LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : La petite histoire de la PJ (Page 4 of 6)

Enquêtes criminelles depuis le début du XX° siècle, replacées dans leur contexte social, politique et… policier.

La PJ, de 1991 à 1993

PARTIE 22 – Les dernières années de l’ère mitterrandienne ne sont pas les plus brillantes. Sans doute affaibli par la maladie et une médication de plus en plus aliénante, le vieil homme sombre dans la mégalomanie et la paranoïa.C’est la valse des Premiers ministres. Trop brillant, Rocard est remercié pour être remplacé par Edith Cresson, puis, un an plus tard, par Pierre Bérégovoy ; lequel laissera sa place à Edouard Balladur, lors de la deuxième cohabitation.

Au ministère de l’intérieur, c’est profil bas. En 1991, Philippe Marchand succède à Pierre Joxe. L’année suivante, Paul Quilès prend la relève, et, en 1993, c’est le retour de Pasqua. Heureusement, les hauts fonctionnaires de la place Beauvau, ceux qui de fait font tourner la boutique, se montrent particulièrement compétents. En hommes responsables, ils profitent de cette instabilité politique pour mettre en place les structures d’une police moderne.

Le 21 mars 1991, Jean-Louis Turquin, vétérinaire à Nice, signale la disparition de son fils, Charles-Edouard, âgé de 8 ans. Derrière ce fait–divers se cache une affaire trouble et alambiquée. En effet, un mois avant cet événement, Michèle, la femme de Turquin, l’a quitté. Peut-être, dans une ultime dispute, lui a-t-elle jeté à la face qu’il n’était pas le père génétique de son fils! Un test ADN lui confirme ce fait. Tout naturellement, il pense que le père de son enfant pourrait être un certain Jean-Marc Courraey, l’amant decharles-edouard-turquin.1188764400.jpeg son épouse. En découvrant ces éléments, les enquêteurs niçois se persuadent qu’ils détiennent là le mobile d’un crime, et que le vétérinaire a tué le petit Charles-Edouard pour se venger de sa mère. En l’absence de preuves, et même de cadavre, ils décident de le piéger. Ils favorisent une rencontre entre le suspect et son épouse. Cette dernière est chargée de lui soutirer des aveux sur l’oreiller. Ce qui se passe, exactement. Ces aveux sont enregistrés par les policiers. Quoique le procédé laisse perplexe, cet enregistrement sera la pièce maîtresse lors du procès qui aura lieu en 1997. Turquin comparaît libre. Bien qu’il clame son innocence en affirmant avoir été victime d’un véritable traquenard, il est condamné à vingt ans de réclusion criminelle. En dehors de cette cassette, il n’existe pourtant aucune preuve solide contre lui, et on n’a jamais retrouvé le corps du petit garçon. En 1999, un religieux israélien déclare – avec beaucoup de prudence – aux policiers de la PJ de Nice, qu’un enfant de seize ans placé dans une école rabbinique de Tibériade, en Israël, pourrait être le jeune Charles-Edouard. Une information qui mérite de sérieuses vérifications. Pourtant, les magistrats de la commission de révision des condamnations pénales estiment qu’il ne s’agit pas là d’un fait nouveau susceptible de permettre la révision du procès. Donc, pas de nouvelle enquête. Détenu modèle, Turquin a fait l’objet d’une libération conditionnelle en 2006. À sa sortie de prison, il a déclaré qu’il ferait tout pour savoir ce qu’était devenu son fils, « jusqu’au bout, jusqu’à ma mort. »

En novembre, Gérard d’Aboville traverse le Pacifique à la rame, et quelques mois plus tard, le 7 février 1992, le traité de Maastricht est signé. Il prévoit entre autres la naissance d’une citoyenneté européenne et la mise en place d’une monnaie unique. Les Français l’ont pourtant ratifié du bout des lèvres, avec 51,04 % de oui.

europol-a-la-haye_photo-wikipedia.1188754872.jpegC’est à la suite de ce traité que l’office européen de police, dit Europol (European Police Office), voit le jour. Cet organisme a pour objectif de gérer les renseignements relatifs aux activités criminelles en Europe. Son siège se situe à La Haye, aux Pays-Bas, et son personnel comprend des représentants des services dits répressifs (police, gendarmerie, douane, immigration…), des pays membres. Il faudra attendre le 1er juillet 1999 pour qu’Europol soit vraiment opérationnel. Pour la France, c’est la police judiciaire qui en prend la direction. Elle se voit également attribuer la gestion du bureau SIRENE-France du système d’information Schengen.

En juin 1992, débute le procès du sang contaminé qui met en cause le Premier ministre de l’époque, Laurent Fabius, et, quelques mois plus tard, François Mitterrand annonce publiquement qu’il est atteint d’un cancer, ce que tout le microcosme politico journalistique savait et dont personne n’avait osé parler. C’est en fait en 1981, lors de l’examen médical qui a suivi son investiture, que les médecins découvrent chez lui un cancer avancé de la prostate, avec métastases. Ils lui donnent peu de temps à vivre. Ils se sont trompés – et lui nous a trompés.

Le 1er mai 1993, Pierre Bérégovoy célèbre la fête du travail à sa manière. Il se tire une balle (certains disent deux) dans la tête avec l’arme de son garde du corps, un 357 magnum. On raconte qu’il n’a pas supporté les commentaires de la presse sur un prêt d’un million de francs obtenu du richissime Roger-Patrice Pelat. Ce dernier, ami proche du président de la République, avait été inculpé de délit d’initié en 1989. Son décès opportun, un mois plus tard, éteint l’action publique et étouffe une grande partie de l’enquête sur l’affaire Pechiney-Triangle, un rachat de sociétés à l’arrière-goût de magouille. La mort de ces deux hommes, comme celle de François de Grossouvre, qui s’est suicidé dans son bureau à l’Elysée ou celle du capitaine Pierre-Yves Guézou, le responsable au GIC (groupement interministériel de contrôle) des écoutes téléphoniques de la cellule antiterroriste, retrouvé pendu à son domicile, et bien d’autres encore, illustrent la face obscurepitbull_gentil.1188755012.jpg de Mitterrand. Ces morts font partie de son mystère. Ce qui ne l’empêchera pas, aux obsèques de Bérégovoy, de déclarer, péremptoire: « Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme ». Les journalistes ont perçu ces mots comme une insulte. Ils se sont montrés un rien paranoïaques, car si l’on décortique cette phrase… Question : Qui a livré aux chiens l’honneur d’un homme ? Réponse : Les journalistes. Alors, nouvelle question : Qui sont les chiens auxquels les journalistes ont livré l’honneur d’un homme ? Réponse: Nous.

Le 13 mai 1993, un homme prend en otages les enfants d’une classe maternelle de l’école Commandant Charcot, à Neuilly-sur-Seine. Il a le torse ceint d’une ceinture d’explosifs et menace de tout faire sauter s’il n’obtient pas une rançon de cent millions de francs. Cette affaire, habilement traitée par le RAID, à qui le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua, a eu la sagesse de donner carte blanche, a été résolue sans qu’aucun enfant ni aucun enseignant ne soit blessé. À noter que Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget, et maire de Neuilly, n’a pas manqué de courage. Il est allé lui-même parlementer avec le forcené. Pour avoir pratiqué, dans d’autres circonstances, je puis affirmer que ce n’est pas évident. En négociant habilement, il a réussi à faire sortir plusieurs enfants. De ce marchandage, on retiendra surtout cette petite phrase : «Tiens, tu me donnes le petit Noir, là!». Et il a surtout montré son sens de la mise en scène en sortant de la classe avec l’enfant dans les bras. Lorsque Eric Schmitt, celui qui se faisait appeler HB (Human Bomb), a été abattu de trois balles, il restait six enfants dans la classe. Après coup, certains ont tenté de chicaner sur les méthodes utilisées, mais la mayonnaise n’a pas pris. On ne touche pas aux enfants.

ecole-commandant-charcot.1188755376.jpegMon fils se trouvait dans cette école. Je peux témoigner que les enseignants, sous la houlette du directeur, Monsieur Chauvin, ont été à la hauteur. Dans sa classe, la maîtresse, Madame Moreau (si j’ai bonne mémoire), a annoncé à ses élèves qu’ils allaient faire une promenade au bois de Boulogne. Et tous sont sortis sagement, par l’arrière de l’établissement. Quant à la gardienne, dont j’ai oublié le nom, elle ne s’est jamais pardonnée d’avoir laissé entrer dans son école, ce monsieur trop poli qui venait pour contrôler les canalisations de gaz.

Le 8 juin 1993, l’ancien secrétaire général de la police sous le régime de Vichy, René Bousquet, est assassiné par un certain Christian Didier. Les motivations de ce dernier ne sont pas très claires. En tout cas, la mort de Bousquet le réduit au silence, au moment où il allait être jugé pour « crimes contre l’humanité ». Ce qui a dû arranger bien des gens. Le mois suivant, pour relancer l’économie de la France, le Premier ministre Edouard Balladur lance un emprunt de quarante milliards de Francs.

Le commissaire Jobic – « Une plainte contre un magistrat, c’est inadmissible. Je risque la cour d’assises, moi ! » C’est ainsi, grosso modo, que le juge d’instruction Jean-Michel Hayat justifie la mise en détention de l’homme assis face à lui. Il faut dire que ce dernier a eu la mauvaise idée de déposer plainte (contre X) pour forfaiture et atteinte à la vie privée. Le 22 juin 1988, les portes de la prison de Bois-d’Arcy se referment sur le commissaire Yves Jobic.

Jobic est chef des unités de recherches de la 1e division de Police judiciaire. En 1983, il a 25 ans, il sort major de sa promo. À coup sûr, ses diplômes lui auraient permis d’envisager une carrière plus lucrative, ou plus «aristocratique», dans la magistrature par exemple. Mais il voulait être flic. Célibataire, passionné, il se donne entièrement à son boulot. Et, en quelques années, il peut afficher un bilan des plus positifs. Un sacré tableau de chasse, comme on dit dans la maison.commissaire-jobic_livre-le-taillanter.1188755494.jpg

Lorsque, le 10 octobre 1986, le SDPJ 92 (service départemental de police judiciaire des Hauts-de-Seine) saute en flagrant délit un petit dealer du port de Gennevilliers, Jobic ne se doute pas que cette banale arrestation va chambouler sa vie. Les enquêteurs remontent la filière et bouclent l’affaire, que le substitut du procureur confie au juge d’instruction Jean-Michel Hayat. L’une de ces enquêtes sans gloire qui nécessitent beaucoup de travail pour un résultat souvent décevant.

Un peu plus tard, les policiers du SDPJ 92 interpellent, toujours en flagrant délit, d’autres individus soupçonnés de se livrer également à la revente de drogue. Tous ces dealers se connaissent, ils traficotent tous entre eux. Aussi, le substitut du parquet de Nanterre décide-t-il, dans un louable souci d’efficacité, de donner un supplétif au juge Hayat, pour regrouper les suspects dans un dossier unique. Parmi ceux-ci, figure un certain Jean-Claude Mustapha, alias Aziz. C’est un informateur du commissaire Jobic. Dès qu’il reçoit l’information, Jobic se rend au SDPJ 92. Il expose le problème à ses collègues, les commissaires Monera et Lafille, mais il est trop tard, la procédure est bouclée. Jobic est tenace. Il rend visite au substitut de Nanterre qui, prudemment, lui conseille de s’adresser au juge Hayat. Ce qu’il fait.

Jean-Michel Hayat est un magistrat brillant – mais engagé. Il fait partie du syndicat de la magistrature, très politisé et nettement à gauche, dont son épouse, Adeline Hazan, est d’ailleurs la présidente. À cette époque (je ne suis pas sûr que les choses aient beaucoup changé), les relations entre ce syndicat et la préfecture de police, « la forteresse », comme ils l’appellent, ne sont pas au beau fixe. Cela peut-il expliquer le comportement de Hayat ? Le fait est qu’il voit d’un mauvais œil la démarche de Jobic. Il ne comprend pas ses motivations. Il interprète mal ses objectifs. En fait, il pense qu’il s’agit d’un flic ripoux. Et il fait appel au commandant Morel, de la section de recherches de la gendarmerie de Versailles, pour le mettre sous surveillance.

Dans le cercle de la toxicomanie et de la prostitution, on rencontre le plus souvent des gens psychologiquement affaiblis, dépendants, et prêts à tout pour se procurer de la drogue ou simplement un condé. Il est donc aisé de recueillir des déclarations qui vont dans le sens de ce qu’on veut entendre. Mais Hayat ne le sait peut-être pas. Les preuves (?) qu’il accumule contre Jobic ne sont que témoignages de ce genre. Pourtant, lorsque les commissaires Monera et Lafille, du SDPJ 92, enregistrent les dires d’une prostituée, Patricia B., il aurait dû faire tilt. Celle-ci déclare que le juge lui a demandé d’attirer le commissaire Jobic dans les Hauts-de-Seine (département où le magistrat est compétent), et, à son insu, de lui glisser de la drogue dans les poches, pour le faire arrêter par des gendarmes. Mais, rigide dans ses bottes, Hayat prend la plainte en forfaiture que dépose Jobic, comme une déclaration de guerre. Et il se noie dans ses erreurs.

Roger Le Taillanter, dans son livre Commissaire Jobic, aux éditions de Fallois, rapporte la bombe lancée par Yves Jobic lors de son procès. A l’issue d’une confrontation de douze heures, le juge a concédé : « Monsieur Jobic, cela fait un an que j’accumule des témoignages contre vous. Je n’ai pas d’éléments matériels et je n’ai pas décelé d’éléments suspects dans votre train de vie. Mais j’ai l’intime conviction que vous êtes le maillon d’un important réseau de policiers qui alimente, avec l’argent de la prostitution, les finances d’un parti d’opposition… » Même à TF1, ils ne prendraient pas ce scénario. Le dernier jour de l’audience, après le délibéré, le Président du tribunal annonce le verdict : « Yves Jobic, vous êtes déclaré non coupable… »

jean-michel-hayat_ecole-journalisme-de-nice.1188755462.jpgTout était faux. Le 16 novembre 1990, la commission spécialisée de la cour de cassation a accordé à Yves Jobic, « victime d’une incarcération abusive et d’un préjudice particulièrement anormal et grave », une indemnité de 150.000 francs. Ce n’est que l’année suivante qu’il a obtenu le grade de commissaire principal. La vie de cet homme a été brisée par un juge rétréci, persuadé d’avoir mis à jour, au sein de la préfecture de police, un réseau de financement d’un parti de droite. Jobic s’est vu confier la direction de la prestigieuse brigade antigang en 1996, mais il est loin d’avoir fait la carrière qu’il méritait.

Ce n’est pas le cas de Jean-Michel Hayat. Pourtant, dans une autre affaire instruite par lui, en 1989, à l’audience de la 12° chambre du tribunal correctionnel de Nanterre, le substitut du procureur a déclaré : « Je n’ai jamais vu de telles lacunes dans un dossier… » Mais l’homme a quand même fait une belle carrière. De 1997 à 2000, il a été le conseiller technique de Ségolène Royal, lorsqu’elle était ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire. Il a été président de chambre au TGI de Nanterre, président de cour d’assises dans le Val-d’Oise et les Yvelines. Il est aujourd’hui président du TGI de Nice. Il arbore fièrement les insignes d’officier de l’Ordre national du Mérite et de chevalier de la Légion d’honneur. Il participe fréquemment à des colloques sur la justice, la liberté… L’année dernière, invité par le conseil national des barreaux, il a exposé sa théorie sur les dysfonctionnements de la procédure pénale et les remèdes à y apporter.

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La PJ, de 1988 à 1991

PARTIE 21 – Avec le retour de Pierre Joxe, à la tête du ministère de l’intérieur, pour la police judiciaire revient l’époque de la modération et de la raison. En effet, pour mettre fin aux rivalités entre services, et peut-être pour asseoir son autorité, Joxe durcit sa position vis-à-vis des médias. Il renforce la politique d’isolement de la police – politique qu’il avait amorcée lors de son passage précédent. Du coup, devant l’aphasie des commissaires, les journalistes font la cour aux magistrats. La plupart vont adorer. Et, bien vite, les juges font la une des journaux, transgressant gaillardement le tabou du « secret de l’instruction ».

Si les enquêtes sur les « crimes de sang » évoluent peu (la police scientifique telle qu’on la connaît aujourd’hui en est gang-des-postiches-en-action_affairescriminelles.1183318952.jpgencore à ses balbutiements), le banditisme prend une allure différente. Les Guérini, Zampa, Zemour, etc., sont histoires anciennes. La dernière équipe folklorique sera le gang des postiches. Les « inventeurs » de cette méthode, qui à ma connaissance n’ont jamais été inquiétés, du moins pour ces faits, ont habilement mélangé les genres. À la fois braqueurs et casseurs. Grossièrement grimés, ils pénètrent dans une agence bancaire, braquent employés et clients et, au burin et au marteau, s’attaquent aux coffres privés, ceux qui sont supposés renfermés les objets précieux des citoyens friqués. En l’espace de cinq ou six ans, c’est ainsi plusieurs dizaines de banques qui sont visitées, avec un butin incertain, mais… conséquent. Pour se protéger, les banquiers installent des alarmes sensibles aux bruits dans les salles fortes de leurs principales agences. La défense arrive cependant un peu tard. Car c’est par de classiques méthodes de filatures et de surveillances que les policiers de la BRI et de la BRB comptent mettre un terme à ces exploits un peu trop… médiatiques. Le 14 janvier 1986, ils se positionnent autour du Crédit Lyonnais, rue du Docteur-Blanche, à Paris. Les bandits sont à l’intérieur. Pour éviter toutes bavures, l’intention des antigangs est d’attendre la meilleure opportunité pour agir. Une opération retour, comme on dit. Mais il y a cafouillage au niveau du commandement. On a reproché au chef de la BRB, le commissaire Raymond Mertz, sa trop grande impétuosité. Il n’aurait pas maîtrisé ses nerfs, avec une volonté d’en découdre et une intervention prématurée. C’est sans doute vrai. Pourtant, à la réflexion, je pense que cet homme, peu goûté des chouchous du 36, a servi de… « bouc commissaire ». Car le bilan est lourd, et difficile à assumer pour de grands services : un policier et un gangster tués, trois policiers blessés et une partie des truands qui s’évapore dans la nature. Il s’agit de cacher ce qui crève les yeux : une grave mésentente entre les services. Dans le déballage qui suivra on associera le nom de policiers ripoux à cette débandade, histoire sans doute d’étouffer le mécontentement des inspecteurs. Olivier Marchal s’est inspiré de ces faits dans son film 36, quai des Orfèvres. Plus tard, Jean-Edern Hallier, l’ennemi intime de Mitterrand, déclare qu’un contrat avait été mis sur sa tête et que la cellule élyséenne avait passé un deal avec deux membres du gang des postiches (les « inventeurs » du gang des postiches auraient-ils bénéficié d’une protection?). Ces allégations ont été confirmées par le capitaine Paul Barril. En 2004, Michel Fourniret, le tueur en série, affirmera qu’il a récupéré le butin du gang des postiches, dissimulé dans des tombes de différents cimetières. Difficile parfois de ne pas mélanger fiction et réalité.

Le 22 avril 1988, des indépendantistes Canaques attaquent le poste de gendarmerie de Fayaoué, à Ouvéa, dans l’archipel des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie. Ils tuent quatre gendarmes et en prennent vingt-sept en otages.requisition-des-forces-armees-extrait.1183320599.jpg Conseillé par Christian Prouteau, François Mitterrand envoie le chef du GIGN, le capitaine Philippe Legorjus, afin de négocier et à défaut de préparer une action. Les pourparlers sont impossibles. Legorjus et ses hommes sont même séquestrés durant quelques jours. Le cinq mai 1988, trois jours avant le deuxième tour des élections présidentielles, Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation, reprend la main. Il déclenche l’opération Victor. Sous les ordres du général Vidal, l’armée donne l’assaut aux grottes d’Ouvéa. Le bilan est lourd. Deux militaires sont tués et tous les preneurs d’otages (dix-neuf) sont abattus, certains dans des conditions troublantes. Ces événements, habilement exploités, permettent à Mitterrand d’être réinvesti pour sept ans. Philippe Legorjus a depuis quitté la gendarmerie nationale. Il a donné sa version des faits dans un livre La morale et l’action, aux éditions Fixot. Le juriste et criminologue Cédric Michalski a effectué une étude juridique sur ces événements, et notamment sur la loi d’amnistie qui a suivi, dans une brève synthèse intitulée Questions de fait, Réponses de droit, qu’on peut consulter sur Internet.

philippe-legorjus_gign_org.jpgUn an plus tard, Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale, refuse une minute de silence à la mémoire des gendarmes assassinés. Une attitude méprisante – et méprisable.

En 1989, le gouvernement Michel Rocard fait adopter une loi créant le RMI. 570.000 foyers sont concernés. Et Zinédine Zidane débute sa carrière professionnelle. Son premier match en première division l’oppose au FC Nantes, au stade La Beaujoire. Pendant ce temps, tout à l’Est, 28 ans après son édification, le mur de la honte s’écroule. Le communisme n’y survivra pas.

La création de l’office central de la grande délinquance financière, en 1990, montre le tournant pris par la PJ. L’analyse est simple : la plupart des actions criminelles ont le profit pour mobile. On va donc s’attaquer à « l’argent sale » pour décourager les délinquants ou pour les châtier. Cette même année, dans une usine du Portugal, la 3.700.001ème 2CV sort des chaînes de montage. Ce sera la dernière « deuche ». Je me demande qui l’a achetée !

Au cours de l’été 1991, l’Ile-de-France connaît une vague de violences urbaines. Pierre Joxe créé les brigades régionales d’enquête et de coordination (BREC). Il s’agit de structures rattachées aux SRPJ et destinées à lutter contre les bandes organisées sévissant dans les grands ensembles urbains. La première du genre est installée à Versailles, en septembre 1991. Ce sera l’une des dernières décisions de Joxe avant d’être nommé ministre de la défense, en remplacement de Jean-Pierre Chevènement. En effet, ce dernier souhaite exprimer son désaccord sur l’engagement des troupes françaises dans la guerre d’Irak. Il déclare : « Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne ». Il démissionne. Cette première guerre d’Irak fera probablement plus de 200.000 victimes et, en raison de l’incendie des puits de pétrole et de l’utilisation d’uranium appauvri, elle aura un impact écologique dont on n’a pas encore mesuré toutes les conséquences.

Le trio maudit – Elle a 18 ans. Elle s’appelle Valérie Subra et exerce le métier de vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter. Mais elle a de l’ambition. Elle veut s’élever. Pour cela, elle profite de sa beauté et de sa jeunesse en marivaudant avec des hommes mûrs et nantis. Pour faire simple, elle michetonne. Elle fréquente Laurent Hattab, 19 ans. Ce dernier, s’occupe d’un commerce de sweat-shirts, la société « Tee for two », dont son père lui a offert la moitié des parts. Il roule voiture de sport et, avec ses allures de fils à papa, il impressionne fortement son amie. Le troisième larron est le plus âgé. Il se nomme Jean-Rémi Sarrau. Il a 21 ans, mais il est plus terne. C’est un suiveur.

Ces trois-là, pour s’enrichir rapidement, mettent au point un plan des plus simples – et des plus bêtes qu’il soit…

Le samedi 8 décembre 1984, à 18 heures 55, l’intervention de police-secours est requise au 97, rue de Prony, à Paris, dans le XVII° arrondissement.Il s’agit du domicile, à la fois personnel et professionnel, de Gérard Le Laidier, 50 ans, avocat. Les policiers sont accueillis sur place par Madame Françoise Nicouleau, secrétaire de l’étude, qui leur ouvre la porte. Ils découvrent alors, étendu sur le sol d’une pièce faisant office de bureau, le cadavre ensanglanté de Gérard Le Laidier.

Le lundi 17 décembre, la concierge du 12, rue Marguerite, dans le XVII° arrondissement, s’inquiète du désordre de l’appartement de Monsieur Laurent Zarade, chez qui elle effectue habituellement le ménage.Agé de 27 ans, cet homme est responsable d’une société familiale de confection implantée dans le Sentier. Il occupe dans l’immeuble un appartement de quatre pièces, contiguë à celui de ses parents. Son frère, Thierry Zarade défonce la porte d’une pièce servant à la fois de bureau et de chambre d’amis. Gérard Zarade gît près du lit, les pieds et les mains attachés, la tête dissimulée par un peignoir de bains de couleur rose, maculé de sang. Une écharpe bleu marine lui enserre le cou.

Les enquêteurs ont tôt fait de déterminer une relation commune aux deux hommes : Valérie Subra.

Interpellée, en quelques heures la jeune fille passe aux aveux. Elle dénonce ses deux complices. Ils sont arrêtés et les perquisitions permettent de retrouver plusieurs objets appartenant aux victimes. Une affaire carrée, comme on dit à la crim’.

Autour d’un verre au Martin’s, près du bois de boulogne, ces trois jeunes gens avaient décidé de se procurer de l’argent par n’importe quel moyen, avec l’intention de s’installer aux Etats-Unis. Il semble que ce soit Hattab qui ait eu une idée géniale : Valérie se fait inviter chez des hommes fortunés, et, après avoir émoustillé le pigeon, elle leur ouvre la porte. Il ne leur reste plus qu’à rafler le magot.

Aussitôt dit… Pour le premier meurtre, les deux jeunes gens ont ligoté Le Laidier et Valérie, afin de dédouaner cette dernière. Ils n’ont donc pas l’idée de supprimer leur proie. Mais il est probable que leur comédie ait fait long feu. Aussi, pour éviter un témoignage compromettant, ils décident de tuer l’avocat. Ils le frappent à coups de pied, à coups de poing, puis à l’aide d’une matraque, qui se brise sous la violence des chocs. Ils finissent par le poignarder. Une mortproces_photo_livre_unrendezvousdenfer.1183318651.jpg affreuse. Pour le second les choses sont plus claires. La décision est prise dès le départ de liquider Laurent Zarade, car celui-ci connaît trop bien Valérie. D’après leurs aveux, Sarraud bâillonne Zarade avec une écharpe et il lui tient la tête tandis que Hattab lui porte des coups à la gorge à l’aide d’un coupe-papier. Mais, malgré son bâillon, celui-ci crie de douleur. Pour étouffer ses hurlements, les deux assassins saisissent alors chacun un côté de l’écharpe et cherchent à étrangler leur victime. Zarade glisse sur le sol, mais il n’est pas mort. Saraud lui enveloppe la tête dans un peignoir, sans doute pour tenter de l’étouffer, tandis que Hattab lui enfonce par trois fois le coupe-papier dans la région du cœur.

Isabelle Pelletier a fidèlement relaté les faits dans un livre Rendez-vous en enfer, aux éditions J’ai Lu. Quant à Bertrand Tavernier, il s’est inspiré de cette sordide histoire pour son film, L’Appât, sorti en 1995.

Devant la cour d’assises de Paris, en janvier 1988, les trois jeunes gens ne montrent aucun remord. Laurent Hattab fait même preuve d’arrogance. Aucune considération pour la famille des deux victimes, assise au premier rang. Maître Szpiner, de sa voix de baryton clame : « Ils sont de la race de Paulin », faisant ainsi allusion au tueur de vieilles dames.

Le jury les déclare coupables et tous trois sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Une peine virtuelle, puisque Valérie Subra a été libérée en 2001 et Laurent Hattab et Jean-Rémi Sarraud deux ans plus tard.

Si la bêtise était une circonstance atténuante, ils n’auraient sans doute pas été condamnés – mais alors, les prisons seraient à moitié vides.

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La PJ, de 1986 à 1988

PARTIE 20 – En mars 1986, Charles Pasqua remplace Pierre Joxe à la tête du ministère de l’intérieur. Son vieux complice, Robert Pandraud, est bombardé ministre délégué, chargé de la sécurité. Ces nominations font suite aux élections législatives qui ont donné une courte avancée à l’union RPR-UDF. Jacques Chirac devient Premier ministre. Et le professeur Raymond Barre, après nous avoir initié au «microcosme parisien», nous parle le premier de la «cohabitation».

Après la charge des gauchos, après le labyrinthe des réseaux francs maçonniques, à l’arrivée de Pasqua les policiers appréhendent le retour des vétérans du SAC. Mais, la robert-pandraud_assemblee-nationale.1181574759.jpgprésence de Pandraud rassure. Certes, il a traîné ses guêtres dans les mêmes ruisseaux fangeux que son ministre de tutelle, mais pour les flics, c’est un vrai flic. Il a été directeur général de la police, et chacun sait que même du temps de Gaston Defferre, il a toujours gardé un œil, et un peu plus, sur les policiers. Au point que certains disaient alors qu’il était mieux informé que le ministre socialiste. Je me souviens d’une affaire de prises d’otages et d’une filature dans les embouteillages d’un retour de week-end. Je postillonne depuis ma voiture dans une radio crachoteuse pour tenter de faire le point. Le trafic sur les ondes est aussi dense que sur l’autoroute du sud, et il n’est pas facile de calmer la verve d’une cinquantaine de policiers surexcités. Soudain, une voix de stentor couvre la cacophonie. C’est Pandraud. Il suit les événements en direct, depuis le PC de l’OCRB. Les flics sont des enfants. Ils préfèrent voir le chef s’intégrer à une équipe plutôt que de l’accompagner lors d’un show médiatique dans une banlieue de loubards.

En 1985, Pierre Joxe a remodelé la PJ, en créant notamment une sous-direction de la police technique, jetant ainsi les bases d’une police moderne. Et son successeur a eu le mérite de résister à la manie qui consiste à démolir pour rebâtir à sa main.

Le 19 juin 1986, Coluche se tue dans un accident de moto, sur une petite route des Alpes-Maritimes, dans des circonstances que certains ont trouvé… étranges. En septembre, une série d’attentats frappe la capitale, dont le plus meurtrier est celui commis devant les établissements Tati, rue de Rennes. Ces actes sont revendiqués par le CSPPA (comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes) et les FARL (fractions armées révolutionnaires libanaises).

Au mois de décembre, des étudiants occupent la Sorbonne. Ils manifestent contre le projet de réforme du ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, Alain Devaquet. Un petit groupe tente de dresser des barricades à l’angle de la rue Monsieur-le-Prince et de la rue de Vaugirard. Les policiers reçoivent l’ordre de neutraliser les manifestant avant que le mouvement ne prenne de l’ampleur (le syndrome de 68 ?). Une équipe de voltigeurs motocyclistes est envoyée sur place. Ils prennent en chasse un jeune homme qui se réfugie dans le hall d’un immeuble et le bastonnent durement. Il s’agit de Malik Oussekine. Transporté à l’hôpital Cochin, il ne survivra pas. En plus des coups qu’il a reçus, Oussekine souffrait d’une insuffisance rénale, fait qui était, hélas, ignoré des urgentistes. L’affaire fait grand bruit. Pasqua heurte l’opinion publique en soutenant l’action de la police, alors que le débordement des deux voltigeurs est évident. Ils seront d’ailleurs condamnés, l’un à deux ans de prison, l’autre à cinq ans. Pandraud ne fait pas mieux en déclarant : « Si mon fils était sous dialyse, je l’empêcherais d’aller faire le con dans les manifestations. » Peu après, Chirac retire le projet de réforme, Devaquet démissionne et le bataillon des voltigeurs est dissous.

L’année suivante, c’est l’épilogue de la saga de la guerre des gangs, avec la mort brutale d’André Gau, alias Dédé le gode. En 1987, Henry Botey, celui que la presse a surnommé le « premier proxénète de France », a de sérieux ennuis. Ce n’est pas vraiment un mac, mais plutôt un… homme d’affaires. Il règne sur Pigalle. Pas un bar, pas une boîte de nuit, pas un hôtel de passes, où il ne possède des intérêts. Mais l’un de ses anciens employés, un certain Alain Picaud, surnommé le Gitan, gros bras et petitealain-picaud_archives_perso.1181574955.jpg tête, en a assez des seconds rôles. Il décide que son ancien boss a atteint la limite d’âge et que la place lui revient. Pour Botey, pas question de céder. Pourtant, après un avertissement sous la forme de deux ou trois balles de fort calibre qui lui sifflent aux oreilles, il décide de se protéger. Et, il fait appel à Dédé Gau. Ce dernier flaire la bonne affaire. Il y voit un super fromage. Car pour lui, Picaud n’est qu’une lopette. Ce qu’il n’a pas compris, le Dédé, c’est que la lopette n’agit pas d’initiative. Il fait l’objet d’une « poussette ». Derrière lui, il y a Jacques Imbert, dit Jacky le mat. Et ce dernier, avec trois ou quatre complices non identifiés (et pas nécessairement français) a décidé de faire main basse sur le monde interlope de Paris, puis des autres grandes villes hexagonales. Ce que d’aucun ont surnommé « la nouvelle mafia française ». Ce jeudi 10 décembre, Dédé Gau est en compagnie de Botey et d’un vieil ami, Jean-Pierre Le Pape. Ce dernier n’est pas un enfant de chœur, on le considère comme « l’inventeur » du gang des postiches, mais il est là par hasard. Botey lui propose de le raccompagner. Juste le temps d’un coup de fil, lui dit-il. En fait, Picaud doit le rappeler à vingt heures, dans une cabine publique du boulevard Bineau, à Neuilly. Le téléphone sonne. Botey et Gau se serrent dans la cabine téléphonique. Mais tous deux ont dû s’embourgeoiser, ou ils sont trop sûrs d’eux. Ils n’ont pas remarqué une voiture, garée à proximité. Picaud leur a tendu une embuscade. Il les surveille. Il saute de son véhicule et se précipite vers la cabine téléphonique. Au passage, il tire trois balles de 9mm sur Jean-Pierre Le Pape, qu’il ne connaît même pas, et braque son calibre sur Dédé. Mais l’arme s’enraye. Il dégaine alors un petit 6.35 et vide son chargeur avant de grimper dans sa voiture et de démarrer en trombe. Le Pape se relève. Il n’a rien. Les trois balles ont traversé son blouson. Henry Botey sort de la cabine. Il est indemne. Quant à André Gau, il est mort. C’était le dernier survivant de la guerre contre les Zemour. En guise d’oraison funèbre, l’un de ses amis a dit : « Il avait trop vécu. » Mais vous savez, dans le milieu, les amis… D’autres ont dit que Le Pape portait en permanence un blouson pare-balles. Allez savoir pourquoi ! Alain Picaud a été andre-gau_archives-perso.1181575163.jpgarrêté quelques jours plus tard. Il a reconnu les faits. En bon demi-sel, il n’a pas compris qu’il venait de servir la soupe à Jacky le mat.

En septembre 1987, Jean-Marie Le Pen, au cours de l’émission RTL-Le Monde, déclare que les chambres à gaz ne sont qu’un point de détail de l’histoire de la deuxième guerre mondiale, et, en mars 1988, la ville kurde d’Halabja, au nord de l’Irak, est bombardée avec des armes chimiques. Cinq mille personnes sont gazées. Des hommes, des femmes, des enfants. L’année suivante de pseudos historiens s’interrogeront pour savoir s’il s’agit d’un crime de guerre commis par l’Iran ou d’un crime contre l’humanité perpétré par l’Irak. Question de sémantique, doivent se dire les victimes. En tout cas, la communauté internationale ne bronche pas. Sadam Hussein n’est pas encore le diable et l’Irak est un allié de l’Europe et des Etats-Unis. Quant à l’Iran, deux mois seulement après ces événements, la France renoue des relations diplomatiques normales avec ce pays. Il est vrai qu’entre temps, il y a eu la libération « miraculeuse » des trois otages, Marcel Carton, Marcel Fontaine et Jean-Paul Kauffmann – juste entre les deux tours des élections présidentielles. Rappelons que ces hommes étaient détenus depuis plusieurs années par l’organisation pro-iranienne du Jihad Islamique.

Le 8 mai 1988, Mitterrand écrase Chirac au second tour des présidentielles. Et il repart pour sept ans. Mais le PS n’obtient pas la majorité à la chambre des députés et Michel Rocard se voit contraint à l’ouverture. Du coup, son gouvernement est composite : socialistes, radicaux et même des ministres issus de l’UDF.

Le tueur de vieilles dames – le 5 octobre 1984, une vieille dame de 91 ans, Germaine Petiot est agressée à son domicile, rue Lepic, près de Montmartre. Ses deux agresseurs l’ont rouée de coups pour lui fthierry-paulin-travesti_dossier_meurtre.1181575674.jpgaire dire où elle cache ses économies. Mais elle s’en sort vivante. Elle a de la chance. Peu après, le même jour, c’est le tour d’Anna Barbier-Ponthus. Cette personne de 83 ans rentre chez elle, son cabas à la main. Au moment où elle déverrouille sa porte, elle est poussée à l’intérieur de son petit appartement, rue Saulnier, dans le IX°, tout proche du XVIII°. Elle est ligotée, battue et finalement étouffée à l’aide d’un oreiller. On lui a volé quelques centaines de francs. Ce sont les deux premières victimes recensées du « tueur de vieilles dames ». La première a survécu. Toutes les autres sont mortes, sauf la dernière, Madame Finaltéri, qui a permis l’arrestation de l’assassin. Le juge Philippe Jeannin recensera dix-huit victimes et écartera provisoirement trois dossiers dont le modus operandi diffère quelque peu. Ces meurtres en série passionnent l’opinion publique et crée une psychose (bien compréhensible) chez les personnes âgées. La brigade criminelle se trouve devant le type même d’enquête difficile à résoudre : aucun lien entre le ou les assassins et les victimes, et aucun mobile, si ce n’est le maigre porte-monnaie de ces vieilles dames. À l’affolement qui suit la révélation de ces meurtres en série, Pierre Touraine, le directeur de la PJ prend des mesures d’urgence. Il s’agit essentiellement de rassurer la population et de répondre à l’attente de Pierre Joxe. Car cet ancien patron de la criminelle sait bien que cela ne fera pas avancer l’enquête. Le XVIII° est envahi par les forces de l’ordre – ce qui peut toujours avoir un effet dissuasif, et par les journalistes. Toute la presse est sur le pied de guerre. Le Parisien sort même un portrait-robot fondé sur un vague témoignage et la PJ, sous pression, interpelle un pauvre quidam qui, après quelques heures de garde à vue, sera relâché avec les excuses du commissaire. Puis, les crimes s’arrêtent et le XVIII° retrouve son calme. Un an plus tard, ça recommence, cette fois dans le XIV°, autour de l’église d’Alésia. On s’intéresse aux ouailles du curé, qui vient, lui aussi, de changer d’arrondissement, et qui s’occupe de jeunes en difficulté. Chou blanc. Les interpellations se multiplient dans le milieu des toxicomanes, des trafiquants de tout genre, des détraqués, sans résultat. Enfin, en janvier 1986, l’identité judiciaire, après un travail de fourmi (le fichier n’est pas encore informatisé) parvient à déterminer avec certitude que la plupart de ces crimes sont le fait d’un seul individu. Mais qui ? Enfin, la chance sourit aux enquêteurs et surtout à Madame Finaltéri, qui a survécu à ses blessures. Elle fournit une description minutieuse de son agresseur : 1.80 mètre, métis, les cheveux décolorés et portant une boucle d’oreille. C’est ainsi que lecommisssaire-francis-jacob_dossier_meurtre.1181576647.jpg commissaire Francis Jacob, le portrait-robot en poche, repère dans la rue un individu dont le signalement correspond. Il est seul. Il hésite, je le suppose, puis avec doigté, il procède à l’interpellation du suspect. Thierry Paulin, puisqu’il s’agit de lui, ne fait aucune difficulté pour suivre le policier. Il croit à un simple contrôle de routine. On compare ses empreintes et bingo ! Paulin avouejean-thierry-mathurin_dossier_meurtre.1181576292.jpg rapidement une vingtaine de meurtres. Et il dénonce son complice, Jean-Thierry Mathurin. Les enquêteurs pensent qu’il existe un troisième homme, mais là, Paulin se cabre. Il n’en dira pas plus. Mais il n’est pas exclu qu’il ait protégé un proche. Le doute persiste. Thierry Paulin ne sera jamais condamné. Il meurt du sida le 16 avril 1989. Quant à Mathurin, il a été reconnu coupable de sept meurtres et condamné à une peine de réclusion à perpétuité le 20 décembre 1991.

Avec mon complice de l’époque, Yves Rénier, quelques années plus tard, nous avons écrit le scénario d’un épisode du Commissaire Moulin, intitulé Paris 18. Une fiction largement inspirée de ces faits.

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La PJ, de 1984 à 1986

 

PARTIE 19 – Lorsque Defferre et Franceschi quittent la place Beauvau, la police est KO debout. En matière de sécurité, le bilan du gouvernement de Pierre Mauroy n’est pas reluisant. La DST et les RG, souvent appelés sur des missions identiques par de hauts fonctionnaires au front bien bas, se sont livré pendant deux ans une concurrence frénétique, et stérile. À présent, ces deux services sont exsangues. Quant à la PJ, elle a dû faire face à l’assaut des officiers de gendarmerie. Ceux-ci ne veulent plus être les chefs d’une « police des campagnes », ils ont l’appétit soudain glouton depuis qu’un de leur frère d’armes côtoie le président de la République. La PJ s’est également heurtée à certains magistrats, qui, profitant du flottement politique, ont tenté de sournoises manœuvres pour en prendre la direction. Encouragés par quelques syndicalistes ultra gauchisants, qui pouvaient enfin « bouffer du flic », et assurés de la bienveillance d’un ministre de la Justice qui s’est cru investi d’une mission sacralisée, ils ont d’ailleurs failli réussir. Et pourquoi pas?

broussard-en-operation_archives_perso.1180632732.jpgQuant aux commissaires, bon nombre ont été pris à rebrousse-poil. Persuadés qu’une carrière ne peut se faire sans appui politique, la plupart avaient visé à droite. Pour certains, le tête-à-queue fut spectaculaire. D’autres y laissèrent des plumes – ce qui n’a rien d’étonnant pour des poulets.

Ce fut le cas de Lucien Aimé-blanc. De sa guéguerre contre Robert Broussard, il sortait vaincu. Victime d’une cabale pour avoir trop bien protégé son informateur, Jean-Pierre Maione-Libaude, dit le petit, Aimé-Blanc est muté à Lille. Quant à Maione-Libaude, après quelques mois au trou, il se retrouve… dans le trou, abattu une semaine après sa sortie de prison par des truands, informés par voie de presse des renseignements qu’il avait pu fournir à la police.

Avec le recul, je crois que les années 1981, 82 et 83, ont mis en exergue l’immaturité des policiers et surtout celle des politiques qui auraient dû avoir en charge de juguler leurs enfantillages.

Pendant ce temps, Broussard a pris du poids. Il a l’oreille de Franceschi, et, sagement, il lui souffle de mettre un peu d’huile dans les engrenages. Mais, la prise de conscience est trop tardive. Et à un malaise essentiellement psychologique, le secrétaire d’État répond par des aménagements matériels. Les policiers vont pour l’occasion voir de vieilles revendications enfin satisfaites, comme l’intégration de la sujétion de police (une prime pour acheter le droit de grève) dans le calcul de la retraite, le versement d’une pension à cent pour cent pour les veuves des fonctionnaires tués en service, etc. Toujours bon à prendre, se disent d’aucuns.

C’est dans cette ambiance délétère que démarre l’affaire du petit Grégory. Le 16 octobre 1984, Grégory Villemin, âgé de 4 ans ½, disparaît de la maison de ses parents, à Lépanges-sur-Vologne, dans les Vosges. Dans la soirée, on retrouve son corps dans les eaux de la Vologne, à Docelles, à six kilomètres de son domicile. Il a les bras et lesgregory-villemin_photo_presse.1180629888.jpg jambes liés par une corde et il est mort noyé. Sur le petit corps, aucune trace de violences. À l’évidence, il a été jeté vivant dans la rivière – comme on noierait un chat. Les soupçons se portent sur la famille. Le lendemain, le père de l’enfant, Jean-Marie Villemin, reçoit une lettre anonyme : « […] Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con… » Deux semaines plus tard, le juge d’Epinal, Jean-Michel Lambert, délivre un mandat d’écroue contre Bernard Laroche, un cousin des Villemin, qui a fait l’objet d’une dénonciation de la part de sa propre cousine, âgée de quinze ans. Quelle famille ! En février 1985, le juge le libère, et un mois plus tard, Villemin père l’abat d’un coup de fusil de chasse. Mais les rumeurs vont bon train. Elles accusent Christine Villemin, la mère du petit Grégory. Dans une divagation intello, Marguerite Duras enfonce le clou. Persuadée de sa culpabilité, elle écrit dans Libération qu’il s’agit d’un crime « sublime, forcément sublime ». La PJ a été longtemps tenue à l’écart de cette enquête lamentable. Ses enquêteurs auraient-ils fait mieux que les gendarmes ? Le commissaire Jacques Corrazi, qui plus tard reprit le dossier, doit probablement le penser. Il aurait au moins réussi à juguler le délire d’un petit juge dont ses pairs ont dit qu’il était un « funambule de la pensée ». Christine Villemin a par la suite été mise en examen pour le meurtre de son fils. Le 3 février 1993, la chambre d’accusation de Dijon estime qu’il n’existe aucune charge contre elle, et rend un arrêt de non-lieu. On ne connaîtra jamais l’assassin du petit Grégory.

À la suite de l’échec du projet de réforme de l’éducation nationale proposé par Alain Savary, Mitterrand change de gouvernement. Le 17 juillet 1984, il nomme Laurent Fabius Premier ministre et place Pierre Joxe, un fidèle parmi les fidèles, à la tête de l’Intérieur. Il y a comme un avis de tempête place Beauvau. Joxe n’est pas un rigolo. Pour situer le bonhomme, peu après son arrivée, il sanctionne durement un gardien surpris en train de mâchouiller un sandwich durant son service. Mais il met de l’ordre dans la maison, et, peu à peu, les réseaux Defferre-Franceschi s’émiettent pour laisser la place à d’autres personnages, plus réfléchis, plus mystérieux et plus… fraternels.

À Fleury-Mérogis, Bruno Sulak a d’autres soucis. Il a écopé de neuf ans de réclusion criminelle pour une série de hold-up, mais pour lui, qui ne supporte pas l’enfermement, c’est inenvisageable. Aussi, prépare-t-il son évasion (la septième, huitième…?). Il promet la lune à un jeune sous-directeur de Fleury-Mérogis et parvient à le convaincre de sulak_archives_perso.1180632855.jpgl’aider dans sa cavale. Sans doute une première chez les matons. Il place des explosifs sur les vitres blindées de sa cellule et sort tranquillement – par la porte. Son intention est de profiter de la panique que doit provoquer l’explosion pour s’éclipser en douceur. Mais sa baraka l’a quitté. Deux surveillants pénètrent dans la petite pièce où il s’est réfugié, et où se trouve la machine à café. Il se cache dans un placard. Mais il est découvert. Une brève empoignade, alors qu’il tente d’enjamber la fenêtre. Il fait une chute de sept mètres et tombe sur une dalle en béton. Il meurt sans reprendre connaissance. C’est le début de sa légende. Une légende autrement sympathique que celle de Jacques Mesrine.

En juillet 1985, le bateau de Greenpeace, Le Raimbow Warrior explose dans le port d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Un photographe portugais est tué. Il ne faudra pas longtemps à la police du cru pour découvrir l’identité des terroristes : des militaires français appartenant à la DGSE. Nos fins stratèges avaient pondu ce plan pour déjouer la campagne musclée que préparait Greenpeace contre les essais nucléaires français dans le Pacifique. Le ministre de la Défense, Charles Hernu, prétend n’être au courant de rien. Il est sans doute le seul. Néanmoins, en bon fusible, il démissionne. Quant à Mitterrand, olympien, il ne prendra même pas la peine de s’expliquer.

Dans le domaine du banditisme, les affaires sont plutôt calmes. Nombre de truands se sont recyclés dans les machines à sous. Un bizness très lucratif. Il s’agit le plus souvent d’une subtile combine qui masque un racket organisé contre les bistrotiers, comme le démontrera l’arrestation d’Edmond Vidal, alias Monmon, l’ancien chef du gang des lyonnais.

En novembre 1985, Thierry le Luron et Coluche se marient « pour le meilleur et pour le rire ». Plus sérieusement, trois mois plus tard, ce dernier lance les Restos du cœur.

En mars 1986, la gauche perd les élections législatives et François Mitterrand nomme Jacques Chirac comme Premier ministre. Les Français découvrent la « cohabitation ». À noter qu’en situation identique, à plusieurs années d’intervalles, aucun des deux hommes n’envisagera un instant de mettre un terme à son mandat. Tout le monde n’a pas la classe d’un De Gaulle.

Un mois plus tard, mais cela n’a aucun rapport, une explosion détruit l’un des quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Mais les Français ne s’inquiètent pas, grâce à un mur de tartuferies construit à la hâte, ils se savent à l’abri des retombées radioactives.

L’affaire Lebovici – Le 5 mars 1984, vers quatre heures du matin, le garde des sceaux, Robert Badinter, est réveillé par le téléphone. C’est l’état-major de la PP qui l’informe qu’on a retrouvé son ami, Gérard Lebovici, dont il avait signalé la disparition. Son corps est avachi sur le volant de sa voiture, dans le parking Foch, à Paris. Il a reçu quatre catherine-deneuve-et-gerard-lebovici_lecrapouillot.1180630289.jpgballes de calibre.22 dans la nuque.

Lebovici est un homme d’affaires avisé. Dans les années 60, il a créé un véritable empire dans le milieu pourtant périlleux du cinéma. Devenu un richissime producteur, il côtoie à présent les plus grandes stars. On le voit souvent au bras de Catherine Deneuve. En 1972, il fonde Artmédia, une agence de production qui aura bientôt sous contrat, une pléiade de comédiens, de réalisateurs et de scénaristes. Puis, plus tard, la société Acteurs Auteurs Associés (AAA). Parallèlement, il crée une maison d’édition, Champ Libre, dans laquelle Guy Debord va bientôt jouer un rôle déterminant. Debord est le maître à penser d’un petit groupe d’intellectuels snobinards qui se disent situationnistes. Rappelons que l’international situationniste se veut un mouvement marxiste et révolutionnaire dont les objectifs sont… euh !… En fait, je n’en sais rien. Je n’ai rien compris à leurs explications. Certains diraient qu’ils se contentent de faire du bien aux mouches. Lebovici est donc un homme ambiguë, surtout si l’on ajoute à son CV le fait qu’il fréquente certains personnages inscrits au fichier du grand banditisme. Et, dans ses projets à court terme, il y a l’adaptation du livre de Jacques Mesrine, L’instinct de mort, avec Belmondo dans le rôle principal.

Le jour de sa mort, Lebovici a reçu un coup de téléphone d’un inconnu qui s’est présenté comme un ami de Sabrina (la fille de Mesrine ?). Il a inscrit sur son agenda : « François, 18h45, rue Vernet ». De là à supposer qu’il s’agisse de François Besse, un complice de Jacques Mesrine , il n’y a qu’un pas. Les enquêteurs le franchissent. On imagine un instant que Besse pourrait être l’exécuteur de la vengeance posthume de l’ennemi public n°1. Ce dernier aurait eu, dit-on, un différent sur le montant des droits sur son livre. De belles théories, mais rien de concret. D’ailleurs, à l’antigang, on imagine mal le petit François dans ce rôle. Alors, il faut gratter ailleurs. Le fins limiers de la brigade criminelle ont pensé un moment que certains de ces types un peu bizarres, ces… situationnistes, pourraient être moins innocents qu’il n’y paraît. Pendant ce temps, la presse people fantasme. Un calibre .22, c’est une arme de femme, disent certains… C’est aussi celui qu’utilise la mafia, dans certaines circonstances, surenchérissent d’autres… Je crois en fait que la seule piste sérieuse se situe dans l’hypothèse d’un système de blanchiment d’argent. A cette époque, la location de films vidéo explose Quelques truands débrouillards y voient une aubaine. Ils mettent en place une chaîne de franchisés, installés aux quatre coins de France. Tout est régulier. Ils achètent les droits sur des films pour pouvoir louer les cassettes à leurs boutiquiers. Un marché juteux – surtout si les droits sont négociés nettement en dessous de leur valeur. Et il aurait pu être tentant, pour certains professionnels du cinéma, de signer des contrats à bas prix (au détriment des comédiens de second rôle, des scénaristes, etc.) et d’encaisser une substantielle commission en liquide. Lebovici pouvait-il avoir mis en place une telle embrouille ? Dans ce cas, il n’aura pas été régulier, du moins aux yeux de ces truands recyclés, et boum ! Ou au contraire aurait-il découvert l’existence d’un trafic monté à son insu ? Dans ce cas, témoin dérangeant, il n’aurait été que la victime de ces malhonnêtes gens.

On se saura jamais. Gérard Lebovici était un personnage à multiples facettes et il a emporté bien des secrets dans sa tombe – même celui de sa mort.

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La PJ, flash-back

PARTIE 18Depuis l’apparition des brigades du tigre, en 1907, la France a connu deux guerres, trois républiques, et bien des vicissitudes. Pendant ce temps, comme toutes les administrations, la police nationale a eu du mal à se réformer. Quant à la PJ, elle s’est souvent contenté de coller le train à l’évolution de la criminalité, sous toutes ses formes. Car au fil des ans, vols, violences, meurtres, banditisme, terrorisme, etc., ont perduré. Et finalement, chez les « hors la loi », quelles que soient les méthodes ou les armes utilisées, motivations ou objectifs restent inchangés.

 

jack-palmer-filature-par-petillon.1180076299.jpgÀ la demande d’un ami lecteur, et pour tenter de s’y retrouver, je vous propose un petit retour en arrière sur… aïe ! trois quarts de siècle, quand même ! Si voulez bien me suivre…

 

L’origine de la PJ

PARTIE 1 – Le 30 décembre 1907, Clemenceau signe un décret instituant douze brigades régionales de police mobile, plus connues sous le nom de « brigades du tigre ». Composées seulement d’une dizaine d’inspecteurs et de deux commissaires, chacune sera dotée (et c’est une première) de 4 limousines De Dion-Bouton. [suite.. ]

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La PJ de l’entre-deux guerres

PARTIE 2 – L’entre-deux guerres amène bien des mélis-mélos dans le canevas de la police judiciaire, notamment dans la région parisienne où l’emprise du préfet de police, qui détient ses pouvoirs du gouvernement consulaire de l’an VIII (1800), exclut l’interpénétration entre les différents services. [suite… ]

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La PJ sous Vichy

PARTIE 3 – Dans les années qui suivent l’armistice de juin 1940, il ne reste plus qu’un maigre noyau de « mobilards ». Ils doivent faire face à une nouvelle génération de malfaiteurs, dont bon nombre font leurs armes au service de la gestapo, mais l’action judiciaire est en grande partie neutralisée par… un monstre à deux têtes. [suite… ]

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La PJ de l’après-guerre

PARTIE 4 – À la Libération, l’état de délabrement de la France nécessite une reprise en main de tous les services. Un décret du 16 novembre 1944, rétablit la direction générale de la police nationale. C’est la base des structures actuelles : une direction générale rattachée au ministère de l’intérieur et quatre grandes directions actives : police judiciaire, sécurité publique, renseignements généraux et surveillance du territoire. Seule la préfecture de police de Paris échappe à l’hégémonie du pouvoir central. Le « Paris libéré » du général de Gaulle reste un état dans l’Etat. [suite…]

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La PJ de papa

PARTIE 5 – En 1954, tous les éléments d’une guerre des gangs sont réunis. Les enjeux : prostitution, jeux, trafic de cigarettes américaines, et, bientôt, trafic de drogue. Mais les Français sont plutôt préoccupés par « la pacification de l’Algérie », bien loin de se douter qu’un véritable conflit est en train de naître. Il durera huit ans, et laissera le pays aux bords de la guerre civile. [suite… ]

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La PJ de 68

PARTIE 6 – Il existait en France, depuis la nuit des temps, deux institutions policières : la sûreté nationale (SN) et la préfecture de police (PP) de la ville de Paris. Une loi du 9 juillet 1966, change la donne. Le préfet de police conserve ses prérogatives, mais les policiers sont tous rattachés au ministère de l’intérieur, au sein d’un corps unique : la police nationale. [suite… ]

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La PJ post-soixante-huitarde

PARTIE 7 – Les policiers, du moins ceux qui ne sont pas occupés à « casser du gaucho » sous la houlette de Marcellin, reprennent le fil du banditisme. Ils ont du boulot : les chiffres de la délinquance explosent. Pour faire face, la DCPJ créée des antennes, rattachées aux SRPJ, avec une vague arrière-pensée de départementalisation. Celle-ci ne se fera pas. [suite… ]

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La PJ, mes débuts

PARTIE 8
– Le démantèlement de la French connection, à Marseille, et surtout le durcissement de la législation concernant le trafic de drogue, font comprendre aux « survivants » qu’il est temps de changer de négoce. Tandis que Vanverbergh, alias Francis le Belge bronze rayé derrière les barreaux, Zampa étend son activité en direction du monde du jeu. C’est alors qu’un nouveau larron vient bouleverser la donne, Jacques Imbert, dit Jacky le mat. Pour montrer qu’il « en a », il n’hésite pas à racketter Jean-Dominique Fratoni, le patron du tout nouveau casino à Nice, le Rhul. [suite… ]

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La PJ, sous Giscard

PARTIE 9 – Le massacre qui a suivi la prise d’otages de la délégation israélienne, aux Jeux Olympiques d’été à Munich, en septembre 1972, fait prendre conscience aux autorités de différents pays d’Europe, qu’il faut disposer d’une force d’intervention spécialisée pour gérer ce genre de situation. [suite… ]

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La PJ, sous Giscard (2)

PARTIE 10 – Dans les années 70, le fonctionnaire chargé de tenir à jour le fichier du grand banditisme n’en finit pas de rayer des noms. Les morts violentes se succèdent, avec un pic important en 1973, l’année des records, une hécatombe chez les voyous, avec aussi, hélas ! quelques dégâts collatéraux. La PJ [suite… ]

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La PJ, sous Giscard (3)

PARTIE 11 – A la fin des années 1970, la décrépitude du clan Zemour est en marche. Le guet-apens du café Le Thélème y est sans doute pour beaucoup. Un an plus tard, le 13 septembre 1976, la mort du chef des Siciliens, Jean-Claude Vella, abattu à Paris, puis celle de Marcel Gauthier, revolvérisé à Nice, suffiront, semble-t-il, pour effacer l’ardoise. L’honneur est sauf, se disent les Zemour. [suite… ]

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La PJ, de 1980

PARTIE 12 – En ce début des années 80, nombre de démocraties voient apparaître des mouvements prônant l’usage de la force et se revendiquant du marxisme. (Raymond Marcellin aurait-il eu raison ?) Près de nous, en Allemagne, c’est la fraction armée rouge ; et en Italie, les brigades rouges. En France, action directe a revendiqué le mitraillage du siège du patronat, le 1er mai 1979. Ce mouvement va faire parler de lui dans les années suivantes. a [suite… ]

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La PJ, de 1980 (2)

PARTIE 13 – En 1927, Charles Lindbergh traverse l’Atlantique en avion. Mais sa gloire attire sur lui l’attention des truands. Cinq ans plus tard, son fils, un bébé de deux ans est enlevé. Les ravisseurs exigent une forte rançon. Mais, une fois celle-ci encaissée, ils tuent l’enfant. Deux ans après, un immigré allemand, Bruno Richard Hauptmann, est arrêté en possession de billets provenant de cette rançon. [suite… ]

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La PJ, de 1981

PARTIE 14 – Depuis la disparition brutale de Georges Pompidou, le 2 avril 1974, l’élection présidentielle a toujours lieu au printemps. En cette année 1981, les Français s’y préparent, mais pas la droite. Elle part au combat en ordre dispersé. Tandis que Mitterrand énumère ses « 110 propositions », Coluche lance son slogan de campagne : « Jusqu’à présent la France était coupée en deux, avec moi, elle sera pliée en quatre ! » Pour la police, c’est une année de transition. [suite… ]

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La PJ, de 1982

PARTIE 15 – Cette année-là, un vent de suspicion souffle au ministère de l’intérieur. Le virus de la paranoïa se répand dans les hautes sphères et certains vont même imaginer que la police est en train de manigancer un coup d’état. Toutefois, pendant que les uns règlent leurs comptes avec les autres, et vice-versa, les affaires continuent. Truands et terroristes s’en donnent à cœur joie. [suite… ]

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La PJ, de 1983 (1)

PARTIE 16 – Année noire pour la police. La majorité de gauche, fortement bigarrée, tiraillée entre son désir trop longtemps refoulé de s’émanciper de toutes formes de répression et la réalité au quotidien : crimes, délits, terrorisme, etc., ne parvient pas à trouver le point d’équilibre. Tandis que la plupart des chefs de service font le dos rond, et s’accrochent à leur fauteuil, les opportunistes jouent des coudes, et les bannis du gouvernement précédent règlent leurs comptes. [suite… ]

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La PJ, de 1983 (2)

PARTIE 17
– Après la manifestation des policiers, sous les fenêtres de la chancellerie, et des représailles maladroites par l’immolation de deux syndicalistes, la police panse ses plaies. Pendant ce temps, criminalité et violence montent en flèche. Gaston Defferre tente de reprendre la main, mais il se heurte à de ténébreux pouvoirs qu’il ne maîtrise pas. Quant aux chefs de la police nationale, tout étonnés d’être encore là, ils font carpette devant un petit commandant de gendarmerie [suite… ]

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La PJ, de 1983 (2)

PARTIE 17 – Après la manifestation des policiers, sous les fenêtres de la chancellerie, et des représailles maladroites par l’immolation de deux syndicalistes, la police panse ses plaies. Pendant ce temps, criminalité et violence montent en flèche. Gaston Defferre tente de reprendre la main, mais il se heurte à de ténébreux pouvoirs qu’il ne maîtrise pas. Quant aux chefs de la police nationale, tout étonnés d’être encore là, ils font carpette devant un petit commandant de gendarmerie, qui, disent les mauvaises langues, prend tous les matins son petit-déjeuner avec la première dame de France.

En juin 1981, un magistrat marseillais chargé de régler les dossiers sur les accidents de la circulation et les chèques en bois, est promu chevalier de la Légion d’honneur. C’est ainsi que Gaston Defferre récompense Etienne Ceccaldi, le juge rouge, placardisé par le gouvernement précédent pour avoir osé s’attaquer à des ententes illicites entre pétrolièrs. Six mois plus tard, il est nommé directeur de cabinet de François Autain, le Secrétaire d’État chargé des travailleurs immigrés. Il montre pugnacité et clairvoyance en s’opposant à trop de libéralisation dans les lois sur l’immigration, alors que la pression est énorme sur la gauche de la gauche. En 1983, pour faire taire le maire de Nice, Jacques Médecin, qui réclame à cor et à cri un préfet de police (comme à Marseille, na !) Gastounet s’imagine lui jouer un bon tour, en lui collant Ceccaldi entre les pattes. À l’arrivée de ce chef, les flics de la baie des Anges sont dubitatifs. Ils n’ont pas oublié que dans les années 70, à Lyon, Ceccaldi et le juge Renaud, ont fait tomber une trentaine de policiers sous l’inculpation de proxénétisme.

À Nice, le banditisme est toujours présent, mais il est moins sanguinolent qu’auparavant. C’est la belle époque pour Marcel Diavoloni, alias Marcel le bègue, qui a mis la main sur le marché juteux des machines à sous, et aussi pour certains personnages équivoques qui magouillent autour de la municipalité. Contre toute attente, Ceccaldi montre des qualités desalle-de-jeux_rocqinriafr.1178403447.jpg terrain, et il va rapidement être adopté par les policiers. Il se passionne tant pour sa nouvelle mission, qu’il en oublie la politique. Mais la politique ne l’oublie pas. Surtout lorsqu’il s’attaque à des flics ripoux de la police de l’air et des frontières, dont le responsable, Roger Gianola, n’est autre que le numéro trois du PS des Alpes-Maritimes. Du coup, on tente de le salir. Les rumeurs contre lui et son épouse vont bon train. Mais il a la protection de Gaston Defferre. Provisoirement. Car, l’année suivante, le couple Defferre – Franceschi explose. Pierre Joxe, s’installe place Beauvau, et il réexpédie Ceccaldi aux oubliettes. Etienne Ceccaldi s’est donc fait viré une fois par la droite, une fois par la gauche. Moi, je trouve que dans un CV, ça a plutôt de la gueule, plus qu’une quelconque médaille.

Bien plus tard, en 2001, Robert-Louis Dreyfus bombarde Ceccaldi directeur général de l’OM, pour tenter de remettre de l’ordre dans la maison. Un an après, dans une interview à La Provence, ce dernier met les pieds dans le plat. Il dénonce la mise en coupe réglée du club par le milieu marseillais.

Pendant ce temps, les Français apprécient la cinquième semaine de congés payés, les 39 heures hebdomadaires, et, cette année-là, la mise en place de la retraite à 60 ans. Mais, bien vite, les chimères s’estompent et la réalité refait surface. Après trois dévaluations du franc en trois ans, la France est exsangue. Mitterrand lance « le plan deguy-orsini_photo_lecrapouillot.1178401389.jpg rigueur ».

En Corse, après une trêve postélectorale, les attentats redoublent. Cela commence le 22 août 1982, avec cent dix plastiquages dans la nuit. Une nuit bleue mémorable. Mais depuis, toutes les nuits sont bleues, ou presque. Robert Broussard est nommé préfet de police, avec la lourde tâche de remettre de l’ordre – mais en souplesse. Sa tactique consiste à tenter de couper la population du FLNC. Le 17 juin, Guy Orsoni, ce séparatiste corse qui a retrouvé son île après la loi d’amnistie de 1981, roule au volant de la Mercedes de son oncle, Roger Orsoni, sur une petite route entre Sartène et Porto-Vecchio. Il n’arrivera pas à destination, et on ne le reverra jamais. La PJ, dirigée par le commissaire divisionnaire Ange Mancini, part sur un règlement de comptes entre bandes rivales, et arrête une demi-douzaine d’individus. Mais les séparatistes crient au complot. Ils disent que Guy Orsoni a été enlevé par des barbouzes. Ils parlent d’une nouvelle affaire Ben Barka. Le FNLC tient son premier martyr. Il faut dire que dans l’île de beauté, rien n’est simple. Tandis que Broussard et Mancini tentent de remplir leur contrat, le capitaine Paul Barril négocie en douce, pour le compte de l’Elysée, la cessation des attentats, avec Alain Orsoni, le frère de Guy. Quant au commissaire divisionnaire Charles Pellegrini, chargé des affaires réservées au ministère de l’intérieur, il est mis sur la touche après que son beau-frère, Félix Rosso, ait été tué par balle au moment où il fermait son restaurant, pas très loin de Porto-Vecchio. C’est dommage, il était sans doute le mieux placé pour démêler l’écheveau. L’affaire rebondit lorsque le sous-préfet Pierre-Jean Massimi, est abattu au volant de sa voiture. Une balle dans la tête. Du travail de pro. Le 21 septembre, le FNLC publie un communiqué dans lequel il revendique l’assassinat de Massimi pour venger la mort de Guy Orsoni. Le texte ajoute que le sous-préfet aurait reçu des mains du Secrétaire d’État pour la police, Joseph pierre-jean-massimi.1178401488.jpgFranceschi, une somme d’un million de francs pour payer les hommes de main. La vérité ? Je crois qu’il est inutile de la rechercher ! Même les protagonistes ne la connaissent pas.

Le début des années 80 voit la prolifération des « radios libres ». Libres, elles ne vont pas le rester longtemps, car si elles peuvent émettre, la publicité leur est interdite. Or, il leur faut de l’argent. Le directeur de NRJ, Jean-Paul Baudecroux, est au mieux avec Laurent Fabius. Il en profite pour forcer le passage. En 1983, il augmente la puissance de ses émetteurs et envoie des spots publicitaires. Rien ne se passe. Les autres suivent. En 1986, lors de la première cohabitation, tout cela sera entériné par une loi sur la communication déposée par le ministre de la culture François Léotard.

Gilbert Zemour n’en saura jamais rien. Le 28 juillet, il rentre chez lui, vers cinq heures du matin, comme à l’accoutumée. Sa femme dort, mais les quatre caniches l’attendent pour leur promenade habituelle. Quoique fatigué, la nuit a été rude pour lui, il ne se dérobe pas à son devoir. Il descend l’avenue de Ségur avec les quatre chiens. Dans l’ombre, un homme le guette. Il sort un .357 magnum. Deux coups de feu. Zemour encaisse les balles dans la poitrine. Il se traîne derrière une voiture pour tenter de se protéger. Les chiens aboient. Le tueur le suit, imperturbable. Il lui met le canon de son arme sous le menton. La dernière balle lui éclate la tête. C’est la fin du clan Zemour. Les chiens sont saufs. Comme toujours, lors des règlements de comptes, l’enquête aboutit à des hypothèses, qui se traduisent par de beaux rapports, mais qui n’ont, hélas, aucun intérêt pour un juge d’instruction. Ici, un témoin, un journaliste, a vu de sa fenêtre le tueur rejoindre une femme blonde. Mais il lui est impossible de les décrire et encore moins de les reconnaître. Certains ont imaginé que Betty, l’Américaine, la femme d’Edgar Zemour, a fait tuer son mari. Et qu’elle n’a pas supporté l’interrogatoire, un rien musclé, qui lui a fait subir à l’époque Gilbert Zemour. Bon, on peut en faire un polar, mais rien d’autre.

En décembre, Le canard enchaîné sort le scandale des « avions renifleurs », et, grâce à la détermination de Mitterrand, Canal + voit le jour.

Gros et Havot – Depuis le mois d’octobre 1978, date à laquelle ils se sont évadés de la maison d’arrêt d’Agen, Gros et Havot font maronner tous les flics de France. Et à l’OCRB, ils nous empoisonnent la vie. Leur mobilité les rend pratiquement insaisissables. Recherchés dans le nord, ils tapent dans le sud. Leur piste, entachée de violences et de sang, ne mène jamais nulle part. En septembre 1979, un automobiliste leur fait une queue-de-poisson, dans la Drôme, ils l’abattent froidement. En février 1980, par deux fois, lors d’un contrôle de police, dans le Lot-et-Garonne et la Haute-Marne, ils tirent sur les représentants de l’ordre et s’enfuient. En juillet de la même année, ils trouvent la note d’un restaurant trop salée, ils abattent le restaurateur. En août 1982, ils tirent sur un motard de la CRS 9 qui les avait pris en chasse. Et des braquages, des braquages, un ou deux par mois. Un jour, les gendarmes les repèrent dans un restaurant de Neuvy-le-Roi, petite commune où il ne se passe jamais rien. Ils ne sont pas assez rapides, les deux hommes les arrosent au fusil à pompe. Bilan : deux gendarmes et un pauvre gamin de douze ans restent sur le carreau. Jusqu’au jour où, le bonrobert-gros.1178401633.jpg tuyau arrive. On les a repérés en Ardèche. Ce que j’aime dans ce métier, c’est qu’on ne sait jamais où l’on va finir la journée. Le lendemain à l’aube nous sommes en planque à proximité d’une baraque, sur la commune de Ribeyre. Il y a des gens de l’OCRB, des policiers du SRPJ de Marseille et des gendarmes. Beaucoup de monde. Trop sans doute. Mon intention est d’attendre que ça bouge, mais la décision vient de Paris. Le sous-directeur des affaires criminelles, Pierre Richard, nous donne l’ordre d’intervenir immédiatement. Je me dis que décidément, la gauche a laminé nos chefs. Si on donne l’assaut, on va se faire tirer comme des lapins. On le sait tous. Mais ce jour-là, le dieu des flics nous sourit, car soudain, la porte s’ouvre. Et notre ami Robert Gros sort dans le jardin. L’embellie. On fonce. Gros comprend tout de suite, il se met à courir. On lui court après. Il se retourne. Il a une arme. Il tire. Je suis à cinq ou six mètres. Derrière ça riposte. Mauvaise impression. Mais, il est marron. Le jardin est fermé par un grillage. Il ne peut pas aller plus loin. Acculé, il se retourne vers moi. Il braque son arme. J’aurais dû dégainer la mienne. Dans ma précipitation, j’ai oublié. Un petit trou rouge apparaît sur son front. Et il s’écroule. À plusieurs centaines de mètres, un tireur d’élite a fait mouche. Il m’a sauvé la vie. Désolé, collègue, je ne me souviens plus de ton nom. Grâce aux informations recueillies lors de la perquisition, Havot est arrêté peu après par les policiers du SRPJ de Marseille.

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La PJ, de 1983 (1)

PARTIE 16 – Année noire pour la police. La majorité de gauche, fortement bigarrée, tiraillée entre son désir trop longtemps refoulé de s’émanciper de toutes formes de répression et la réalité au quotidien : crimes, délits, terrorisme, etc., ne parvient pas à trouver le point d’équilibre. Tandis que la plupart des chefs de service font le dos rond, et s’accrochent à leur fauteuil, les opportunistes jouent des coudes, et les bannis du gouvernement précédent règlent leurs comptes. Ceux qui se contentent d’être flics, la grande majorité, assistent désabusés à la démolition de leur maison, attendant en vain qu’à l’horizon un sage se profile et leur donne enfin une feuille de route.

Gaston Defferre prend Maurice Grimaud, le préfet de police de mai-68, comme conseiller privé. À ses côtés, omniprésent, Bernard Delaplace, le secrétaire général de la Fédération autonome des syndicats de police (FASP), dresse un écran de fumée entre le ministre de l’intérieur et lesguignol.gif fonctionnaires de base. À l’étage en dessous, Joseph Franceschi, que Pierre Mauroy a nommé en catastrophe Secrétaire d’État pour la police, sans doute pour calmer le jeu, récupère Gérard Monate comme conseiller technique. Il ne doit pas savoir que ce dernier, créateur et ancien patron de la FASP, roule pour Grimaud. Les mauvaises langues, en parlant de Delaplace et de Monate, disent qu’il y a « l’homme Defferre » et « l’homme d’affaires ». En effet, Monate dirigera (entre autres) le groupe d’achats des collectivités (GRACCO) et une société (Mercure International), liée à la société URBA, deux pompes à finances du PS. Pour arranger le tout, Defferre et Franceschi ne peuvent pas se blairer. Mais peu importe, puisque derrière les hommes de lumière il y a les hommes de l’ombre. En effet, sur le trottoir d’en face, à l’Elysée, certains pensent que la police est une chose trop sérieuse pour la laisser en des mains ingénues. En apparence, c’est le directeur du cabinet de l’Elysée, Gilles Ménage, qui mène le jeu. Mais il est probable qu’en arrière plan, Michel Charasse tire les ficelles, avec la complicité du secrétaire général de l’Elysée, Jean-Louis Bianco. Lorsque les tripatouillages deviennent trop visibles, Frédéric Thiriez, le directeur du cabinet de Defferre, qui jusqu’alors servait de trait d’union entre l’Elysée et l’Intérieur, devient un témoin gênant. « On » le considère peu fiable. Fort opportunément, la DST sort un dossier sur son passé trotskyste et ses accointances avec la Ligue communiste révolutionnaire. Dans la foulée, on parle aussi de ses relations avec une informatrice du Canard Enchaîné. Exit Thiriez.

À l’autre bout de la France, le 15 février, les employés du service de déneigement, remarquent, sur la neige, près d’une obseques-du-colonel-nut.1177755600.jpgvoiture garée sur l’accotement de la RN 202, une large tache de sang. En s’approchant, ils découvrent le corps d’un homme. Il s’agit de Bernard Nut, un militaire un peu particulier. Il est lieutenant-colonel « hors cadre ». En clair, c’est un agent de la DGSE. Et même un bon. Il a effectué de nombreuses missions en Algérie, en Afrique et dans divers pays d’Asie. Il est mort d’une balle de gros calibre tirée à bout portant, derrière l’oreille droite. La PJ de Nice penche pour un suicide. On a l’impression que la DGSE pousse dans ce sens. Et la presse étale la vie sentimentale, semble-t-il agitée, du colonel Nut. Mais tout est bidon, et sa femme, exaspérée, rompt la loi du silence. Elle met les pieds dans le plat et déclare que son mari n’était nullement suicidaire et qu’il a été assassiné en service commandé. On ne connaîtra jamais la vérité. Pas plus qu’on ne saura s’il existe un lien avec l’arrestation, à Rome, la veille de la mort du colonel Nut, du vice-président de l’Aéroflot, le soviétique Victor Pronine. Ce dernier a été surpris à l’instant précis où il se faisait remettre un microfilm. Quelques semaines plus tard, sans qu’il soit possible de relier ces événements entre eux, une cinquantaine de diplomates de l’ambassade de l’Union Soviétique à Paris, quittent la France précipitamment. Ils sont considérés persona non grata. Finalement, le colonel Nut est mort comme il a vécu – mystérieusement.

Le 31 mai, tandis que l’Assemblée nationale examine en deuxième lecture l’abrogation de la loi « sécurité et liberté », avenue Trudaine, à Paris, un banal contrôle d’identité se transforme en tuerie. Deux gardiens de la paix sont tués, Emile Gondry et Claude Caïola. Un troisième, Guy Adé, est très grièvement blessé. C’est la goutte d’eau. La fronde menace dans les rangs de la police. Quelques jours plus tard, lors de la cérémonie à la mémoire de ces hommes, dans la cour de la Préfecture de police, Gaston Defferre et Joseph Franceschi sont accueillis par une huée générale. Puis un mot d’ordre circule, et, spontanément, les policiers décident d’aller manifester devant la chancellerie. Au fil du parcours, le cortège grossit. Ils sont trois ou quatre mille en arrivant place Vendôme. La chancellerie est gardée par deux escadrons de gendarmes mobiles et quelques dizaines de gardiens de la paix. Ceux-ci mettent képi bas devant leurs collègues, ce qui veut dire qu’ils ne se considèrent plus en service. Les responsables du service d’ordre sont mis à pied. Le garde des sceaux, Robert Badinter, en rajoute une couche. Il déclare sur Europe 1, que depuis la fenêtre de son bureau, alors que les policiers entonnaient La Marseillaise (tiens, eux aussi !), il les a nettement vus, le visage défiguré par la haine, lever le bras « dans un geste qui lui a rappelé les tristes souvenirs de son enfance ». Autrement dit, il s’agissait de flics nazis. Raisonnement primaire pour un homme d’une telle culture. Bilan de cette journée noire : le préfet de police démissionne, le directeur général de la police, Paul Cousseran, est remercié, un policier est mis en retraite d’office, sept sont suspendus, et deux sont révoqués pour « participation à un acte collectif contraire à l’ordre public ». Il s’agit d’Antoine Alessandrini, représentant du syndicat CFTC, et de Rémy Halbwax, secrétaire général du syndicat USC-Police. C’est la plus grave atteinte aux libertés syndicales depuis la triste époque de l’occupation allemande.

Les tracasseries des policiers ne doivent pas atteindre Edgar Zemour. Sans doute, sous le ciel de Floride, où il s’est retiré, n’en entend-il même pas parler. Sinon, gageons que cela le réjouirait. Mais pour lui, malgré les apparences, la vie n’est pas rose. La mafia locale lui met des bâtons dans les roues, et ses affaires ne sont guère brillantes. De plus, il a des soucis avec sa femme, une jeune Américaine de 25 ans. Lui, le macho, un rien proxo, a du mal à admettre le comportement d’une femme libérée. Mais il ronge son frein. Pas question de divorcer. Il attend de ce mariage la nationalité américaine. Il ne l’obtiendra jamais. Pour lui, tout s’arrête le 8 avril 1983, vers 22 heures 30, lorsqu’un inconnu tire quatre balles de calibre 11.43 à travers les vitres de sa chambre. Le benjamin des Zemour est mort. Il sera enterré quelques jours plus tard, au cimetière juif de Bagneux, dans le caveau familial. Lequel commence à être étroit. Pour les policiers américains, c’est une enquête comme une autre, mais en France, les journaux reprennent la saga des Zemour. Avec une question : qui a tué Edgar ? Les soupçons se portent sur les frères Francisci. Là, un petit flash-back s’impose. Marcel Francisci, le roi du jeu, est mort l’année précédente. Il a été abattu dans la nuit du 14 janvier 1982. Trois balles de 11.43, au moment où il sortait de sa Jaguar, dans son parking de l’avenue de la Faisanderie, dans le XVI° arrondissement. Cette affaire a fait grand bruit dans le milieu. Ses frères ont proposé une somme d’un million de francs à celui qui fournirait des informations sur l’instigateur de ce meurtre. Les indics se sont mis en chasse – certains policiers, aussi. L’hypothèse la plus probable concernait justement Edgar Zemour. Apparemment, Marcel Francisci lui devait une très grosse somme d’argent, mais il aurait affirmé, sans fioriture, qu’il pouvait… attendre. De là à penser qu’Edgar Zemour ait fait descendre Marcel Francisci… et qu’un autre Francisci ait fait descendre le premier nommé… Pour revenir à la basse politique, il faut ajouter que dans l’une des poches de feu Francisci, les enquêteurs de la brigade criminelle chargés de l’enquête découvrent une cassette. Ils l’écoutent, et, surprise ! il s’agit de l’enregistrement d’une conversation téléphonique dans laquelle ce dernier discute avec son avocat, Maître Paul Lombard, de l’autorisation de réouverture du Cercle Haussmann, à Paris. Il apparaît qu’un autre avocat (et futur ministre des affaires étrangères), Maître Roland Dumas, se fait fort d’obtenir ladite autorisation de Gaston Defferre, moyennant une modeste rétribution. Un mois plus tard, Le Monde reproduit des extraits de cette conversation. Comment cette cassette est-elle parvenue à ce journal ? Seul le dieu de la police le sait. Pour en revenir à la mort d’Edgar Zemour, il semble bien que son frère, Gilbert, ait finalement reçu confirmation de la culpabilité des frères Francisci. C’est du moins ce qu’a rapporté un proche des Zemour, le journaliste Marc Francelet.

La gauche s’embarbouille – Le 5 juin 1981, deux individus commettent un braquage de quatre sous, à Prégny-sur-Oise. L’un des malfaiteurs est rapidement interpellé, tandis que le second, un certain Y.H., se met en cavale. Il fait l’objet d’un mandat d’arrêt. L’année suivante, les RG signalent à l’Office central pour la répression du banditisme (OCRB), dont je suis alors le chef, sa présence dans une villa de Montmorency (Val-d’Oise). Mais, interdiction d’intervenir, car il s’agit de la résidence de l’ancien président de la République Algérienne, Ahmed Ben Bella. C’est ce que me dit le responsable de la 4° section de PJ, dont dépend l’OCRB, le commissaire divisionnaire Joseph Lebruchec. Lequel vient de prendre la direction de ce service, pour remplacer Lucien Aimé-Blanc, muté au SRPJ de Lille. Bon, on va attendre. C’est ce qu’on fait le mieux dans la police. Puis, en janvier 1983, volte-face. On peut surveiller, mais pas toucher. Je mets un dispositif en place, et (de nouveau) on attend. Pas longtemps, cette fois. Nouvelles instructions, il faut investir les lieux. ahmed-ben-bella.1177757259.jpg« Ça vient de très haut », me dit Lebruchec. Si on a suivi les explications précédentes, on comprend bien que « très haut », ça ne veut plus dire grand-chose. Là, je renâcle. On est à la limite des heures légales, il fait nuit, nous ne connaissons pas les lieux, et nous savons que la maison, protégée comme un blockhaus, est truffée de gardes armées. Mais, lorsqu’un chef dit à un petit chef : « si vous refusez, vos hommes iront sans vous », le petit chef s’écrase. Et c’est parti ! En fait, tout se passe bien. On parvient à pénétrer dans les lieux par surprise et à neutraliser une demi-douzaine de types armés jusqu’aux dents, mais finalement pas très combatifs. Sans doute en raison de l’absence de leur maître, Ahmed Ben Bella, qui se trouve dans sa résidence, en Suisse. Et grâce aussi au sang froid de Yadi Mohamed, l’ancien directeur général de la police algérienne, qui dirige cette équipe de gardes du corps. Le lendemain, cinq arrêtés d’expulsion signés de la main de Gaston Defferre arrivent sur mon bureau. Il faut embarquer ces gens dans le premier avion pour le premier pays qui accepte de les recevoir. Autrement dit l’Algérie. Ils vont extrait-arrete-expulsion.1177941048.jpgtout droit au casse-pipe. Seul notre petit braqueur sera présenté au juge d’instruction. Pour la première fois de ma carrière, je vois un voyou qui part en prison avec le sourire. Sur ces cinq Algériens, trois sont nés en France. Ils ont femme et enfants et travaillent en région parisienne. Je crois qu’ils n’ont jamais mis les pieds en Algérie. Devant ma réticence à exécuter ces instructions, ce sont des OPJ de la 6° section, la section antiterroriste, qui viennent notifier les arrêtés d’expulsion. Heureusement, au dernier moment, Ben Bella intervient auprès des autorités suisses. Et ce pays accepte de les accueillir.

Ce jour-là, cinq Algériens, résidents français, ont donc été expulsés de France pour… la Suisse.

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La PJ, de 1982

PARTIE 15 – Cette année-là, un vent de suspicion souffle au ministère de l’intérieur. Le virus de la paranoïa se répand dans les hautes sphères et certains vont même imaginer que la police est en train de manigancer un coup d’état. Toutefois, pendant que les uns règlent leurs comptes avec les autres, et vice-versa, les affaires continuent. Truands et terroristes s’en donnent à cœur joie.

À peine installé aux manettes, Gaston Defferre demande un audit sur la police. Un sondage top secret, mais complètement bidon, qui aboutit à la conclusion politiquement-incorrect-de-petillon.1176784159.jpgque la majorité des fonctionnaires de police sont opposés au gouvernement de Pierre Mauroy. Ils sont qualifiés de «droitiers». En janvier 1982, Jean-Michel Belorgey, député PS de l’Allier, remet à Defferre un rapport sur la réforme de la police. À la lecture du seul préambule, les rares policiers qui ont eu le privilège de lire ce… poulet, sautent au plafond. La police, pour résumer l’incipit, est « inefficace et envahissante… Elle préfère s’immiscer insidieusement dans les sphères de la vie sociale, plutôt que de protéger les honnêtes gens… Elle donne l’image d’un corps prétorien ou d’une police politique…» Et le reste est du même tonneau. À tel point que même Defferre n’ose entreprendre les réformes envisagées. Un journal parle de « rapport poubelle ». Pourtant, n’en déplaise à certains, à part le verbiage idéologique, tout n’était pas à jeter dans ce document. L’idée d’un organisme de contrôle extérieur à la grande maison pouvait être creusée, à condition d’en exclure les actes de police judiciaire, qui sont sous la responsabilité des magistrats. Et ce précepte, que Belorgey proposait d’insérer dans le code de déontologie, et que tous les chefs de police rejetèrent comme un seul homme : « Tout policier doit s’abstenir d’exécuter tout ordre dont il sait, ou devrait savoir, qu’il est illégal. » Cette phrase n’est que la paraphrase du code pénal.

Mais en ce début d’année, les services spécialisés dans la lutte contre le grand banditisme, comme l’OCRB, dont je suis devenu le chef à la suite d’un gilbert-ciamaraglia_photo-presse.1176754620.jpgmouvement de chaises musicales, ont d’autres chats à fouetter. Quelques mois auparavant, le juge Pierre Michel a été tué, à Marseille, par deux hommes montés sur une moto rouge. Tout est mis en œuvre pour retrouver les coupables. Une seule certitude : c’est le milieu. Mais lequel ? Michel était un magistrat efficace, mais impitoyable. Et ses ennemis étaient légions. D’entrée, les soupçons se portent sur Gaétan Zampa. La presse le désigne comme le commanditaire. Et, chose invraisemblable, Zampa se fend, via maître Pelletier, d’un droit de réponse. Il dément formellement toute implication dans ce meurtre.On aurait peut-être dû en tenir compte, car, avec le recul, on peut penser que nous, les cracks (?) de la lutte contre le grand banditisme, on s’est fait bananer. En effet, Zampa, à cette époque, est installé en région parisienne, d’où il dirige, disons… ses affaires. Il est très lié à Gérard Vigier, qui tient une boîte de nuit à Ozoir-la-Ferrière, en Seine-et-Marne. Son épouse, Christiane Convers, est actionnaire principal d’un complexe de loisirs, Le Krypton, implanté à Aix-en-Provence. Et il semble avoir organisé un trafic de stupéfiants sur une grande échelle : l’importation de morphine base depuis la Turquie. On pensecharles-giardana_photo-presse.1176754396.jpg même que, pour limiter les risques, il a imaginé un moyen judicieux. Le produit est placé dans de petits caissons, fixés sous les wagons d’un train. Et, grâce à une télécommande, la drogue peut être larguée à distance, à n’importe quel endroit sur le passage du train. Autrement dit, hormis la guerre contre Jacky le Mat, qui lui pose problème, il est bien installé. Comme tous les truands qui ont réussi, il aimerait bien « s’embourgeoiser ». Il n’a donc aucun intérêt à faire assassiner le juge Michel, car ce crime ne pouvait que mobiliser des centaines de policiers contre lui. Ce qui s’est passé. Les auteurs de ce meurtre, deux porte-flingues, seront arrêtés en 1986, à la suite de confidences recueillies par la police suisse. Charles Altieri pilotait la moto et François Checchi, se trouvait à l’arrière. C’est lui qui a ouvert le feu. La préparation a été effectuée par quatre petits voyous marseillais de la bande de la Capelette, Gilbert Ciaramaglia, Charles Giardina, Daniel Danty et André Cermolacce. On a dit que François Girard, dit François le blond, impliqué dans la Sicilian connection, arrêté en juillet 1981, aurait pu être l’instigateur de ce crime. On a aussi parlé de la mafia franco sicilienne. Et de moins en moins de Zampa. En 1984 (donc sans connaître l’épilogue), Philippe Lefebvre a tiré un film de ces événements, Le juge, avec Jacques Perrin et Richard Bohringer.

Le 24 février, c’est la naissance d’Amandine, le premier bébé éprouvette français (Qu’est-elle devenue ?), et, un mois plus tard, Defferre fait adopter par l’assemblée nationale sa loi sur la décentralisation. Pendant ce temps, les policiers participent aux premières élections professionnelles depuis l’avènement de la gauche. Et ils votent comme d’habitude. D’aucuns pensent qu’on ne peut tirer aucun enseignement de ce scrutin. Alors qu’il crève les yeux : dans leur métier, les poulets se fichent de la politique. Mais certains des nouveaux dirigeants de gauche, qui depuis des années « cassent du flic », ne peuvent du jour au lendemain admettre qu’ils se sont fourvoyés, et que la police n’est pas un ramassis de fachos, mais tout simplement un corps d’état au service de la République. L’exemple vient de haut. Mitterrand vire les policiers habituellement chargés de la protection du président de la République, pour les remplacer par des gendarmes. Parallèlement, il crée à ses côtés la fameuse cellule élyséenne, dirigée par le commandant Prouteau. Il nomme un secrétaire d’état chargé de la police, Joseph Franceschi, et, à la tête de tout ça, il place un fidèle parmi les fidèles, Michel Charasse. Lequel choisit le sous-préfet Gilles Ménage pour l’aider dans sa tâche. Afin de suivre les affaires en direct, ce dernier fait appel au commissaire Charles Pellegrini, à charge pour lui de créer un bureau de liaison regroupant la DGSE, la DST, les RG et la PJ. On fait une pause. La PJ, placée sous la responsabilité des magistrats, qui vient rendre compte de son activité à l’Elysée ! Et de ces juges, que l’on voit actuellement si prompts à défendre leur indépendance, pas un ne bouge. Bof! Charasse et Ménage, un… ménage bien dangereux pour la République. Ils vont créer un véritable réseau parallèle au sein de la police, utilisant tous les moyens techniques de l’époque. À croire qu’ils se sont inspirés des méthodes du SAC, ce mouvement, qui, après le massacre d’Auriol, vient d’être dissous. Dans le même temps, Gaston Defferre déclare : « Il faut en finir pour toujours avec les écoutes téléphoniques ». Il est largué, Gastounet – et nous de même. On ne sait plus qui fait quoi. Tout est en place pour les événements qui vont se dérouler l’année suivante. En attendant, quai des Orfèvres, certains n’ont toujours pas digéré le baston entre Defferre, Le Mouel et Leclerc. Et ilscharles-pellegrini_photo-presse.1176784529.jpg sentent la volonté politique de « casser » la PP. Ils envoient une bombe à la cellule élyséenne, en faisant croire à un individu peu fiable, informateur attitré des gendarmes, qu’ils enquêtent sur un réseau de dangereux terroristes placés sous les ordres du fameux Carlos. Les officiers de gendarmerie ont sans doute bien des qualités, mais ils n’ont pas le vice des vieux poulets. Ils foncent comme des boy-scouts. Et c’est l’affaire des Irlandais de Vincennes, ces pseudo-terroristes, dont la DST suit d’un œil amusé les agissements depuis des années, et qui rêvent en permanence de la révolution qu’ils ne feront jamais.

Pendant ce temps, les vrais terroristes nous terrorisent. La France est un champ de bataille. Action directe se scinde en trois. Une partie renonce à la lutte armée, un autre fait alliance avec la Fraction armée rouge et la dernière, dite branche lyonnaise, se lance dans des actions antisémites. En mars, une bombe explose dans le train Le Capitole : cinq morts, vingt-sept blessés. En avril, une voiture piégée explose, rue Marbeuf, à Paris : un mort et soixante-trois blessés. En juin, un commando d’Action directe s’en prend à l’école américaine de Saint-Cloud. En juillet, c’est une banque. Le caissier est blessé. En juillet, une bombe explose, rue Saint-Maur, à Paris ; puis c’est le consulat de Turquie, à Lyon qui est visé. Le même mois, une bombe explose près de la cabine téléphonique du Pub Saint-Germain, dans le VI°. Le 9 août, c’est la fusillade du restaurant Goldenberg, dans le quartier juif, et la fusillade de la rue des Rosiers. L’été n’en finit pas. À Paris, voiture piégée devant l’ambassade d’Irak, bombe contre l’hebdomadaire Minute… Le 21 août, deux démineurs de la préfecture de police sont tués alors qu’ils tentent de désamorcer une charge d’explosif sous la voiture d’un Américain. Le 17 septembre, un véhicule de l’ambassade d’Israël explose en plein Paris, faisant près d’une centaine de blessés. Etc. Cette année 1982, des centaines de personnes sont mortes ou ont été blessées victimes d’attentats. Et pendant ce temps, la police tourne au ralenti.

Le 27 juillet, Badinter fait adopter une loi qui supprime l’homosexualité du code pénal, mais il faudra attendre 1991, pour que l’Organisation mondiale de la santé lui emboîte le pas et modifie en ce sens sa liste des maladies mentales.

Le 13 septembre, la princesse de Monaco quitte la route au volant de sa Rover. Elle fait un plongeon de quarante mètres. Grace Kelly rend son dernier soupir le lendemain. Sa fille, Stéphanie, qui était à ses côtés, s’en sort sans trop de mal. On ergotera pour savoir si ce n’est pas elle qui était au volant (elle n’avait pas dix-huit ans), ce qui au fond n’a aucune importance. La véritable polémique sera médicale. Si on l’avait transportée au service neurologique de l’hôpitalle-virage-dhairpin.1176754971.jpg de Nice, elle avait des chances de s’en tirer, affirment certains médecins. En effet, l’hôpital de Monaco n’était même pas équipé d’un scanner. Mais, on dit aussi, qu’avant cet accident, Grace Kelly aurait eu plusieurs malaises. L’hypothèse d’un évanouissement au volant n’est pas impossible. Un routier, qui suivait la Rover a déclaré : « Je ne sais pas ce qui s’est passé. Curieusement, au virage de droite, je n’ai pas vu la voiture ralentir. Les stops ne se sont pas allumés. Elle n’a pas braqué. Bien au contraire, j’ai eu l’impression qu’elle roulait de plus en plus vite avant de disparaître par-dessus le parapet. » On ne saura jamais. Il n’y a pas eu d’expertise de la Rover, ni d’autopsie, ni d’enquête. Vingt-huit ans plus tôt, dans La main au collet, d’Alfred Hitchcock, la comédienne Grace Kelly, fonce sur cette même routeau volant d’un cabriolet, au grand dam de Gary Grant. Mais tous deux s’en sortent sains et saufs.

Le 7 décembre 1982, les États-Unis inaugurent une mise à mort plus… moderne que la chaise électrique. Pour la première fois, un homme est exécuté à l’aide d’une injection létale.

Bruno Sulak – Le 25 janvier 1982, Bruno Sulak est interpellé à Paris. C’est le résultat de huit mois de travail soutenu, pour tout un groupe de l’OCRB. Car, le sulak-alias-legionnaire-bernard-suchon.1176783450.jpgbougre, il nous a donné du fil à retordre ! Mais, comme les singes, on a fini par l’attraper – par la queue. Il faut dire que l’appât ne manque pas de charme. Elle se prénomme Chantal, et se dit cover-girl. Sulak, c’est le genre de type qui te réconcilie avec ton métier. C’est un voleur. Il assume. On lui pose des questions, il y répond. Et il ne balance pas ses copains. Ce qui ne nous arrange pas, mais on apprécie. Il part pour la prison avec une douzaine de braquages sur la conscience, notamment au préjudice de grandes bijouteries. Il n’y restera pas longtemps. Le 21 juillet, dans le train Montpellier-lyon, deux hommes braquent les gendarmes qui l’escortent, et il prend la poudre d’escampette. Durant cette cavale, il m’appelle régulièrement, non pas pour m’insulter ou me provoquer, mais juste pour parler – ou pour se faire peur. À tel point que de gentils collègues font courir des bruits sur ces relations «contre-nature» et je suis contraint de me justifier auprès de ma hiérarchie et du magistrat instructeur. Le 12 novembre, un copain de Sulak, Jean-Louis Secreto, s’évade de la maison d’arrêt où il est incarcéré, grâce à une complicité extérieure. Futés, on se dit : Tiens, si c’était Sulak ! Deux mois plus tard, une patrouille du commissariat des Mureaux, dans les Yvelines, se permet « un délit de sale gueule » envers deux occupants d’une voiture. Il s’agit de Marc Mill, une relation de notre évadé, et Anthony Delon, le fils du comédien. Dans le véhicule, ils découvrent des cagoules et un pistolet MAC 50, qui, vérification faite, est l’une des armes volées aux gendarmes dans le train Montpellier-Lyon. On avance, on avance. Mais, le fils d’Alain Delon soupçonné de tentative de braquage, ça intéresse les médias. Je passe mon temps à rédiger des notes à Pierre, Paul et Jacques, pour expliquer le pourquoi du comment. L’influence de Delon est énorme. Son fils ne restera qu’une seanthony-delon_gp.1176783553.jpgmaine ou deux derrière les barreaux, et la presse, courageusement, oubliera l’incident. La justice aussi, semble-t-il. Quant à Sulak, il est interpellé bien plus tard, à la frontière espagnole, avec de faux papiers. Il revient du Brésil. Il se fait passer pour un journaliste suédois homosexuel qui fuit pour échapper aux poursuites de sa femme. C’est tellement gros, et tellement bien joué, que tout le monde y croit. Il est écroué sous une fausse identité. Un délit bien mineur pour lui. Il faudra le flair d’un vieux routier de l’OCRB pour le percer à jour. In extremis. «À un jour près, j’étais libre, cette sacrée chance m’a bel et bien laissé tomber…» Cette phrase est une citation du livre de Pauline Sulak, Bruno Sulak, radisa-jovanovic-dans-le-film-le-professionnel.1176755637.jpgaux éditions Carrère. Il ne savait pas à quel point il disait vrai. Un peu plus tard, avec son complice (et ami) Radisa Jovanovic, dit Steves, il organise son évasion par hélicoptère. Mais la police de l’air et des frontières (PAF) a eu vent de l’opération. Le SRPJ de Bordeaux est informé – mais pas l’OCRB. Une souricière est tendue, au cours de laquelle Steves est abattu. Sulak en veut à la terre entière. Et surtout aux flics pour avoir (d’après lui) tiré trop vite et sans doute à lui-même pour avoir entraîné son ami dans cette galère. De procès en procès, il se retrouve à Fleury-Mérogis. C’est un détenu sans histoire. Il intériorise sa révolte et la communique dans l’Autre Journal. Seule sa notoriété lui vaut parfois des accrochages avec un geôlier grincheux ou un compagnon d’infortune envieux. La prison est une microsociété qui amplifie les imperfections de la société tout court. En mars 1985, après avoir convaincu un jeune cadre de l’administration pénitentiaire de l’aider, il tente de s’évader. Il est surpris par des gardiens, et, après une courte lutte, il fait une chute de sept mètres. Il s’écrase sur une dalle en ciment. À ce jour, ses proches sont encore persuadés qu’il a été assassiné.

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La PJ, de 1981

PARTIE 14 – Depuis la disparition brutale de Georges Pompidou, le 2 avril 1974, l’élection présidentielle a toujours lieu au printemps. En cette année 1981, les Français s’y préparent, mais pas la droite. Elle part au combat en ordre dispersé. Tandis que Mitterrand énumère ses « 110 propositions », Coluche lance son slogan de campagne : « Jusqu’à présent la France était coupée en deux, avec moi, elle sera pliée en quatre ! » Pour la police, c’est une année de transition.

En janvier 1980, Patrick Dubois, un jeune appelé du 4° régiment de dragons de Mourmelon disparaît, sans qu’on le recherche vraiment. Il est considéré comme déserteur. Mais, en 1981, trois autres jeunes soldats, disparaissent tout aussi mystérieusement. C’est le début d’une enquête qui a du mal à démarrer et qui va devenir l’exemple-type pierre-chanal_affaires-criminelles.1176150540.jpgde tout ce qu’il ne faut pas faire. Elle va finalement aboutir, en 1988, à l’arrestation, pratiquement en flagrant délit, de l’adjudant-chef Pierre Chanal. Il est condamné à dix ans de réclusion criminelle pour viols et séquestration d’un jeune auto-stoppeur hongrois. En 1995, après une grève de la faim et plusieurs tentatives de suicide, il est libéré. Mais, sur la pression de la famille des militaires disparus et des médias, l’enquête redémarre. Grâce à la police scientifique, de nouveaux indices sérieux sont réunis. Chanal est renvoyé devant les assises pour le meurtre de trois des victimes, sur les huit recensées. Le procès n’aura jamais lieu. Pierre Chanal se donne la mort à la veille de la première audience, le 15 octobre 2003. Cette triste affaire montre la déconfiture de la justice française. En janvier 2005, cette même justice (mais pas les mêmes hommes), jugera la faillite du système et condamnera l’État français pour « une série de fautes commises par les juges d’instruction et les enquêteurs qui ont conduit à ce que demeurent inconnues les circonstances de l’enlèvement et du décès de plusieurs victimes ». (Extrait des attendus du jugement du TGI de Paris.)

Le 24 janvier, les Français font la connaissance de la famille Ewing, avec la diffusion, sur TF1, du premier des 365 épisodes du feuilleton Dallas. En annonçant son programme aux élections présidentielles, « emmerder la droite, jusqu’à la gauche », Coluche lui aussi touche le cœur des Français. Une parodie d’élection pour dénoncer une mascarade de démocratie. Les sondages le placent en troisième position. Finalement, au mois de mars, sans doute pour ne pas gêner le PS, il jette l’éponge. Pendant ce temps, les franquistes tentent un coup d’État en Espagne, et Action directe participe à la campagne à sa manière. Le 15 avril, lors de l’attaque contre une banque, place des Ternes, à Paris, une fusillade éclate. Un policier est tué. Certains pensent que ce groupuscule terroriste a alors passé une sorte de pacte de non-agression avec Mitterrand… En tout cas, Action directe suspend son… action durant la campagne électorale. Et, après son one-man-show au Panthéon, le nouveau président prend une décision d’amnistie concernant les deux leaders du mouvement, Nathalie Ménigon et Jean-marc Rouillan, arrêtés l’année précédente. Ce dernier obtient même le nom de celui qui a permis son arrestation, l’un de ses anciens complices, Gabriel Chahine. Ce Libanais lui avait fait croire à une rencontre avec Ilitch Ramirez Sanchez, le mythique Carlos. Et Rouillan était tombé dans le piège. Sans se douter que le commissaire Jean-Pierre Pochon tirait les ficelles et lui avait tendu un traquenard. Peu de temps après la libération du couple maudit, Chahine est abattu de deux décharges de chevrotines en pleine face.

François Mitterrand est président. Il forme son gouvernement. Pierre Mauroy devient Premier ministre et Gaston Defferre ministre de l’intérieur. Il n’y aura pas de chasse aux sorcières, assure celui-ci, devant un aréopage de chefs de la police. Ils sont rassurés, les grands flics. Ils n’avaient pas compris que Defferre voulait dire… pour l’instant. Cette année-là, Robert Badinter fait adopter la loi supprimant la peine de mort et Jack Lang institue la fête de la musique. Chacun restera dans l’Histoire – à sa manière.

Le 13 juin 1981, un couple flâne sur les berges du lac du bois de Boulogne. Leur attention est attirée par deux grosses valises, dissimulées derrière un buisson. L’homme en ouvre une. Horreur ! Dedans il y a des restes humains. C’est le dixième corps mutilé ainsi découvert en deux ans. Le dernier en date est celui d’une jeune étudiante, Carole Simon, dont le cadavre dépecé a été retrouvé dans les locaux de la faculté de médecine de Paris. Les enquêteurs identifient aisément le propriétaire des valises. Il s’agit d’un asiatique, à l’allure effacée, aux yeux rêveurs. Bien qu’il ait 32 ans, il a l’air d’un étudiant. Il se nomme Isseï Sagawa. La jeune fille, Renée Hartevelt, une étudianteissei-sigawa_photo-le-glaive-et-la-balance-de-charles-villeneuve.1176150650.jpg néerlandaise, a repoussé ses avances, et il l’a tuée d’une balle de .22 LR. « Puis, ajoute le jeune homme, je l’ai déshabillée et j’ai commencé à la manger. » Ensuite, il a prélevé plusieurs morceaux et il les a placés dans le réfrigérateur, où ils ont été retrouvés. Il n’a pas eu le temps de tout finir. On ne sait pas si Sagawa est l’auteur d’autres crimes. D’ailleurs, il ne sera jamais jugé pour le meurtre de Renée Hartevelt. Les psychiatres estiment qu’il n’est pas responsable et le juge d’instruction, un certain Jean-Louis Bruguière, refuse la demande de contre-expertise déposée par la famille de la victime. Il s’ensuit un non-lieu. L’assassin est transféré à l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Les parents de la victime font appel, mais non seulement la chambre d’accusation confirme le non-lieu, mais elle les condamne aux dépens. Décision tellement abjecte que le procureur général, Pierre Arpaillange, intervient pour que le Trésor Public prenne ces frais à sa charge. Mais l’affaire n’est pas finie. Le père du meurtrier, Akira Sagawa, est au Japon un homme puissant. Il obtient que son fils soit transféré dans son pays. À son arrivée, le médecin-chef de la clinique qui l’accueille, à Tokyo, le déclare parfaitement sain d’esprit. Quatre ans après ce crime monstrueux, Isseï Sagawa est libre. Il a fait fortune en racontant ses exploits dans deux livres qui se sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires.

Le gouvernement de Pierre Mauroy décide la nationalisation de certaines entreprises, et notamment des banques. Il prend des mesures pour la régularisation des immigrés, et jette les jalons des premières réformes sociales: les 39 heures, la cinquième semaine de congés brassens_espritsnomades.1176182955.jpgpayés, etc. Et Brassens casse sa pipe, en nous laissant bien seul sur les « bancs publics, bancs publics… ».

Le 18 juillet, dans un soubresaut paranoïaque lié au changement de majorité, quelques gros bras du service d’action civique (SAC), envahissent la demeure du sous-brigadier de police Jacques Massié, à Auriol, près de Marseille. Ils le soupçonnent de trahison au profit de la gauche. Le commando d’une demi-douzaine d’hommes va étrangler toute la famille, soit quatre adultes et un enfant de sept ans. C’est la fin du SAC. Il sera dissous l’année suivante. Les six hommes seront condamnés à de lourdes peines de prison. Le paradoxe, c’est qu’ils doivent peut-être la vie à un socialiste, Robert Badinter.

En 1981 apparaissent les premiers cas identifiés de SIDA et IBM sort son fameux PC, avec 16 Ko de mémoires vives. Et, pour les vins de bordeaux, c’est une bonne année.

Bras de fer avec Defferre – A son arrivée rue des Saussaies, Gaston Defferre assure aux policiers que toutes les décisions seront prises en concertation avec les syndicats, et qu’il mettra tout en œuvre pour que la police « retrouve sa vraie place dans la société ». C’est l’état de grâce. Pendant ce temps, sur le trottoir d’en face, Mitterrand congédie les policiers de l’Elysée pour les remplacer par des gendarmes. Au moins, eux, ils n’ont pas de syndicats… Maurice Grimaud, le préfet de police de mai-68, est nommé directeur de cabinet et Gérard Monate, ancien secrétaire général de la fédération autonome des syndicats de police (FASP), est bombardé chargé de mission auprès du directeur général de la police. L’énarque Frédéric Thiriez, originaire d’une riche famille du nord, comme Mauroy, devient l’éminence grise de l’intérieur. Mais il ne doit pas avoir le nombre de neurones réglementaires, car il va se prendre pour un vrai flic, et son bilan sera des plus calamiteux. Le 6 octobre, Gaston Defferre, dans un discours à gaston-defferre_clg.1176150957.jpgl’assemblée nationale, accuse les policiers de racisme. Le syndicat des commissaires réagit. C’est la fin de l’état de grâce. Les cadres de la police se plaignent de ne pas recevoir de directives, et, dans le doute, ils s’abstiennent de toutes initiatives. Jusqu’au jour où le brigadier Guy Hubert est tué par des braqueurs, lors d’un hold-up, à Lyon. Defferre est violemment pris à partie lors des obsèques du policier lyonnais. Peu après, il remet une décoration à l’un des collègues de la victime, qui a été blessé, et il lui dit : « Vous, au moins, vous avez de la chance, vous êtes blessé et décoré. » Ça flotte à l’Intérieur. Les syndicats exigent des instructions précises pour mettre fin au laxisme qui a gagné l’antique demeure. Les éléments sont en place, le jeu de chaises musicales va pouvoir commencer. Il va s’étaler sur une bonne année. Le 30 septembre, Michel Guyot, le directeur central de la PJ et François Le Mouel, directeur de la PJ parisienne sont d’accord pour nommer le patron de la brigade criminelle, Marcel Leclerc, sous-directeur des affaires criminelles à la PP. Pour ne choquer personne, il est convenu d’attendre la fin du procès des assassins de Jean de Broglie. Mais, les chosesbombe-a-retardement_umourcom.1176184864.jpg traînent en longueur. En fait, les syndicats de gauche sont intervenus auprès de Defferre pour écarter Leclerc (qui ne cache pas ses sentiments de droite) de Paris. Finalement, le ministre propose à ce dernier de prendre la tête du SRPJ de Marseille. Le Mouel menace de démissionner et Leclerc refuse la mutation, en se retranchant derrière son statut de commissaire de police de la ville de Paris. La tension monte au 36. Le 7 mars, Defferre affirme que cette mutation n’a rien à voir avec les opinions politiques du commissaire, et le lendemain Leclerc est affecté à l’IGPN, le cimetière des éléphants. Olivier Foll, son adjoint, refuse de prendre sa place à la direction de la brigade criminelle. C’est une jacquerie. Pour couronner le tout, François Le Mouel, l’un des rares grands chefs de la police qui affiche des idées socialistes, met ses menaces à exécution. Il démissionne. Un bras… Defferre, qui se transforme en bras d’honneur.

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La PJ, de 1980 (2)

PARTIE 13 – En 1927, Charles Lindbergh traverse l’Atlantique en avion. Mais sa gloire attire sur lui l’attention des truands. Cinq ans plus tard, son fils, un bébé de deux ans est enlevé. Les ravisseurs exigent une forte rançon. Mais, une fois celle-ci encaissée, ils tuent l’enfant. Deux ans après, un immigré allemand, Bruno Richard Hauptmann, est arrêté en possession de billets provenant de cette rançon. Bien qu’il dénie toute participation au rapt, il est condamné à mort. C’est la première fois qu’on parle de kidnapping (enlèvement d’enfant). Cet anglicisme s’applique désormais à tous les enlèvements avec demande de rançon.

Cette introduction montre combien j’hésite dans la poursuite de mon récit. Derrière les mots, il y a tant de tristesse. L’affaire démarre le 30 janvier 1980. Un homme d’affaires a été enlevé en rentrant chez lui, sur une petite route qui mène à Valbonne, dans les Alpes-Maritimes. Il se nomme Guy Pitoun. Ce soir-là, le commissaire divisionnaire Albert Mourey, le patron de la PJ de Nice, guy-pitoun-et-sa-femme-josiane_nice-matin.1175526903.jpgm’appelle chez moi. Ce qui est exceptionnel. Nous n’avons pas de très bons rapports, et, en général, il préfère se passer de mes services. Il me demande de le rejoindre. Et comme toujours, il y a un doute. Il y a deux constantes dans les affaires d’enlèvements. La première vient des policiers, au démarrage de l’enquête. S’agit-il réellement d’un enlèvement ? ou d’une fugue ? ou d’une disparition volontaire ?… Et la seconde vient de la presse, lorsque l’histoire se finit bien, ce qui est souvent le cas. L’otage a été retrouvé par hasard, claironne-t-on. Ce sont deux erreurs. La police perd son temps à chercher la petite bête, mais c’est bien son action qui chamboule le plan des ravisseurs, jusqu’au moment où ils se disent qu’il est préférable d’abandonner avant d’atteindre le point de non-retour. C’est ce qui s’est passé pour Pitoun.

L’affaire a duré deux semaines, et tous les ingrédients étaient réunis pour qu’elle tourne mal. Mais si j’avais su à quel point…

Résumons – mais attention, c’est embrouillé. La PJ de Nice est saisie de l’enquête, mais la maison mère, le SRPJ de Marseille, ne peut rester les bras croisés. Le groupe de répression du banditisme (GRB) débarque. La BRI, dépend aussi du SRPJ de Marseille, du moins sur le plan administratif, mais, de par son arrêté de création, c’est une antenne de l’office du banditisme (OCRB). L’enlèvement de Pitoun a eu lieu à Valbonne, sur le territoire du commissariat central d’Antibes. Un très gros service, qui est rattaché à la direction départementale de sécurité publique. Bien sûr, la gendarmerie est également présente dans le secteur. Pour couronner le tout, au fil de l’enquête, on découvre que l’intermédiaire choisi par la famille pour négocier, à notre insu (!), le montant de la rançon, le docteur Bernard Régis, est un ami personnel du Commissaire Yvan Delon, le chef adjoint du commissariat central d’Antibes. Et, lorsqu’on met la main sur l’un des ravisseurs, après qu’il eût empoché cinq millions de francs, on découvre qu’il s’agit d’un informateur des douanes. C’est ce qu’on appelle une salade niçoise.

Le jour dit, c’est le beau-père de Pitoun, Adolphe Gougenheim, qui porte la sacoche contenant l’argent. On le suit jusqu’à Menton. Notre intention est de tenter une filature, après la remise de rançon. Mais, on est trop près de la frontière italienne, et il nous faut intervenir. L’inconnu est interpellé. Il s’agit d’un certain Livio Cuzzoni. On le ramèneadolphe-gougenheim.1175527128.jpg dans les locaux de la PJ et je remets l’argent à Antoine Rossion, le chef de la section financière. Badaboum ! Il manque une liasse de cinq cent mille francs. Pendant quelques heures, la suspicion plane dans les locaux de l’avenue Foch. Le commissaire divisionnaire Jean-Pierre Sanguy, le tout nouveau patron du SRPJ de Marseille, s’explique au téléphone avec Maurice Bouvier, le directeur central. « Retrouvez-les ! » tonne celui-ci. Le lendemain, le père Gougenheim, goguenard, avoue qu’au dernier moment, il a lui-même retiré une «petite» liasse, en se disant que les ravisseurs ne seraient pas à ça près. La pression redescend. Sacré beau-père, va !

Le commissaire Marcel Dumas, le patron du GRB, obtient les confidences de Cuzzoni. Pitoun est séquestré dans une cabane abandonnée, à Vallauris. Il est minuit. Je récupère mes hommes. On est fatigués. Cela fait deux semaines qu’on travaille nuit et jour sur cette affaire. Mais pas un ne rechigne. Et on part libérer l’otage.

En arrivant dans ce coin désert, on repère une voiture, stationnée à quelques dizaines de mètres de la maison, en bas d’un chemin. «Y a un mec, dedans !» annonce quelqu’un à la radio. Probablement l’un des ravisseurs. Il surveille les alentours. Je donne l’ordre d’intervenir. L’inconnu ouvre sa portière. Il a une arme à la main. La réaction est immédiate.

C’est alors que deux gardiens de la paix apparaissent. « Ne tirez pas ! Nous sommes des collègues… » Sous sa gabardine, tachée de sang, l’homme que nous venons de tuer porte un uniforme. Il s’agit du gardien Philippe Maziz, du commissariat d’Antibes. Il avait 25 ans.

Et plus rien, jamais, ne sera comme avant.

Le procureur et le juge d’instruction de Grasse réagissent rapidement. Et, à chaud, à quatre heures du matin, ils organisent une reconstitution du drame. Mais ils ont sans doute tort de confier l’enquête au commissaire Delon. Celui-ci, partie prenante, n’est pas impartial. C’est lui qui a envoyé ses hommes planquer sur cette adresse, et cela, sans en référer à personne. Il se défend en attaquant et monte contre nous les autres policiers. Et, plus grave, il oublie d’apporter l’assistance psychologique à la jeune épouse de Maziz. Peu après, elle subtilise le .357 magnum du collègue qui l’héberge, et elle abat son chien. Puis, elle tue son fils de quatre ans et demi et se donne la mort.

photo-de-la-famille-maziz_nice-matin.1175527357.jpgChauffés par Delon, certains syndicats de police viennent manifester sous les fenêtres de le BRI. Sous la pression, la qualification de l’information judiciaire passe de l’homicide involontaire à assassinat. Assassinat : meurtre avec préméditation… Jean-Pierre Sanguy, le patron du SRPJ de Marseille, écrira, plus tard, au juge d’instruction de Lyon, qui a récolté le dossier : «En tant que chef de service, je demande à être inculpé…» Chapeau, monsieur le commissaire !

Pitoun n’était pas détenu à Vallauris, mais à Tignet, dans une maison en construction. C’est un agent d’assurances et son épouse, M. et Mme Conan, qui l’ont libéré. Ils sont tombés sur deux des ravisseurs, qui, coupés de leurs complices, ont préféré prendre la fuite.

Toute l’équipe sera arrêtée par la suite. Il s’agit du premier rapt «à l’italienne» perpétré en France. L’enquête sur la mort de Philippe Maziz s’est terminée des années plus tard, par un non-lieu. Mais, pour nous, gens de la BRI, les événements de cette nuit du 11 février 1980, ne s’effaceront jamais.

Il n’y a ni non-lieu ni prescription pour le souvenir.

Quelques mois plus tard, Michel Maury-Laribière, le vice-président du patronat français, est enlevé à son tour. Une douzaine d’hommes de la BRI de Nice vont prêter main forte à leurs collègues du SRPJ de Bordeaux et de l’OCRB. Je dois dire que pour la première fois, je participe à une opération multiservices qui tourne parfaitement. Chacun tient sa place et tous les hommes travaillent en osmose. Claude Bardon, le chef du SRPJ, est directeur d’enquête, mais il montre surtout beaucoup de tact avec la famille, et obtient leur confiance. Charles Pellegrini, le chef opérationnel de l’OCRB, s’occupe du terrain ; et Honoré Gévaudan, le sous-directeur des affaires criminelles assure le contact avec lesmaury-laribiere_wikipedia.1175527626.JPG autorités et les médias. Moi, je porte la valise – avec la rançon tout de même. Trois millions en coupures de cent. J’exécute les instructions des preneurs d’otage, un certain Jacques Hyver, et sa maîtresse, Dominique Werner. Maury-Laribière est libéré «par hasard», douze jours après son enlèvement, grâce à la perspicacité d’un gendarme à la retraite, Narcisse Martin. Jacques Hyver est arrêté trois mois plus tard. Condamné à vingt ans de réclusion, il s’évade en décembre 1987. Quelques semaines après son évasion, il est arrêté à Genève pour une affaire similaire. Pour la petite histoire, on dit que les employés de l’entreprise de Maury-Laribière ont proposé de se cotiser pour payer la rançon de leur patron. Et la presse le baptisera « le patron bien aimé ». Il est mort en 1990.

Je n’ai pas participé à la fin de cette enquête. Je partais en vacances avec ma fille. Et il n’était pas question de lui faire faux bond. C’est la première fois que je lâchais une affaire. Mais, c’était la première fois aussi que nous allions nous retrouver face à face, elle et moi. La PJ ne fait pas bon ménage avec… le ménage. J’ai appris plus tard, par les inspecteurs qui l’ont interrogé, que lors du jeu de piste qu’il nous avait imposé, Jacques Hyver surveillait mes déplacements – enfin, plus exactement les déplacements de son argent – dans la lunette de son fusil.

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