impression que notre patrimoine génétique excite bien des convoitises. Cela va bien au-delà d’un simple fichier de police.
Allez, ceux qui se plaignent du flicage de notre société n’ont encore rien vu !
Le journaliste scientifique Pierre Barthélémy, sur son blog, Passeur de sciences, nous raconte qu’une artiste new-yorkaise, en partant de quelques mégots et d’un chewing-gum récupérés au hasard dans la rue, a réussi à reconstituer le visage de leurs propriétaires respectifs. L’anecdote est exagérée. On ne peut évidemment pas (pas encore) reconstituer un visage à partir d’un prélèvement ADN. Mais il est possible d’établir des éléments distinctifs : l’origine ethnique, le sexe, la couleur de la peau, des yeux, des cheveux… Autant d’éléments qui peuvent venir compléter des témoignages visuels pour dresser un portrait-robot pas très éloigné d’une photographie. Et demain, le résultat pourra être introduit dans l’informatique d’un système de vidéosurveillance pour une détection quasi automatique.
9 réponses à “J’ai l’AD-haine”
Les prélèvements salivaires des suspects et des condamnés sont détruits après analyse en france, ce qui n’est pas le cas d’autres pays comme la Grande-Bretagne.
« Mais lequel des deux est le coupable ? Une question à laquelle la police scientifique ne peut répondre. Et qui pourrait cependant devenir de moins en moins exceptionnelle, puisque le nombre de jumeaux ne cesse d’augmenter »
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Très drôle GM !… On n’ose comprendre : « puisque le nombre de jumeaux potentiellement coupables de viols et d’agressions sexuelles ne cesse d’augmenter ? ».
Il est vrai que la multiplication des aberrations chromosomiques pourrait engendrer un risque supplémentaire d’aberrations criminelles !…
Enfin bref : vive la science actuarielle au service des journalistes de la PST !
En dehors de cas de détournements de fichiers par des assurances ou par des policiers malveillants (pour l’ADN, ce ne s’est jamais produit à ce jour, pour autant que je sache), les sensibilités extrêmes des tests DAN (detectent un millième de milliardième de gramme 1.E-12) font que les procédures de collecte, transport et conservation de preuves sont très astreignantes et peuvent mener à des erreurs judiciaires assez facilement, dans des pays où l’aveu n’est pas la reine des preuves -donc, ils doivent attacher plus d’importance aux preuves matérielles- et où la justice a davantage de moyens qu’en France : récemment, un adolescent anglais a été innocenté de viols http://www.dailymail.co.uk/news/article-2113025/Teenager-wrongly-accused-rape-DNA-contamination-released-prison.html#axzz2Ki3emPdt , après quelques mois en préventive parce que … les récipients servant à transporter des échantillons après viol avaient été recyclés (au lieu de jetés, ce qui est la procédure) pour transportter son prélévement ADN (ou l’inverse : il y a tout plein de façons de générer du désordre).
Les consignes en matière de prélévement et manipulation des indices sont très strictes; à moins de filmer en permanence les gens qui en ont la charge -et d’archiver ces films : mais les preuves peuvent elles être conservées indéfiniment en France?- , il y aura un moment, *** sans qu’il y ait malveillance et en dehors de tout système totalitaire *** , où elles ne seront pas appliquées….
Pour un petit tour vers l’avenir que nous réservons à notre descendance, je propose un regard sur le film « bienvenue à Gattacka ». ça s’écrit plus ou moins comme ça. Mais les lettre GTK (je crois) représentent quelque chose de l’ADN.
Le film n’est pas violent. Mais faudra trouver les bons complices pour s’en sortir.
A croire que les rêves deviendront payant et ou dangereux. Dans le même genre inception était pas mal non plus.
Allez, courage à ceux auxquels il reste un siècle à vivre. Je confirme : je n’aimerais pas avoir 20 ans aujourd’hui
C’est GATTACA.
L’idée du jeu de mot sur le titre, c’est que les « bases » composent le mot, A, T, G et C , soit adénine, thymine, cytosine et guanine.
Ha ! Merci Hélios. Perso, c’est dans mes neurones qu’il y a du vent.
Mais… J’ai pas tort, hein ? c’est bien une même histoire de rêve péter à l’aune du perfectionnisme économique !
Très bon article.
Ne pas perdre de vue que la preuve par l’ADN n’est pas la reine des preuves. J’en veux pour preuve un article rédigé par Jean-François ROUBAUD et Jean-Marc Manach http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1363.
Il en est de même avec les empreintes digitales qui sont toujours a manier avec précautions et par des gens compétents (ce qui n’est pas toujours le cas).
Chère Ignasse, JE NE PEUX LAISSER PASSER UN TEL COMMENTAIRE !
Je travaille dans un SRIJ, au FAED, traitement des traces papillaires relevées sur les scènes d’infractions..
Je tiens à expliquer que toute identification est vérifiée par TROIS personnes à minima.
La personne qui identifie (12 points de convergence et zéro point de divergence) => une deuxième personne du service vérifie l’identification point par point => le dossier est envoyé au SCIJ à Ecully ou il est là aussi vérifié par une personne.
Quand un doute subsiste, le processus de vérification est multiplié.
Et quand un doute subsiste, l’identification n’est JAMAIS validée, et le dossier est retourné aux enquêteurs comme non identifié, et JAMAIS le doute et le nom du mis en cause ne leurs sont transmis.
Si erreur il y a, elle est au profit du mis en cause, et TOUJOURS à son profit. Jamais à l’inverse.
Aucune identification n’est validée à partir du moment où un doute perdure. JAMAIS !
Et une identification ne veut pas forcément dire que le mis en cause est coupable, mais seulement qu’il a été présent sur le lieu des faits, et en a manipulé un ou plusieurs objets. Après, c’est aux enquêteurs de définir comment et pourquoi l’individu était sur les lieux.
Voilà comment on fonctionne dans mon SRIJ, et je ne doute ABSOLUMENT PAS que cela fonctionne de la même façon dans tous les autres SRIJ.
Si erreurs il y a (et ça j’en conviens bien malheureusement), c’est à d’autres niveaux (enquêteurs, procédures, système judiciaire aussi… là aussi il y en a des choses à dire…)
Voilà, il me semble important de préciser tout cela, avant de jeter l’opprobre n’importe comment sur n’importe qui.
Isabelle
Nous avions commencé à envisager l’aspect judiciaire en commentaire du blog de Barthélémy, je ne recopie pas tous les commentaires, mais je pense que plusieurs sont intéressants de ce coté http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2013/02/10/ne-laissez-pas-trainer-votre-adn-partout/#comment-18938
Et surtout je renvoie le lien vers l’enquête du journaliste Manach http://www.internetactu.net/2010/12/09/adn-quand-les-experts-se-trompent/ très complète.
J’ai peur que le combat pour éviter d’être fiché ne soit à terme perdu. Mais on peut au moins se battre pour que les limites de l’identification par ADN, et tout le potentiel d’erreur soit bien identifié, et ne mène pas à des erreurs judiciaires.