LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Police (Page 10 of 34)

Bernard Tapie face à une enquête patrimoniale

 « On ne peut pas accepter des décisions comme ça », clame-t-il avec sa fougue habituelle. Les magistrats se seraient concertés pour lui « piquer ses biens » et toute cette procédure n’aurait d’autre but que de le descendre en flammes. « Je ne savais pas qu’on vivait dans un pays où l’on peut exécuter des gens avant d’avoir été jugés. » Pour lui, c’est la seule raison de cette enquête ouverte pour escroquerie en bande organisée. Pourtant, la loi du 9 juillet 2010 qui a donné aux juges et aux procureurs la possibilité de saisir les biens lors de l’enquête ou de l’information judiciaire ne vise pas que la criminalité organisée, mais toutes les infractions dont le but recherché est le profit. Et pour cela, les magistrats ont besoin d’un bilan de fortune, une sorte d’inventaire qui vient de plus en plus souvent se joindre au dossier judiciaire : l’enquête patrimoniale.

C’est l’une des missions de base de la PIAC (plate-forme d’identification des avoirs criminels). Créée en 2005, pour répondre à un besoin, à l’initiative du chef de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), la PIAC a été officialisée le 15 mai 2007. C’est un service de police judiciaire à compétence nationale, dirigé par un commandant de police, composé de policiers, de gendarmes et de fonctionnaires relevant d’autres administrations (impôts, douanes…).

À l’époque, la loi n’autorisait la confiscation des biens avant jugement que dans quelques cas précis, notamment par mesure de sûreté (armes, produits nocifs…) ou s’ils étaient directement liés à l’infraction. Même si certains juges pugnaces allaient bien au-delà. La loi de 2010 a changé la donne en instituant un principe de base : tous les biens confiscables sont saisissables.

Autrement dit, tout ce qui pourrait être récupéré après le jugement peut être saisi avant le jugement. Quitte à procéder à une restitution en cas de non-lieu ou d’acquittement.

Les biens concernés sont donc les mêmes que ceux visés à l’article 131-21 du CP qui prévoit la peine complémentaire de confiscation. Une sanction qui peut être prononcée à l’égard de l’auteur de n’importe quelle infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an (sauf délit de presse). Et lorsqu’il s’agit d’un délit punissable d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, pratiquement tous les biens sont saisissables, qu’ils soient ou non matériels, sauf à pouvoir en justifier expressément l’origine. La confiscation peut même être générale pour les crimes les plus graves. On parle alors de saisie patrimoniale.

Le préalable à ces saisies est donc l’enquête patrimoniale. Elle est destinée à identifier et à localiser, en France comme à l’étranger, les biens mobiliers ou immobiliers qui composent le patrimoine d’une personne condamnée ou d’un suspect. Rien de plus simple pour un individu lambda, mais dès que l’on s’attaque à un « gros poisson », les écrans et les intermédiaires se multiplient. Les enquêteurs doivent donc connaître toutes les ficelles du monde underground de la finance.

Comme toujours dans une enquête de police, tout commence par la consultation des fichiers. Les fichiers de police et de gendarmerie, mais également, par voie de réquisition, les administrations, les banques, les assureurs, le cadastre, le bureau de conservation des hypothèques, etc. Il est évident que l’interrogation des différents fichiers fiscaux (revenus déclarés, comptes bancaires, coffres-forts, immeubles, participation dans des sociétés, etc.) est le béaba de l’enquête patrimoniale. Celle-ci s’étend le plus souvent aux proches de la personne soupçonnée.

Les documents recueillis lors des perquisitions sont également une source de renseignements. Les officiers de police judiciaire doivent désormais se livrer à un « calcul patrimonial » lors des perquisitions et des scellés. En garde à vue, il est même possible de réserver un temps d’audition pour inviter la personne à s’expliquer sur ses biens.

À la finale, la PIAC dressera une fiche d’identification patrimoniale (FIP) qui pourra être exploitée par le magistrat.

Mais l’identification des biens va au-delà des frontières. Une loi-cadre de 2006 (dite initiative suédoise) prévoit l’échange direct d’informations entre les services répressifs au niveau européen. En cas d’urgence, cela peut ne prendre que quelques heures. Et il existe, depuis 2007, dans presque tous les États de l’U-E, une unité nationale de dépistage et d’identification des avoirs criminels. D’une manière plus large, le réseau CARIN (Camden Asset Recovery Inter-agency Network) permet des échanges opérationnels et juridiques entre une soixantaine de pays.

Monsieur et Madame Tapie détiennent de nombreux biens à l’étranger. Les magistrats instructeurs en possèdent donc la liste et, s’ils l’estiment opportun, ils ont la possibilité de faire appel à l’entraide judiciaire internationale pour en obtenir la saisie, ou même délivrer directement un « certificat de gel de biens », conformément à l’article 695-9-1 du CPP. La raison voudrait qu’ils se limitent à la somme en litige (278 millions d’euros) et aux acquisitions effectuées après l’encaissement de cette somme, en juillet 2008. Cependant, comme l’intéressé est mis en examen pour escroquerie en bande organisée (dix ans de prison), rien ne les empêche d’élargir leurs exigences et de demander la justification de l’origine de l’ensemble de son patrimoine.

La saisie est devenue la nouvelle arme des juges d’instruction. Une arme d’une efficacité redoutable, parfaitement adaptée à la lutte contre la criminalité organisée et qui trouve son assise sur l’enquête patrimoniale. Mais est-elle toujours justifiée ? Il ne faudrait pas que cela devienne une sanction et que le justiciable ait l’impression d’être condamné avant d’être jugé, comme le dit Bernard Tapie. La liberté de disposer de ses propres biens constitue en effet l’un des attributs les plus importants du droit de propriété.

Sur un autre plan, ce droit de propriété ne serait-il pas menacé par l’application de cette pratique à un délit aussi mal défini que la fraude fiscale ? En effet, la peine encourue dans la loi actuellement en discussion va jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Un individu soupçonné de fraude fiscale pourra donc se voir privé de tout ou partie de ses biens, en attendant d’être jugé.

Riches ou pauvres, nous n’aimons pas trop que l’on furète dans notre vie. Ce ne sont pas les sénateurs qui diront le contraire, eux qui viennent de rejeter le projet de loi sur la transparence. L’un d’entre eux a même déclaré que la publication de leur patrimoine serait une « atteinte au droit à la vie privée ». Pas mieux ! doit se dire Bernard Tapie.

 

Monsieur Jo se met à table

De Mesrine à DSK, un livre au titre un rien racoleur (mais nous mettrons ça sur le dos de l’éditeur) dans lequel René-Georges Querry, alias Jo, nous livre les moments forts de sa vie professionnelle. Et dieu sait si elle a été riche et variée : stups, antigang, antiterrorisme, protection des hautes personnalités… Il a même été associé à la préparation de la Coupe du monde de football.

Jo Querry dans les salons du Sénat

Pourtant, en 2002, il quitte la police pour se lancer dans le privé. Il faut dire qu’on lui offre un poste en or : responsable de la sécurité pour le groupe hôtelier Accor. Un poste qui n’existe pas et qu’il faut créer de toutes pièces. Un challenge. Il a quand même dû hésiter… Je me souviens d’un déjeuner avec notre ami commun Ange Mancini, où tous deux s’interrogeaient sur l’orientation à donner à leur carrière. Ils étaient sur les rails pour devenir préfets et ils barguignaient. Pas facile de quitter la boîte ! Querry a démissionné, (avec le grade d’inspecteur général, quand même) et Mancini a sauté le pas. Et comme ce dernier vient de prendre sa retraite (de l’administration), je m’interroge pour savoir s’il va lui aussi nous livrer ses mémoires. Il aurait des choses bien intéressantes à nous raconter…

Jo, on l’attendait sur l’affaire DSK. Il est presque minuit, ce 14 mai 2011, lorsqu’il reçoit un coup de fil dans sa voiture : Dominique Strauss-Kahn a été interpellé à l’aéroport de New York. « Il est accusé, lui dit son interlocuteur, d’agression à caractère sexuel sur une de nos femmes de ménage. » Arrivé chez lui, il appelle Ange Mancini, alors coordonnateur chargé du renseignement à la Présidence, persuadé que celui-ci est déjà au courant. Sauf que ce n’est pas le cas. C’est donc lui qui a informé le premier l’Élysée de l’arrestation du patron du FMI, et ensuite… Ensuite, il a été pris dans un tourbillon de rumeurs qui lui ont mis les nerfs à vif. « Lors de cette affaire DSK, on a épluché mon CV, relevé mon parcours. Mes amitiés professionnelles, mes divers postes, le côté flic de terrain qui voisinait avec des emplois  » sensibles « , notamment au sein du ministère de l’Intérieur… ». On sent qu’il a été meurtri d’être considéré comme complice d’un coup tordu. Dans ce blog, j’ai dit combien j’étais dubitatif sur la version officielle, un rien trop lisse, de cette affaire, mais je dois reconnaître que Querry m’a convaincu en partie qu’il n’y avait pas de complot et que les choses étaient relativement simples. Une sorte d’engrenage. Strauss-Kahn s’est noyé tout seul, et personne ne lui a tendu la main – bien au contraire. Mais, lorsque Querry dit que la DGSE n’a pas ses entrées secrètes dans le groupe Accor, là, j’ai du mal à le croire. Sinon, il faudrait envisager un sérieux recyclage des cadres au sein de notre service de renseignements.

S’il débute son livre par cette épopée humiliante pour DSK, René-Georges Querry le fait pour mieux vider l’abcès. Il revient vite sur ce qui l’intéresse : la PJ. Et comme pas mal de flics, l’affaire qui l’a le plus marqué c’est la traque de Jacques Mesrine. Il est à cette époque l’adjoint de Robert Broussard. Lors de l’opération, place de Clignancourt, il est en planque dans sa GS avec deux piliers de la BRI, Gérard Marlet et Bernard Pire. Lorsqu’il aperçoit le camion piloté par Christian Lambert (l’ex-préfet du 93) débouler à toute allure le boulevard Ornano, il vient se placer sur la droite de la BM dans laquelle se trouve le truand. « Il tourne la tête, me voit avec les autres policiers qui avancent sur sa gauche. Le camion le bloque devant, j’aperçois les fusils qui dépassent. Si le Grand lève les mains… »  Mais il ne l’a pas fait. Il s’est penché pour ramasser quelque chose sous son siège. Et la fusillade a éclaté. « C’est rapide. Je hurle : Halte au feu ! C’est fini. »

Extrait de la photo de la 23° promotion des commissaires de police

Quelques années plus tard, sans doute las de traîner dans les couloirs poussiéreux du quai des Orfèvres, Jo découvre les paillettes des cabinets ministériels. Sur l’album photos inséré dans son livre, on le voit côtoyer les grands de ce monde. Il a été félicité, décoré, jalousé et il a même été viré. Une vie normale, quoi ! Et pourtant, il n’a pas pris la grosse tête.

Tous les deux, on se connaît depuis les bancs de l’école de police et ce que j’ai toujours apprécié chez lui, c’est son humour au deuxième degré et cette façon de faire des choses sérieuses sans se prendre au sérieux.

La lutte contre le terrorisme passe-t-elle par les armes ou par le droit ?

En ce mois de mai 2013, les parlementaires se sont penchés sur deux rapports concernant les services de renseignement français. Le premier concerne l’encadrement juridique de leur action, tandis que le second analyse leur fonctionnement « dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés ». Et comme les deux portent la griffe du député Jean-Jacques Urvoas, on retrouve un peu de l’un dans l’autre. À la lecture de ces documents, au demeurant fort intéressants (que l’on peut trouver ici et ici), il reste une question en suspens : Faut-il accorder aux agents qui luttent contre le terrorisme des pouvoirs extra-judiciaires ?

Conférence de Jean-Jacques Urvoas

De quoi s’agit-il ? De donner à des policiers des pouvoirs de police administrative équivalents à ceux qu’ils détiennent dans le cadre d’une enquête judiciaire : surveillance, captation d’images, de sons, géolocalisation, intrusion occulte dans un domicile, une voiture… Tout cela sur des personnes qui n’ont commis aucun crime, aucun délit. De simples suspects.

Quels sont les services concernés ?

Les principaux acteurs du renseignement français sont au nombre de six, mais trois seulement ont un rôle important dans la lutte contre le terrorisme :

La DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), autrefois surnommée La Piscine en raison de la proximité de ses bureaux avec la piscine des Tourelles, est chargée du renseignement et de l’action à l’extérieur des frontières. Sous sa forme actuelle, ce service a été créé en 1982. Il a remplacé le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), lequel a été rattaché au ministère de la Défense en 1966, après l’affaire Ben Barka. La DGSE n’a aucune relation avec la Justice.

Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est rattaché au ministère des Finances. Ce service a été créé en 1990 pour lutter contre le blanchiment d’argent. Dix ans plus tard, il a vu ses compétences élargies à la lutte contre le financement du terrorisme, et, en 2007, il a rejoint la communauté du renseignement.  Il y a deux ans, une cellule spécifique a été créée pour mieux détecter le financement du terrorisme. Un travail de fourmi. C’est un service d’enquêtes administratives.

La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) a été créée en 2008 en mariant la DST (Direction de la surveillance du territoire) et une grande partie de la DCRG (Direction centrale des renseignements généraux). Particularité française, c’est à la fois un service secret et un service de police judiciaire.

C’est cette double casquette qui pose problème, car, comme tout service secret, une partie de son activité est clandestine, voire entachée d’illégalité. En revanche, dès qu’un OPJ de la DCRI rédige un procès-verbal, il doit respecter scrupuleusement la loi et il agit alors sous le contrôle d’un magistrat. Or, les informations recueillies en tant « qu’agent secret » ne peuvent figurer dans une procédure, sauf à se livrer à des acrobaties qui aboutissent souvent à des dossiers bancales et à mettre les magistrats dans l’embarras (l’affaire de Tarnac en est un bon exemple). Ainsi, le juge anti-terroriste Marc Trévidic n’hésite pas à déclarer devant les parlementaires : « J’ai moi-même été amené à faire des choses qui ne sont pas légales, car il n’est pas possible de faire autrement… ».

Source : rapport de la Commission d’enquête C.Cavard/JJ.Urvoas

Alors, pour pallier cette difficulté, le député Urvoas, qui est aussi le président de la Commission des lois, propose de faire adopter une loi qui aurait l’avantage de rendre les choses illégales légales.

Aucun risque de dérapage, nous assure-t-il, car aujourd’hui l’État ne peut se soustraire aux juridictions administratives ou à l’acuité des médias. Lire dans un rapport parlementaire que les journalistes sont là pour assurer le contrôle de l’État est assez surprenant…

Yves Bertrand, l’ancien directeur des RG, qui vient de mourir, déclarait l’année dernière à Médiapart (cité par Wikipédia) en parlant de la création de la DCRI  « On ne fusionne pas un service dont la vocation est avant tout judiciaire et opérationnelle, comme la DST, avec un service d’information, comme les RG (…) sinon pour créer une  » police politique  » ». Je ne suis pas loin de partager son avis. En tout cas, si le rapport parlementaire sur « le nouveau cadre juridique pour les activités du renseignement » est suivi d’effet, on prend le risque de s’en approcher un peu plus.

Vous me direz, il faut bien se donner les moyens de lutter contre le terrorisme !

Comment lutter contre le terrorisme ? – En fait il y a deux méthodes pour combattre ce fléau. Soit on estime qu’il s’agit d’une guerre, et alors le terroriste est un ennemi qu’il faut éliminer à tout prix. Dans ce cas, la Justice devient un obstacle. C’est la voie choisie par les États-Unis. Pour les autorités de ce pays, on se trouve en présence d’un conflit d’un nouveau genre, sans uniforme et sans patrie, et l’on peut par conséquent s’affranchir de toutes les conventions internationales. – Mais ceux qui font le sale boulot ne sont pas des policiers.

Soit on considère les terroristes comme des criminels et on les combat par le code pénal. C’est la méthode européenne. Pour nous, Français, cette démarche est conforme à notre passé qui veut que l’on ne déclare pas la guerre à des hommes mais seulement à des États et que l’on ne condamne pas a priori un mouvement, mais uniquement ceux qui, à l’intérieur de ce mouvement, se livrent à des actes criminels. Et cependant, il faut bien reconnaître que la menace islamiste remet les pendules à l’heure, car l’action d’un juge ne sera jamais suffisante.

Pourtant, il n’y a pas d’alternative : le terroriste est un ennemi ou un justiciable. Et se cacher derrière une loi pour effectuer des opérations hors la loi relève du clair-obscur. Dans les services techniques de la DST où j’ai œuvré durant plusieurs années, il y avait des fonctionnaires qui posaient des micros, d’autres ouvraient les serrures, d’autres le courrier… Chacun savait qu’il faisait une chose illégale, mais c’était pour la bonne cause, du moins le croyait-on (le contre-exemple étant la pose de micros dans les locaux du Canard Enchaîné). Si ces actes avaient été couverts par une loi, ils n’auraient eu que l’apparence de la légalité. Ce que le professeur Massimo Donini, de l’Université de Modène, qualifie de « droit pénal de l’ennemi », et qu’il ne considère en aucun cas comme un droit légitime. Il faut prendre garde de ne pas glisser de l’État de droit à l’État de police, ajoute-t-il dans la Revue de science criminelle 2009.

À ce jour, on peut dire que les deux méthodes sont plutôt inefficaces. Mais la méthode américaine présente au moins l’avantage de bien séparer le terrorisme des autres activités criminelles. Alors que chez nous, il y a fréquemment confusion des genres et les décisions prises pour lutter contre le terrorisme s’appliquent souvent à des infractions de droit commun. Et, à l’arrivée, nos libertés individuelles sont de plus en plus écornées, au point aujourd’hui de pouvoir condamner quelqu’un non pas pour un crime ou une tentative de crime, mais pour une simple intention criminelle.

Chérie, tu peux arrêter l’aspirateur ! Je suis en train de lire Urvoas dans le texte.. et le bruit m’empêche de me concentrer.

Il n’existe sans doute aucune solution satisfaisante, mais notre exigence de sécurité ne doit pas nous inciter à faire n’importe quoi. Il faut faire le moins mal possible. Il existe bien l’article 15 de la Convention européenne de droits de l’homme qui prévoit des dérogations à certains grands principes. Et notre Constitution, elle, renforce sérieusement les pouvoirs de police administrative lorsque l’état d’urgence est décrété. Alors, il y a peut-être quelque chose à envisager en se rapportant à ces textes… Une sorte d’état d’urgence au coup par coup : pour un temps déterminé et pour des faits précis, il serait accordé des pouvoirs exceptionnels à des services de police spécialement désignés… Et leur action serait contrôlée a posteriori. Mais finalement c’est peut-être ça que préconise M. Urvoas.

Allez, je vais relire les 360 pages de ses deux rapports…

Meurtre de Léa : le droit jusqu’à l’absurde

Le jeune homme qui a avoué avoir violé et tué Léa, à Montpellier, une nuit de la Saint-Sylvestre, sera-t-il un jour jugé ? En tout cas, si, malgré les arguties juridiques, il doit rendre compte de ses actes devant un jury d’assises, son procès sera bardé d’incertitudes. Mais pas sûr qu’il ait lieu. On le saura le 18 mai prochain.

Pourtant, pour Thomas Meindl, le juge qui a instruit l’enquête, les faits ne font guère de doutes. Rarement une affaire criminelle n’aura été aussi carrée. Du moins dans les actes – car sur le plan juridique, on patauge dans la semoule. Aussi, il y a une quinzaine de jours, il a refermé son dossier en ordonnant la mise en accusation du dénommé Seureau Gérald, 26 ans, pour avoir dans la nuit du 31 décembre 2010 donné volontairement la mort à Léa. Crime accompagné de plusieurs viols caractérisés.

Mais l’avocat du (futur ?) accusé ne l’entend pas de cette oreille. Il a fait appel de cette décision et demande à la chambre d’instruction de constater l’insuffisance de charges, en tenant compte du fait que les aveux de son client ne sont pas conformes au droit : absence d’avocat lors des auditions et droit de garder le silence. Pour lui, avec ce qu’il reste dans le dossier, il pourrait tout au plus être poursuivi pour des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

On imagine la consternation de la famille de la victime. Et ce sentiment de révolte, cet écœurement, contre une justice qui ne ferait pas justice.

Et pourtant, dans cette affaire, les enquêteurs, les magistrats, tout le monde a fait son job. Aucune erreur.

Enfin si. On peut quand même reprocher aux policiers de ne pas avoir prévu que quelques mois après ce crime, les députés allaient adopter une loi pour réformer la garde à vue. Un truc qu’on n’apprend pas encore dans les écoles de police : prévoir le futur.

Donc, en ce 1er janvier 2011, Gérald Seureau a reconnu ses crimes, après avoir – comme c’était la règle à l’époque – simplement consulté son avocat. Et, 3 mois plus tard, nos élus pondent un texte plus conforme au droit européen applicable en principe au 1er juin 2011. Toutefois, pour éviter l’annulation des procédures en cours, on déroge et l’on applique les grandes lignes dans l’urgence. Et urgence il y a, puisqu’au lendemain de cette loi, la Cour de cassation estime en deux mots que toutes les gardes à vue antérieures sont entachées de nullité. Une tempête judiciaire. Heureusement, il y a dans le code de procédure pénale un petit article, le 173-1, qui fixe la durée de l’appel à 6 mois après la mise en examen. Ouf ! On limite la casse.

Mais pour le meurtre de Léa, on est en plein dedans.

Durant sa garde à vue, Gérald Seureau fait des aveux circonstanciés. Et comme c’était à craindre, en juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse annule tous les procès-verbaux d’auditions ainsi que les enregistrements audiovisuels afférents et certaines investigations connexes.

Néanmoins, le dossier n’est pas vide. Il existe contre lui de nombreux témoignages et des éléments matériels : sa gourmette retrouvée sur les lieux du crime, ses vêtements tâchés du sang de la victime, saisis à son domicile, et surtout des traces de sperme, identifié comme étant le sien, prélevées en plusieurs endroits sur le corps de la jeune fille.

Mais aujourd’hui, Gérald Seureau, ne se souvient plus de rien. Tout au plus reconnaît-il un flirt avec Léa et quelques coups sans conséquences qu’il lui aurait administrés.

Alors, peut-il s’en sortir comme ça ?

On peut résumer les premières heures de l’enquête de la manière suivante :

Vers 21 heures, le père de Léa vient signaler au commissariat la disparition de sa fille. Il est accompagné de Seureau, la dernière personne à lui avoir parlé. Les policiers enregistrent son témoignage, mais, lorsqu’il retire un gant pour signer son P-V, ils constatent l’existence d’ecchymoses sur sa main. On peut penser qu’ils le pressent de questions. Il y a peut-être quelque part une jeune fille à sauver ! Dans le même temps, un témoin déclare que, lorsqu’il a aperçu le jeune homme vers 14 heures, il a remarqué qu’il avait des griffures sur les avant-bras, que son tee-shirt était déchiré et que son pantalon portait une large tache de sang.

Spontanément, Gérald Seureau avoue alors qu’il a abandonné Léa dans un parc, sans trop savoir dans quel état elle se trouvait. Et il accepte de conduire les enquêteurs sur place. Sur ses indications, ceux-ci découvrent le corps dénudé et sans vie de la jeune fille. Lors de l’autopsie, les médecins légistes noteront de nombreuses blessures et des lésions en plusieurs endroits consécutives à des pénétrations sexuelles.

Entre ces événements et les éléments matériels subsistants après l’écrémage de la Cour d’appel, il reste probablement suffisamment d’éléments pour convaincre les jurés d’une Cour d’assises. Mais qu’en dit le droit, ou plutôt la jurisprudence ?

« Quand bien même des aveux auraient été recueillis au cours d’une garde à vue s’étant déroulée dans des conditions irrégulières, il reste possible à la juridiction de jugement de prononcer une déclaration de culpabilité dès lors que cette déclaration se fonde sur des éléments autres que ces aveux » (Xavier Salvat, avocat général à la Cour de cassation – Revue de science criminelle 2013). Mais encore faut-il que ces « éléments autres » n’aient aucun lien avec les aveux obtenus hors de la présence de l’avocat, a décrété la Cour de Strasbourg en 2012. En fait, pour résumer, en cas de jugement et de condamnation, il appartiendrait probablement à la plus haute juridiction pénale, voire à la Cour de Strasbourg, de vérifier que cette condamnation a été faite sans tenir compte des zones de l’enquête invalidées.

Un long parcours judiciaire.

Karine Bonhoure, la maman de Léa, crie son indignation : « Le procès, initialement prévu au début de l’année 2012, n’a toujours pas eu lieu. Je me trouve aujourd’hui confrontée, pour la quatrième fois, à un recours de la défense… » Face aux techniciens du droit, elle n’a que sa douleur. Seuls les élus locaux l’appuient. Dans la mairie de Mauguio, près de Montpellier, un livre de soutien a été ouvert. Et, le 15 mai à 18 heures 30, une réunion silencieuse est prévue à Montpellier, Toulouse et Paris.

À qui devons nous ce pataquès ? Je vous laisse juge. En tout cas, si Gérald Seureau évitait le procès, ou s’il devait être acquitté aux seuls bénéfices de règles de procédure pénale, je me demande si la famille de Léa ne pourrait pas attaquer la France devant la Cour européenne pour déni de justice.

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Sur son blog,  Maître Éolas voit les choses de façon différente : De l’absurde jusqu’au droit.

Claude Guéant et le fric des flics

L’ancien ministre de l’Intérieur a justifié des dépenses en liquide par des primes reçues de la main à la main alors qu’il était directeur de cabinet Place Beauvau. Du coup, l’ancienne ministre de la Solidarité Roselyne Bachelot se désolidarise de son pair et le traite gentiment de menteur ou de voleur. Et, bouclant le grand 8, si j’ose dire, M. Guéant lui rétorque qu’elle n’y connaît rien et qu’il y avait sous l’ère Sarkozy deux régimes de primes différents. Ce que dément un autre ancien ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant.

Comment s’y retrouver dans cet embrouillamini ? On est tiraillé entre l’idée qu’ils nous racontent tous des craques ou celle qu’ils n’y connaissent rien. Et je ne sais pas ce qui est le plus inquiétant.

Si les primes de cabinet en liquide ont été supprimées par Lionel Jospin en 2002, n’en déplaise à ceux qui veulent que ça saigne, M. Guéant a raison. Il a existé, après cette date, au sein du ministère de l’Intérieur, une sorte de pompe à fric parallèle pour attribuer aux policiers des primes qui officiellement n’en étaient pas. Et cette carotte n’est pas celle d’un homme, mais d’un système qui a duré plusieurs décennies. Cela concernait aussi bien les frais de déplacements plus ou moins bidons que des fonds spéciaux, au cas où. Et pour les « belles affaires », il y avait les primes de réussite. Ce qu’on appelait si j’ai bonne mémoire les « secteur 2 ».

À une époque plus lointaine, à la préfecture de police, dans leur chasse aux proxénètes, les enquêteurs de la brigade mondaine parlaient de la prime au julot ou « julot casse-croûte ». Un brin de poésie ne nuit pas à l’efficacité…

Tout cela en bon argent sonnant et trébuchant. Bien entendu, pour débloquer ces fonds, il fallait l’aval du contrôleur financier, mais ensuite, il n’y avait pratiquement pas de contrôle sur la répartition. Et entre le ministre et le policier de base, les intermédiaires étaient nombreux.

Il est donc exact, comme l’affirme M. Guéant que, même après 2002, et durant encore plusieurs années, des milliers de fonctionnaires de police touchaient chaque mois une enveloppe en argent liquide. Même si, pour le lampiste, elle n’était pas très épaisse. Une somme qui dépendait du grade et du service et dont le percepteur ne voyait jamais la couleur. Parfois, bobonne non plus ! Et comme les billets de la Banque de France s’entassaient chaque mois sur le bureau du ministre avant de redescendre toute la hiérarchie, il n’est pas invraisemblable de penser que chacun se servait au passage… D’après ses dires, M. Guéant faisait partie de la chaîne.

D’ailleurs, à la direction générale, tout le monde se souvient de la « boite à biscuits d’Henriette ». C’était elle, la secrétaire du grand patron, qui assurait la distribution. Inutile de dire qu’elle était chouchoutée…

Ces temps sont évidemment révolus. Aujourd’hui, toutes les primes portent des abréviations énigmatiques et sont virées en même temps que le traitement. Enfin, presque toutes… il existe encore ici et là, des sommes en liquide mises à la disposition des chefs de service pour des missions exceptionnelles. Et si, en fin d’année, tout n’a pas été dépensé, ledit chef de service distribue le solde à ses hommes. Bof, un pourboire !

Alors, même si tout le monde lui tombe dessus, Claude Guéant ne ment pas. Mais on peut aussi se dire que ce grand commis de l’État, comme disent ses amis, tapait dans la caisse des flics. Et je trouve finalement assez amusant qu’à la suite d’une perquisition effectuée par ces mêmes flics, il soit obligé de justifier l’origine de ces fonds.

Allez, soyons miséricordieux. Après tout, comme disait Jean-Paul Sartre dans Les mains sales : Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ? 

La PJ va donc s’enrichir d’un nouvel Office central

Pour mieux lutter contre la fraude fiscale, François Hollande a annoncé la création d’un parquet et d’un office central spécialisés. Oubliant au passage que dans ce domaine les poursuites pénales ne sont pas l’apanage du procureur mais le privilège de l’administration fiscale. Pour faire simple, la peine de prison, c’est un peu le bâton que l’on agite sous les yeux du fraudeur pour l’inciter à négocier au mieux pour les caisses de l’État.

Parmi la ribambelle de crimes et délits, ceux qui touchent à l’argent sont les plus compliqués à établir. Dans un hold-up, il y a les braqueurs, les complices et éventuellement les receleurs. Alors que dans un dossier de fraude fiscale ou de blanchiment, on peut tout aussi bien trouver des criminels, des trafiquants, des margoulins et… d’honnêtes gens. Comme le montre la mésaventure de Florence Lamblin, l’élue écolo, prise à son insu dans l’engrenage d’un blanchiment d’argent de la drogue. D’ailleurs, même si ce n’est pas dans les textes, les juges font la distinction entre l’argent sale, issu du crime, et l’argent gagné proprement, uniquement sali par un détournement des règles fiscales.

Le délit de fraude fiscale résulte de la dissimulation de sommes soumises à l’impôt. Cela va du montage international sophistiqué à la simple omission de déclaration sur sa feuille d’impôts. Il est le plus souvent sanctionné par des pénalités, déterminées par l’administration elle-même sous le contrôle du juge des impôts. Quant aux sanctions pénales, elles sont exceptionnelles. Leur effet dissuasif est d’ailleurs très incertain du fait de la modestie des peines prononcées : le plus souvent une simple amende (autour de 5 000 €). Pourtant, depuis la dernière loi des Finances, dans certains cas, les peines prévues peuvent aller jusqu’à 7 ans de prison et 1 million d’euros d’amende (art. 1741 du CGI). Et, pour sourire un peu au souvenir des avant-dernières déclarations du président de la République, il n’est pas inutile de rappeler que toute personne condamnée pour fraude fiscale peut perdre ses droits civiques.

Pour s’affranchir du bon vouloir de l’administration fiscale, policiers et magistrats préfèrent s’intéresser au blanchiment de fraude fiscale. Il consiste pour un fraudeur ou ses complices à réintroduire l’argent douteux dans un circuit légal. Et pour cela, toutes les combines sont bonnes. Il y a encore quelques années, l’un des moyens souvent utilisé consistait à se faire prêter de l’argent par un établissement bancaire installé en France, en garantissant ce prêt par un dépôt en espèces effectué à l’étranger (back to back). Souvent en Suisse. Un autre procédé ressemblait à un de jeu de chaises musicales, faisant tourner l’argent des clients d’une même banque d’un pays à l’autre. À une toute autre échelle, ces procédés sont toujours utilisés pour le blanchiment du produit du crime organisé. Une plongée dans certains comptes chypriotes serait sans doute révélatrice de ce système. Le blanchiment simple est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende.

Ces deux infractions sont fortement imbriquées mais pour qualifier le blanchiment, il faut d’abord établir l’existence d’une fraude fiscale, même si l’infraction n’est pas poursuivie. Un peu comme un cambrioleur pourra faire l’objet de poursuites pour recel si l’on ne parvient pas à établir sa participation au vol.

Pour lutter contre la fraude et le blanchiment, une loi du 12 juillet 1990 a créé Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Cet organisme est considéré comme un service secret. Il est donc protégé, un peu comme la DCRI. Je ne sais pas si un sénateur peut s’en faire ouvrir les portes… En tout cas pour Bercy, c’est une arme redoutable, la clé de voûte de la lutte anti-blanchiment. D’autant qu’à la différence des journalistes qui peuvent s’abriter derrière la loi sur la protection des sources (comme l’a fait Le Monde pour les documents dits « Offshore Leaks »), des tas de professions (banquiers, assureurs, notaires, huissiers, agents immobiliers, casinotiers…) sont tenus de lui dénoncer toute transaction inhabituelle. Même les avocats sont concernés (CEDH : aff. Michaud contre la France). Deux situations opposées : les journalistes disent ne pas vouloir faire le métier de la police et les autres ont juste le droit de s’exécuter. Dans les deux cas, cela peut poser un problème de conscience. Je me demande s’il y a eu débat à la rédaction du Monde

On envisagerait d’ailleurs, Place Beauvau, un système d’alerte qui lui s’adresserait à tout le monde, avec, pour le dénonciateur, la carotte du statut de repenti.

Pour mémoire, en 2001, Arnaud Montebourg (avocat de profession) avait déposé un amendement devant ses collègues députés pour faire de la non-dénonciation en matière fiscale un délit.

Le 9 avril dernier, Pierre Moscovici et ses homologues, britannique, allemand, espagnol et italien, ont demandé au Commissaire européen en charge de la fiscalité l’instauration d’un projet multilatéral d’échange du renseignement inspiré de la législation américaine (FATCA).

On a vraiment l’impression d’une histoire sans fin. Pourtant, ce n’est pas faute pour la police d’avoir accumulé les structures…

Tentons de décortiquer le mille-feuille de ces dernières années :

En mai 2002, il a été mis en place au sein de chaque région administrative des Groupes d’intervention régionaux (GIR) dans lesquels se mélangent plusieurs administrations avec l’objectif essentiel de lutter contre l’économie souterraine. Une coordination nationale de ces groupements est assurée au sein de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière.

Cette sous-direction de la PJ chapeaute également la division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF) – dont dépendent la brigade de répression de la délinquance financière (BRDFi), la brigade centrale de lutte contre la corruption (BCLC), créée en 2004, et la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui a vu le  jour en 2010.

Services auxquels il faut ajouter l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) au sein duquel sont placés la brigade centrale pour la répression des fraudes communautaires (BCRFC), la brigade de recherches et d’investigations financières nationales (BRIFN) et la plate-forme d’identification des avoirs criminels (PLAC).

Et j’en oublie sans doute, comme la brigade nationale d’enquêtes économiques, dont je découvre l’existence.

Et cela uniquement pour la direction centrale de la police judiciaire.

Le nouvel office central de lutte contre la fraude fiscale et la corruption (OCLCFFC ? – ça se complique) va donc s’insérer dans cet organigramme, probablement en regroupant deux ou trois de ces services – sans doute sans l’ombre d’un effectif supplémentaire. Mais cela aura peut-être le mérite de mieux harmoniser les efforts…

Toutefois, le plus important dans la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment et la corruption, ne se trouve pas dans l’Hexagone, mais au-delà des frontières. Or, ce nouvel office va indéniablement faciliter les échanges internationaux (la DCPJ assure en effet la gestion et le suivi des trois canaux de coopération internationale : Interpol, Europol, et le système d’information Schengen).

Mais restons lucide, cela ne réglera pas le problème. Pour mémoire, l’OCRTIS (Office central pour la répression du Trafic illicite des stupéfiants) a été créé en 1953. Il a donc 60 ans – Et le trafic international de stupéfiants n’a jamais été aussi prospère, car, comme en matière de fraude fiscale, la solution du problème (si elle existe) se trouve en amont de la répression – et certainement pas dans une réaction coup de poing à une affaire ponctuelle.

Il n’est d’ailleurs pas interdit de s’interroger sur le bien-fondé de cette chasse aux simples évadés fiscaux avec des moyens d’investigation (notamment techniques) identiques à ceux utilisés pour lutter contre le grand banditisme, le trafic de stups ou le terrorisme. Chacun en pense ce qu’il veut. Moi, je suis perplexe, car nous sommes tous contribuables, donc tous suspects… Or, à chaque fois que l’on pénètre plus avant notre sphère privée, que l’on cherche à nous rendre plus transparent, notre autonomie en prend un coup. Et on nous moutonne un peu plus.

Cocaïne : existe-t-il une filière française ?

En tout cas, c’est ce que semblent penser les magistrats et les policiers spécialisés, puisque à la suite de la saisie record de 682 kg de cocaïne à Punta Cana, en République dominicaine, une enquête a été ouverte en France.

C’était le 20 mars dernier. Alors qu’il s’apprêtait à décoller, un Falcon 50 est immobilisé sur le tarmac. L’appareil, immatriculé F-GXMC, port d’attache Paris Le Bourget, appartient (via la société de leasing Lixxbail du groupe Crédit Agricole) à la SA Alain Afflelou. Il est géré par une petite société de transport aérien, au capital social de 3 000 €, inscrite en juin 2011 au Tribunal de commerce de Lyon : SN Trans Hélicoptère services. D’après la presse, la feuille de route du pilote mentionnait Versailles comme destination. Vraisemblablement l’aéroport d’affaires de Toussus-le-Noble.

L’opération de Punta Cana aurait été, semble-t-il, téléguidée par la DEA (Drug enforcement administration), laquelle suspectait l’existence d’un gang de passeurs au sein du personnel de l’aéroport. En tout cas, le tuyau est bon car la police interpelle 35 personnes : des militaires, des policiers et des douaniers…, ainsi que 4 Français. Une affaire qui tombe à pic pour le gouvernement, au moment où le ministre de l’Intérieur de la République dominicaine envisage une réforme drastique de la police nationale, notamment pour éliminer la corruption. Et elle doit être conséquente, car les trafiquants n’ont même pas pris la peine de dissimuler la drogue. Elle se trouve dans 28 valises : 682 paquets contenant chacun 1 kg de cocaïne.

Pendant ce temps, en France, les gendarmes poireautent. D’après Le Point, ils auraient eu un tuyau, il y a de cela plusieurs mois, concernant les déplacements suspects de cet avion. Ils l’auraient même contrôlé une fois dans le sud du pays sans résultat. En tout cas leur enquête est suffisamment avancée pour avoir obtenu du procureur de Draguignan l’ouverture d’une information judiciaire. Si tout cela est vrai, aujourd’hui, ça doit souffler à la direction de la PJ, car il semble bien que l’OCTRIS (Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants) n’ait pas été dans la confidence. Il faut dire que lorsqu’on récupère un tuyau de cette nature, que l’on soit flic ou gendarme, on n’a aucune envie de le partager. Sinon, on change de métier.

Pour la petite histoire, selon Le canard Enchaîné, c’est l’avion que Nicolas Sarkozy devait prendre pour se rendre à la convocation du juge Gentil. Il a eu chaud ! Avec tous les ennuis qu’il a déjà…

D’après l’OEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies), chez nous, le prix du gramme de cocaïne varie entre 50 et 80 €. Petite multiplication et cela nous donne une valeur à la revente de 34 à 54 millions d’euros. De quoi faire pâlir d’envie nos dealers de banlieue.

Et à vous décourager de jouer au Loto !

On imagine bien que si des trafiquants confient un tel chargement à des passeurs, c’est qu’ils sont en confiance. Ce n’est donc pas un coup d’essai. Autrement dit, les fins limiers de l’Office des stups chargés d’exécuter la commission rogatoire de la Jirs (Juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille ont du pain sur la planche. Il s’agit pour une fois non pas de remonter la filière, mais au contraire de la descendre. Car si cet avion était arrivé à bon port, comment 28 valises de 25 kg auraient-elles pu être débarquées au nez et à la barbe des autorités ? Il aurait bien fallu des complicités. La République dominicaine est membre d’Interpol, on peut donc penser que la coopération entre les deux pays sera effective. Et je ne suis pas sûr que là-bas, l’avocat assiste aux gardes à vue… Les confidences des uns pourraient bien permettre de décortiquer la chaîne de distribution. Ces temps-ci, il doit y avoir quelques personnes, dans le beau monde, qui dorment moins bien.

Les policiers sont-ils les enfants gâtés de la fonction publique ?

Cela semble l’avis de la Cour des comptes. Dans un récent rapport, elle souligne que malgré la perte de quelques milliers d’emplois, les dépenses concernant les rémunérations des policiers ont augmenté de 10.5 % en cinq ans (2006-2011). Alors que dans le même temps, l’augmentation n’était que de 5.1 % dans la gendarmerie et de 4.2 % pour l’ensemble de la fonction publique.

Mais il faut se méfier des chiffres…

Prenons l’exemple d’un capitaine de police avec 20 ans d’ancienneté. Il perçoit un salaire brut mensuel d’environ 2700 €. Si on ajoute les primes (résidence, sujétion, postes difficiles, commandement, etc.) son traitement tourne autour de 3200 €. En sécurité publique, il peut avoir la responsabilité d’une centaine de gradés et gardiens. Cette rémunération est-elle en rapport avec de telles responsabilités ? Je ne le crois pas. Un commissaire qui remplirait les mêmes fonctions coûterait nettement plus cher. Sans parler du privé. Il est vrai que tous les policiers ne sont pas dans cette situation. Certains cocoonent derrière un bureau, les pieds dans un tiroir…

Alors, où est passée cette augmentation de la masse salariale ? La réforme dite des « corps et carrières », entamée en 2004, a notablement faussé la donne en instituant un flux par le haut, qui en a favorisé certains, tandis que d’autres restaient sur le carreau. Je ne sais pas si les officiers de police en devenant cadre A ont fait une bonne affaire, mais ce que je sais, c’est que pas mal aujourd’hui déchantent et fustigent les syndicats qui les ont entraînés dans cette galère. À court terme, ils ont raison. Cette réforme sera sans doute profitable à la génération suivante. Car évidemment, à l’horizon de quelques années (l’horizon des gens qui nous gouvernent se limite à cinq ans), c’est l’employeur qui est gagnant.

Après cette réforme, la police est devenue l’armée mexicaine. Il y avait des chefs partout. Sauf sur le terrain, comme l’a démontré le scandale de la BAC de Marseille. Le nombre des brigadiers a été multiplié par 2.4, tandis que l’effectif des brigadiers-chefs faisait un bond de 84 %. Dans le même temps, les officiers prenaient la mesure de leur nouvelle fonction d’encadrement. Puis, pour rétablir l’équilibre, on a fermé la porte. En une demi-douzaine d’années, le corps des officiers a fondu de 25 %. Le nombre de lieutenants a diminué de 64 %. Or ces lieutenants, que l’on recrute toujours au compte-gouttes, sont l’encadrement de demain. Quant aux commissaires, leur nombre a baissé de 7 %. Ils étaient 1 740 à la fin 2011.

Pour continuer à faire tourner la machine à moindre coût, on s’est mis à recruter des ADS (adjoints de sécurité). Ils sont payés au niveau du SMIC et ils sont plus malléables que leurs ainés. Si j’avais un conseil à donner à un jeune qui n’a pas de diplôme, il y a là une formidable opportunité de faire carrière dans la police. C’est dans ces moments de mutation qu’il faut saisir la balle au bond. L’embauche des personnels administratifs a également augmenté, notamment pour la police scientifique, qui a le vent en poupe (+73 %). Ce qui laisse augurer de la police de demain.

À son arrivée, Manuel Valls a annoncé la fin des suppressions de postes, ce qui veut dire une reprise (probablement timide) du recrutement. Ce qui ne fait pas l’affaire de la Cour des comptes. Du coup, elle préconise une pause salariale, « notamment par la limitation étroite des nouvelles mesures catégorielles et l’encadrement plus rigoureux des mesures d’avancement et de promotion ». Une mauvaise nouvelle pour ceux qui espèrent un avancement : on entrouvre la porte extérieure et l’on cadenasse à l’intérieur.

Ce chambardement des services ne s’est pas fait sans mal. Et cela a entraîné un afflux d’heures supplémentaires récupérables. Il y en aurait 19 millions dans la nature. Une petite bombe à retardement. L’équivalent de 12 000 à 13 000 emplois à temps plein sur une année. Pour les fonctionnaires qui ne peuvent récupérer ces heures, il existe de fait une sorte de compte épargne-temps qui permet d’anticiper le départ en retraite. D’après la Cour de comptes, certains, notamment en PJ, pourraient ainsi partir 18 mois avant l’âge… Cela me paraît beaucoup, mais même s’il s’agit de 3 ou 4 mois, c’est au détriment du service, car durant cette période, ils ne peuvent pas être remplacés.

Comme pour tous les fonctionnaires, les primes disparaissent à l’âge de la retraite. Notre capitaine du début touchera donc environ 2000 € par mois. Et il n’aura pas vraiment le temps de bénéficier de la retraite additionnelle de la fonction publique, la RAFP, mise en place en 2005 (dont la gestion a d’ailleurs été épinglée par la Cour des Comptes) qui devrait capitaliser une somme de 75 milliards, mais d’ici 2050.

L’analyse de la Cour des comptes nous montre que cette réforme des corps (comme d’ailleurs le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur) a été mal préparée. Elle a un petit relent démagogique. Elle a coûté un fric fou et on a fait croire aux policiers à un effet d’aubaine. Dans les faits, pas mal sont restés à la traîne, notamment ceux qui n’étaient pas dans la fourchette haute de leur grade. Ces inégalités ont plombé l’ambiance, ce qui explique en partie la morosité qui pèse sur certains services. C’est peut-être l’une des raisons qui pourrait conduire à une nouvelle réforme, le « corps et carrières II ». L’idée est dans l’air. Et les oreilles des commissaires doivent siffler, car cette fois, on pourrait s’acheminer vers deux corps de police : les sous-officiers et les officiers. À défaut d’une parité dans les rémunérations entre gendarmes et policiers, on aurait au moins la parité des corps. – En attendant la prochaine réforme.

Vacations : lorsque policiers et gendarmes font payer leurs services

Le 15 mars, c’est la fin de la trêve hivernale pour les gens qui ne peuvent plus régler leur loyer. On peut craindre qu’ils soient de plus en plus nombreux. Heureusement, nos élus s’en inquiètent. Ainsi, un député vient de poser une question écrite au ministre de l’Intérieur : Pourquoi existe-t-il une différence de traitement entre les policiers et les gendarmes lorsqu’ils assistent un huissier de justice dans le cadre d’une expulsion ?

Eh oui, braves gens ! Lorsque nos forces de l’ordre assistent un huissier pour une expulsion, celui-ci facture des frais à son « client », ce qu’on appelle une vacation, dont le montant varie selon le nombre de taux de base (valeur 2.2 €). Avec un maximum de 33 euros pour les policiers et seulement 11 euros pour les gendarmes.

Cet argent ne va pas directement dans leur poche, mais atterrit dans un fonds de concours. Comme chacun le sait, les ministères peuvent, s’ils le souhaitent, ouvrir un « fonds de concours et d’attribution de produits ». Cette caisse est alimentée par des rentrées non fiscales, des donations, des legs, etc. ; et par des recettes qui correspondent à des prestations diverses. Je ne sais pas si l’Intérieur reçoit beaucoup de donations, d’autant que cela ne doit pas être défiscalisé, mais son fonds est quand même bien garni. Même si l’année dernière la branche « sécurité » n’a pas tenu ses objectifs. Les temps sont durs. Heureusement, il reste l’assistance aux productions audiovisuelles, la mise à disposition de moyens pour une course cycliste, une manifestation sportive, etc. Et les vacations d’huissier.

Les vacations funéraires suivent le même chemin. Longtemps, les morts ont été une véritable manne pour certains commissaires de police. Il n’était pas rare de voir les têtes de liste des promos de l’École de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or choisir un poste dans une circonscription en fonction de l’importance de son hôpital. Choix un peu affligeant pour des jeunes gens qui embrassaient une carrière au service de la société… Mais dès que l’on parle fric, le cynisme est de mise. Ce n’est pas Monsieur Mittal qui me contredira.

À l’époque, chaque mise en bière nécessitait la pose d’un scellé.  Donc, le paiement d’une vacation. Mais ces dernières années, les formalités ont été simplifiées. L’intervention de la police se limite à présent à sceller le cercueil lorsque le défunt est transporté hors de la commune de décès ou s’il est destiné à la crémation. La surveillance officielle est également de mise pour les opérations d’exhumation.

Si à Paris, dans le temps, il existait un système de répartition pour les vacations funéraires, il n’en était pas de même en province. Puis, les choses ont évolué. Les sommes ont été déposées sur un compte ouvert auprès d’un comptable public et réparties entre les policiers ayant participé à l’opération et une caisse de solidarité des commissaires de police.

Aujourd’hui, les vacations (autour de 20/25 euros) sont versées à la recette municipale à charge pour le maire de faire suivre les fonds au ministère de l’Intérieur lorsque l’opération a été assurée par un fonctionnaire de la police nationale.

Par une bizarrerie qui résulte d’un assemblage à la va-vite, les gendarmes ne peuvent toujours pas effectuer de vacations funéraires. Dans les communes où la police nationale est absente, cette tâche revient donc au garde-champêtre ou à un représentant de la police municipale. À défaut, dans les petites communes, c’est un élu de la municipalité qui doit se déplacer (il n’est pas défrayé).

Depuis 1996, le produit des vacations funéraires et des vacations d’huissier est donc versé au fonds de concours du ministère de l’Intérieur. À l’époque, les commissaires ont renâclé. Dans les « bonnes villes » (beaucoup d’HLM et un grand hôpital), il était possible de doubler son traitement. Pour faire passer la pilule, magnanimes, les députés ont rajouté quelques lignes dans la loi de finances afin de compenser leur manque à gagner par une allocation spéciale.

Si certains y ont laissé des plumes, l’image des commissaires s’est éclaircie. La corporation en avait besoin, car cette course aux pourboires des patrons de sécurité publique avait quelque chose de pernicieux.

Je me souviens, alors que j’étais stagiaire, de ce commissaire divisionnaire de Poissy qui m’avait fait passer pour le serrurier lors d’une saisie mobilière. Je suppose que lui et l’huissier de justice s’étaient ensuite partagé les quelques dizaines de francs supplémentaires facturés à cette famille surendettée !

Pourtant, il n’était pas méchant. Il était juste dans le système. Un système qui a fonctionné durant des dizaines d’années au détriment de la bonne gestion des commissariats. Tous les anciens se souviennent du sourire en coin des gardiens de la paix, lorsqu’on leur demandait où était le commissaire… Ces temps sont révolus, et même si on la critique souvent, et même si on jabote, la police d’aujourd’hui est devenue plus fonctionnelle. Moins de poésie, mais plus d’efficacité.

J’ai l’AD-haine

Il y a une dizaine de jours, à Marseille, deux frères jumeaux âgés de 25 ans ont été mis en examen et écroués pour une série de viols et d’agressions sexuelles. Ils ont été confondus par leur ADN. Mais lequel des deux est le coupable ? Une question à laquelle la police scientifique ne peut répondre. Et qui pourrait cependant devenir de moins en moins exceptionnelle, puisque le nombre de jumeaux ne cesse d’augmenter. En une quarantaine d’années, il a presque doublé en France – même s’ils ne sont pas tous monozygotes. Les techniques actuelles de la police scientifique ne sont pas assez fines pour prendre en compte ces cas particuliers. Pour faire la distinction entre les deux hommes, il faudrait faire appel à un labo privé et la facture pourrait monter à plusieurs centaines de milliers d’euros. Comme le dit Simoneduchmole sur Twitter, le bon vieux bottin coûtait quand même moins cher…

Extrait du livre « Notre ADN et nous », aux éditions Vuibert

Les journalistes ont relaté cette affaire sans étonnement (la presse serait-elle blasée ?), comme si l’on pouvait mettre deux suspects à l’ombre sous le prétexte que l’un est forcément coupable. Il existe bien sûr d’autres charges contre eux, sinon le juge d’instruction aurait une bizarre conception de la justice.

Pourtant, dès que l’on parle d’ADN, les excès ne sont pas rares, tant du côté de la police, de la gendarmerie que de la justice. Ainsi, lorsqu’un magistrat décide de passer tous les mâles d’un village breton au tamis pour tenter d’identifier un incendiaire, ne dépasse-t-il pas les bornes ?

Ce n’est probablement pas l’avis de la Chancellerie, puisque dans l’enquête sur le viol et le meurtre d’une collégienne anglaise, Caroline Dickinson, en 1996, le juge chargé du dossier qui avait refusé d’effectuer un test systématique a été remplacé par son collègue Van Ruymbeke, qui, lui, ne fait pas dans la dentelle. Si la pêche au filet n’a pas permis d’identifier le meurtrier, l’assassin a néanmoins été démasqué par ses gènes – mais grâce à une enquête des plus traditionnelles.

Le coton-tige n’a rien d’une baguette magique ! Bien sûr, je n’ai pas la haine de l’ADN (je n’ai pas résisté à ce titre), c’est un formidable atout pour découvrir les criminels, mais il faut prendre garde de ne pas tomber dans l’excès de confiance. La police scientifique ne doit pas engourdir « les petites cellules grises » chères à Hercule Poirot. Ainsi, ce mégot que l’on jette (à tort) dans le caniveau pourrait très bien se retrouver sur la scène d’un crime. Et l’on aura beau crier son innocence, sans alibi béton, on risque fort de passer quelques jours de vacances dans un hôtel Taubira.

Comme le dit en résumé le commissaire Cécile Moral, du service régional d’Identité judiciaire de Paris, dans la revue PPrama, le rôle de l’Identité judiciaire consiste à remettre des éléments aux enquêteurs, à eux d’en faire bon usage. Et tant pis pour les séries télé.

Chez nous, le législateur a tenté de placer des garde-fous en limitant l’utilisation du fichier national (FNAEG) à la simple comparaison. Un peu comme pour les empreintes digitales. Un seul marqueur est archivé : celui qui correspond au sexe. Toutefois, les prélèvements sont soigneusement conservés. L’enregistrement des traces est effectué pour les condamnés et les mis en cause pour les crimes et les délits énumérés à l’article 706-55 du Code de procédure pénale. Si l’ADN d’un simple suspect peut être prélevé pour réaliser un rapprochement, la formulation ne doit pas être introduite dans la base de données. Si l’on revient un instant sur l’affaire de l’incendiaire du Morbihan, les habitants de Larmor-Baden sont-ils tous des suspects ? La réponse est non. Les enquêteurs doivent donc obtenir leur consentement pour effectuer un prélèvement salivaire. Et – à mon avis – si l’un d’eux refuse, la sanction de l’article 706-56 du CPP (1 an de prison et 15 000 € d’amende) ne s’applique pas. On peut en discuter à l’infini, mais cela ne vaut pas le coup, puisque ledit réfractaire deviendrait illico un suspect. Il serait donc tenu de se soumettre. Et la boucle serait bouclée.

Faut-il s’inquiéter de l’archivage de notre ADN ? Je crois que oui. D’abord, parce que l’on touche à notre moi profond et surtout, parce qu’on est à l’aube d’un gigantesque marché industriel. « L’accroissement massif de la quantité d’information disponible sur l’ADN humain est l’émergence d’une nouvelle industrie basée sur l’exploitation de ces données », écrit le professeur Colin Masters dans son livre Notre ADN et nous (Ed. Vuibert). Par simple rapprochement d’idées, on se souvient que lors de la discussion de la dernière loi sur la sécurité (Loppsi 2, en 2011), M Hortefeux avait envisagé de créer un fonds alimenté par les compagnies d’assurance  pour assurer le financement du FNAEG. J’ai comme l’impression que notre patrimoine génétique excite bien des convoitises. Cela va bien au-delà d’un simple fichier de police.

Allez, ceux qui se plaignent du flicage de notre société n’ont encore rien vu !

Le journaliste scientifique Pierre Barthélémy, sur son blog, Passeur de sciences, nous raconte qu’une artiste new-yorkaise, en partant de quelques mégots et d’un chewing-gum récupérés au hasard dans la rue, a réussi à reconstituer le visage de leurs propriétaires respectifs. L’anecdote est exagérée. On ne peut évidemment pas (pas encore) reconstituer un visage à partir d’un prélèvement ADN. Mais il est possible d’établir des éléments distinctifs : l’origine ethnique, le sexe, la couleur de la peau, des yeux, des cheveux… Autant d’éléments qui peuvent venir compléter des témoignages visuels pour dresser un portrait-robot pas très éloigné d’une photographie. Et demain, le résultat pourra être introduit dans l’informatique d’un système de vidéosurveillance pour une détection quasi automatique.

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