PARTIE 20 – En mars 1986, Charles Pasqua remplace Pierre Joxe à la tête du ministère de l’intérieur. Son vieux complice, Robert Pandraud, est bombardé ministre délégué, chargé de la sécurité. Ces nominations font suite aux élections législatives qui ont donné une courte avancée à l’union RPR-UDF. Jacques Chirac devient Premier ministre. Et le professeur Raymond Barre, après nous avoir initié au «microcosme parisien», nous parle le premier de la «cohabitation».
Après la charge des gauchos, après le labyrinthe des réseaux francs maçonniques, à l’arrivée de Pasqua les policiers appréhendent le retour des vétérans du SAC. Mais, la présence de Pandraud rassure. Certes, il a traîné ses guêtres dans les mêmes ruisseaux fangeux que son ministre de tutelle, mais pour les flics, c’est un vrai flic. Il a été directeur général de la police, et chacun sait que même du temps de Gaston Defferre, il a toujours gardé un œil, et un peu plus, sur les policiers. Au point que certains disaient alors qu’il était mieux informé que le ministre socialiste. Je me souviens d’une affaire de prises d’otages et d’une filature dans les embouteillages d’un retour de week-end. Je postillonne depuis ma voiture dans une radio crachoteuse pour tenter de faire le point. Le trafic sur les ondes est aussi dense que sur l’autoroute du sud, et il n’est pas facile de calmer la verve d’une cinquantaine de policiers surexcités. Soudain, une voix de stentor couvre la cacophonie. C’est Pandraud. Il suit les événements en direct, depuis le PC de l’OCRB. Les flics sont des enfants. Ils préfèrent voir le chef s’intégrer à une équipe plutôt que de l’accompagner lors d’un show médiatique dans une banlieue de loubards.
En 1985, Pierre Joxe a remodelé la PJ, en créant notamment une sous-direction de la police technique, jetant ainsi les bases d’une police moderne. Et son successeur a eu le mérite de résister à la manie qui consiste à démolir pour rebâtir à sa main.
Le 19 juin 1986, Coluche se tue dans un accident de moto, sur une petite route des Alpes-Maritimes, dans des circonstances que certains ont trouvé… étranges. En septembre, une série d’attentats frappe la capitale, dont le plus meurtrier est celui commis devant les établissements Tati, rue de Rennes. Ces actes sont revendiqués par le CSPPA (comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes) et les FARL (fractions armées révolutionnaires libanaises).
Au mois de décembre, des étudiants occupent la Sorbonne. Ils manifestent contre le projet de réforme du ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, Alain Devaquet. Un petit groupe tente de dresser des barricades à l’angle de la rue Monsieur-le-Prince et de la rue de Vaugirard. Les policiers reçoivent l’ordre de neutraliser les manifestant avant que le mouvement ne prenne de l’ampleur (le syndrome de 68 ?). Une équipe de voltigeurs motocyclistes est envoyée sur place. Ils prennent en chasse un jeune homme qui se réfugie dans le hall d’un immeuble et le bastonnent durement. Il s’agit de Malik Oussekine. Transporté à l’hôpital Cochin, il ne survivra pas. En plus des coups qu’il a reçus, Oussekine souffrait d’une insuffisance rénale, fait qui était, hélas, ignoré des urgentistes. L’affaire fait grand bruit. Pasqua heurte l’opinion publique en soutenant l’action de la police, alors que le débordement des deux voltigeurs est évident. Ils seront d’ailleurs condamnés, l’un à deux ans de prison, l’autre à cinq ans. Pandraud ne fait pas mieux en déclarant : « Si mon fils était sous dialyse, je l’empêcherais d’aller faire le con dans les manifestations. » Peu après, Chirac retire le projet de réforme, Devaquet démissionne et le bataillon des voltigeurs est dissous.
L’année suivante, c’est l’épilogue de la saga de la guerre des gangs, avec la mort brutale d’André Gau, alias Dédé le gode. En 1987, Henry Botey, celui que la presse a surnommé le « premier proxénète de France », a de sérieux ennuis. Ce n’est pas vraiment un mac, mais plutôt un… homme d’affaires. Il règne sur Pigalle. Pas un bar, pas une boîte de nuit, pas un hôtel de passes, où il ne possède des intérêts. Mais l’un de ses anciens employés, un certain Alain Picaud, surnommé le Gitan, gros bras et petite tête, en a assez des seconds rôles. Il décide que son ancien boss a atteint la limite d’âge et que la place lui revient. Pour Botey, pas question de céder. Pourtant, après un avertissement sous la forme de deux ou trois balles de fort calibre qui lui sifflent aux oreilles, il décide de se protéger. Et, il fait appel à Dédé Gau. Ce dernier flaire la bonne affaire. Il y voit un super fromage. Car pour lui, Picaud n’est qu’une lopette. Ce qu’il n’a pas compris, le Dédé, c’est que la lopette n’agit pas d’initiative. Il fait l’objet d’une « poussette ». Derrière lui, il y a Jacques Imbert, dit Jacky le mat. Et ce dernier, avec trois ou quatre complices non identifiés (et pas nécessairement français) a décidé de faire main basse sur le monde interlope de Paris, puis des autres grandes villes hexagonales. Ce que d’aucun ont surnommé « la nouvelle mafia française ». Ce jeudi 10 décembre, Dédé Gau est en compagnie de Botey et d’un vieil ami, Jean-Pierre Le Pape. Ce dernier n’est pas un enfant de chœur, on le considère comme « l’inventeur » du gang des postiches, mais il est là par hasard. Botey lui propose de le raccompagner. Juste le temps d’un coup de fil, lui dit-il. En fait, Picaud doit le rappeler à vingt heures, dans une cabine publique du boulevard Bineau, à Neuilly. Le téléphone sonne. Botey et Gau se serrent dans la cabine téléphonique. Mais tous deux ont dû s’embourgeoiser, ou ils sont trop sûrs d’eux. Ils n’ont pas remarqué une voiture, garée à proximité. Picaud leur a tendu une embuscade. Il les surveille. Il saute de son véhicule et se précipite vers la cabine téléphonique. Au passage, il tire trois balles de 9mm sur Jean-Pierre Le Pape, qu’il ne connaît même pas, et braque son calibre sur Dédé. Mais l’arme s’enraye. Il dégaine alors un petit 6.35 et vide son chargeur avant de grimper dans sa voiture et de démarrer en trombe. Le Pape se relève. Il n’a rien. Les trois balles ont traversé son blouson. Henry Botey sort de la cabine. Il est indemne. Quant à André Gau, il est mort. C’était le dernier survivant de la guerre contre les Zemour. En guise d’oraison funèbre, l’un de ses amis a dit : « Il avait trop vécu. » Mais vous savez, dans le milieu, les amis… D’autres ont dit que Le Pape portait en permanence un blouson pare-balles. Allez savoir pourquoi ! Alain Picaud a été arrêté quelques jours plus tard. Il a reconnu les faits. En bon demi-sel, il n’a pas compris qu’il venait de servir la soupe à Jacky le mat.
En septembre 1987, Jean-Marie Le Pen, au cours de l’émission RTL-Le Monde, déclare que les chambres à gaz ne sont qu’un point de détail de l’histoire de la deuxième guerre mondiale, et, en mars 1988, la ville kurde d’Halabja, au nord de l’Irak, est bombardée avec des armes chimiques. Cinq mille personnes sont gazées. Des hommes, des femmes, des enfants. L’année suivante de pseudos historiens s’interrogeront pour savoir s’il s’agit d’un crime de guerre commis par l’Iran ou d’un crime contre l’humanité perpétré par l’Irak. Question de sémantique, doivent se dire les victimes. En tout cas, la communauté internationale ne bronche pas. Sadam Hussein n’est pas encore le diable et l’Irak est un allié de l’Europe et des Etats-Unis. Quant à l’Iran, deux mois seulement après ces événements, la France renoue des relations diplomatiques normales avec ce pays. Il est vrai qu’entre temps, il y a eu la libération « miraculeuse » des trois otages, Marcel Carton, Marcel Fontaine et Jean-Paul Kauffmann – juste entre les deux tours des élections présidentielles. Rappelons que ces hommes étaient détenus depuis plusieurs années par l’organisation pro-iranienne du Jihad Islamique.
Le 8 mai 1988, Mitterrand écrase Chirac au second tour des présidentielles. Et il repart pour sept ans. Mais le PS n’obtient pas la majorité à la chambre des députés et Michel Rocard se voit contraint à l’ouverture. Du coup, son gouvernement est composite : socialistes, radicaux et même des ministres issus de l’UDF.
Le tueur de vieilles dames – le 5 octobre 1984, une vieille dame de 91 ans, Germaine Petiot est agressée à son domicile, rue Lepic, près de Montmartre. Ses deux agresseurs l’ont rouée de coups pour lui faire dire où elle cache ses économies. Mais elle s’en sort vivante. Elle a de la chance. Peu après, le même jour, c’est le tour d’Anna Barbier-Ponthus. Cette personne de 83 ans rentre chez elle, son cabas à la main. Au moment où elle déverrouille sa porte, elle est poussée à l’intérieur de son petit appartement, rue Saulnier, dans le IX°, tout proche du XVIII°. Elle est ligotée, battue et finalement étouffée à l’aide d’un oreiller. On lui a volé quelques centaines de francs. Ce sont les deux premières victimes recensées du « tueur de vieilles dames ». La première a survécu. Toutes les autres sont mortes, sauf la dernière, Madame Finaltéri, qui a permis l’arrestation de l’assassin. Le juge Philippe Jeannin recensera dix-huit victimes et écartera provisoirement trois dossiers dont le modus operandi diffère quelque peu. Ces meurtres en série passionnent l’opinion publique et crée une psychose (bien compréhensible) chez les personnes âgées. La brigade criminelle se trouve devant le type même d’enquête difficile à résoudre : aucun lien entre le ou les assassins et les victimes, et aucun mobile, si ce n’est le maigre porte-monnaie de ces vieilles dames. À l’affolement qui suit la révélation de ces meurtres en série, Pierre Touraine, le directeur de la PJ prend des mesures d’urgence. Il s’agit essentiellement de rassurer la population et de répondre à l’attente de Pierre Joxe. Car cet ancien patron de la criminelle sait bien que cela ne fera pas avancer l’enquête. Le XVIII° est envahi par les forces de l’ordre – ce qui peut toujours avoir un effet dissuasif, et par les journalistes. Toute la presse est sur le pied de guerre. Le Parisien sort même un portrait-robot fondé sur un vague témoignage et la PJ, sous pression, interpelle un pauvre quidam qui, après quelques heures de garde à vue, sera relâché avec les excuses du commissaire. Puis, les crimes s’arrêtent et le XVIII° retrouve son calme. Un an plus tard, ça recommence, cette fois dans le XIV°, autour de l’église d’Alésia. On s’intéresse aux ouailles du curé, qui vient, lui aussi, de changer d’arrondissement, et qui s’occupe de jeunes en difficulté. Chou blanc. Les interpellations se multiplient dans le milieu des toxicomanes, des trafiquants de tout genre, des détraqués, sans résultat. Enfin, en janvier 1986, l’identité judiciaire, après un travail de fourmi (le fichier n’est pas encore informatisé) parvient à déterminer avec certitude que la plupart de ces crimes sont le fait d’un seul individu. Mais qui ? Enfin, la chance sourit aux enquêteurs et surtout à Madame Finaltéri, qui a survécu à ses blessures. Elle fournit une description minutieuse de son agresseur : 1.80 mètre, métis, les cheveux décolorés et portant une boucle d’oreille. C’est ainsi que le commissaire Francis Jacob, le portrait-robot en poche, repère dans la rue un individu dont le signalement correspond. Il est seul. Il hésite, je le suppose, puis avec doigté, il procède à l’interpellation du suspect. Thierry Paulin, puisqu’il s’agit de lui, ne fait aucune difficulté pour suivre le policier. Il croit à un simple contrôle de routine. On compare ses empreintes et bingo ! Paulin avoue rapidement une vingtaine de meurtres. Et il dénonce son complice, Jean-Thierry Mathurin. Les enquêteurs pensent qu’il existe un troisième homme, mais là, Paulin se cabre. Il n’en dira pas plus. Mais il n’est pas exclu qu’il ait protégé un proche. Le doute persiste. Thierry Paulin ne sera jamais condamné. Il meurt du sida le 16 avril 1989. Quant à Mathurin, il a été reconnu coupable de sept meurtres et condamné à une peine de réclusion à perpétuité le 20 décembre 1991.
Avec mon complice de l’époque, Yves Rénier, quelques années plus tard, nous avons écrit le scénario d’un épisode du Commissaire Moulin, intitulé Paris 18. Une fiction largement inspirée de ces faits.
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L’évocation du massacre d’Halabja/Helebçe n’a pas de lien direct avec l’histoire de la PJ (les Kurdes, quoique ulcérés par l’indifférence de la communauté internationale, n’ont pas commis d’actes de contre terrorisme en France). Elles est commémorée chaque année, avant la commémoration de la campagne génocidaire d’Anfal, en KRG.
On ne sait pas si ce massacre est lié à la campagne d’ANFAL, planifiée depuis un an par Ali le Chimique (déportation des Kurdes, des Yezidis et des Assyriens, éxécution des mâles entre 12 et 70 ans après interrogatoires en zone montagneuse, propices à la guerilla; repeuplement arabe : entre 50 et 182 000 morts) ou si elle est dans la continuité de la guerre Iran Iraq où, avec le soutien des puissances occidentales, l’Iraq employait des gaz de combat : Halabja était sur la ligne de front au moment des bombardements essentiellement aériens (Anfal utilisait des bombardements au canon), tenue par le PUK (parti social democrate kurde, affilié actuellement à l’Internationale Socialiste et, à l’époque, allié à l’Iran: actuellement, les régions tenues par le PUK accueillent de très vieilles guerillas kurdes iraniennes (PDKI, Komala, la plus vieille guérilla à avoir accueilli des femmes et toujours en activité -restreinte…-; ces deux guerillas ont des compte twitter )
Les conséquences de cette guerre contre l’Iran continuent de se faire sentir : les villageois des zones frontalières peuvent toujours sauter sur des mines, les survivants d’Halabja ont pu développer des cancers ou des malformations de leurs enfants, dans des proportions énormes.
La campagne d’anfal continue d’empoisonner les relations entre ce qui reste de la région autonome du Kurdistan Iraqien KRG et le pouvoir central : la politique de repeuplement par des Arabes (pauvres) peut mener à des cycles d’expropriations/vengeances sans fin (les Kurdes, reprenant le contrôle d’une ville, expropriant des familles installées depuis 30 ans; à leur tour, le pouvoir central peut reexproprier…)
LE massacre d’Halabja -en ville, avec des cameramen iraniens horrifiés- a fait à peu près 20 fois moins de morts que la campagne ANFAL -généralisée à tous les villages du Bashur-Kurdistan Iraqien, mais sans caméramen- … et 10 fois plus de morts que les exactions d’Assad en Syrie (au moins les morts que l’on attribue à l’emploi d’armes non réglementaires…)