LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Du marchandage au plaider-coupable

En revenant sur le devant de la scène, l’affaire Polanski nous interpelle sur les « arrangements » judiciaires. Il avait passé, nous dit-on, un deal avec le juge, que celui-ci aurait eu l’intention de casser pour un procès robes-avocat_site-scp-henri-leclerc.jpgplus traditionnel. Cela nous rappelle le jugement en catimini de Madoff. En France, on n’en est pas là, mais, peu à peu, on s’engage dans cette voie. S’agit-il d’un progrès, d’une justice moderne, comme on nous le claironne, ou au contraire d’une sorte de résignation?

Le comité Léger propose d’instaurer le plaider-coupable dans les affaires criminelles. Pour une bonne justice ? Non, pour « lutter contre l’engorgement des Cours d’assises », a déclaré l’un de ses membres. Il faut reconnaître que l’instauration de la procédure d’appel n’a pas arrangé les choses. Ainsi, en 2006, les Cours d’assises ont siégé environ 2.500 fois, prononçant près de 3.500 condamnations et 250 acquittements. Et 456 affaires sont allées en appel, d’après les chiffres du ministère de la Justice (521 personnes condamnées et 47 acquittées).

Mais cette nouvelle procédure n’aurait rien à voir avec le système du plead guilty en vigueur aux États-Unis. Il s’agirait ici non pas d’un marchandage, mais d’un arrangement à un seul degré : Si vous reconnaissez votre culpabilité, votre peine sera automatiquement allégée d’un cran. Donc, si la peine maximale encourue est de 20 ans de réclusion, elle serait ramenée à 15 ans. Et les jurés n’auraient plus à se prononcer sur la culpabilité de l’accusé, mais uniquement sur les circonstances du crime, atténuantes ou aggravantes, pour déterminer la peine. Cela pourrait se faire lors d’une audience simplifiée où le rôle de l’accusation et de la défense serait quasi symbolique. Ici, un petit doute subsiste : l’arrangement consisterait-il uniquement à diminuer la peine maximale encourue ou à rétrograder automatiquement d’un cran la peine prononcée ? Je n’ai pas la réponse.

En l’état de cette réflexion, on se dit qu’il s’agit d’un changement en demi-teinte destiné avant tout à faire des économies. Et que c’est peut-être le premier pas vers une sorte de marchandising de la justice. Certains magistrats ne voient d’ailleurs pas poindre d’un bon œil ce système anglo-saxon, qui entraîne parfois des dérives : certains coupables obtiennent des peines au rabais alors que certains innocents préfèrent ne pas prendre de risques et « assurer une peine faible ».

Comme on le sait, la procédure du plaider-coupable existe déjà en France  (loi Perben II du 9 mars 2004) pour les délits qui entraînent une peine inférieure à 5 ans d’emprisonnement.  Cela s’appelle la « procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » ou CRPC. En 2007, les tribunaux ont enregistré plus de 45.000 CRPC.
La procédure est simplifiée à l’extrême et la décision est prise en petit comité : le procureur, le justiciable et son avocat. Dans la plupart des cas, c’est réglé en quelques minutes, et il ne reste plus au « tribunal » qu’à entériner l’accord. Souvent, ce sont les enquêteurs qui préparent le terrain. Ils marchandent les aveux. Si tu avoues, tu vas prendre deux fois moins… À se demander si les écoles de police ne vont pas se transformer en écoles de commerce… Je blague, mais on comprend bien que ce système défavorise les plus faibles, psychologiquement ou financièrement. Pourtant, le rapport du professeur Serge Guinchard va plus loin et propose (art. 62) de l’étendre à tous les délits…

Si j’ai bien compris l’idée générale de ce rapport, on accentue la spécialisation des juges, avec la création de pôles intégrés dans trois blocs au sein du Tribunal de grande instance : bloc familial, bloc pénal et bloc des affaires civiles. Et la suppression du juge de proximité. croisee-chemins_libuwoca.gif

Et du moins en matière civile ou de famille, M. Guinchard préconise même une nouvelle procédure calquée sur le collaborative law américain, système qui fait des émules : Grande-Bretagne, Autriche, Nouvelle-Zélande…. Chez nous cela s’appellerait « la procédure participative de négociation assistée par avocats ». Et comme on aime bien les sigles, cela pourrait donner la PPNAA. Cette idée a fait son chemin, et une proposition de loi a déjà été adoptée par le Sénat. Le texte devrait être discuté à l’Assemblée nationale d’ici à la fin de l’année. Pour faire simple, il s’agit de régler les litiges à l’amiable, entre avocats, et de saisir ensuite la juridiction compétente sur la base de l’accord passé entre les parties.

En fait, ce n’est plus un concept : la médiation est déjà entrée dans les mœurs. D’ailleurs, les 16 et 17 octobre, les premières assises internationales de la médiation judiciaire doivent se tenir au Palais du Luxembourg, à Paris, sous le patronnage de Mme Alliot-Marie.

Comme on le voit, la justice est en marche. Il faut juste se demander si elle marche dans le bon sens.

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Le billet précédent, Polanski, les Suisses sont chocolat, a été lu 2.175 fois en 2 jours et a suscité 48 commentaires.

5 Comments

  1. Aetius

    Eviter de charger le système judiciaire qui doit déjà faire plus avec moins, et éviter de laisser les gens trop longtemps dans les prisons qui sont déjà pleines…
    Il est d’actualité de chercher à rentabiliser tout, avec la crise et le creusement de la dette publique, le gouvernement a besoin de sauver des fonds. Cela me fait d’ailleurs penser à la réforme de l’université.
    La question qu’il faut se poser c’est « est ce que tout doit être rentable ? » pour moi non, la justice, l’éducation… ne sont pas la pour être rentables, mais ce sont des institutions qui garantissent l’égalité, la Liberté, ce qui donne du sens à notre république. Après on peut être pour, contre, c’est très bien, c’est un choix après tout.
    Le problème réside dans le fait qu’on ne nous le propose pas ce choix. Et finalement ce sont nos Droits, nos valeurs que nous sommes entrain de perdre sur l’autel de la rentabilité.

  2. Markus

    Dès le 8 octobre 1878, la Société de protection des engagés volontaires élevés dans les maisons d’éducation correctionnelle reçoit ses premières demandes de patronage : les candidats au patronage sont présentés par colonies pénitentiaires de jeunes détenus19 ou quartiers correctionnels (Nantes, Lyon, Dijon, Rouen, Villeneuve-sur-Lot) ; les listes sont établies par les directeurs de ces établissements. Quant aux premiers engagés issus de l’Assistance publique, ils se présentent dès avril 1889.20. Si j’ai bonne mémoire, pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie, de nombreux délinquants, pour éviter la prison s’engageaient et revenaient souvent dans un « costume en bois ».

  3. titi

    Ben écrivait:
    « N’oublions pas que la sanction décidée par la justice répond à un seul objectif : éviter que des crimes ne se produisent, soit par effet dissuasif sur de potentiels criminels, soit par effet pédagogique sur les criminels »
    Est ce que l’effet pédagogique, qu’espèrent tous ceux qui ont été touchés, sera au rendez vous d’une transaction ????????
    Peut être pour certains et les plus petits qui n’ont pas beaucoup pour « payer», les autres enverront leurs avocats et iront se dorer la pilule…au soleil
    Sans réelle prise de conscience, cette méthode me semble n’avoir pas beaucoup de sens ni pédagogique , ni dissuasif, sauf, certes, qu’ elle permet de désengorger la justice

  4. anonyme

    Peut on dire que justice à été rendu si le rôle du juge est uniquement d’avaliser une condamnation ?
    Par ailleurs, que devient la « justice du peuple » ?
    Au USA, les juges et si je ne m’abuse les préfets sont élus par le peuple. En France ils sont nommés par le gouvernement.

  5. Papi ensoleillé

    Dans quelle catégorie entre cet « arrangement judiciaire » ?

    Qui sont-ils tous dans cette affaire entre les mains de MAM ?

    Juge défendant les intérêts d’un certain journal, chargé de l’instruction dans une affaire financière impliquant le patron de presse d’un certain autre journal et les deux journaux échangeant finalement leurs participations.

    Principale victime, une société du Cac 40. Directement impliqué, un acteur de la haute-couture.

    Escroquerie 30 MF, non-lieu, arrêt définitif, erreurs grossières et recours inutiles.

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