Dans le milieu lyonnais des années 70 on l’appelait « La Carpe ». Un surnom plutôt flatteur pour un truand. Âgé de 78 ans, il vient de se suicider après avoir abattu son gendre, dans un coron de la cité minière de Marles-les-Mines, dans le Pas-de-Calais. Son nom ? Louis Guillaud, mais personne le connaît – et c’est bien. Pourtant, c’est un ancien caïd, dont le patronyme a figuré longtemps dans le fichier du grand banditisme.
Petit retour en arrière… Dans ces années-là, la cité lyonnaise est au centre du grand banditisme et les règlements de comptes entre truands vont bon train. Le gang de Momon Vidal écume la France, en se livrant à une série de hold-up retentissants, dont le plus spectaculaire (et le plus lucratif) est celui de l’attaque de la poste centrale de Strasbourg. Un butin de plus de onze millions de francs contenus dans huit sacs postaux. La presse le qualifiera de « hold-up du siècle ». Plus tard, on dira même que le butin a servi à renflouer les caisses d’un parti politique. Sans doute en raison de la personnalité du parrain local, Jean Augé, dit P’tit Jeannot, ancienne barbouze et militant du SAC (service d’action civique). Durant la guerre d’Algérie, ce lascar portait le sobriquet moins reluisant de Jeannot la Cuillère, pour sa manière d’utiliser cet accessoire comme engin de torture, en énucléant ses victimes.
En tout cas, à la PJ, on n’aime pas trop ce genre de littérature politico-criminelle, surtout du côté de la rue des Saussaies. Le sous-directeur des affaires criminelles, Honoré Gévaudan, met la pression sur les gens du SRPJ de Lyon. Ce qui n’est pas vraiment utile car le sous-chef de ce service, le commissaire Pierre Richard, est un hyperactif. C’est l’affaire de sa vie. Des centaines d’hommes à sa disposition qu’il gère comme un général, pour parvenir à arrêter tout ce beau monde en « flag ». Des moyens techniques de surveillance innovants pour l’époque et… un résultat en demi-teinte. À défaut de flag, une partie de l’équipe est arrêtée, avec l’espoir d’obtenir des aveux et de découvrir des indices, des preuves. Coup de chance, il y a eu un peu les deux. Des éléments suffisants pour conduire ces truands en Cour d’assises, devant des jurés étonnés de la déposition passionnée du commissaire Richard. Dix ans de réclusion pour le chef de gang, Edmond Vidal, sous les applaudissements de ses amis, qui s’attendaient à bien pire.
Quant à La Carpe, il passe à travers les mailles du filet. On ne saura jamais quel rôle il a joué dans cette équipée.
Pas plus qu’il n’apparaît dans l’assassinat du juge François Renaud, dit Le Sheriff, le 3 juillet 1975. Affaire criminelle non résolue, même si on ne peut s’empêcher de faire un rapprochement entre l’enquête sur le gang des lyonnais et la mort du magistrat. Et sans faire de roman, les policiers savent bien que depuis la disparition brutale de P’tit Jeannot, en 1973 (une dizaine de balles calibre 11.43), l’étoile montante est un certain Nicolas Caclamanos, alias Nic le Grec, un gaillard qui ne s’embarrasse pas de fioritures – et un proche de Guillaud.
En décembre 1975, un enfant de neuf ans, Christophe Mérieux, est enlevé sur le chemin de l’école. Son père est l’actionnaire principal de l’Institut Mérieux et le petit-fils du constructeur des camions Berliet. Il est libéré quatre jours plus tard contre le paiement d’une rançon de 20 millions de francs. Mais en réécoutant les enregistrements téléphoniques effectués lors des tractations entre les ravisseurs et la famille, un vieux flic reconnaît la voix haut perchée de Louis Guillaud. Dès lors, les policiers ne le quittent plus. Et le 25 février 1976, il est appréhendé au moment où il tente de convertir une partie de la rançon en lingots d’or. Lors de sa première comparution devant le magistrat instructeur, le Palais de Justice est transformé en place forte. Nic le Grec doit se dire que même les carpes peuvent parler, car d’après un tuyau, il a décidé de l’éliminer. Pourtant, fidèle à sa réputation, Guillaud ne dit pas un mot. Mais dans le studio où l’enfant a été séquestré, on relève les empreintes de Jean-Pierre Marin, un individu considéré comme un tueur psychopathe. Il est abattu lors de son interpellation. Guillaud a été condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Il en a fait quatorze. Christophe Mérieux s’est noyé dans sa piscine en juillet 2006. Le reste de la rançon n’a jamais été retrouvé.
À sa sortie de prison, Guillaud s’est retiré dans le nord de la France (ici). La semaine dernière, pour Noël, il est allé rendre visite à sa fille. On dit qu’il était compromis dans une nouvelle affaire et qu’il n’avait pas l’intention de finir ses jours en prison et que pour la première fois, peut-être, il aurait parlé. On dit aussi, c’est plus légende, que sa fille n’était pas heureuse en ménage, raison pour laquelle il aurait abattu son mari d’une balle dans la tête avant de se donner la mort. La famille dément.