Les violences gratuites, c’est-à-dire sans motif légitime, qui font la Une à chaque manifestation, et souvent lors de la moindre intervention sur la voie publique, font planer un voile noir sur les policiers, au point que nombre d’entre eux, sensibles comme tout un chacun à la pression des médias et surtout à celle des réseaux sociaux, se remettent en cause : la police française du XXIe siècle correspond-elle à leur engagement dans la société ?
Si l’on en croit les sondages, ils ont tort de s’inquiéter, puisque 50 % des personnes interrogées font confiance à la police. On peut voir aussi dans ce chiffre le verre à moitié vide…, d’autant qu’un sondé sur cinq seulement éprouverait de la sympathie pour nos flics, et autant, ou presque, ressentirait de l’inquiétude face à leur comportement.
Ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose, si ce n’est que l’on aime la police qui apporte son aide, son assistance, sa protection et que l’on déteste l’autre, celle qui bastonne sans raison
« Mais vous le savez, on cesse de s’aimer si personne ne nous aime », écrit Mina dans sa correspondance à Emma (Angeline de Montbrun, Laure Conan, 1882).
Alors, les policiers s’aiment-ils ?
C’est une question qui commence à tournicoter du côté de la Place Beauvau, car il semblerait qu’un nombre croissant de policiers visent nettement la sortie. Certains en se disant qu’il vaut mieux prendre sa retraite au plus vite, d’autant que la bonification au 1/5 risque d’être rabotée (c’était, m’a-t-on rapporté, le plat de lentilles pour compenser la suppression du droit de grève) et d’autres, tout simplement parce qu’ils n’en peuvent plus. On nous dit que c’est en raison d’une surcharge de travail. Bien sûr, surtout lorsqu’existe le sentiment d’être mis à toutes les sauces. Ces dernières années, la lutte antiterroriste et, plus récemment, la révolte des gilets jaunes ont profondément perturbé le fonctionnement des services.
Mais ce décrochage a d’autres causes plus fines, plus psychologiques, qui font boule de neige dans un quotidien qui s’éloigne jour après jour du métier que l’on s’est choisi. Du moins pour ceux qui sont entrés dans la police pour servir, pour aider et pour protéger. Ce sentiment de ne plus assurer au mieux les missions de service public, de ne pas pouvoir répondre efficacement aux malheurs des gens, par manque de temps, par manque de moyens, par manque d’équilibre et de discernement dans le commandement. Des situations qui se succèdent et qui peuvent conduire à des manquements, à des erreurs, avec cette impression terrible, celle qui conduit au burnout : finalement tout cela ne mène à rien.
Je me garderai bien de parler des suicides dans la police, je n’en ai ni l’envie ni les compétences.
Bien sûr, certains ne sont là que pour faire un job comme un autre, parce qu’il faut bien bosser, d’autres pour faire carrière et d’autres hélas ! pour ce sentiment d’impunité que donne une carte tricolore, mais les autres, les meilleurs d’entre nous, comme aurait pu dire Machin, semblent en manque de repères. D’autant que les débouchés dans le secteur de la sécurité privée sont importants.
Il n’est pas idiot de comparer cette (relative) désertion à celle que l’on retrouve dans les hôpitaux publics. Une praticienne de 43 ans, citée dans La matinale du Monde de ce jour, justifie ainsi son renoncement : « L’attachement au service public est quelque chose qui m’a longtemps retenue, mais quand la pénibilité a été supérieure à la satisfaction, je suis partie. » C’est mon imagination, ou il y a des trémolos dans sa voix ? Un médecin urgentiste, lui, dit avoir quitté le service public après dix-huit années dans un service d’urgence pour exercer dans une clinique privée. Il avoue avoir ressenti une « perte de sens » à exercer la médecine « mécaniquement ». « En clinique, explique-t-il, même si on n’a pas les moyens de l’hôpital, on ne maltraite pas les gens, on ne laisse pas des vieux macérer dans leur pisse. »
« Eh bien ! je vois venir le jour où je me prendrai en horreur », enchaîne Mina dans sa correspondance avec Emma.
Pas question évidemment de poser les mêmes questions à des policiers : le corps s’est laissé saucissonner par l’obligation de réserve et la militarisation qui s’est installée dans ses rangs. L’anonymisation est une arme à double tranchant. Qui peut citer aujourd’hui le nom du patron de la brigade criminelle ou de tel office de police judiciaire ? Le Mouël, Broussard, Leclerc, Devos, Mancini, Aimé-Blanc, Pellegrini…, ces flics du temps où la police faisait rêver, vous nous manquez !
À défaut d’attendre la moindre anticipation du ministre de l’Intérieur, quelques policiers tentent la modération, mais il est difficile de faire le tampon. C’est aux grands chefs de la police nationale de tirer le signal d’alarme, comme savent le faire les gendarmes : les étoiles sont nombreuses, mais c’est le vide interstellaire. Car, à défaut de contre-feu, les plus fortes personnalités quitteront la police qui deviendra un corps de simples exécutants, une force docile, de plus en plus armée, exosquelettée, surprotégée et anonymisée. Une force qui fait peur.
Un simple sondage permettrait de savoir si les policiers sont fiers de leur métier ou au contraire déconfits devant le tournant pris par la profession sous la pression de politiciens qui, à défaut d’idéaux, pratiquent la démagogie. Le LBD comme canon de la société, on peut espérer mieux !
Bernard Squarcini, ça vous dit quelque chose ??? Donc, après rien que lui, que l’on ne s’étonne de rien; surtout que, pour vous dire, Nunez et Lerner sont passés par la Préfecture de Police de Paris sous Michel Gaudin….
Et encore… tout n’est pas dit. Le carriérisme et les complicités syndicalo-hiérarchiques sont pervers.
le sens du travail, dites-vous ? mais cette valeur a disparu au profit d’une économie déshumanisante ; même dans le public. D’ailleurs, l’antienne raconte que le service public coûte cher ; allons voir du côté des impôts si ces fonctionnaires là ne font pas eux aussi les frais (si je puis dire) d’une politique économique.
cette société devient nullissime : quel avenir pour nos enfants ?
Merci Commissaire pour cette fine (et vaguement inquiétante) analyse. Comme vous le dites si justement: « L’anonymisation est une arme à double tranchant. »
Sans comparer les enjeux ou le public et le privé et sans ignorer les particularités du métier de policier, je trouve des similitudes avec l’évolution du travail dans la grande entreprise. Des directeurs anonymes remplacent les vrais « patrons » d’usines, les hommes de caractères ont disparu des bureaux des cadres supérieurs. Tout ce petit monde remplit les tableaux qu’on lui demande. Le travail a perdu du sens. Les plus attachés au sens et à la qualité de leur job sont ceux qui souffrent. On a remplacé l’attachement à l’entreprise par une attitude corporate artificielle qui masque la réalité.
Bref, la déshumanisation gagne du terrain tous les jours dans tous les domaines.