LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Avocats et magistrats : tentative de rapprochement

Les avocats se plaignent de trouver toujours porte close lorsqu’ils souhaitent s’entretenir avec un magistrat. Normal, plaisante l’une d’entre eux, « si je laisse ma porte ouverte, cela coupe le chauffage ou la clim’, selon la saison ». D’autant, renchérit un second, que les consignes incendie dans le nouveau palais de justice de Paris interdisent de laisser une porte ouverte.

Pourtant, le dialogue était au rendez-vous lors des assises organisées par le barreau de Paris pour améliorer les « relations entre avocats, magistrats, greffiers et personnels de justice ». Une première ! C’était le 14 novembre dernier, au Palais des Congrès. Un service impeccable dans des salles à faire pâlir d’envie bien des enseignants. Et un buffet copieux… Trop peut-être, car finalement, les avocats ne se sont pas bousculés. Cela aurait pu ne pas se voir, car la presse n’était pas conviée, pourtant, Jean-Baptiste Jacquin, a du se faire petite souris, car il a rédigé un compte-rendu de ces assises sur le site du Monde (ici). Et d’après ses comptes, il y avait 70 magistrats, sur les 500 que comptent le tribunal et 400 avocats, sur les… 29 000 inscrits au barreau de Paris. Donc, petit réflexe arithmétique : 1 magistrat sur 7 avait fait le déplacement et 1 avocat sur 70 environ. Soit dix fois moins. Bien sûr, de nombreux avocats n’ont que des relations épisodiques avec la justice, mais cela pose quand même question.

Les débats ont été ouverts par Jean-Michel Hayat, qui vient de quitter ses fonctions de président du tribunal de grande instance de Paris pour les dorures de la cour d’appel. C’est lui qui a eu la lourde charge de mettre en place le tribunal des Batignolles – que de petits plaisantins ont surnommé le tribunal du grand-guignol. Mais en fait, les décisions ont été prises bien en amont, par ce truc que l’on appelle « l’administration ». C’est ainsi, dit le haut magistrat, qu’il a dû batailler pour que les avocats puissent circuler librement dans les dédales de la justice parisienne. Au départ, il était prévu que seuls quelques centaines d’entre eux aient un badge d’accès. Choisis sur quels critères, on ne sait pas ! Avouez qu’entraver l’accès à la justice à ceux qui sont en charge des droits de la défense et du principe du contradictoire est un peu fort de café !

Car on peut critiquer les avocats, mais c’est aujourd’hui le seul contact humain dans la chaîne judiciaire. Pour leur défense, les magistrats et les greffiers évoquent la surcharge de travail et des raisons de sécurité – un leitmotiv dans notre société.

Finalement, grâce aussi à la pugnacité du bâtonnier Frédéric Sicard, la carte professionnelle de l’Ordre a été munie d’une puce électronique censée ouvrir toutes les portes. En fait, et j’exagère à peine, cela se limite aux portes des ascenseurs. Les ascenseurs du palais de justice ont la singularité de ne pas avoir de boutons d’étage. Vous devez programmer votre ascension avant d’y pénétrer. C’est futuriste, et un rien oppressant. Mais une fois sur le palier, c’est retour vers le passé. On se plante devant une bonne vieille porte à double battant, sur laquelle, au mieux, une bonne âme a écrit un petit mot, du genre « poussez pour entrer ». Et là, une seconde porte vous attend, à l’identique, mais celle-ci fermée à clé. Vous en déduisez que pour aller de l’avant il vous faut appuyer sur le bouton de l’interphone. Un boîtier gris, banal, d’un autre âge, qui grésille lamentablement. Une voix lointaine, parfois aimable, vous demande alors ce que vous voulez. Vous dites que vous voulez entrer. Oui, mais pour quoi faire… ? Euh, c’est pour un dossier… Pas d’ouverture à distance : un bruit de pas dans le couloir et quelqu’un vous ouvre et vous « reçoit » dans le couloir ou, au mieux, vous fait pénétrer dans un open space où s’entassent une dizaine de personnes. Au parquet national financier, par exemple, au vingtième étage, un monsieur aimable, mais qui ne se présente pas, vous dit en deux mots qu’avocat ou pas, pour toute demande d’information vous devez écrire. Et vous reprenez l’ascenseur, et votre métro « Porte de Clichy », avec en main un bout de papier déchiré sur un coin de page, portant une adresse mail.

Et c’est là que l’on se dit qu’on a un pied dans la justice du futur, la data justice, et l’autre englué dans les toiles d’araignées.

Et pourtant, le nouveau procureur de la République financier, M. Jean-François Bohnert, qui avait fait le déplacement pour ce colloque, prône la confiance avec les avocats. Les ¾ des enquêtes effectuées dans ce service de pointe, le sont en préliminaire, donc sans l’intervention des avocats ; mais il estime néanmoins que le contradictoire doit avoir sa place et qu’un équilibre est possible entre ceux-ci et le ministère public. J’ai hâte de voir ça, car en attendant, dans son parquet comme dans les autres, les avocats ne peuvent même pas obtenir le numéro d’enregistrement de la plainte qu’ils ont déposée au nom de leur client. Quant à savoir où en est l’enquête… !

Plusieurs autres magistrats de hauts rangs, comme le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, ont participé à ce colloque. Si certains ont reconnu des difficultés, tous ont prêché pour une meilleure communication avec les avocats. Il faut dire qu’au moins deux incidents récents ont chauffé les esprits : la violation de la foi du Palais par un ténor du barreau et l’évacuation manu militari de la salle d’audience d’une avocate qui se plaignait de la décision de la présidente.

C’est sans doute ce dernier incident qui a précipité la rédaction d’une charte portant création du « Comité consultatif conjoint de déontologie de la relation magistrats-avocats », laquelle a été signée à la Cour de cassation le 26 juin 2019. Ce comité a finalement simplifié son nom pour devenir le Comité consultatif conjoint, ce qui donne CCC. Cela me rappelle une vieille pub : Sur un imperméable CCC, la pluie frappe sans entrer. L’approche est timide, le Comité ne peut que donner un avis, faire une recommandation ou éventuellement suggérer une intervention législative ou réglementaire. C’est un premier pas.

Mais il y a un marqueur de rapprochement plus symbolique : l’accès à la cafétéria. Personne n’est capable de dire qui s’y est opposé, mais lorsque le barreau a demandé un accès pour les avocats inscrits, ça a été un niet. Dommage, il paraît que la vue est magnifique.

Ça peut sembler anodin, mais en fait non. Cela rappelle la fermeture de la buvette du palais de justice de la Cité, un lieu de convivialité, qui lors des procès d’assises restait ouverte jusqu’à la fin des débats.

En sociologie, la convivialité c’est l’ensemble des rapports positifs dans un milieu donné, mais il semble qu’il y ait quelque part une force contraire, comme une volonté de claquemurer les services régaliens de l’État, pour mieux les isoler de la population. On le sent bien dans la police, mais siouplaît, pas la justice.

2 Comments

  1. Daniel Douguet

    Incroyable !
    Et quid des contacts entre les magistrats et les O.P.J. ?

  2. Nombre d'Avogadro

    Excellent papier, comme d’habitude 🙂

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