LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La PJ, de 1988 à 1991

PARTIE 21 – Avec le retour de Pierre Joxe, à la tête du ministère de l’intérieur, pour la police judiciaire revient l’époque de la modération et de la raison. En effet, pour mettre fin aux rivalités entre services, et peut-être pour asseoir son autorité, Joxe durcit sa position vis-à-vis des médias. Il renforce la politique d’isolement de la police – politique qu’il avait amorcée lors de son passage précédent. Du coup, devant l’aphasie des commissaires, les journalistes font la cour aux magistrats. La plupart vont adorer. Et, bien vite, les juges font la une des journaux, transgressant gaillardement le tabou du « secret de l’instruction ».

Si les enquêtes sur les « crimes de sang » évoluent peu (la police scientifique telle qu’on la connaît aujourd’hui en est gang-des-postiches-en-action_affairescriminelles.1183318952.jpgencore à ses balbutiements), le banditisme prend une allure différente. Les Guérini, Zampa, Zemour, etc., sont histoires anciennes. La dernière équipe folklorique sera le gang des postiches. Les « inventeurs » de cette méthode, qui à ma connaissance n’ont jamais été inquiétés, du moins pour ces faits, ont habilement mélangé les genres. À la fois braqueurs et casseurs. Grossièrement grimés, ils pénètrent dans une agence bancaire, braquent employés et clients et, au burin et au marteau, s’attaquent aux coffres privés, ceux qui sont supposés renfermés les objets précieux des citoyens friqués. En l’espace de cinq ou six ans, c’est ainsi plusieurs dizaines de banques qui sont visitées, avec un butin incertain, mais… conséquent. Pour se protéger, les banquiers installent des alarmes sensibles aux bruits dans les salles fortes de leurs principales agences. La défense arrive cependant un peu tard. Car c’est par de classiques méthodes de filatures et de surveillances que les policiers de la BRI et de la BRB comptent mettre un terme à ces exploits un peu trop… médiatiques. Le 14 janvier 1986, ils se positionnent autour du Crédit Lyonnais, rue du Docteur-Blanche, à Paris. Les bandits sont à l’intérieur. Pour éviter toutes bavures, l’intention des antigangs est d’attendre la meilleure opportunité pour agir. Une opération retour, comme on dit. Mais il y a cafouillage au niveau du commandement. On a reproché au chef de la BRB, le commissaire Raymond Mertz, sa trop grande impétuosité. Il n’aurait pas maîtrisé ses nerfs, avec une volonté d’en découdre et une intervention prématurée. C’est sans doute vrai. Pourtant, à la réflexion, je pense que cet homme, peu goûté des chouchous du 36, a servi de… « bouc commissaire ». Car le bilan est lourd, et difficile à assumer pour de grands services : un policier et un gangster tués, trois policiers blessés et une partie des truands qui s’évapore dans la nature. Il s’agit de cacher ce qui crève les yeux : une grave mésentente entre les services. Dans le déballage qui suivra on associera le nom de policiers ripoux à cette débandade, histoire sans doute d’étouffer le mécontentement des inspecteurs. Olivier Marchal s’est inspiré de ces faits dans son film 36, quai des Orfèvres. Plus tard, Jean-Edern Hallier, l’ennemi intime de Mitterrand, déclare qu’un contrat avait été mis sur sa tête et que la cellule élyséenne avait passé un deal avec deux membres du gang des postiches (les « inventeurs » du gang des postiches auraient-ils bénéficié d’une protection?). Ces allégations ont été confirmées par le capitaine Paul Barril. En 2004, Michel Fourniret, le tueur en série, affirmera qu’il a récupéré le butin du gang des postiches, dissimulé dans des tombes de différents cimetières. Difficile parfois de ne pas mélanger fiction et réalité.

Le 22 avril 1988, des indépendantistes Canaques attaquent le poste de gendarmerie de Fayaoué, à Ouvéa, dans l’archipel des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie. Ils tuent quatre gendarmes et en prennent vingt-sept en otages.requisition-des-forces-armees-extrait.1183320599.jpg Conseillé par Christian Prouteau, François Mitterrand envoie le chef du GIGN, le capitaine Philippe Legorjus, afin de négocier et à défaut de préparer une action. Les pourparlers sont impossibles. Legorjus et ses hommes sont même séquestrés durant quelques jours. Le cinq mai 1988, trois jours avant le deuxième tour des élections présidentielles, Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation, reprend la main. Il déclenche l’opération Victor. Sous les ordres du général Vidal, l’armée donne l’assaut aux grottes d’Ouvéa. Le bilan est lourd. Deux militaires sont tués et tous les preneurs d’otages (dix-neuf) sont abattus, certains dans des conditions troublantes. Ces événements, habilement exploités, permettent à Mitterrand d’être réinvesti pour sept ans. Philippe Legorjus a depuis quitté la gendarmerie nationale. Il a donné sa version des faits dans un livre La morale et l’action, aux éditions Fixot. Le juriste et criminologue Cédric Michalski a effectué une étude juridique sur ces événements, et notamment sur la loi d’amnistie qui a suivi, dans une brève synthèse intitulée Questions de fait, Réponses de droit, qu’on peut consulter sur Internet.

philippe-legorjus_gign_org.jpgUn an plus tard, Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale, refuse une minute de silence à la mémoire des gendarmes assassinés. Une attitude méprisante – et méprisable.

En 1989, le gouvernement Michel Rocard fait adopter une loi créant le RMI. 570.000 foyers sont concernés. Et Zinédine Zidane débute sa carrière professionnelle. Son premier match en première division l’oppose au FC Nantes, au stade La Beaujoire. Pendant ce temps, tout à l’Est, 28 ans après son édification, le mur de la honte s’écroule. Le communisme n’y survivra pas.

La création de l’office central de la grande délinquance financière, en 1990, montre le tournant pris par la PJ. L’analyse est simple : la plupart des actions criminelles ont le profit pour mobile. On va donc s’attaquer à « l’argent sale » pour décourager les délinquants ou pour les châtier. Cette même année, dans une usine du Portugal, la 3.700.001ème 2CV sort des chaînes de montage. Ce sera la dernière « deuche ». Je me demande qui l’a achetée !

Au cours de l’été 1991, l’Ile-de-France connaît une vague de violences urbaines. Pierre Joxe créé les brigades régionales d’enquête et de coordination (BREC). Il s’agit de structures rattachées aux SRPJ et destinées à lutter contre les bandes organisées sévissant dans les grands ensembles urbains. La première du genre est installée à Versailles, en septembre 1991. Ce sera l’une des dernières décisions de Joxe avant d’être nommé ministre de la défense, en remplacement de Jean-Pierre Chevènement. En effet, ce dernier souhaite exprimer son désaccord sur l’engagement des troupes françaises dans la guerre d’Irak. Il déclare : « Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne ». Il démissionne. Cette première guerre d’Irak fera probablement plus de 200.000 victimes et, en raison de l’incendie des puits de pétrole et de l’utilisation d’uranium appauvri, elle aura un impact écologique dont on n’a pas encore mesuré toutes les conséquences.

Le trio maudit – Elle a 18 ans. Elle s’appelle Valérie Subra et exerce le métier de vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter. Mais elle a de l’ambition. Elle veut s’élever. Pour cela, elle profite de sa beauté et de sa jeunesse en marivaudant avec des hommes mûrs et nantis. Pour faire simple, elle michetonne. Elle fréquente Laurent Hattab, 19 ans. Ce dernier, s’occupe d’un commerce de sweat-shirts, la société « Tee for two », dont son père lui a offert la moitié des parts. Il roule voiture de sport et, avec ses allures de fils à papa, il impressionne fortement son amie. Le troisième larron est le plus âgé. Il se nomme Jean-Rémi Sarrau. Il a 21 ans, mais il est plus terne. C’est un suiveur.

Ces trois-là, pour s’enrichir rapidement, mettent au point un plan des plus simples – et des plus bêtes qu’il soit…

Le samedi 8 décembre 1984, à 18 heures 55, l’intervention de police-secours est requise au 97, rue de Prony, à Paris, dans le XVII° arrondissement.Il s’agit du domicile, à la fois personnel et professionnel, de Gérard Le Laidier, 50 ans, avocat. Les policiers sont accueillis sur place par Madame Françoise Nicouleau, secrétaire de l’étude, qui leur ouvre la porte. Ils découvrent alors, étendu sur le sol d’une pièce faisant office de bureau, le cadavre ensanglanté de Gérard Le Laidier.

Le lundi 17 décembre, la concierge du 12, rue Marguerite, dans le XVII° arrondissement, s’inquiète du désordre de l’appartement de Monsieur Laurent Zarade, chez qui elle effectue habituellement le ménage.Agé de 27 ans, cet homme est responsable d’une société familiale de confection implantée dans le Sentier. Il occupe dans l’immeuble un appartement de quatre pièces, contiguë à celui de ses parents. Son frère, Thierry Zarade défonce la porte d’une pièce servant à la fois de bureau et de chambre d’amis. Gérard Zarade gît près du lit, les pieds et les mains attachés, la tête dissimulée par un peignoir de bains de couleur rose, maculé de sang. Une écharpe bleu marine lui enserre le cou.

Les enquêteurs ont tôt fait de déterminer une relation commune aux deux hommes : Valérie Subra.

Interpellée, en quelques heures la jeune fille passe aux aveux. Elle dénonce ses deux complices. Ils sont arrêtés et les perquisitions permettent de retrouver plusieurs objets appartenant aux victimes. Une affaire carrée, comme on dit à la crim’.

Autour d’un verre au Martin’s, près du bois de boulogne, ces trois jeunes gens avaient décidé de se procurer de l’argent par n’importe quel moyen, avec l’intention de s’installer aux Etats-Unis. Il semble que ce soit Hattab qui ait eu une idée géniale : Valérie se fait inviter chez des hommes fortunés, et, après avoir émoustillé le pigeon, elle leur ouvre la porte. Il ne leur reste plus qu’à rafler le magot.

Aussitôt dit… Pour le premier meurtre, les deux jeunes gens ont ligoté Le Laidier et Valérie, afin de dédouaner cette dernière. Ils n’ont donc pas l’idée de supprimer leur proie. Mais il est probable que leur comédie ait fait long feu. Aussi, pour éviter un témoignage compromettant, ils décident de tuer l’avocat. Ils le frappent à coups de pied, à coups de poing, puis à l’aide d’une matraque, qui se brise sous la violence des chocs. Ils finissent par le poignarder. Une mortproces_photo_livre_unrendezvousdenfer.1183318651.jpg affreuse. Pour le second les choses sont plus claires. La décision est prise dès le départ de liquider Laurent Zarade, car celui-ci connaît trop bien Valérie. D’après leurs aveux, Sarraud bâillonne Zarade avec une écharpe et il lui tient la tête tandis que Hattab lui porte des coups à la gorge à l’aide d’un coupe-papier. Mais, malgré son bâillon, celui-ci crie de douleur. Pour étouffer ses hurlements, les deux assassins saisissent alors chacun un côté de l’écharpe et cherchent à étrangler leur victime. Zarade glisse sur le sol, mais il n’est pas mort. Saraud lui enveloppe la tête dans un peignoir, sans doute pour tenter de l’étouffer, tandis que Hattab lui enfonce par trois fois le coupe-papier dans la région du cœur.

Isabelle Pelletier a fidèlement relaté les faits dans un livre Rendez-vous en enfer, aux éditions J’ai Lu. Quant à Bertrand Tavernier, il s’est inspiré de cette sordide histoire pour son film, L’Appât, sorti en 1995.

Devant la cour d’assises de Paris, en janvier 1988, les trois jeunes gens ne montrent aucun remord. Laurent Hattab fait même preuve d’arrogance. Aucune considération pour la famille des deux victimes, assise au premier rang. Maître Szpiner, de sa voix de baryton clame : « Ils sont de la race de Paulin », faisant ainsi allusion au tueur de vieilles dames.

Le jury les déclare coupables et tous trois sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Une peine virtuelle, puisque Valérie Subra a été libérée en 2001 et Laurent Hattab et Jean-Rémi Sarraud deux ans plus tard.

Si la bêtise était une circonstance atténuante, ils n’auraient sans doute pas été condamnés – mais alors, les prisons seraient à moitié vides.

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3 Comments

  1. fada

    La dernière deudeuche fabriquée en France a ete achetée par M.Brioult ancien rédacteur en chef de la RTA, elle a ete volée, brulée, puis rachetée de nouveau pour 108oo euro.
    La dernière deudeuche sortie des usines Portugaises, la der des der, est dans les mains du Conservatoire Citroen.

  2. pmu

    bonjour je vous remercie pour votre article qui est vraiment très bien j’ai pris beaucoup de plaisir a le lire merci de l’avoir partager

  3. Seagull

    En tout cas, pour un décédé, Jean-Remi Sarraud se porte plutôt bien si l’on en croit l’émission « Faites entrer l’accusé » du 11 mai 2010…

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