LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Gendarmerie (Page 6 of 14)

Plus de biscuits en garde à vue

Le nombre de gardes à vue a diminué, mais le respect de la dignité humaine n’est toujours pas au rendez-vous. Loin s’en faut. Non pas du fait des policiers ou des gendarmes, mais en raison des conditions matérielles réservées aux suspects. Autrement dit, les caisses du ministère de l’Intérieur sont vides.

Et, sans argent, la nouvelle politique de sécurité voulue par Manuel Valls a-t-elle une chance de réussir ?

Dans les commissariats parisiens, par exemple, depuis plusieurs semaines, il n’y a plus de biscuits pour le petit déjeuner. Vous me direz, des biscuits… Pourquoi pas des croissants pendant qu’on y est ! Sauf que les deux biscuits du matin constituaient l’unique pitance des gardés à vue. Même pas un café. Il leur reste la briquette de jus d’orange, du genre de celle que l’on donne aux enfants, en moins bon. Et avec ça, les gaillards doivent tenir jusqu’au repas du midi : une barquette à choisir entre deux plats. Il paraît que le poulet-riz a la faveur du public. Comme quoi ils ne sont pas rancuniers les taulards d’un jour, puisqu’ils aiment le poulet. Si on ne pratique pas en France la torture infamante, avec ce régime hypocalorique, on n’est pas loin de « la tortore affamante ».

Mouais, je sais… Et pour me faire hara-kiri, je pourrais ajouter qu’il ne reste plus aux suspects qu’à manger le morceau.

Et la nuit, ils peuvent rêvasser dans leur couverture cradoque. Le plus souvent allongés par terre, car les matelas sont bizarrement d’une taille qui correspond rarement aux bancs de GAV. Quant à la douche, il ne faut guère y compter. Si elle existe, la plupart du temps, il n’y a pas de serviettes de toilette. Comme disait un commissaire : z’on qu’à prendre du PQ. Sauf qu’il n’y en pas toujours. Il suffit que le livreur passe en l’absence du préposé au ménage, pour que la semaine se déroule sans. Et chaque fonctionnaire de planquer son petit rouleau perso dans son caisson. De toute façon, même s’il y a des douches, même s’il y avait des serviettes, il n’y aurait pas assez de personnel pour accompagner les gardés à vue aux sanitaires.

Donc, tout est pour le mieux.

Un autre exemple de la paupérisation de la police : on manque de cartouches pour les Taser ! Cela se passe dans le Haut-Rhin. C’est un syndicat qui a tiré la sonnette d’alarme : le directeur de la sécurité publique serait prêt à retirer les Taser X26 de la circulation. Heureusement, le préfet pour l’administration de la police a finalement entrouvert son escarcelle : 10 cartouches auraient été livrées.

D’ici qu’on ressorte les bâtons blancs !

Je ne dis pas ça pour me moquer, mais en lisant les instructions du ministre de l’Intérieur sur la mise en place des quinze premières ZSP (zones de sécurité prioritaires), je ne pouvais m’empêcher de me demander où diable il allait trouver les moyens de sa politique… J’ai cru comprendre qu’une partie du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) serait mobilisée. Plus de 50 millions d’euros pour 2012. Rappelons que ce fonds sert à financer en priorité la prévention de la délinquance des jeunes, et, pour plus de la moitié de l’enveloppe, la vidéoprotection. Le plan-caméra si cher au gouvernement Sarkozy-Fillon (et si cher aux contribuables), vivrait-il ses derniers jours ?

La zone de sécurité prioritaire, c’est un peu le contre-pied de la police de proximité du gouvernement Jospin. Dans sa récente circulaire aux préfets, le ministre de l’Intérieur explique qu’il s’agit de s’attaquer « aux causes » et de « lutter en profondeur contre les formes les plus ancrées de la délinquance ».

Donc, pas question de jouer au foot avec les jeunes. Mais au contraire d’unir les forces de plusieurs ministères pour être le plus opérationnel possible en se concentrant sur certains objectifs : l’économie souterraine, le trafic de stupéfiants et d’armes, les violences, les cambriolages, les regroupements dans les parties communes d’immeubles, les nuisances sur la voie publique, les incivilités, etc. Et pour être encore plus pointu, il faudra sélectionner au maxi quatre cibles par zone. Tandis que les collectivités territoriales s’intéresseraient plutôt à la prévention et à la « proximité ». Probablement des missions dévolues aux polices municipales.

Pour cette première année d’activité, il n’y aura ni effectif supplémentaire ni nouvelle implantation immobilière. On peut donc s’attendre à un certain remue-ménage dans les services. Peut-être même un remodelage des structures existantes, « l’occasion d’une redéfinition de certaines unités, notamment celles affectées à la recherche du renseignement ou à la lutte contre la criminalité de voie publique », déclare M. Valls. Entre les lignes, on pourrait penser à un retour des RG et peut-être à la fin des BAC.

Comme l’écrit dans son blog Émilie Thérouin (adjointe au maire, chargée de la sécurité à Amiens), désormais, le préfet reprend la main. Et cela semble une bonne chose. Des services comme la DCRI ont montré les limites d’une centralisation à outrance. On serait donc sur le bon chemin. À condition toutefois que la justice soit au diapason. Ce qui pour l’instant reste à démontrer. Car s’il est question du procureur de la République dans la lettre du ministre aux préfets, c’est au conditionnel. Ce magistrat pourra « s’il le souhaite » assurer la codirection de la cellule opérationnelle. Y aurait-il mésentente entre la place Beauvau et la place Vendôme ?

Réussir une telle réforme sans y mettre un sou, c’est un véritable challenge. Croisons les doigts. Pourtant, il y a une chose qui n’aurait rien coûté. Un vocabulaire plus tolérant.  Je trouve que « zone » cela fait zonard, donc marginal. J’aurais préféré que l’on parle d’espaces de sécurité prioritaire. Mais ce ne sont que des mots.

Le Quai des Orfèvres sous l’Occupation

Ce 16 juillet 1942, au petit matin, des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards furent arrêtés à leur domicile et regroupés dans les commissariats avant d’être parqués au Vel’ d’Hiv’. Aujourd’hui, alors que le Président Hollande commémore le 70° anniversaire de cette rafle funeste, il est légitime de s’interroger sur le comportement des policiers et des gendarmes qui ont – sagement – obéi aux ordres. Et notamment à la préfecture de police de Paris qui vient d’ouvrir ses archives sur ce sujet sensible. Il faudra attendre fin 1943, alors que la politique du maréchal Pétain se fait de plus en plus répressive, pour qu’un véritable mouvement de résistance apparaisse enfin dans la police parisienne.

Pour certains policiers, c’était leur deuxième intervention au Vel’ d’Hiv’. En effet, en mai 1940, donc avant le régime de Vichy, cinq mille femmes réfugiées en France pour fuir le nazisme des années 30 avaient été enfermées dans ledit vélodrome. La plupart seront transférées au camp de concentration français de Gurs et beaucoup y mourront. Il semble que parmi les survivantes, certaines ont même joué un rôle actif dans la résistance, mais leur souvenir s’est perdu. Lilo Petersen, qui a été victime de cet internement alors qu’elle était enfant, a écrit un livre Les oubliées, chez Jacob-Duvernet, dont on peut trouver une courte analyse ici.

Si les policiers d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec ce fragment de notre histoire (ils n’étaient même pas nés), il est étonnant que les nombreux ouvrages consacrés au Quai des orfèvres n’y fassent pratiquement pas allusion ; alors qu’il est souvent question de la résistance, d’abord passive, puis plus active, menée par certains fonctionnaires de la préfecture de police, comme dans la remarquable trilogie De la Résistance à la Libération que l’on peut télécharger gratuitement sur le site de la PP.

Mais j’ai déniché l’exception : le livre de Clovis Bienvenu qui, sous un titre rebattu « Le 36, quai des Orfèvres » (Éditions PUF), met carrément les pieds dans le plat. « Force est de constater, dit-il, qu’au titre de la collaboration d’État la police judiciaire du quai des Orfèvres a activement participé à la lutte contre le communiste et à la chasse aux Juifs. »

Pourtant, nulle part, poursuit-il, il n’y a trace « des compromissions, des trahisons, des enquêtes diligentées à la demande des autorités allemandes ». Comme de cette enquête menée par les policiers de la brigade spéciale de la PJ pour interpeller Pierre Georges. Ce jeune homme de 22 ans, auteur du meurtre d’un militaire allemand, le 21 août 1941, au métro Barbès, a sans doute, avec deux balles de calibre 6.35, modifié le cours de l’histoire, marquant le début de la révolte armée contre l’Occupant. Arrêté l’année suivante, il fut sérieusement passé à tabac avant d’être livré aux Allemands. Bizarrerie de l’histoire, lors de la libération de Paris, alors que les policiers tirent sur les Allemands, lui se trouve à la tête d’un commando FFI. Il établit la jonction avec la 2° DB et l’aide à reprendre à l’ennemi les quartiers proches de la préfecture de police. Une station de métro porte son nom de guerre : Colonel Fabien.

À cette époque-là, la brigade spéciale dépend du 36 et la « brigade des attentats » lui est rattachée. Pour la direction de la PJ, il est question d’une brigade antiterroriste. Les terroristes des uns étant les résistants des autres. En tout cas, la chasse est ouverte. D’autant que les Allemands récompensent toute arrestation de « terroriste » par des espèces sonnantes et trébuchantes. Mais la PJ et les RG se livrent une rude concurrence. On flagorne les Fridolins. Finalement, ce sont les renseignements généraux qui emportent les faveurs de l’Occupant. En janvier 1942, une deuxième brigade spéciale est alors créée, mais cette fois au sein de ce service. (C’est la seule dont on parle aujourd’hui.) Le patron de la PJ, Guillaume Tanguy, a perdu et les affaires « patriotiques » deviennent le monopole des RG. Trois ans plus tard, les gens du 36 vont tirer profit de cette déconvenue en forgeant la légende d’une police judiciaire exempte de tout acte de collaboration.

C’est l’époque des promotions extravagantes et nombreux sont ceux qui sont sensibles à la carotte. Quelques-uns résistent et œuvrent en douce, comme ce jeune policier, Jacques Beuguin, affecté au « service des répressions raciales », qui utilise mille stratagèmes pour réduire le nombre de Juifs déférés aux Allemands, sans éveiller les soupçons de sa hiérarchie.

Et tandis que la police parisienne sert la soupe aux occupants et que le Tout-Paris flirte au One-Two-Two avec les officiers allemands, les truands s’en donnent à cœur joie. Souvent en cheville avec des barbouzes collabos, ils dépouillent les familles fortunées en se faisant passer pour des policiers allemands.

Pourtant, on est encore loin de la fronde au sein de la PJ. Ainsi, en juin 1943, lors de la création de la sous-direction des affaires juives (ex-service Tulard), le commissaire divisionnaire Charles Permilleux motive ses troupes par des instructions précises : « Il appartient désormais à la préfecture de police d’assurer l’exécution des mesures de police ordonnées par les autorités d’occupation. La police française n’a pas à se faire juge, elle exécute les ordres donnés ».

À la Libération, on parle d’épuration dans la police. Une brigade anti-Gestapo est créée. Installée quai de Gesvres, elle est chargée d’enquêter sur la Gestapo française, la Carlingue, pour les intimes. Voici ce qu’écrit son fondateur, le commissaire Georges Clot : « La Gestapo française fut, à cette pénible époque, un dangereux poison qui atteignit tous les organes du corps français. C’est triste à dire, mais c’est la vérité… Quelquefois, nous étions saturés de dégoût, nous ne savions plus où se trouvaient les limites du mal. : un cancer généralisé. » Et puis, un jour de septembre 1945, on leur a dit d’arrêter. La brigade anti-Gestapo a été dissoute. Pour les autorités, il était temps d’oublier.

Je ne connais pas Clovis Bienvenu. Il est présenté comme officier de police judiciaire. J’ai tenté de le joindre, via son attachée de presse, mais sans succès. Son livre comprend d’autres volets : les années grises, le conflit algérien, etc. On peut lire la table des matières sur le site des Presses Universitaires de France. C’est un livre rare, et même si l’on a parfois du mal à suivre le fil, c’est passionnant.

Usage des armes dans la police : vers un meilleur encadrement

Il n’y aura pas de présomption de légitime défense pour les policiers mais probablement un codicille aux textes en vigueur afin de mieux encadrer les situations dans lesquelles ils peuvent faire usage de leur arme. Un peu comme cela a été fait l’année dernière dans l’hypothèse où un attroupement devrait être dispersé par la force.

C’est du moins ce que l’on peut déduire des propositions de la « mission indépendante de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et gendarmes » dont la mise en place avait été annoncée par Manuel Valls lors de l’un de ses premiers déplacements en tant que ministre de l’Intérieur. Il s’agissait alors d’étouffer la colère des policiers après la mise en examen de l’un d’eux pour homicide volontaire dans l’affaire de Noisy-le-Sec.

« En encadrant l’usage des armes, on en consacre l’existence et on répond d’une certaine manière – autrement que par les propositions que nous avons écartées [Note : la présomption de légitime défense] – à une attente », estime le conseiller d’État Mattias Guyomar dans son rapport remis vendredi dernier au ministre.

Je dois avouer que je trouve l’idée d’encadrer l’usage des armes pour en consacrer l’existence assez sibylline. Le rapporteur parle de « codifier la jurisprudence du code pénal »… Mais comment prévoir à l’avance les circonstances d’une intervention de police alors que celles qui posent problème sont justement les plus imprévues… S’agit-il d’énumérer les cas dans lesquels le policier peut faire usage de son arme ? Attention à ne pas ouvrir la boîte de(s) Pandore(s) ! Et puis, ce serait oublier une chose qui ne peut s’expliquer : la peur, tout simplement. La peur d’être tué et la peur de tuer. Dans le drame de Noisy-le-Sec, le gardien de la paix a-t-il cédé à un tir panique ? Cette peur, souvent non avouée, c’est le fossé qui sépare le juge du policier.

Définir les conditions d’utilisation des armes lors d’une interpellation, serait d’autant plus curieux, qu’en flagrant délit, le policier ne possède aucun pouvoir particulier. Il agit comme pourrait le faire tout citoyen, dans le cadre de l’art. 73 du CPP.

Je trouve le Conseiller plus intéressant lorsqu’il outrepasse sa mission pour réfléchir à l’utilisation des armes dites à létalité réduite, celles que l’on classe dans la catégorie des moyens intermédiaires de défense. Il est vrai, par exemple, qu’entre le premier Flash-Ball, arme essentiellement dissuasive, presque de contact, et le lanceur de balles suisse à visée électronique actuellement en dotation, il y a tout un monde. Et il ne serait pas idiot de mieux adapter leur utilisation aux missions, plutôt que de faire la surenchère à la puissance.

Pas question dans ce rapport d’aligner les policiers sur les gendarmes – ou le contraire. Statu quo. Les gendarmes continueront donc à bénéficier – dans certaines circonstances – de la possibilité de tirer après sommations. Pour justifier cette possibilité de tuer, on met en avant leur statut militaire. Ce qui n’a évidemment pas beaucoup de sens, puisque la plupart des missions de la gendarmerie sont identiques à celles de la police nationale. Là, je crois qu’on est plutôt dans le ni-ni. Rappelons pour les auteurs de polars qui candidatent au Prix du Quai des Orfèvres, que le policier ne fait pas de sommations. Il ne peut par exemple tirer sur un délinquant qui s’enfuit, qu’il soit à pied ou en voiture. Tout au plus pourrait-on tolérer un tir d’avertissement…

Mais parmi les 27 propositions de ce rapport, il y en a une qui est très appréciée : l’extension de la protection fonctionnelle. D’après l’agence d’informations spécialisées aef-info, en 2011, elle aurait été actionnée 20 289 fois pour les policiers (j’ai du mal à croire ce chiffre) et 500 fois pour les gendarmes. Mais en l’état, elle est loin de donner satisfaction. Si cette recommandation était suivie d’effet, le policier ou le gendarme mis en cause par la justice dans l’exercice de ses fonctions devrait bénéficier d’une protection juridique plus étendue et, surtout,  il devrait se voir garantie la continuité de ses ressources. Éventuellement en faisant l’objet d’un reclassement provisoire dans une autre administration. Alors qu’aujourd’hui, un policier mis en cause par la justice peut du jour au lendemain être interdit d’exercer son métier par le juge d’instruction ou suspendu par l’autorité administrative. Et si le plus souvent il continue à percevoir son traitement (du moins dans un premier temps), celui-ci est sérieusement amputé. Grosso modo réduit de moitié. De plus, en tant que fonctionnaire, il n‘est pas autorisé à avoir une autre activité salariée. De nombreux policiers ont très mal vécu cette expérience où ils tournent en rond, désœuvrés, à tirer le diable par la queue, et souvent seuls, car coupés de leurs collègues, de leurs amis. Comme soutien psychologique, peut mieux faire.

Cette évolution très importante dans la protection matérielle nécessiterait de modifier le statut de la fonction publique (de la défense, pour les gendarmes), et devrait donc profiter à l’ensemble des fonctionnaires. On ne voit pas en effet comment, sous un quinquennat placé sous le signe de la justice pour tous, on pourrait faire une différence entre les agents publics, selon qu’ils seraient rattachés à tel ou tel ministère.

Saisies pénales : pour que le crime ne paie pas

Hier, François-Marie Banier a demandé la mainlevée sur des contrats d’assurance-vie saisis par la justice, contrats souscrits à son profit par Mme Bettencourt. Pfft ! 75 millions d’euros. 5.500 années de travail pour un smicard. Une requête juridiquement intéressante. D’autant que le juge Gentil vient juste de finir l’inventaire de ses œuvres d’art entassées dans son immeuble du VI° arrondissement. Comme une épée de Damoclès qu’il agiterait au-dessus de la cache au trésor ! Dans un autre dossier politiquement sensible, le juge Van Ruymbeke a ordonné la vente du yacht de l’homme d’affaires Ziad Takieddine, mis en examen dans l’affaire de Karachi.

Qu’est-ce qui leur prend à ces magistrats ! En deux mots, ils utilisent les moyens exceptionnels mis à leur disposition par la loi du 9 juillet 2010, qui a créé un nouveau droit des saisies pénales. L’objectif de ce texte est de priver les délinquants de leur patrimoine dès lors que celui-ci semble provenir d’une activité criminelle en gelant leurs biens dès le début de l’enquête. Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, a soutenu cette loi pour lutter contre la criminalité organisée, notamment le trafic de drogue. Je me demande ce qu’il en pense aujourd’hui, alors que les juges l’utilisent – aussi – pour des affaires politico-judiciaires…

Tous les biens confiscables selon l’article 131-21 du code pénal peuvent être saisis. Mais, alors que cet article vise une peine complémentaire prononcée en plus d’une condamnation, il s’agit ici de mesures préventives. Elles concernent un simple suspect, autrement dit un « présumé innocent ». Avec un principe fort : tout ce qui est confiscable est saisissable. Pierre Dac aurait dit, « et son contraire ». Pour faire simple, tous les crimes et la plupart des délits punis d’une peine d’emprisonnement peuvent être concernés (pas les délits de presse). Et cela, soit sur décision du juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur (flag, préli) ; soit par la seule volonté du juge d’instruction lorsqu’une information judiciaire est ouverte. Que ces biens appartiennent à une personne physique ou morale, qu’ils soient corporels (argent, actions, immeubles…) ou incorporels, comme une créance sur un droit futur (assurance vie, droits d’auteurs, brevets…). À noter que la loi de 2010 permet également à l’OPJ de saisir directement les biens lorsqu’ils sont liés à l’infraction.

Cet argent, ces voitures, ces immeubles, etc., peuvent n’avoir qu’un rapport indirect avec le crime ou le délit. Il suffit de démontrer qu’ils ont été acquis grâce à l’infraction. Dans plusieurs cas, la loi va même plus loin. Elle le présume. Il appartient alors au suspect de prouver le contraire. Si les poursuites engagées concernent le délit de non-justification de ressources, c’est l’ensemble du patrimoine qui peut ainsi être confisqué.

Pour cela, la justice et les enquêteurs disposent de deux outils la PIAC et l’AGRASC. (Oui, pas terrible comme sigles, mais dans l’administration, surtout à l’Intérieur, on a appris à se méfier des acronymes trop facilement mémorisables.)

La PIAC, c’est la Plate-forme d’identification des avoirs criminels. Cette unité a été créée en 2007 au sein de la DCPJ. Elle est rattachée à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dirigé par le commissaire divisionnaire Jean-Marc Souvira. (Également auteur de romans policiers. Son dernier livre : Le vent t’emportera, au Fleuve Noir.) La PIAC comprend à parité des policiers et des gendarmes, ainsi que des fonctionnaires d’autres administrations (douanes, impôts…). Elle est dirigée par un commandant de police. Sa mission première est d’effectuer des enquêtes patrimoniales soit à la demande des magistrats ou d’autres services de police ou de gendarmerie, soit d’initiative. Elle recoupe également les informations relatives aux avoirs criminels saisis. Ces chiffres alimentent une base de données nationale et permettent l’élaboration du TACA (Total des avoirs criminels appréhendés). Conçu initialement pour lutter contre le blanchiment, ce service est de plus en plus sollicité. En gros, toutes les infractions dont l’objectif est le profit – ce qui doit être souvent le cas. La PIAC est également chargée de l’entraide internationale en complément de la coopération classique via EUROPOL ou INTERPOL. À la suite de la décision européenne de créer des unités de dépistage et d’identification des avoirs criminels au sein de chaque État membre, elle a été désignée comme « Bureau des avoirs pour la France ».

La gendarmerie nationale n’est pas en reste. Dès les années 1980, elle a formé des militaires aux arcanes de la finance souterraine pour les affecter dans les sections et brigades de recherche départementales. Aujourd’hui, il existe une formation à trois niveaux : un stage « enquêteur patrimonial », une licence professionnelle et un master II (lutte contre la criminalité organisée dans ses dimensions économiques et financières à l’échelle européenne), proposé par l’université de Strasbourg. Elle revendique 1000 spécialistes. Depuis 2006, la gendarmerie a saisi des biens « criminels » pour environ 340 millions d’euros. Une partie de ces fonds sert à alimenter le « fonds concours drogues » géré par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie). La gendarmerie en récupère chaque année environ 25 % pour renforcer son action dans ce domaine. Des véhicules et du matériel saisis peuvent également être « empruntés » pour assurer certaines missions.

Mais pour gérer tous ces biens, il fallait un autre outil. La loi de 2010 a donc mis sur pied l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), dont l’activité a démarré en février 2011. Il s’agit d’un établissement public placé sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget avec à sa tête une magistrate de l’ordre judiciaire, Mme Élisabeth Pelsez. L’agence gère l’ensemble des biens confisqués (argent, comptes bancaires, immeubles…)  et, une fois le jugement rendu, en assure la vente, la destruction ou la restitution. Le produit de la vente sert si besoin à indemniser les victimes et à payer les créances et les amendes. Le solde est reversé au budget de l’État, sauf en matière de stupéfiants où, là encore, il alimente la MILDT. J’ai cru comprendre qu’une partie de la recette servait à couvrir les frais de fonctionnement de l’agence, mais je n’en suis pas sûr.

Cet organisme procède également à la vente – avant jugement – des biens saisis, suivant la décision des magistrats. Si le propriétaire est acquitté ou bénéficie d’une relaxe ou d’un non-lieu, l’argent tiré de la transaction lui est alors restitué. C’est donc l’AGRASC qui devrait vendre le bateau de M. Takieddine. À quel prix, doit-il se demander ?

Dans son premier bilan, l’AGRASC fait état de 8 000 affaires traitées avec un encours sur son compte de la Caisse des dépôts de 204 millions d’euros. Une somme placée à 1 %. Un bilan encourageant selon certains, mitigé selon d’autres. En fait, pour être rentable (car là on ne parle plus justice mais business) l’agence devrait se limiter aux grosses affaires. Or, il semble bien qu’elle croule sous les petites. 66 % des sommes confisquées sont inférieures à 1.000 €. Et les 714 véhicules saisis durant la période concernée représentaient une valeur insuffisante pour couvrir les frais d’immobilisation. Il a fallu payer un prestataire pour les détruire. Dans ce souci de rentabilité, on réfléchit à simplifier encore la procédure et à sensibiliser les magistrats et les OPJ pour qu’ils placent la barre plus haut. Les infractions les plus lucratives sont le blanchiment, l’escroquerie et l’abus de confiance. Alors que les stupéfiants, qui représentent 63 % des affaires n’ont rapporté que 13% du budget. M. Hortefeux doit se retourner dans son placard.

Le gros succès de cette loi de 2010 est la facilité qu’elle apporte dans la saisie d’immeubles. Ainsi, depuis le début de cette année, un immeuble est saisi chaque jour en France.

Il est amusant de constater que l’on applique aujourd’hui l’une des recommandations de Cesar Beccaria, considéré comme le fondateur du droit pénal moderne, qui, dans Des délits et des peines, écrivait : « La perte des biens est une peine plus grande que celle du bannissement ». C’était en 1763. Il est vrai qu’il trouvait également barbare la peine de mort et la torture et recommandait de prévenir le crime plutôt que de le réprimer.

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Sources : documentation officielle, documentation personnelle, presse et dossier Les nouvelles saisies pénales dans la revue Dalloz (AJ Pénal mars 2012).

Pétarades autour du cannabis: Qu’en pense la police ?

En 2010, c’est plus de 120 000 personnes qui ont été interpellées pour usage de cannabis. Soit environ une garde à vue sur quatre (hors infractions routières). On peut donc dire que le quart de l’action des services de police et de gendarmerie est consacré aux fumeurs de pétards. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des revendeurs et des trafiquants, ni des autres drogues. Dont les drogues de synthèse, autrement plus dangereuses que le cannabis, et devant lesquelles on semble bien démunis.

L’activité judiciaire d’un commissariat de la banlieue parisienne est consacrée à plus de 40 % à la lutte contre l’usage et le trafic de drogue. Et je suppose que dans les tribunaux, les parquetiers croulent sous les dossiers stups. Pourtant, la consommation et le trafic continuent de progresser. Alors, ce travail est-il utile ?  Hier, on pouvait dire qu’il servait à meubler les statistiques, mais depuis que M. Valls nous a affirmé que la politique du chiffre est derrière nous, on peut s’interroger. J’ai donc posé la question à droite à gauche, dans les commissariats, et la réponse quasi unanime repose sur la connaissance de « la » population. En résumé, la loi qui pénalise l’usage des stupéfiants (un an de prison et 3.750€ d’amende, jusqu’à cinq ans de prison pour certaines professions, comme les policiers) permet d’arrêter et de ficher un maximum de gens, et notamment des jeunes. « C’est le vivier de la délinquance de demain » m’a dit un commissaire. Cela peut paraître cynique, mais c’est le principe même d’un fichier : plus il contient de noms (auteurs, suspects, victimes, plaignants…), plus il est efficace.

Mais il y aussi une raison non avouée. En fait, de nombreuses enquêtes sur le trafic partent du consommateur. C’est le plus facile à détecter. Or, grâce à cette législation très dure, il est possible de faire pression sur lui, voire de négocier. Il ne paraît pas amoral à un enquêteur de fermer les yeux sur le délit que commet un fumeur de joints pour se donner une chance de faire tomber son fournisseur – même si légalement la question se pose. D’ailleurs, c’est probablement cette démarche, conduite à l’extrême, qui a mené un grand flic comme Michel Neyret, a franchir la bande blanche.

Cela fait donc deux bonnes raisons pour que les policiers soient globalement contre la dépénalisation du cannabis. Cela leur enlèverait des moyens d’enquête. Comme ils souhaitent, d’ailleurs, que la simple consommation reste un délit. Alors que l’on pourrait se contenter d’une amende, une infraction au carnet à souches, comme l’a suggéré M. Rebsamen, avant de se faire reprendre par le patron. Mais dans ce cas, pas de garde à vue, pas de perquisition, pas de fichage… Mais en revanche du temps et des moyens dégagés pour s’attaquer aux trafiquants ou à d’autres formes de délinquance.

L’État et la Sécu ont budgété en 2012, 1.5 milliard d’euros pour lutter contre la drogue, mais personne n’a osé faire les vrais totaux : police, justice, prison, mesures de soins ou de surveillance médicale, etc. À quelle somme arriverait-on ? À mettre en balance avec les 22 et quelques millions d’euros récupérés par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) en 2011, sur la revente des cessions des biens confisqués lors des procédures pénales.

À une époque où l’on compte le moindre sou, tout cela est-il bien raisonnable ? Avec le résultat que l’on connaît : des jeunes de plus en plus accros et qui se marginalisent en se mettant hors la loi. La société française est tellement recroquevillée sur ce sujet qu’elle s’interdit même de prendre en considération le potentiel thérapeutique du cannabis, alors que les opiacés sont couramment utilisés pour lutter contre la douleur. D’où vient cet autisme qui nous incite à persévérer dans une voie qui de toute évidence mène à un cul-de-sac ?

Jean Cocteau disait qu’au lieu de l’interdire, il faudrait rendre l’opium inoffensif. Se faire du bien sans se faire mal (mais ce n’est pas dans notre culture). Le cannabis n’est sans doute pas inoffensif, loin s’en faut, mais c’est une drogue sans mystère. Et chacun a sa propre opinion. Et un ensemble d’opinions, ça fait un électorat. D’où cette polémique à la veille des élections, puis, dans quelques jours, le soufflé va retomber. Pourtant, M. Vaillant a  raison, cela mérite un vrai débat – objectif.  Car il n’y a pas de dogme dans ce domaine, et il est temps d’arrêter le gâchis.

Contrôles d’identité : Est-ce l’angélisme qui sonne ?

L’annonce du Premier ministre sur la délivrance d’un « reçu » lors d’un contrôle d’identité a fait ricaner dans les commissariats. Faut dire, qu’en dehors de toute sensibilité politique, on les attend un peu au tournant, les gens de gauche. On se demande quelle sera leur première boulette. Ici, on a un bel exemple d’une idée simple, généreuse, et en décalage sérieux par rapport aux réalités. Eh oui ! Le chemin est long du bureau au terrain. Mais, comme durant la campagne présidentielle M. Hollande a sans cesse parlé de concertation, on peut supposer que cette mesure ne sera pas prise de manière autocratique. Comme cela a souvent été le cas ces dernières années. Il n’y a pas le feu au lac. On prend l’avis des gens qui savent et surtout celui des gens qui font, et puis, pourquoi pas ! on commence par une expérimentation dans un secteur type, comme le suggère le délégué national d’un syndicat majoritaire.

Mais avant tout, il ne serait peut-être pas inutile de s’interroger sur le but des contrôles d’identité. On trouve en partie la réponse dans l’article 78-2 du code de procédure pénale. Un article un peu flou.

Quels sont les critères de base qui autorisent policiers et gendarmes à contrôler l’identité d’une personne ?

  • –      Elle est suspectée d’avoir commis une infraction ;
  • –      Elle est suspectée de se préparer à commettre un crime ou un délit ;
  • –      Elle est susceptible de fournir des renseignements utiles sur une enquête pour un crime ou un délit ;
  • –      Elle fait l’objet d’une recherche judiciaire ;
  • –      Cas particuliers (espace Schengen, trains…).

Mais l’identité d’une personne peut également être contrôlée pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens. On parle alors d’un « contrôle administratif ».

Un individu qui tournicote bizarrement autour de voitures en stationnement n’est pas suspect (légalement) de préparer un vol à la roulotte, mais en lui demandant ses papiers, le policier envisage cette possibilité. Il fait de la prévention. Et pour cela, il se fie à son instinct de flic.

Mais je suppose que dans l’esprit de nos nouveaux dirigeants, ce ne sont pas ces situations qui sont visées, mais les contrôles systématiques. Ils sont faits soit pour prévenir un trouble à l’ordre public (contrôle administratif) soit sur réquisition écrite du procureur de la République, en principe « aux fins de recherche et de poursuite d’infractions ». C’est de la PJ-scanner.

Depuis une loi de 2003, toutes les conditions énumérées ci-dessus sont laissées à l’appréciation du policier ou du gendarme. Il suffit qu’il existe « des raisons plausibles de soupçonner que ». Ce sont donc ces quelques mots qui encourageraient les contrôles au faciès (entre nous, c’était la même chose avant, sauf que ce n’était pas écrit). Il est aussi malhonnête de les nier que de les généraliser. Et en disant ça, on pense à la couleur de la peau. Mais il y a bien d’autres détails qui peuvent attirer l’attention du policier : le comportement, l’accoutrement, l’âge et surtout cette réaction instinctive qui trahit soit un sentiment de culpabilité soit, tout simplement, la crainte d’être contrôlé. C’est ce petit truc que guettent les douaniers lorsque les voyageurs ont récupéré leurs bagages, et qu’ils se dirigent vers la sortie de l’aérogare. Personnellement, je passe rarement la douane sans être fouillé. Lorsque je voyage en groupe, on organise des paris. Et je gagne souvent. C’est le délit de sale gueule.

Alors, le reçu est-il la solution ? Il va ralentir les contrôles, il va obliger à relever l’identité de la personne contrôlée et, comme le fonctionnaire va engager sa responsabilité, il se montrera plus pointilleux. En contrepartie une personne pourra exhiber son reçu si elle subit un deuxième contrôle. Mais comme elle aura déjà été interpellée et qu’il faudra bien comparer son identité avec celle figurant sur le reçu, on ne voit pas trop l’avantage… Mais je dois être de mauvaise foi.

Pour mémoire, toute personne doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité (78-1 du CPP). Seuls la carte nationale d’identité et le passeport électronique permettent de certifier de son identité. Mais comme ni l’un ni l’autre ne sont obligatoires, il est possible de présenter d’autres documents. Dans le doute (ce qui est rare) ou en l’absence de toute justification, un contrôle plus approfondi peut-être envisagé avec une rétention qui ne peut excéder 4 heures.

Lors du vote de la loi de 2003, dite Sarkozy II, haro de l’opposition ! Pour la gauche, ce texte allait favoriser les contrôles au faciès. Le Conseil constitutionnel a été saisi. Celui-ci a gentiment botté en touche, rappelant qu’il appartenait au législateur de faire la part des choses entre les libertés individuelles garanties par la Constitution et la nécessité de sauvegarder l’ordre public. Or, dans une quinzaine de jours, la gauche pourrait reprendre la main. En bonne logique, on peut donc penser que les parlementaires vont se pencher sur le code de procédure pénale pour lui donner un petit coup de jeune. Et qu’ils ne se limiteront pas à un modeste reçu… Peut-être un badge « J’ai été contrôlé ! »… Je plaisante.

Mais le problème est presque derrière nous : la technologie RFID ainsi que la reconnaissance faciale via les caméras de vidéosurveillance et le nouveau fichier TAJ (traitement d’antécédents judiciaires) qui remplace le STIC et le JUDEX (décret du 4 mai 2012) vont rendre quasi inutiles les contrôles physiques. Nous serons bientôt contrôlés sans même nous en apercevoir.

Elle est pas belle la vie de demain !

La police désenchantée

Alors que l’ancienne majorité présidentielle a fait bonne figure devant la défaite électorale, certains policiers ont du mal à passer la main. Cependant, l’aspect indéniablement politique des manifestations de ces derniers jours ne doit pas masquer la réalité : l’ensemble du corps est  inquiet. Beaucoup craignent une grande lessive.

Depuis dix ans, Nicolas Sarkozy a marqué les flics à la culotte, et il ne sera pas facile de se défaire de son fantôme. Pour reprendre le flambeau sans trop de bobos, le nouveau ministre de l’Intérieur devra donc faire preuve à la fois de doigté et de fermeté. Car ce que les flics attendent aujourd’hui, c’est une feuille de route précise.

En attendant, ces manifestations à répétition donnent une bien mauvaise image de la profession. D’autant que le prétexte n’est pas bon. Il manque de dignité. Si l’on peut comprendre la réaction des policiers lorsque l’un des leurs est tué ou blessé, l’affaire de Noisy-le-Sec est bien différente : un homme est mort, et ce n’était pas le flic. Quelles que soient les circonstances de ce drame, et même si les juges concluent finalement à la légitime défense, il n’en demeure pas moins que la victime est dans l’autre camp.

Cela ne justifie certainement pas cette revendication insensée sur la présomption de légitime défense. Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler que si les policiers ont le droit de porter une arme, même lorsqu’ils ne sont pas en service, ce n’est pas pour se défendre, contrairement à ce que l’on entend ici ou là, mais avant tout pour assurer leur mission : défendre la sécurité et les biens des  honnêtes gens – qui eux n’ont pas le droit d’être armés. Et à cette supériorité factuelle sur le commun des mortels, certains voudraient ajouter l’immunité judiciaire… Quel symbole ont-ils donc d’une police républicaine !

Il ne faut pas confondre cette revendication jusqu’au-boutiste avec celle qui concerne la présomption d’innocence. Car là, effectivement, les policiers sont mal lotis. Souvent, lorsque l’un d’eux est mis en examen – donc, comme tout justiciable, présumé innocent – il est suspendu de ses fonctions. Il s’agit d’une décision administrative qui s’apparente bien à une sentence. En général, le fonctionnaire continue à percevoir son traitement de base, ce qui pour un policier représente grosso modo la moitié de son salaire habituel. Vous me direz, être payé pour ne pas travailler, ce n’est pas si inconfortable… Sauf que souvent, le montant des revenus est insuffisant pour faire vivre une famille, et que le statut de la fonction publique interdit d’exercer un autre emploi. Pire encore si, finalement, à l’issue de son affaire (quelques mois, quelques années…) il est révoqué, l’administration peut lui demander de rembourser les sommes qu’il a perçues durant le temps où il était suspendu.

Lorsqu’un policier fait l’objet d’une enquête judiciaire liée à l’exercice de sa profession, il serait simple et raisonnable de le muter dans un service sédentaire ou de le détacher provisoirement dans une autre administration. Et la sanction disciplinaire viendrait, éventuellement, après la décision judiciaire. Le policier ne serait donc pas puni avant d’avoir été jugé coupable et la société ne paierait pas un fonctionnaire à ne rien faire. Gagnant-gagnant.

Et puisqu’on parle là de poursuites judiciaires inhérentes à la fonction, la moindre des choses serait que le ministère de l’Intérieur prenne à sa charge les frais d’avocat. Car, même si la responsabilité pénale du policier est avérée, le crime ou le délit éventuel est bien une conséquence de son activité professionnelle.

En attendant, lorsque le nouveau ministre va débarquer Place Beauvau, il va trouver d’un côté une gendarmerie en ordre de marche, avec des propositions sérieuses, et de l’autre une police complètement déglinguée, engluée dans des revendications qui partent dans tous les sens. Et même si certains syndicats ont tenté de recadrer les récents mouvements de mécontentement, en y ajoutant de réelles revendications, comme la fin de la politique du chiffre et de la fonte des effectifs, on a nettement l’impression d’être dans le brouillard.

Lorsqu’on demande aux anciens quels sont les ministres de l’Intérieur qui ont marqué leur époque, deux noms émergent toujours : Pasqua et Joxe. Le premier était proche des policiers, le second a réorganisé la maison. Je me demande s’il en sera de même de Nicolas Sarkozy, lui qui a fait de la police son train électrique.

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Remerciement à Jean-Michel Sicot, photographe de presse, pour ces images tirées de l’un de ses reportages lors des dernières manifs.

La police s'invite dans la campagne présidentielle

Il n’y a pas si longtemps, le mari qui surprenait son épouse avec son amant dans le lit conjugal avait « le droit » d’abattre les deux. On appelait ça un « crime excusable ». L’ancien code pénal comptait d’autres perles du même genre qui permettaient de prendre une vie sans risquer une sanction. Au fil des ans, elles ont disparu. Mais les cas où la légitime défense est présumée acquise, eux, n’ont guère varié. Il y en a deux :

Donc, lorsque M. Sarkozy parle de présomption de légitime défense, que veut-il dire ? Qu’il faut ajouter un 3° alinéa à cet article, genre : la légitime défense est présumée si celui qui accomplit l’acte est un policier ? – Ce n’est pas très sérieux.

L’article 122-6 s’impose au juge. À lui, éventuellement, de démontrer le contraire. Dans les autres cas, c’est différent. La légitime défense n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Et il s’agit d’un fait justificatif, pas d’une excuse.

Dans l’affaire de Noisy-le-Sec, comme il n’y a pas eu riposte, le magistrat doit répondre à la question suivante : le policier était-il menacé ou pas ? Il faut noter toutefois que la jurisprudence fait jouer depuis longtemps la « présomption de légitime défense » en faveur des policiers. Ainsi, pour les juges, en général, le moindre geste d’un individu qui tient une arme face à un représentant de l’ordre est interprété comme une menace.

En revanche, si ce policier a tiré sur le suspect alors qu’il prenait la fuite, il s’agit bien d’un meurtre. Au juge de vérifier les deux thèses. Cela s’appelle la justice. D’après Me Daniel Merchat, l’avocat du policier mis en examen, il faut lui laisser le temps de se faire une opinion dans un dossier qu’il aurait découvert au dernier moment. À le lire, une procédure d‘ailleurs bien mal ficelée (c’est un ancien commissaire de police) !

Après avoir lancé le ballon de la présomption de légitime défense, certains réclament à présent que les policiers aient les mêmes droits (?) que les gendarmes. Or, si ceux-ci peuvent faire usage de leur arme en certaines circonstances, autres que la légitime défense, c’est en tant que militaires et en vertu d’un texte basé sur des considérations du siècle passé. Peu à peu, d’ailleurs, la Cour de cassation restreint cette possibilité. Ainsi, dans l’affaire de Draguignan, où un gendarme avait tué un homme qui s’enfuyait, elle a cassé la décision de non-lieu. Le gendarme est passé devant une Cour d’assises, et il a néanmoins été acquitté. C’est aussi ça la justice : des magistrats de haut rang désavoués par un jury populaire. Toutefois, lors d’une arrestation classique, comme c’était le cas à Noisy-le-Sec, le gendarme doit lui aussi se plier aux règles de la légitime défense. On peut donc dire que cette revendication ne tient pas plus la route que la précédente.

Les policiers ont-ils le droit de manifester ? – Dans les années 70 (majorité de droite), alors que des syndicalistes manifestent leur mécontentement, leur défilé est ovationné par des ouvriers en grève. Le gouvernement y voit le signe précurseur d’un élan de solidarité entre travailleurs et policiers en colère. Résultat : plusieurs responsables syndicaux sont sanctionnés.

En 1983 (majorité de gauche), lors d’un banal contrôle d’identité, deux gardiens de la paix sont tués et un troisième grièvement blessé. Après la cérémonie à leur mémoire, un cortège défile sous les fenêtres de la Chancellerie en réclamant l’abandon d’un projet de loi sur la sécurité alors en cours de discussion : Le préfet de police démissionne, le directeur général de la police est remercié, huit policiers sont sanctionnés et deux représentants syndicaux révoqués pour « participation à un acte collectif contraire à l’ordre public ».

En avril 2012, sur l’avenue des Champs-Élysées, la vitrine de Paris, des policiers en civil ou en tenue manifestent contre la justice au rythme des gyrophares et des sirènes sous les caméras d’une chaîne de télé bien informée : le président de la République et le ministre de l’Intérieur les soutiennent dans leur action.

À se demander si le bateau a encore un capitaine… Décidément, cette campagne présidentielle n’en finit pas.

RAID : Tentative de débriefing

Christian Prouteau, le créateur du GIGN, critique l’opération du RAID. Robert Broussard, créateur de la Brigade anti-commando et initiateur du RAID, critique Prouteau. Tandis que l’ancien patron de l’Unité d’intervention de la police israélienne, Alik Ron, déclare sans ambages : « Toute l’opération ressemble à une démonstration de stupidité ».

Alors qui faut-il croire ?

Prouteau a raison sur un point : Il fallait tendre une souricière. Autrement dit organiser une planque et « sauter » Mohamed Merah au moment où il sortait de chez lui. Les risques n’étaient pas nuls, mais les chances de succès étaient importantes. Broussard, d’ailleurs, ne le reprend pas sur ce point. Il serait bien en peine, puisque c’est la technique que lui-même avait privilégiée pour arrêter Mesrine. Vous me direz, le résultat est le même dans les deux cas. Oui, mais pour Mesrine, aucun policier n’a été blessé.

Donc, c’est une première erreur. Ce n’est pas celle du RAID mais des autorités de l’État qui drivaient l’opération. Le problème, évidemment, c’est que cela pouvait prendre du temps. Mais probablement moins de 30 heures.

Donc, on a préféré la grosse artillerie. Avec ordre d’intervention en pleine nuit, après accord du juge des libertés et de la détention (Art.706-89 du CPP). Eva Joly n’a pas tort de dire qu’on agissait dans le cadre d’une opération de police judiciaire. L’autorité opérationnelle du ministre de l’Intérieur devait donc s’effacer devant celle des magistrats.

Mais ne chicanons pas.

Les  hommes du RAID donnent l’assaut. Peut-être à ce moment-là ont-ils un peu sous-estimé Mohamed Merah. Après tout, un jeune de 23 ans, seul dans un appartement, ils en ont vu d’autres… Ils se font cueillir sèchement. C’est là où survient, me semble-t-il, la plus grosse erreur : on leur enjoint de battre en retraite.

Or, ce qui différencie une opération militaire d’une opération de police, c’est que pour la police (ou la gendarmerie), il ne peut y avoir ni retraite ni reddition. C’est un principe républicain : force doit rester à la loi. On imagine la rage de ces policiers d’élite d’avoir à se replier alors que deux des leurs sont blessés…

On est donc à présent dans la situation où Merah sait qu’il est découvert et cerné. Si l’on se glisse dans sa peau, il a deux possibilités : se rendre ou mourir. Et l’on commence à négocier. Jusqu’à présent, j’avais cru comprendre que la négociation visait à sauver la vie des otages. Mais ici, pas d’otage. En fait, on négocie la vie de l’assassin présumé (fortement) de sept personnes. Normalement, une fois l’opération commencée, on la termine. Certes on fait tout pour éviter de tuer le suspect, mais si on se fait canarder, on riposte. Ça, ce n’est ni de gauche ni de droite, c’est dans la loi.

« Qui attend 30 heures quand il n’y a pas d’otage ? » interroge le policier israélien. Durant ces longues heures de siège, non seulement Merah roule les autorités dans la farine, en leur disant un coup noir un coup blanc, mais il s’organise, il se barricade. Et surtout, il tient la vedette dans tous les médias. Plus grave encore, s’il a des complices, il leur donne le temps de prendre le large et éventuellement de détruire les preuves.

Lorsque le nouvel ordre de donner l’assaut intervient, en haut lieu, on insiste de nouveau : Il faut le capturer vivant. C’est presque une insulte. Les policiers du RAID ne sont pas des tueurs. Au contraire, ils sont formés pour neutraliser les suspects. Et s’ils doivent tirer, ils ont suffisamment d’entraînement et de sang-froid pour viser des parties non vitales. Or, le chef du RAID a, d’après ses dires, doté ses hommes d’armes non létales. Ce qui a dû leur compliquer sérieusement la tâche lorsqu’ils se sont trouvés sous un feu nourri. Ordre ou pas, la réplique a été sévère. Je n’ai pas le souvenir d’une intervention où autant de cartouches aient été tirées dans un si petit espace !

Alors, cette opération est-elle une réussite ? Difficile de dire cela alors que le suspect a été criblé de balles et que cinq policiers ont été blessés. Dans la lettre que le chef du GIGN, le général Thierry Orosco, adresse au chef du RAID, le contrôleur général Amaury de Hautecloque, il conclut en disant : « Je compte sur toi pour nous faire part, au cours d’un débriefing, des enseignements que vous tirerez de cette opération. »

Je voudrais bien être une petite souris…

Mais le plus désastreux, dans cette histoire, c’est la vitrine médiatique que l’on a fournie à Mohamed Merah. Et lorsque l’on entend dire qu’il est mort comme il le souhaitait, les armes à la main, on frissonne. Pour certains extrémistes, ne pourrait-il pas devenir un symbole ?

La déferlante des drogues de synthèse

Les policiers canadiens les appellent les drogues de dernière génération. Ils en saisissent beaucoup. Des tonnes. « Cuisinées » dans des laboratoires de fortune, mais parfois aussi produites de manière quasi industrielle, elles sont en grande partie destinées à l’exportation. Les « cocktails de drogues » ainsi réalisés sont chargés sur des camions ou noyés dans le fret aérien, et partent aux quatre coins de la planète : États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, et aussi Europe. En très peu de temps, le Canada est devenu la plaque tournante des drogues de synthèse. Quant à la consommation locale, il semble qu’elle concerne plutôt les jeunes. Ils la privilégieraient à la cocaïne, à l’héroïne et même au haschich.

La France n’est pas épargnée. Pour l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), ces drogues seraient apparues d’une manière conséquente il y a seulement quelques années. La première a été identifiée en Europe en 2005 (par un laboratoire français) : la MDHOET (ou N-hydroxyethyl MDA). Leur succès tient à la similitude des effets par rapport aux drogues plus traditionnelles. Mais, si leur structure moléculaire se rapproche des amphétamines, de la cocaïne, etc., elle n’est cependant pas tout à fait identique. Et de ce fait, elles échappent à la législation sur les stupéfiants – du moins jusqu’au jour où elles sont identifiées. Ce qui demande du temps et des moyens. Il existe une collaboration entre les différents laboratoires au niveau national et européen, via le Système d’Alerte Précoce (Early Warning System : EWS). Les informations sont dispatchées par Eurotox qui se trouve à la tête d’un système de diffusion du type pyramidal. Après l’avoir repérée, il faut environ six mois pour inscrire une substance psychoactive au tableau des stupéfiants.

Si les drogues répertoriées sont systématiquement saisies et placées sous scellés, une note de la DGPN rappelle que des prélèvements de produits présumés stupéfiants sont également possibles, notamment pour alimenter la base de données nationale. Ils ne peuvent toutefois être utilisés dans une procédure judiciaire.

En 2008, une enquête nationale, concluait que les drogues de synthèse étaient encore ignorées des jeunes de 17 ans. En revanche, la méphédrone (surnommée depuis « miaou miaou »), était déjà prisée dans certains cercles d’initiés, gays en particulier. Ces effets stimulants, de type ecstasy, étant particulièrement recherchés lors de débauches sexuelles. Pour faire simple, on peut dire que c’est la drogue des partouzards. Elle a été classée dans les produits stupéfiants en juin 2010. Mais il n’était pas difficile de s’en procurer sur le Net, où elle se présentait sous diverses étiquettes : sels de bain, engrais… Sa fabrication et sa commercialisation ont finalement été interdites par décision des ministres de l’Intérieur de l’U-E, il y a environ un an.

Dans ce domaine, les choses vont très vite. Ainsi, dans un article du Figaro de mars dernier, le commissaire Lucas Philippe, responsable de la division du renseignement et de la stratégie au sein de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCTRIS), déclarait qu’aujourd’hui, les jeunes de 18-20 ans étaient « particulièrement concernés ». Il faut dire que le prix et la facilité d’usage rendent ces petites pilules bien attrayantes…

En matière de drogue, le besoin crée le business. Il est tellement facile de se procurer les ingrédients sur l’Internet, que l’on pourrait bientôt voir, chez nous, des coins de cuisine se transformer en labo de fortune. Si ce n’est déjà le cas. D’autant que les services de la douane sont maintenant sensibilisés au problème : l’importation devient plus risquée. L’année dernière, les saisies frontalières ont explosé les statistiques.

Mais à ce jour, rien à voir avec le Canada. Là-bas, les drogues de synthèse sont devenues un enjeu des différentes mafias. Avec des laboratoires parfois dissimulés au sein même d’entreprises qui ont pignon sur rue. Un peu comme dans la série télévisée américaine Breaking bad, dans laquelle le petit professeur de chimie du Nouveau-Mexique est récupéré par les narcotrafiquants pour une production de masse. Du coup, la gendarmerie royale canadienne (GRC) a mis en place une unité pour surveiller les courtiers en produits chimiques et détecter ceux qui alimentent les circuits mafieux. Et une section spéciale a également été créée pour lutter contre les drogues synthétiques.

Bizarrement, notre gouvernement, pourtant prompt à dégainer, n’a pas vraiment réagi devant cette menace. Et pourtant, les drogues de synthèse sont autrement plus dangereuses que le cannabis. Elles sont tellement différentes de l’une à l’autre que le consommateur ne sait jamais ce qu’il ingurgite. Comme on peut le voir dans la liste (partielle) tirée d’un rapport canadien de 2008. On y trouve même parfois du Sildénafil, c’est-à-dire du Viagra. Or ces molécules, utilisées dans les médicaments, ont toutes des effets indésirables, voire contradictoires. Et peuvent entraîner notamment des troubles cardiaques. Autrement dit, quelle que soit la couleur de ces petites pilules, le simple fait d’en avaler une revient à jouer à la roulette russe…

Dans n’importe quelle commune de la banlieue parisienne, la moitié de l’activité judiciaire des policiers  vise des affaires de stupéfiants. Pour une grande part, le cannabis. Je peux me tromper, mais la déferlante des drogues de nouvelle génération va probablement bientôt toucher notre pays. Et, pour être pragmatique, il faudra alors faire un choix entre la poursuite judiciaire du petit fumeur de joints et la protection de la santé publique – et surtout de notre jeunesse. Le débat sur la dépénalisation du cannabis  pourrait alors ressembler à un combat du passé.

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