PARTIE 17 – Après la manifestation des policiers, sous les fenêtres de la chancellerie, et des représailles maladroites par l’immolation de deux syndicalistes, la police panse ses plaies. Pendant ce temps, criminalité et violence montent en flèche. Gaston Defferre tente de reprendre la main, mais il se heurte à de ténébreux pouvoirs qu’il ne maîtrise pas. Quant aux chefs de la police nationale, tout étonnés d’être encore là, ils font carpette devant un petit commandant de gendarmerie, qui, disent les mauvaises langues, prend tous les matins son petit-déjeuner avec la première dame de France.

En juin 1981, un magistrat marseillais chargé de régler les dossiers sur les accidents de la circulation et les chèques en bois, est promu chevalier de la Légion d’honneur. C’est ainsi que Gaston Defferre récompense Etienne Ceccaldi, le juge rouge, placardisé par le gouvernement précédent pour avoir osé s’attaquer à des ententes illicites entre pétrolièrs. Six mois plus tard, il est nommé directeur de cabinet de François Autain, le Secrétaire d’État chargé des travailleurs immigrés. Il montre pugnacité et clairvoyance en s’opposant à trop de libéralisation dans les lois sur l’immigration, alors que la pression est énorme sur la gauche de la gauche. En 1983, pour faire taire le maire de Nice, Jacques Médecin, qui réclame à cor et à cri un préfet de police (comme à Marseille, na !) Gastounet s’imagine lui jouer un bon tour, en lui collant Ceccaldi entre les pattes. À l’arrivée de ce chef, les flics de la baie des Anges sont dubitatifs. Ils n’ont pas oublié que dans les années 70, à Lyon, Ceccaldi et le juge Renaud, ont fait tomber une trentaine de policiers sous l’inculpation de proxénétisme.

À Nice, le banditisme est toujours présent, mais il est moins sanguinolent qu’auparavant. C’est la belle époque pour Marcel Diavoloni, alias Marcel le bègue, qui a mis la main sur le marché juteux des machines à sous, et aussi pour certains personnages équivoques qui magouillent autour de la municipalité. Contre toute attente, Ceccaldi montre des qualités desalle-de-jeux_rocqinriafr.1178403447.jpg terrain, et il va rapidement être adopté par les policiers. Il se passionne tant pour sa nouvelle mission, qu’il en oublie la politique. Mais la politique ne l’oublie pas. Surtout lorsqu’il s’attaque à des flics ripoux de la police de l’air et des frontières, dont le responsable, Roger Gianola, n’est autre que le numéro trois du PS des Alpes-Maritimes. Du coup, on tente de le salir. Les rumeurs contre lui et son épouse vont bon train. Mais il a la protection de Gaston Defferre. Provisoirement. Car, l’année suivante, le couple Defferre – Franceschi explose. Pierre Joxe, s’installe place Beauvau, et il réexpédie Ceccaldi aux oubliettes. Etienne Ceccaldi s’est donc fait viré une fois par la droite, une fois par la gauche. Moi, je trouve que dans un CV, ça a plutôt de la gueule, plus qu’une quelconque médaille.

Bien plus tard, en 2001, Robert-Louis Dreyfus bombarde Ceccaldi directeur général de l’OM, pour tenter de remettre de l’ordre dans la maison. Un an après, dans une interview à La Provence, ce dernier met les pieds dans le plat. Il dénonce la mise en coupe réglée du club par le milieu marseillais.

Pendant ce temps, les Français apprécient la cinquième semaine de congés payés, les 39 heures hebdomadaires, et, cette année-là, la mise en place de la retraite à 60 ans. Mais, bien vite, les chimères s’estompent et la réalité refait surface. Après trois dévaluations du franc en trois ans, la France est exsangue. Mitterrand lance « le plan deguy-orsini_photo_lecrapouillot.1178401389.jpg rigueur ».

En Corse, après une trêve postélectorale, les attentats redoublent. Cela commence le 22 août 1982, avec cent dix plastiquages dans la nuit. Une nuit bleue mémorable. Mais depuis, toutes les nuits sont bleues, ou presque. Robert Broussard est nommé préfet de police, avec la lourde tâche de remettre de l’ordre – mais en souplesse. Sa tactique consiste à tenter de couper la population du FLNC. Le 17 juin, Guy Orsoni, ce séparatiste corse qui a retrouvé son île après la loi d’amnistie de 1981, roule au volant de la Mercedes de son oncle, Roger Orsoni, sur une petite route entre Sartène et Porto-Vecchio. Il n’arrivera pas à destination, et on ne le reverra jamais. La PJ, dirigée par le commissaire divisionnaire Ange Mancini, part sur un règlement de comptes entre bandes rivales, et arrête une demi-douzaine d’individus. Mais les séparatistes crient au complot. Ils disent que Guy Orsoni a été enlevé par des barbouzes. Ils parlent d’une nouvelle affaire Ben Barka. Le FNLC tient son premier martyr. Il faut dire que dans l’île de beauté, rien n’est simple. Tandis que Broussard et Mancini tentent de remplir leur contrat, le capitaine Paul Barril négocie en douce, pour le compte de l’Elysée, la cessation des attentats, avec Alain Orsoni, le frère de Guy. Quant au commissaire divisionnaire Charles Pellegrini, chargé des affaires réservées au ministère de l’intérieur, il est mis sur la touche après que son beau-frère, Félix Rosso, ait été tué par balle au moment où il fermait son restaurant, pas très loin de Porto-Vecchio. C’est dommage, il était sans doute le mieux placé pour démêler l’écheveau. L’affaire rebondit lorsque le sous-préfet Pierre-Jean Massimi, est abattu au volant de sa voiture. Une balle dans la tête. Du travail de pro. Le 21 septembre, le FNLC publie un communiqué dans lequel il revendique l’assassinat de Massimi pour venger la mort de Guy Orsoni. Le texte ajoute que le sous-préfet aurait reçu des mains du Secrétaire d’État pour la police, Joseph pierre-jean-massimi.1178401488.jpgFranceschi, une somme d’un million de francs pour payer les hommes de main. La vérité ? Je crois qu’il est inutile de la rechercher ! Même les protagonistes ne la connaissent pas.

Le début des années 80 voit la prolifération des « radios libres ». Libres, elles ne vont pas le rester longtemps, car si elles peuvent émettre, la publicité leur est interdite. Or, il leur faut de l’argent. Le directeur de NRJ, Jean-Paul Baudecroux, est au mieux avec Laurent Fabius. Il en profite pour forcer le passage. En 1983, il augmente la puissance de ses émetteurs et envoie des spots publicitaires. Rien ne se passe. Les autres suivent. En 1986, lors de la première cohabitation, tout cela sera entériné par une loi sur la communication déposée par le ministre de la culture François Léotard.

Gilbert Zemour n’en saura jamais rien. Le 28 juillet, il rentre chez lui, vers cinq heures du matin, comme à l’accoutumée. Sa femme dort, mais les quatre caniches l’attendent pour leur promenade habituelle. Quoique fatigué, la nuit a été rude pour lui, il ne se dérobe pas à son devoir. Il descend l’avenue de Ségur avec les quatre chiens. Dans l’ombre, un homme le guette. Il sort un .357 magnum. Deux coups de feu. Zemour encaisse les balles dans la poitrine. Il se traîne derrière une voiture pour tenter de se protéger. Les chiens aboient. Le tueur le suit, imperturbable. Il lui met le canon de son arme sous le menton. La dernière balle lui éclate la tête. C’est la fin du clan Zemour. Les chiens sont saufs. Comme toujours, lors des règlements de comptes, l’enquête aboutit à des hypothèses, qui se traduisent par de beaux rapports, mais qui n’ont, hélas, aucun intérêt pour un juge d’instruction. Ici, un témoin, un journaliste, a vu de sa fenêtre le tueur rejoindre une femme blonde. Mais il lui est impossible de les décrire et encore moins de les reconnaître. Certains ont imaginé que Betty, l’Américaine, la femme d’Edgar Zemour, a fait tuer son mari. Et qu’elle n’a pas supporté l’interrogatoire, un rien musclé, qui lui a fait subir à l’époque Gilbert Zemour. Bon, on peut en faire un polar, mais rien d’autre.

En décembre, Le canard enchaîné sort le scandale des « avions renifleurs », et, grâce à la détermination de Mitterrand, Canal + voit le jour.

Gros et Havot – Depuis le mois d’octobre 1978, date à laquelle ils se sont évadés de la maison d’arrêt d’Agen, Gros et Havot font maronner tous les flics de France. Et à l’OCRB, ils nous empoisonnent la vie. Leur mobilité les rend pratiquement insaisissables. Recherchés dans le nord, ils tapent dans le sud. Leur piste, entachée de violences et de sang, ne mène jamais nulle part. En septembre 1979, un automobiliste leur fait une queue-de-poisson, dans la Drôme, ils l’abattent froidement. En février 1980, par deux fois, lors d’un contrôle de police, dans le Lot-et-Garonne et la Haute-Marne, ils tirent sur les représentants de l’ordre et s’enfuient. En juillet de la même année, ils trouvent la note d’un restaurant trop salée, ils abattent le restaurateur. En août 1982, ils tirent sur un motard de la CRS 9 qui les avait pris en chasse. Et des braquages, des braquages, un ou deux par mois. Un jour, les gendarmes les repèrent dans un restaurant de Neuvy-le-Roi, petite commune où il ne se passe jamais rien. Ils ne sont pas assez rapides, les deux hommes les arrosent au fusil à pompe. Bilan : deux gendarmes et un pauvre gamin de douze ans restent sur le carreau. Jusqu’au jour où, le bonrobert-gros.1178401633.jpg tuyau arrive. On les a repérés en Ardèche. Ce que j’aime dans ce métier, c’est qu’on ne sait jamais où l’on va finir la journée. Le lendemain à l’aube nous sommes en planque à proximité d’une baraque, sur la commune de Ribeyre. Il y a des gens de l’OCRB, des policiers du SRPJ de Marseille et des gendarmes. Beaucoup de monde. Trop sans doute. Mon intention est d’attendre que ça bouge, mais la décision vient de Paris. Le sous-directeur des affaires criminelles, Pierre Richard, nous donne l’ordre d’intervenir immédiatement. Je me dis que décidément, la gauche a laminé nos chefs. Si on donne l’assaut, on va se faire tirer comme des lapins. On le sait tous. Mais ce jour-là, le dieu des flics nous sourit, car soudain, la porte s’ouvre. Et notre ami Robert Gros sort dans le jardin. L’embellie. On fonce. Gros comprend tout de suite, il se met à courir. On lui court après. Il se retourne. Il a une arme. Il tire. Je suis à cinq ou six mètres. Derrière ça riposte. Mauvaise impression. Mais, il est marron. Le jardin est fermé par un grillage. Il ne peut pas aller plus loin. Acculé, il se retourne vers moi. Il braque son arme. J’aurais dû dégainer la mienne. Dans ma précipitation, j’ai oublié. Un petit trou rouge apparaît sur son front. Et il s’écroule. À plusieurs centaines de mètres, un tireur d’élite a fait mouche. Il m’a sauvé la vie. Désolé, collègue, je ne me souviens plus de ton nom. Grâce aux informations recueillies lors de la perquisition, Havot est arrêté peu après par les policiers du SRPJ de Marseille.

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