LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 3 of 25)

La PJ sacrifiée sur l’autel de la politique

Ils ont la rage, les flics de PJ, car ils sont les grands perdants de la réforme de la police nationale dont le ministre de l’Intérieur a fait son marqueur. Cette réforme, qui se veut « dans l’esprit et la continuité des réformes engagées depuis 2017 », supprime d’un trait de plume les services extérieurs de la direction centrale de la police judiciaire – une maison vieille de plus d’un siècle, tout de même ! – qui sera absorbée au sein de nouvelles structures départementales regroupant l’ensemble « des forces de sécurité intérieure ». Un organigramme calqué sur celui des grands groupes privés.

Site de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ)

Cette réforme trouverait sa justification dans la nécessité de restaurer une relation de confiance entre la population et les forces de sécurité.

Y a du grain à moudre !

Depuis sa création par Clemenceau, en 1907, la police judiciaire n’a cessé d’évoluer. Et son terrain de chasse n’a cessé de s’agrandir. En 1941, les sûretés urbaines et les brigades mobiles fusionnent pour devenir des services régionaux de police judiciaire (dissous à la Libération et recréés peu après). En 2003, pour s’adapter à l’évolution de la criminalité organisée et pour mieux mutualiser les moyens d’action, des structures territoriales de la DCPJ sont regroupées au sein de directions interrégionales. En décembre 2020, un décret soutenu par Gérald Darmanin agrandit le territoire de certains services en créant des directions zonales de police judiciaire (DZPJ).

     Billet de décembre 2013 : La vraie histoire du logo de la PJ

La zone sud, que dirigeait Éric Arella avant d’être limogé, s’étend sur l’ensemble de l’arc méditerranéen. Son ressort de compétence englobe les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Occitanie et Corse, ce qui représente 30 tribunaux judiciaires et 8 cours d’appel.

Demain, cette structure sera balayée et ses 1350 fonctionnaires seront répartis dans 21 départements, au sein des services de sécurité publique.

L’horizon se rétrécit pour la police judiciaire. Pourquoi une telle régression ? Il y a des non-dits dans cette réorganisation simpliste, par exemple, supprimer l’autonomie des enquêteurs de PJ et, en les plaçant directement sous la coupe d’un directeur « généraliste », bras droit du préfet, les éloigner des magistrats.

Cette réforme est présentée comme une volonté de déconcentration alors qu’elle est le reflet d’un contrôle renforcé, tant sur l’action de la PJ que sur la teneur des dossiers judiciaires, comme cela se passe à Paris. On comprend bien l’intérêt politique de reprendre la main sur des affaires potentiellement sensibles.

Existe-t-il un seul avantage, pour nous, citoyens, à cette liquidation de la police judiciaire ? Continue reading

Refus d’obtempérer : Halte au feu !

Il y a quelques jours, deux jeunes hommes ont été tués par des policiers. Cela s’est passé à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon, non pas lors d’un banal contrôle routier, mais au cours d’une intervention à connotation pénale sur un véhicule signalé volé à l’arrêt sur le parking d’une grande surface. Une situation qui laissait présager un « mauvais coup ». Ce que les juristes appellent un délit d’apparence.

Dans la nuit du jeudi 18 août 2022, peu après minuit, l’attention de quatre policiers de la brigade spécialisée de terrain de Vénissieux (BST) est attirée par une Renault Megane en stationnement sur l’immense parking d’un centre commercial. Deux hommes sont à bord, la voiture est signalée volée. C’est le type même d’une intervention à risques. En l’état, difficile de dire comment les événements se sont enchaînés, mais tout se joue en quelques dizaines de secondes : le chauffeur aurait d’abord levé les mains, puis il aurait manœuvré pour s’enfuir, renversant un gardien. Le policier blessé et l’un de ses collègues auraient alors fait usage de leur arme à huit reprises. Adam, le passager, âgé de 20 ans, est mort sur le coup ; le conducteur, Reihane, 26 ans, est décédé peu après. On nous les présente comme des « multiréitérants », un néologisme pour désigner des individus qui ont eu des comptes à rendre à la police mais non à la justice. Peu importe, même multirécidivistes, il s’agit là d’informations connues après coup.

Cette fusillade unilatérale qui succède à d’autres tout aussi meurtrières (Pont-Neuf, Barbès…) pose question, car, contrairement aux allégations entendues ici ou là, notamment dans la bouche de politiciens plutôt rétrogrades dès qu’il est question de nos valeurs républicaines, l’usage des armes par les forces de l’ordre doit être l’exception. On signe pour sauver des vies, pas pour les prendre. L’entraînement des policiers du RAID ou des gendarmes du GIGN est d’ailleurs basé sur la sauvegarde de la vie humaine. « C’est un échec », aurait dit un jour un gradé de la gendarmerie après que ces hommes eurent tué un preneur d’otages.

Cependant, la loi du 28 février 2017 a inséré dans le code de la sécurité intérieure (CSI) l’article L 435-1 qui modifie la perception de la légitime défense. Il existe donc aujourd’hui deux vitesses : la légitime défense qui s’applique aux particuliers, et une autre, modulée pour les représentants de la puissance publique. Cela n’est pas anormal, dans la mesure où policiers et gendarmes sont confrontés à des situations que ne connaît pas le citoyen lambda, dans la stricte limite toutefois du respect du « droit à la vie », comme il est dit dans la Convention européenne des droits de l’homme. C’est pourquoi l’ambiguïté du paragraphe 4 de cet article du CSI pose question : l’usage des armes est possible pour immobiliser un véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celle d’autrui ». (Il faut comprendre la vie des policiers ou des gendarmes, pas celle des occupants du véhicule.)

On imagine le flic devant le refus d’obtempérer d’un chauffeur qui, en pleine nuit, s’interroge : les occupants de cette voiture ont-ils l’intention de fuir le contrôle, ou d’attenter à ma vie ou à celle d’autrui ?

Cet article du CSI, écrit avec le pied, est une diversion démagogique digne du quinquennat Hollande, car il appartient au législateur de dire clairement le droit afin d’effacer le doute qui nous interpelle à chaque nouvelle fusillade des forces de l’ordre et qui, je le suppose, doit laisser les magistrats dubitatifs. Comment rendre la justice en se basant sur un texte aussi approximatif ?

Sans surprise, depuis la Corse – il est sur tous les feux – le ministre Darmanin lui ne s’est pas posé de question. Il a immédiatement réaffirmé son « soutien a priori » à tous les policiers et les gendarmes de France qui font face tous les jours à des refus d’obtempérer. « Alliance » était aux anges. Continue reading

Surveillance des communications téléphoniques : c’est la cata !

La téléphonie est au centre de la plupart des enquêtes judiciaires, et personne ne peut nier leur efficacité… ni les risques liés à une utilisation déviante. En dehors des écoutes, qui font l’objet d’une procédure particulière, les enquêteurs s’intéressent systématiquement aux données de connexion en temps différé, c’est-à-dire tout ce qui a trait aux échanges passés, communications et SMS : dates, numéro des correspondants, durée des échanges, bornage… et, plus rarement, aux données en temps réel : la géolocalisation. Cette possibilité de « remonter le temps » permet de retracer la vie privée d’une personne au long de l’année écoulée. C’est un atout considérable, un peu comme une empreinte immatérielle, mais à la différence d’une trace papillaire ou ADN, on pénètre là dans l’intimité des gens, on viole leur vie privée.  C’est donc une démarche particulièrement intrusive qui ne devrait être effectuée qu’à bon escient. Est-ce vraiment le cas ?

En 2021, en France, les opérateurs téléphoniques ont reçu 1 726 144 réquisitions. Un adulte sur trente, environ, a donc fait l’objet d’une vérification de sa vie privée…

Eh bien, la Cour de cassation vient d’y mettre le holà ! Dans quatre arrêts rendus le 12 juillet 2022, elle a entériné les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne de 2014, 2016, 2020 et 2021, qui déterminent les conditions dans lesquelles une nation peut autoriser l’accès aux données de téléphonie. Ces fameuses métadonnées, c’est-à-dire toutes les informations que peut révéler un message téléphonique sans pour autant l’écouter ou le lire.

Note explicative relative aux arrêts de la chambre criminelle du 12 juillet     2022 (pourvois n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.096 et 20-86.652) : « Les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, sont contraires au droit de l’Union uniquement en ce qu’ils ne prévoient pas un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante. »

Pour la Cour de justice, cette technique d’enquête doit s’entourer d’un maximum de garanties, car ces données sont susceptibles de révéler des informations sensibles sur la vie privée, « telles que l’orientation sexuelle, les opinions politiques, les convictions religieuses, philosophiques, sociétales ou autres ainsi que l’état de santé… », et de fournir des indications sur le mode de vie (déplacements, lieux de séjour, activités, relations, milieux fréquentés, etc.)

Or, au nom de la sécurité, tous les services plus ou moins secrets, bataillent pour engranger ces informations, si possible d’une manière généralisée – ce qui permet ensuite, selon la demande, de « faire son marché ».

C’est d’ailleurs pour avoir rendu publics les programmes de la NSA concernant l’enregistrement systématique de ces métadonnées aux USA, et la captation des échanges sur Internet, que le lanceur d’alerte Edward Snowden est en cavale depuis bientôt dix ans. Et aucun État, sauf la Russie (pour des raisons plus politiques qu’idéologiques), ne l’a soutenu. Sous la présidence de François Hollande et celle d’Emmanuel Macron, la France a refusé le droit d’asile à Snowden – et personne n’a moufté au sein de l’U-E.

En deux mots, nous disent les juges européens, Continue reading

Le commissaire François Thierry sera-t-il jugé par une cour d’assises ?

Dans son réquisitoire rendu le 4 juillet dernier, « que Le Monde a pu consulter », le procureur de la République de Lyon réclame le renvoi devant la cour d’assises de l’ancien chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), pour faux en écriture publique.

Le faux en écriture publique, dans une procédure pénale, est un fait parfois soulevé par les avocats pour décrédibiliser l’enquête d’un OPJ ; il est rarement retenu. Dans le cas de François Thierry, les choses se compliquent, car ce faux serait la conséquence d’une « fausse garde à vue ». Ou le contraire.

On est là dans les méandres de la procédure pénale : pour faire tenir une infraction qui n’existe pas, on se rabat sur une autre infraction. Et on shake !

Que reproche-t-on au commissaire ? En 2012, il aurait raconté des bobards au juge des libertés et de la détention (JLD) de Nancy pour extraire de cellule son indicateur, un certain Sofiane Hambli, dit La Chimère, et, sous couvert d’une enquête imaginaire, il l’aurait placé en garde à vue. Une garde à vue qui aurait été prolongée à deux ou trois reprises par ce magistrat à la demande pressante de deux procureures parisiennes.

Durant cette garde à vue, le bonhomme aurait été hébergé dans un hôtel de Nanterre, à proximité du siège de l’Office des stups, d’où il aurait coordonné une livraison de plusieurs tonnes de cannabis sur la côte andalouse, à destination de notre beau pays. C’est l’opération Myrmidon (Marmiton, pour les initiés) : une « livraison surveillée » (LS), menée dans les limites (extrêmes) du code de procédure pénale.

Ces faits ont été dénoncés en 2017 par un certain Hubert Avoine, 56 ans, indic professionnel, recruté, non pas par le Bureau des légendes, mais par le Bureau des sources, un service rattaché au SIAT (service interministériel d’assistance technique), à l’époque où le commissaire Thierry en était le patron. C’est à la demande de ce policier, devenu chef de l’OCRTIS, qu’Avoine aurait participé à cette opération saugrenue. (Sur ce blog : La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…)

On imagine la scène : par une nuit sans lune, sous un ciel sans étoiles, une dizaine d’hommes cagoulés, policiers et trafiquants à tu et à toi, entourent de mystérieuses embarcations échouées sur la plage d’Estepona et déchargent des dizaines, des centaines de ballots de cannabis qu’ils entreposent dans une maison louée pour la circonstance avant qu’ils ne soient acheminés vers la France par des « go fast »…

On ne sait pas ce qu’ont touché les autres, mais, pour cette « mission », Avoine a pris du blé Continue reading

Cour d’assises : la fin du jury populaire se fait-elle au détriment des victimes ?

La loi Dupond-Moretti sur « la confiance dans l’institution judiciaire » a été sérieusement détricotée par les sénateurs, mais finalement la commission mixte paritaire a trouvé un accord sur un projet qui devrait être adopté dans les prochains jours.

Sauf amendement de dernière minute, les cocus de ce texte sont les avocats. Le garde des Sceaux voulait inscrire le secret professionnel dans le marbre et les députés l’avaient même sacralisé. Finalement, par un jeu de circonvolutions, la loi qui sort du chapeau le met quasiment ko. Un paragraphe est particulièrement retors, et quasi insultant, puisque le secret professionnel ne pourrait plus être opposé aux enquêteurs, si l’avocat, de bonne foi, a été manipulé par son client.

Mais cette loi sonne aussi le glas de la justice « pour le peuple, par le peuple » : à partir de 2023, les crimes punissables d’une peine pouvant atteindre 20 ans de réclusion seront jugés par une « cour criminelle » composée uniquement de professionnels du droit. Exit le jury populaire. C’est symbolique : on touche là à un héritage postrévolutionnaire, sans aucune justification sérieuse, juste une histoire de gros sous.

Pour avoir été échaudés dans tous les domaines, on sait très bien que les lois expérimentales sont adoptées et que les lois adoptées sont ensuite modifiées pour toujours aller plus loin. Il ne faudra pas attendre longtemps avant que toutes les affaires criminelles se passent de l’avis du peuple. A l’appui du bien-fondé de ces modifications, on citera les dossiers terroristes jugés par une cour d’assises spéciale, sans jury populaire, comme c’est le cas actuellement pour les attentats du 13-Novembre. Et pourtant, s’il y a des affaires qui concernent le peuple, c’est bien celles-là.

C’était d’ailleurs l’avis des parlementaires lors du vote de la loi antiterroriste de 1986 : le crime terroriste visant d’une manière aveugle tous les citoyens, les personnes mises en cause doivent être jugées par un jury populaire.

Mais Régis Schleicher, ce dur d’Action directe, en a décidé autrement. Le 3 décembre de la même année, lors de son procès pour le meurtre de deux gardiens de la paix, avenue Trudaine, à Paris, il profère des menaces de mort contre les jurés. Certains prennent peur (c’était une époque de forte insécurité terroriste). Cinq d’entre eux vont présenter un certificat médical. Le procès est renvoyé.

Trois mois après la promulgation de la loi antiterroriste, un additif a donc été ajouté : les infractions criminelles en rapport avec le terrorisme seront jugées par une cour d’assises spécialement constituée. Elle ne comprend aucun juré. Elle siège à Paris et elle est composée de magistrats professionnels : le président et six assesseurs. En appel, elle compte deux assesseurs supplémentaires.

En 1992, sans trop que l’on sache pourquoi, la compétence de cette juridiction d’exception a été élargie au trafic de stupéfiants en bande organisée.

Mais en dehors de cet aspect historique, l’apparition de la cour criminelle départementale ne diminue-t-elle pas l’influence de la victime dans le procès criminel ?

En effet, dans notre droit, la victime est partie civile. Continue reading

Le secret professionnel face à la lâcheté de la société

Le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Éric de Moulins-Beaufort, piégé par un journaliste pugnace, a soutenu que « le secret de la confession est plus fort que les lois de la République ». Tollé général dans les médias et réaction immédiate du cabinet du ministre de l’Intérieur : l’ecclésiastique est convoqué par Gérard Darmanin « afin de s’expliquer sur ses propos ».

À quel titre, cette convocation ? On ne sait pas trop, car si le ministre de l’Intérieur est également ministre des Cultes, c’est essentiellement pour que chacun, en France puisse pratiquer la religion qu’il souhaite, s’il le souhaite. Il n’a aucun pouvoir hiérarchique sur les gens d’église, d’autant que depuis 1905, les prêtres ne sont plus payés par l’État, mais par les dons de fidèles, via des associations cultuelles.

Pour ne pas être en reste, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, toujours péremptoire, affirme que le secret de la confession n’est pas absolu. Pour lui, un prêtre qui reçoit dans le cadre de la confession des confidences sur des faits de pédocriminalité a « l’impérieuse obligation de mettre un terme à ces faits ». S’il ne le fait pas, il peut être condamné, « cela s’appelle non empêchement de crime ou de délit », a-t-il affirmé.

J’aurais préféré qu’il dise que les prêtres, comme tout un chacun, ont l’impérieuse obligation « morale » de réagir pour sauver un enfant. Car en droit, les choses ne sont pas si tranchées qu’il veut bien l’affirmer : la loi prévoit la dénonciation obligatoire de certains faits – sauf si la loi en dispose autrement.

Une inaction qui porte atteinte à l’action de la justice – Plusieurs articles du code pénal punissent la personne qui n’aurait pas informé les autorités judiciaires ou administratives d’une infraction mentionnée par ces dits articles alors qu’elle en a eu connaissance, d’une manière ou d’une autre.

On va se limiter à l’article 434-3 qui vise les actes (privations, mauvais traitements, agressions sexuelles…) infligés à un mineur ou à un adulte qui n’est pas en mesure de se protéger « en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse ».

La personne qui a connaissance de tels actes a l’obligation de parler, de désigner les « coupables », ou a minima de dénoncer les faits. À défaut, elle encourt une peine qui peut atteindre cinq ans d’emprisonnement.

Les exceptions – Évidemment, il y a des exceptions. L’article 434-3 se termine par cette phrase sibylline Continue reading

Affaire Jubillar : un meurtre sans cadavre ?

L’infirmière de 33 ans Delphine Jubillar a disparu de sa maison de Cagnac-les-Mines, commune rurale du Tarn, dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020. Son mari, Cédric Jubillar, a été mis en examen six mois plus tard pour meurtre aggravé ; et écroué, notamment « pour protéger les indices et les preuves éventuelles de son crime ».  Ses avocats, qui fustigent les lenteurs de l’instruction, viennent de demander sa remise en liberté.

Ceci n’est pas un oiseau

Rendre la justice, c’est oublier ses a priori, ses émotions, ses certitudes ou celles des enquêteurs, les complaintes des médias et des réseaux sociaux… pour ne s’en tenir qu’aux faits, qu’ils soient à charge ou à décharge, dans la ligne du code de procédure pénale.

Je disserte sur ce blog, mais je ne rends pas la justice.

Si les magistrats ont la conviction de la culpabilité de Cédric Jubillar, au point de le placer derrière les barreaux, personne à ce jour ne peut objectivement écrire le scénario du crime. Sauf à imaginer un machiavélisme de polar, comment concevoir que ce jeune homme a pu tuer son épouse et fait disparaître son corps et toutes traces de son acte en l’espace de quelques heures ?

Et pourtant, son comportement et les circonstances de cette disparition ont immédiatement intrigué les gendarmes. Les recherches pour retrouver la jeune femme étant demeurées vaines, à défaut de charge, ils lui ont laissé la bride sur le cou, le surveillant étroitement, guettant la faute, la confidence… Mais il semble bien qu’ils aient fait chou-blanc. C’est donc au vu d’éléments ténus qu’il a été écroué. Avec un gros point d’interrogation : où est passé le corps de la victime ?

Les faits – Le 16 décembre 2020, à 4 h 09, les gendarmes reçoivent un appel de Cédric Jubillar : réveillé par sa fille de 18 mois, il vient de constater la disparition de sa femme, qui habituellement dort sur le canapé du salon. Les gendarmes arrivent très vite. À 4 h 50, ils estiment qu’ils sont face à une « disparition inquiétante ». Ils effectuent les premières recherches dans les alentours et donnent l’alerte : rapidement des moyens considérables sont mis en place, comme seuls savent le faire les militaires de la gendarmerie.

Les premières constatations – Delphine Jubillar aurait quitté le domicile en pleine nuit sans prendre ses lunettes, ni son sac à main, ni aucun effet personnel. Seul son téléphone portable n’est plus là. Il a borné pour la dernière fois à 22 h 55, en accrochant un relais à proximité de son domicile. Il n’a pas été retrouvé. Probablement déchargé, il est passé en mode « messagerie » à 7 h 48. Cédric Jubillar a tenté de joindre son épouse jusqu’à 10 h : de très nombreux appels sont enregistrés sur la boîte vocale de celle-ci. Avant de prévenir les gendarmes, vers 4 h, il avait appelé l’une de ses amies, espérant qu’elle avait pu l‘héberger. C’est du moins ce qu’il affirme. Continue reading

J’ai été avocat

Le 3 avril 2012, François Fillon, alors Premier ministre, prenait un décret-passerelle qui ouvrait aux ex-ministres et parlementaires l’accès à la profession d’avocat, sans s’embarrasser de la formation théorique et pratique ni du certificat d’aptitude à la profession (CAPA). Une issue de secours pour des politiques à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Cette possibilité fut supprimée l’année suivante sous la pression du Conseil national des barreaux et du barreau de Paris et, d’une façon bien plus modeste, de ce blog. Un soutien à une profession qui m’était étrangère, dans un billet titré un peu vite : Moi aussi, je veux être avocat !

Cérémonie de prestation de serment

C’était pour de faux, évidemment.

Pas cap ! m’a dit quelqu’une, à deux doigts de remettre en cause ma virilité… morale.

Piqué au vif, je me suis lancé.

Les jeunes qui envisagent le barreau rament dure avant de revêtir la robe : au minimum bac+6. Mais il existe pas mal de petites portes, ce qui, à juste titre, doit les faire renâcler. Or justement, il se trouve que j’ai passé une partie de ma vie à ouvrir des portes pour avoir un jour le plaisir de les claquer.

Alors, je me suis renseigné…

Les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A qui ont exercé des activités juridiques pendant huit ans au moins dans une administration ou un service public sont exemptés de la formation et du CAPA (art. 98 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession), mais ils ne sont dispensés ni du diplôme universitaire ni d’un examen de contrôle des connaissances en déontologie et en réglementation professionnelle. (À la différence des commissaires de police, les magistrats qui veulent changer de robe sont inscrits directement au barreau sans être soumis à la condition légale du diplôme.)

Mon « certif’ » obtenu difficilement à 13 ans étant manifestement un peu léger, la première chose était de décrocher l’équivalent d’une maîtrise, diplôme minimum requis pour accéder au barreau. Je me suis donc rapproché de l’Université de Paris-Nanterre, non pas en souvenir de Mai-68, mais parce que j’avais lu que des enseignants de cette faculté se déplaçaient à la Maison d’Arrêt toute proche pour donner des cours à des détenus qui manifestaient l’envie de s’en sortir. Par un raisonnement simpliste et aujourd’hui non assumé, je m’étais dit : s’ils forment des taulards, ils doivent pouvoir former un ancien flic ! Continue reading

Une claque politique

Au cri de ralliement des chevaliers français, mardi dernier, un homme a giflé le président de la République, alors que ce dernier se livrait au rituel du serrage de mains. L’agresseur, Damien Tarel, 28 ans, a été rapidement plaqué au sol, tandis que l’un des agents de la protection rapprochée ceinturait Emmanuel Macron dans une prise arrière, comme pour le contenir et l’empêcher de riposter. Au passage, je ne suis pas certain que cette réaction (filmée) ait été appréciée…

La classe politique, les éditorialistes, les juristes et tutti quanti en ont fait une montagne, le Premier ministre appelant même à un sursaut républicain – à deux doigts de demander une minute de silence – tandis que les communicants de l’Élysée tentaient, mais vainement, d’appuyer sur la pédale de frein.

Dites-le avec des fleurs !

Après un léger cafouillage juridico-administratif : qui fait quoi ? les gendarmes drômois ont ouvert une enquête pour violence légère contre une personne dépositaire de l’autorité publique.

Et 48 heures plus tard, en comparution très immédiate, Damien Tarel se retrouve face à ses juges. Le procureur parle d’un acte « parfaitement inadmissible ». Il fallait le dire. Il requiert 18 mois de prison pour violences volontaires sur une personne dépositaire de l’autorité publique. Droit dans ses cuissardes médiévales, le prévenu assume. Son avocate s’échine à rappeler qu’il ne peut y avoir de « justice d’exception » et que des travaux d’intérêt général seraient préférables à une incarcération, etc. Elle aurait pu ajouter qu’il ne serait pas malin d’entrer dans le jeu de son client et de faire de ce procès la catachrèse de l’anti-macronisme… Au final, le tribunal suit le ministère public sur la durée de la peine, limitant toutefois son exécution immédiate à 4 mois d’emprisonnement.

Le condamné fait de plus l’objet de peines complémentaires symboliques comme la privation de ses droits civiques et l’interdiction d’exercer une fonction publique. Tiens, on ne lui a pas sucré le RSA !

Emmanuel Macron semble le seul à avoir compris le piège. Il rame pour prendre ses distances avec cet événement : « Ce n’est pas grave de recevoir une gifle quand on va vers une foule ! » Continue reading

Une police en déshérence

Après la mort d’un collègue, le 19 mai 2021, de nombreux policiers se sont massés devant l’Assemblée nationale pour scander leur ras-le-bol et dénoncer une justice trop laxiste, aussitôt rejoints par de pseudo-responsables de partis politiques allant de l’extrême-droite à la gauche socialiste. Il faut bien le dire, ce jour-là, un seul est resté droit dans ses bottes républicaines.

Qu’il est vieux jeu, ce Mélenchon !

 

Après une mise en scène du plus mauvais goût, allégorie d’une justice balayant les cadavres, grisés par le succès de la manif, certains leaders syndicaux, d’Alliance, évidemment, n’ont pas hésité à réclamer un « toilettage de la Constitution » pour établir une passerelle entre la place Vendôme et la place Beauvau. Et pourquoi pas une fusion Intérieur-Justice !

Il ne faut surtout pas prendre ces revendications trop au sérieux. Ces magistrats qui ne comprendraient rien au travail de terrain, c’est comme un leitmotiv dans la police.

Il y a près de 40 ans, le 3 juin 1983, à l’issue des obsèques de deux gardiens de la paix abattus de plusieurs balles lors d’un banal contrôle routier, au cours duquel un troisième était gravement blessé (un autre devait trouver la mort dans des conditions similaires 48 heures plus tard), plusieurs milliers de policiers manifestent leur exaspération sous les fenêtres du garde des Sceaux, entonnant, comme il se doit, La Marseillaise. Un coup de gueule que Badinter apprécie moyen, d’autant que Mitterrand et lui sont en pleine extase angélique, et qu’une majorité de gens rêvent (encore) d’une France patrie des droits de l’homme.

Après une loi d’amnistie généreuse, l’abolition de la peine de mort, le raccourcissement de la sûreté pour les peines perpétuelles, la suppression des quartiers de haute sécurité, la suppression de la Cour de sûreté de l’État, la disparition de l’association de malfaiteurs (rétablie en 1986), les policiers, même les plus modérés, savent que ce n’est pas tenable. La coupe déborde après l’adoption par les députés d’une loi pour abolir la loi « sécurité et liberté ». Une loi adoptée en catastrophe avant les Présidentielles, notamment pour étendre les prérogatives des forces de l’ordre, renforcer les pouvoirs des procureurs et restreindre la liberté d’appréciation du juge lors du prononcé de la peine. Une mauvaise pioche de Giscard d’Estaing qui a misé sur un tour de vis sécuritaire alors que les Français aspiraient à plus de liberté.

Et c’est le 31 mai, le jour où cette « contre-loi » est votée, que les deux gardiens de la paix sont tués, puis un autre trois jours plus tard : le treizième en deux ans. Continue reading

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