LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Société (Page 7 of 40)

Carlos en cassation : le diable est dans les détails

Carlos continue son cinéma. Ses avocats ont bien travaillé. La peine de prison à vie, dont il a écopé pour l’attentat du drugstore Saint-Germain, a été annulée le 14 novembre 2019. Cette décision est la dernière d’une saga judiciaire qui dure depuis bientôt un demi-siècle.

Le Drugstore Publicis de Saint-Germain-des-Prés était un lieu branché de la capitale où les touristes, avec un peu de chance, pouvaient côtoyer des célébrités. Inauguré en 1965, il a fermé trente ans plus tard. Durant cette période, il a connu deux faits criminels saillants : la fausse arrestation de Mehdi Ben Barka, sur le trottoir, devant l’établissement, et l’attentat à la grenade pour lequel Ilitch Ramirez Sanchez, dit Carlos, a été condamné l’année dernière.

F2, le journal de Bruno Masure : arrestation de Carlos

C’était le 15 septembre 1974. Un peu après 17 heures, du premier étage, un homme jette une grenade sur la clientèle. Le bilan est terrible : deux morts et 34 blessés. Carlos, est à l’époque quasi inconnu, il n’apparaîtra réellement dans le viseur des services de police que l’année suivante, après le meurtre de trois personnes, dont deux policiers de la DST. C’est au cours de cette enquête qu’il sera découvert une cache d’armes et notamment un stock de grenades, identiques et de même origine que celle utilisée pour commettre l’attentat du drugstore. Carlos devient alors suspect numéro 1, et il revendiquera même cet attentat, mais en l’absence d’éléments concrets, le juge d’instruction prend une ordonnance de non-lieu en 1983, faisant ainsi courir le délai de prescription.

Pourtant, certains dossiers, même vides, restent à l’instruction des dizaines d’années. Alors, pourquoi une telle précipitation !

Peut-être en raison du contexte… Deux jours avant l’attentat au drugstore, des individus armés avaient pénétré de force dans l’ambassade de France à La Haye, aux Pays-Bas. Après avoir tiré sur des policiers, ils s’enferment avec onze otages dans le bureau de l’ambassadeur. Les terroristes se revendiquent de l’Armée rouge japonaise (JRA), un groupuscule d’extrême gauche uni à d’autres mouvements tout aussi dangereux dans une sorte d’amicale terroriste internationale au nom d’une révolution mondiale. Des gens redoutables, proches du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Or, qui dit FPLP dit Carlos, puisque depuis que Mohamed Boudia le « représentant » du mouvement palestinien à Paris, s’est fait exploser en démarrant sa R16, en plein Quartier latin, celui-ci est considéré comme le responsable de cette organisation pour l’Europe, avec la bénédiction du KGB qui finance et tire les ficelles.

Les preneurs d’otages veulent un million de dollars, un avion pour quitter le pays et la libération de l’un de leurs compatriotes, un certain Yatuca Furuya (vraisemblablement un pseudo) – qui bien sûr est l’enjeu principal. Les services français tombent du placard Continue reading

Avocats et magistrats : tentative de rapprochement

Les avocats se plaignent de trouver toujours porte close lorsqu’ils souhaitent s’entretenir avec un magistrat. Normal, plaisante l’une d’entre eux, « si je laisse ma porte ouverte, cela coupe le chauffage ou la clim’, selon la saison ». D’autant, renchérit un second, que les consignes incendie dans le nouveau palais de justice de Paris interdisent de laisser une porte ouverte.

Pourtant, le dialogue était au rendez-vous lors des assises organisées par le barreau de Paris pour améliorer les « relations entre avocats, magistrats, greffiers et personnels de justice ». Une première ! C’était le 14 novembre dernier, au Palais des Congrès. Un service impeccable dans des salles à faire pâlir d’envie bien des enseignants. Et un buffet copieux… Trop peut-être, car finalement, les avocats ne se sont pas bousculés. Cela aurait pu ne pas se voir, car la presse n’était pas conviée, pourtant, Jean-Baptiste Jacquin, a du se faire petite souris, car il a rédigé un compte-rendu de ces assises sur le site du Monde (ici). Et d’après ses comptes, il y avait 70 magistrats, sur les 500 que comptent le tribunal et 400 avocats, sur les… 29 000 inscrits au barreau de Paris. Donc, petit réflexe arithmétique : 1 magistrat sur 7 avait fait le déplacement et 1 avocat sur 70 environ. Soit dix fois moins. Bien sûr, de nombreux avocats n’ont que des relations épisodiques avec la justice, mais cela pose quand même question.

Les débats ont été ouverts par Jean-Michel Hayat, qui vient de quitter ses fonctions de président du tribunal de grande instance de Paris pour les dorures de la cour d’appel. C’est lui qui a eu la lourde charge de mettre en place le tribunal des Batignolles – que de petits plaisantins ont surnommé le tribunal du grand-guignol. Mais en fait, les décisions ont été prises bien en amont, par ce truc que l’on appelle « l’administration ». C’est ainsi, dit le haut magistrat, qu’il a dû batailler pour que les avocats puissent circuler librement dans les dédales de la justice parisienne. Au départ, il était prévu que seuls quelques centaines d’entre eux aient un badge d’accès. Choisis sur quels critères, on ne sait pas ! Avouez qu’entraver l’accès à la justice à ceux qui sont en charge des droits de la défense et du principe du contradictoire est un peu fort de café !

Car on peut critiquer les avocats, mais c’est aujourd’hui le seul contact humain dans la chaîne judiciaire. Pour leur défense, les magistrats et les greffiers évoquent la surcharge de travail et des raisons de sécurité – un leitmotiv dans notre société. Continue reading

Entre l’État et la police, chèque en gris ou chèque en bois ?

Il y a fort à parier que le drame qui s’est déroulé récemment dans les locaux de la préfecture de police va ramener sur le devant de la scène la réforme maintes fois annoncée de la police parisienne. D’autant que, depuis l’affaire Benalla, l’idée tournicote du côté de l’Élysée. Cette réforme pourrait aller de pair avec l’arrivée prochaine de la police municipale voulue par Anne Hidalgo, même si le ferraillement des candidats aux municipales risque de freiner le projet. Pourtant, si l’on se souvient que la création de la police nationale, en 1966, qui a fusionné les fonctionnaires de la sûreté nationale et ceux de la préfecture de police, n’a pratiquement rien changé dans le fonctionnement de la « vieille dame », on peut toujours rêver…

D’ailleurs, est-il judicieux d’entamer une nouvelle réforme alors que les dernières sont loin d’être digérées ? Menées le plus souvent sur un coup de tête, ou un coup de menton, elles ont eu pour premier effet de déstabiliser la police et la gendarmerie. En un rien de temps, celui d’une carrière, on est passé d’un fonctionnement basé sur l’expérience à l’expérience du fonctionnement.

Et, même si les syndicats ont habilement su jouer le coup et obtenir à chaque réforme des avantages inconnus des autres fonctionnaires, cette instabilité a créé de l’incertitude. Et bon nombre de policiers sont encore en recherche de leur identité professionnelle, tant l’exercice de ce métier, marqué de mythologie, est un tiraillement de tous les jours entre ce que l’on voudrait faire et ce que l’on doit faire.

« Originalos » (Netflix)

À la différence de la gendarmerie, la police nationale n’est pas une institution très ancienne, puisqu’elle a été créée en 1941, sous le régime de Vichy. Mais en fait, la police n’est vraiment nationale que depuis la loi du 9 juillet 1966 qui a étatisé la police parisienne en la fusionnant avec la sûreté nationale, compétente sur le reste du territoire.

Cette réforme en trompe-l’œil décidée par Charles de Gaulle pour endiguer les vagues de l’affaire Ben Barka (alors qu’à l’évidence sa disparition a été l’œuvre de services secrets : le leader marocain, choisi par Che Guevara, était en passe de devenir le chef de file d’un mouvement intellectuel pour une révolution économique mondiale, téléguidé par le Tiers-Monde), montre que l’utilisation de la police à des fins politiques ne date pas d’aujourd’hui. Continue reading

La police en déshérence

Les violences gratuites, c’est-à-dire sans motif légitime, qui font la Une à chaque manifestation, et souvent lors de la moindre intervention sur la voie publique, font planer un voile noir sur les policiers, au point que nombre d’entre eux, sensibles comme tout un chacun à la pression des médias et surtout à celle des réseaux sociaux, se remettent en cause : la police française du XXIe siècle correspond-elle à leur engagement dans la société ?

Si l’on en croit les sondages, ils ont tort de s’inquiéter, puisque 50 % des personnes interrogées font confiance à la police. On peut voir aussi dans ce chiffre le verre à moitié vide…, d’autant qu’un sondé sur cinq seulement éprouverait de la sympathie pour nos flics, et autant,  ou presque, ressentirait de l’inquiétude face à leur comportement.

Ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose, si ce n’est que l’on aime la police qui apporte son aide, son assistance, sa protection et que l’on déteste l’autre, celle qui bastonne sans raison

« Mais vous le savez, on cesse de s’aimer si personne ne nous aime », écrit Mina dans sa correspondance à Emma (Angeline de Montbrun, Laure Conan, 1882).

Alors, les policiers s’aiment-ils ?

C’est une question qui commence à tournicoter du côté de la Place Beauvau, car il semblerait qu’un nombre croissant de policiers visent nettement la sortie. Certains en se disant qu’il vaut mieux prendre sa retraite au plus vite, d’autant que la bonification au 1/5 risque d’être rabotée (c’était, m’a-t-on rapporté, le plat de lentilles pour compenser la suppression du droit de grève) et d’autres, tout simplement parce qu’ils n’en peuvent plus. On nous dit que c’est en raison d’une surcharge de travail. Bien sûr, surtout lorsqu’existe le sentiment d’être mis à toutes les sauces. Ces dernières années, la lutte antiterroriste et, plus récemment, la révolte des gilets jaunes ont profondément perturbé le fonctionnement des services.

Mais ce décrochage a d’autres causes plus fines, plus psychologiques, qui font boule de neige dans un quotidien qui s’éloigne jour après jour du métier que l’on s’est choisi. Du moins pour ceux qui sont entrés dans la police pour servir, pour aider et pour protéger. Ce sentiment de ne plus assurer au mieux les missions de service public, de ne pas pouvoir répondre efficacement aux malheurs des gens, par manque de temps, par manque de moyens,  par manque d’équilibre et de discernement dans le commandement. Des situations qui se succèdent et qui peuvent conduire à des manquements, à des erreurs, avec cette impression terrible, celle qui conduit au burnout : finalement tout cela ne mène à rien. Continue reading

Toni Musulin lave-t-il plus blanc ?

Il y a quelques jours, Toni Musulin était interpellé à Londres alors qu’il changeait plusieurs dizaines de milliers de livres sterling. Interrogé sur l’origine de ces espèces, il a affirmé qu’il s’agissait du produit de la vente d’une voiture de luxe. Why not ! Mais quand même, le personnage est trop sulfureux pour ne pas envisager que cet argent provienne du vol pour lequel il a été condamné !

On se souvient, c’était en 2009, à Lyon. Ce jour de novembre, Musulin est au volant du fourgon de l’entreprise de transports de fonds Lommis, où il travaille depuis dix ans. C’est le milieu de la matinée, mais le véhicule est déjà bien chargé. Alors que ses deux collègues descendent pour procéder à un nouveau ramassage de liquidités, il disparaît avec le fourgon.

 

La suite est rocambolesque. Il aurait transféré, tout seul, 47 sacs de billets dans une camionnette, qu’il remise ensuite dans un box loué sous un nom d’emprunt, dans lequel il a aménagé une cache derrière un double mur, comportant une fente pour y glisser les billets, comme dans une tirelire. Mais, pris d’une soudaine fringale, il va s’acheter un pan-bagnat et, lorsqu’il revient, les flics sont là. Il prend la fuite. Après une dizaine de jours d’une mystérieuse cavale, il se constitue prisonnier à Monaco. Fin de l’histoire, à 2,5 millions d’euros près, que l’on n’a jamais retrouvés.

Pour Michel Neyret, l’ancien sous-chef de la PJ de Lyon, il ne fait aucun doute que Musulin a conservé cette partie du butin. Pour preuve, dit-il, on a retrouvé une empreinte à l’intérieur de l’un des emballages de billets retrouvés vides.

Toni Musulin a-t-il bâti un plan machiavélique ? Peut-on envisager qu’il ait anticipé son arrestation et accepté le principe d’un passage par la case prison, dans l’espoir de profiter ensuite en toute impunité des 20 % prélevés sur le butin ?

Tout cela au nom d’un principe vieux comme le droit, « Non bis in idem » : le voleur ne peut être receleur de son propre vol !

La cour de cassation parle d’ailleurs plus volontiers de « concours idéal d’infractions » : un même fait ne peut entraîner une double déclaration de culpabilité. Avec cependant de légers bémols : la nécessité d’une seule intention coupable et une imbrication entre les délits, l’un ne pouvant exister sans l’autre.

C’est typiquement le cas du recel. Mais pas celui du blanchiment…

Le blanchiment consiste à réinjecter dans le circuit économique des profits tirés d’actes illicites, pour les utiliser à des fins licites. Comme n’importe quel lave-linge, l’action se déroule en 3 phases :

  • Le prélavage, qui consiste à introduire des billets dans un business où les liquidités sont habituelles (casino, bar, restaurant, épicerie…)
  • Le lavage ou empilage, c’est-à-dire la répétition de ce type d’opération, pour mieux effacer les traces
  • L’essorage, qui lisse l’argent blanchi en l’investissant dans des opérations parfaitement légales

Même pas besoin de monter au paradis fiscal !

L’article 324-1 du code pénal définit le blanchiment comme étant le fait de faciliter la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus provenant d’un crime ou d’un délit, ou tout bonnement d’apporter son concours à cette régularisation de façade. La peine est de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.

Des peines qui peuvent être doublées lorsque les faits sont commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle (banquier, agent de change, avocat…).

Pour que les conditions de la répression soient réunies, il faut donc une infraction principale, qualifiée crime ou délit d’où proviennent les fonds à blanchir (que l’auteur des faits ait été condamné ou non) ; qu’il existe au moins l’un des deux éléments matériels évoqués ci-dessus et que le fautif agisse en connaissance de cause.

Il existe une certaine rivalité entre le délit de blanchiment et celui de recel, et le « blanchisseur » peut souvent être considéré comme un receleur. Il appartient au juge de choisir l’infraction qui convient le mieux mais, et c’est là où les choses deviennent intéressantes (enfin, pas pour tout le monde), si le voleur ne peut pas être receleur, il en va différemment en matière de blanchiment : les deux infractions sont distinctes et autonomes. Théoriquement, rien ne s’oppose donc à ce que le voleur soit poursuivi pour le blanchiment des biens qu’il a volés.

La Cour de cassation abonde dans ce sens, affirmant que « l’article 324-1 s’applique à l’auteur du blanchiment du produit d’une infraction qu’il a lui-même commise » (Crim. 20 fév. 2008, n° 07-82977).

La jurisprudence pousse donc à faire du blanchiment un délit autonome de son infraction principale…

Autrement dit, le voleur qui a payé sa dette à la société peut conserver le bien mal acquis, car le recel est la conséquence naturelle du vol. Mais si ce voleur cherche à s’en défaire, il y a de fortes probabilités qu’il soit poursuivi pour le blanchiment du bien qu’il a lui-même volé et, sans doute à l’issue d’une bataille  juridique, condamné.

Dans l’hypothèse où les livres sterling que Toni Musulin a fait briller dans un bureau de change londonien proviendraient indirectement des euros qu’il a dérobés à la Lommis, il aurait du souci à se faire ; surtout s’il rentre en France : nos juridictions sont compétentes pour des infractions commises à l’étranger dès lors que le vol a eu lieu sur le territoire (art. 113-2 du code pénal). Le dossier du nouveau  « casse du siècle » est loin d’être classé.

Pour paraphraser Montaigne, même sur une montagne d’or, on n’est jamais assis que sur son cul.

Vincent Lambert face à ses juges

C’est en retenant le droit à la vie comme la première des libertés individuelles que les trois magistrates qui formaient la cour d’appel de Paris ont estimé que la puissance publique avait outrepassé ses prérogatives en acceptant la procédure d’arrêt des soins de Vincent Lambert ; cela avant que le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU ne prenne une décision : Vincent Lambert est-il un malade en fin de vie qui a le droit de mourir ou une personne handicapée qu’il faut aider à vivre ?

En septembre 2008, cet homme, alors âgé de 32 ans, est victime d’un accident de la route qui le plonge dans un état végétatif chronique. Souffrant de troubles de la déglutition, il doit être alimenté et hydraté à l’aide d’une sonde introduite dans l’estomac, mais, bien qu’il soit paralysé des quatre membres, son cœur bat et il peut respirer sans l’assistance d’aucune machine. Les premières années, les médecins tentent d’établir une communication avec lui, puis ils y renoncent, incapables de déterminer si les réactions enregistrées tiennent du réflexe ou de la pensée.

Pour les parents de Vincent Lambert, ce doute persiste. Ils estiment que leur fils doit être considéré comme souffrant d’un « handicap cérébral sans comorbidités », c’est-à-dire sans coexistence d’autres troubles ou maladies, et que de ce fait l’État a une obligation de soins, conformément aux termes de la Convention internationale signée par la France et ratifiée en 2010. Et comme le juge administratif les a déboutés de tous leurs recours, ils plaident la voie de fait devant le juge judiciaire.

Dans le domaine du pénal, la voie de fait est une agression contre une personne sans contact physique ni blessure. Cela consiste le plus souvent à impressionner quelqu’un pour lui faire peur : éteindre la lumière, fermer une porte à clé, faire partir un pétard… Sauf élément aggravant, ce type d’infraction est punissable d’une amende contraventionnelle.

En droit administratif, il en va différemment.

La voie de fait consiste dans l’exécution irrégulière d’une décision administrative qui peut de ce fait être sanctionnée par le juge judiciaire, mais cela dans deux cas précis : une atteinte au droit de propriété ou une atteinte à une liberté individuelle. C’est ce dernier point qui est visé ici. Or, si l’article 66 de la Constitution énonce que l’autorité judiciaire est bien gardienne de la liberté individuelle, elle semble n’envisager la chose que sur le plan de la détention arbitraire. Une sorte d’habeas corpus à la française.

Du coup, les juristes sont montés au créneau contre la décision de la cour d’appel Continue reading

Le glissement vers une autre France

L’article 3 de la loi anti-manif, accordant à l’autorité administrative le droit d’interdire à une personne de manifester, a été censuré.  Tout en s’appuyant sur l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme », le Conseil constitutionnel s’est livré à un exercice d’équilibrisme qui ne ferme pas la porte à un nouvel essai. À l’évidence, nos valeurs changent.

Comme pourrait dire le député Éric Ciotti, qu’est-ce que c’est que ce pays qui fonde sa constitution sur des textes révolutionnaires !

« Je suis consterné », a déclaré sur BFM le secrétaire national du syndicat de police Alliance Île-de-France, non pas, comme on pourrait le croire, par la tentative de violation de la Constitution par le gouvernement et une majorité de parlementaires,  mais par le refus des Sages de la rue de Montpensier de franchir un pas décisif, au risque de s’asseoir sur notre passé et de flétrir l’image de la France aux yeux de nos concitoyens européens. « La liberté du plus grand nombre n’est pas respectée », a asséné d’un ton péremptoire le responsable de ce syndicat de police très représentatif.

Heureusement pour le corps, d’autres syndicats, comme UNSA Police, ont pris des positions différentes, rappelant qu’il existait suffisamment de lois pour punir les actes délictuels lors des manifestations et que « l’interdiction de manifester ne peut pas être une mesure administrative ».

Liberté des uns contre liberté des autres, il y a matière à faire fonctionner nos petites cellules grises, chères à Hercule Poirot, et à philosopher sur la réflexion de Nelson Mandela, Prix Nobel de la paix après 27 ans d’emprisonnement : « Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté. » Continue reading

Gilets jaunes et ménage de printemps à la PP

Pour masquer son incapacité à régler politiquement un problème de société, le gouvernement a décidé d’étêter la préfecture de police de Paris, en commençant par le préfet, Michel Delpuech, dit Louis XIV (on n’est pas à deux Louis près). Et dans la corbeille, ces prochaines semaines, les têtes risquent de s’entasser, car c’est bien la PP qui est dans le collimateur. Approche l’aube des boucs commissaires !

D’après Le Canard enchaîné, pour se dédouaner, Delpuech aurait proposé au Premier ministre, pour les manifs à venir, des mesures de quasi-guerre civile : état d’urgence (l’état de siège, c’est pour plus tard) interdiction de manifester dans la capitale, couvre-feu, fermeture des bouches de métro, etc. Des trucs aberrants, mais qui, en grattant bien, peuvent néanmoins trouver une base légale. Ce qui n’est pas toujours le cas des instructions données aux forces de l’ordre ces dernières semaines.

Pour Édouard Philippe, la raison du pataquès de samedi dernier tient au fait que la stratégie adoptée par le gouvernement n’a pas été correctement exécutée. « Il y a eu des dysfonctionnements », a-t-il souligné, faisant notamment référence au fait que les policiers et les gendarmes ont reçu des munitions moins puissantes (en fait les munitions préconisées par le fabricant) pour garnir les lanceurs de balle de défense et aussi pour en limiter leur usage. Pas un mot de reproche au ministre de l’Intérieur, responsable en droit du maintien de l’ordre public. Ni la moindre interrogation sur l’état d’esprit des CRS et des gendarmes mobiles.

On entend tout à propos de ces manifestations hebdomadaires et de cette arme, le LBD 40 : ceux qui disent « Faut tirer dans le tas ! » et ceux qui implorent « Arrêtez le massacre ! ». Mais la crainte des gens de métier, c’est de voir demain un gilet jaune pépère tué par les forces de l’ordre. Et il y a des voix qui s’élèvent dans la police (pas assez je trouve), pour dire qu’il serait temps pour ceux qui nous rabâchent que la France est un État de droit de mettre leurs instructions en adéquation avec leurs allégations. Christophe Castaner devrait prendre à son compte ce précepte républicain : dans une manifestation politique, il n’y a pas d’ennemis à combattre, mais des Français à convaincre ; plutôt que de s’exposer à un sobriquet en prônant la castagne.

En attendant, certains font de la résistance passive, comme ces OPJ d’un commissariat parisien cités par Mediapart, qui renâclent à effectuer les gardes à vue d’opérette prescrites par leur hiérarchie, des gardes à vue qui ressemblent à s’y méprendre à des arrestations administratives. Et ils n’ont pas tort, car, quelles que soient les instructions, chaque policier, chaque gendarme, est responsable personnellement de ses actes. Que ce soit en mordant les lignes du code de procédure pénale ou en dénaturant l’usage de la force légitime.

Pour s’en convaincre, ils n’y a qu’à ouvrir le code de déontologie.

Celui-ci rappelle le devoir d’obéissance « sauf dans le cas où Continue reading

Un livre qui nous rappelle le temps où l’on tuait les terroristes

En refermant le livre de Georges Salinas, Le Chat d’Oran, qui nous entraîne dans la lutte contre le terrorisme au début des années 1960, je me suis interrogé : peut-on comparer le terrorisme lié au conflit algérien à la période actuelle ? La réponse est évidemment négative, mais cette expérience désastreuse, qui a mené la France au bord de la guerre civile, devrait au moins nous inciter à ne pas commettre les mêmes erreurs.

Georges Salinas, Librairie Fontaine Haussmann, le 21 février 2019

Antoine Delarocha, le héros, est flic au CRA d’Oran (Centre de renseignement et d’action). Et il tente de faire son boulot de flic, dans des conditions qu’aucun policier aujourd’hui n’oserait envisager. Au début du roman, Delarocha planque sur un ancien militaire qui a rallié le FLN. « Désormais fellagha en cavale, Ahmed Benjelloul était un ancien béret rouge : il avait servi pendant dix ans dans l’armée française, chez les parachutistes », dit-il, alors qu’il s’apprête à lui mettre la main au collet. Mais, évidemment, rien ne se passe comme prévu. Ce face à face de deux hommes, l’indépendantiste et le pied-noir, chacun enfermé dans ses certitudes, c’est le fil de l’histoire.

Salinas n’a pas connu cette époque, il était à peine né, il se fie donc aux souvenirs de son père (Le Chat d’Oran, c’est un peu lui) pour recréer l’ambiance de police de ces années noires. Il nous fait vivre les enquêtes et les filatures à l’ancienne : peu de personnels, peu de moyens et surtout pas de smartphone pour demander des instructions. Tout au mieux des radios portables de la taille d’une bouteille d’eau 2XL. Une fois sur le terrain, c’est l’initiative personnelle qui joue, et aussi l’expérience, et parfois le talent. Mais l’expérience, c’est aussi d’avoir au fond d’une poche le jeton de téléphone qui permettra d’établir une liaison avec son service. L’ancien monde, quoi !

C’était il y a maintenant plus d’un demi-siècle. La France, des deux côtés de la Méditerranée, comptait chaque jour ses morts, alors que l’on nous parlait de « pacification » et de « maintien de l’ordre ». Le mot « guerre », rabâché aujourd’hui, étant alors tabou.

Le plus souvent, les images de cette époque qui nous reviennent en mémoire sont celles de militaires bardés de décorations haranguant les foules du haut de leur balcon Continue reading

Benalla au pays des Soviets

En publiant l’enregistrement de conversations privées entre Alexandre Benalla et Vincent Crase, on peut dire que Mediapart a sérieusement relancé une affaire qui commençait à s’essouffler : d’un seul coup Benalla n’est pas seulement le petit coq prétentieux qui se la faisait belle à l’ombre de son seigneur, mais il devient suspect d’acoquinement avec un membre influent de l’oligarchie russe, des faits qui pourraient porter atteinte peut-être pas à la sûreté de l’État, mais pour le moins à sa diplomatie.

Pour l’instant, on ne sait pas qui a effectué ces enregistrements, mais il semble admis que la conversation piratée se soit tenue au domicile parisien de la responsable de la sécurité du Premier ministre et de son conjoint. Il y a donc dans cette affaire au moins une quasi-certitude : ce ne sont pas les journalistes de Mediapart qui ont joué aux apprentis-espions ! Mais en rendant public l’enregistrement clandestin d’une conversation privée, le journal numérique s’est néanmoins rendu coupable du délit prévu à l’article 226-2 du code pénal, lequel est punissable d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

On peut donc dire qu’Edwy Plenel, président et directeur de la publication, a pris un risque pour assurer l’information de ses lecteurs !

Mais de ce fait, contrairement à ce que l’on a pu lire ici ou là, et bien que ce soit plutôt inhabituel dans ce type d’affaires, le procureur de Paris était légitime à ouvrir une enquête, même en l’absence de plainte, puisque le délit était public.

Quand je pense à tous ces gens, ces victimes, qui attendent des mois et des mois des nouvelles de leur plainte, avant de s’entendre dire : affaire classée ! Et encore, ceux-là font partie des chanceux, pour les autres, c’est l’oubli, le néant, leur dossier s’est définitivement perdu dans le « lacis inextricable de la procédure », comme dirait Balzac.

L’ABC d’une enquête, tous les flics vous le diront, c’est de commencer par le début  Continue reading

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