LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Droit (Page 5 of 20)

Les procureurs ont perdu leur ombre

Le Conseil constitutionnel a tranché : les procureurs sont des magistrats indépendants qui dépendent du gouvernement. Pour parvenir à cette conclusion, les Sages ont utilisé un curieux syllogisme qui, non sans ironie, peut se résumer ainsi :

  • – Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas déterminée « n’a point de Constitution ».
  • – Or, nous avons une Constitution, et celle-ci affirme dans son article 64 que « le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ».
  • – Les procureurs étant nommés par décret du président de la République, il en résulte que « la Constitution consacre l’indépendance des magistrats du parquet ».

En réalité, selon l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques et sous le contrôle du garde des sceaux. Autrement dit, les procureurs doivent obéissance à leurs chefs, lesquels sont placés sous l’autorité du ministre de la Justice, lequel est placé sous l’autorité du Premier ministre, lequel est nommé par le président de la République. Cette hiérarchie pyramidale ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de tous les fonctionnaires, si ce n’est qu’à l’audience, la parole des procureurs  est libre.

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Financement du terrorisme : une mère peut-elle être condamnée ?

Nathalie Haddadi est accusée de financement du terrorisme. Elle aurait donné de l’argent à son fils pour l’aider à quitter la France et rejoindre une zone de conflit syro-irakienne.

Abbes s’est radicalisé dans les prisons françaises avant de rejoindre la Syrie au terme d’un itinéraire en zigzag. L’année dernière, il aurait trouvé la mort dans une opération djihadiste. Sa mère est en attente d’une décision de justice.

Lors d’un procès animé, qui s’est terminé le 6 septembre à quatre heures du matin, le procureur a requis contre elle une peine de dix-huit mois, d’un an pour son fils cadet, Tarik, qui aurait transféré l’argent à son grand frère grâce au concours d’un ami de celui-ci, un certain Souliman, contre lequel il a été requis trois ans d’emprisonnement.

La loi – Cette affaire ne peut pas ne pas intriguer. La loi pour lutter contre le financement du terrorisme a-t-elle été prise contre des parents ou pour poursuivre de grands financiers du terrorisme, comme le géant cimentier Lafarge, fortement soupçonné d’avoir négocié des laissez-passer avec les autorités auto-déclarées de Daech !

La réponse est en partie dans l’origine de cette loi. Continue reading

Affaire Grégory : une mère de famille devant le tribunal pour enfants

Finalement, Murielle Bolle est sortie de prison. Les arguments de Jean-Jacques Bosc, le procureur général de Dijon, qui avait demandé son maintien en détention « pour les nécessités de l’enquête et l’efficacité des actes à venir », n’ont pas été convaincants.

Cette requête était assez incompréhensible dans la mesure où les contraintes du contrôle judiciaire sont justement faites pour éviter ce genre de situations. Trop souvent, la justice ferme les yeux sur l’article 137 du code de procédure pénale qui rappelle que si une personne mise en examen et présumée innocente peut être mise en détention, ce n’est qu’à titre exceptionnel. La pratique montre qu’on est loin du compte. Mais dans le cas présent, il est quand même difficile de penser que les suspects vont détruire des preuves d’une affaire passée au tamis depuis plus de trente ans, ou qu’elles vont soudain se rendre coupables d’une « concertation frauduleuse », comme il est dit à l’article 147 du code de procédure pénale.

On a l’impression que les mesures d’isolement imposées aux trois personnes actuellement mises en examen sont plutôt destinées à les éloigner de la curiosité des médias.  Chat échaudé…

Il faut bien reconnaître que l’on voit rarement autant de précautions pour préserver le secret de l’instruction… Mais si l’on veut se faire une idée de la tournure prise par l’enquête, il faut comparer la qualification retenue par la justice. On est passé de l’assassinat (meurtre avec préméditation) à enlèvement suivi de mort. Une infraction tout aussi grave puisque la victime est un enfant : réclusion criminelle à perpétuité.

Quelques années plus tôt, avant 1981, c’était l’article 355 du code pénal qui aurait été applicable. Il se terminait ainsi : « L’enlèvement emportera la peine de mort s’il a été suivi de la mort du mineur. » Continue reading

Le droit au silence : parlons-en !

Lors du dernier rebondissement de l’enquête sur l’assassinat du petit Grégory, le procureur général de Dijon a déclaré que les époux Jacob, l’oncle et la tante de l’enfant, avaient fait usage de leur « droit au silence ». Une expression reprise par la presse, le plus souvent sans plus d’explication, ce qui a amené nombre de gens à se demander comment cela était possible.

D’après un dessin de Gotlib dans « Trucs-en-vrac »

Autrement dit, dans une affaire aussi grave, comment admettre que des suspects, placés en garde à vue, refusent de répondre aux enquêteurs ! Une question que l’on s’était déjà posée face au mutisme de Salah Abdeslam, actuellement en détention provisoire dans le cadre de l’information judiciaire sur les attentats du 13 novembre 2015.

Il est vrai que l’on peut tout aussi bien inverser ce type d’interrogation : comment obliger quelqu’un à parler ?

En France, si la torture n’est plus de mise, du moins depuis la fin du conflit algérien, le code de procédure pénale ne reconnaît le droit au silence que depuis la loi du 15 juin 2000, une réforme capitale portée par Élisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, qui renforce la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Même si à l’époque les mauvaises langues ont parlé d’une loi rose bonbon, la première femme à avoir été nommée à la tête d’un ministère régalien a ainsi marqué son passage. En effet, qu’on le veuille ou non, cette loi du gouvernement Jospin a été un pas vers une justice plus respectueuse de l’être humain, auteur ou victime.

Inutile de dire que les syndicats de police sont partis vent debout contre cette réforme. Comment obtenir des aveux d’un suspect si on doit lui dire qu’il a « le droit de ne pas répondre aux questions » ont-ils fait valoir ! Continue reading

Immunités : pour qui pour quoi pourquoi ?

Dans un monde où l’actualité est de plus en plus judiciaire, pas facile de nos jours d’être journaliste ! On a vu récemment les difficultés de la presse à expliquer les subtilités de la nouvelle loi sur la prescription pénale (sur ce blog : La patate cachée derrière l’infraction cachée), tandis qu’aujourd’hui il est question de « l’immunité » parlementaire de François Fillon et de Marine Le Pen.

L’immunité est une cause d’irresponsabilité pénale attachée le plus souvent à la qualité de l’auteur des faits répréhensibles. Elle empêche les poursuites judiciaires sans supprimer l’infraction, ce qui (sauf exceptions) laisse les complices ou coauteurs punissables et ne ferme pas la porte à un procès civil. De fait, l’immunité permet à une personne de commettre un crime ou un délit sans aucun risque. Cette mansuétude est justifiée par l’exigence de la protection d’intérêts considérés comme supérieurs à la justice du tout-venant. Des intérêts qui peuvent être politiques, judiciaires, diplomatiques ou familiaux.  Et dans ce dernier cas, l’immunité nous concerne tous. Continue reading

Prescription pénale : la patate cachée derrière l'infraction cachée

patateLe temps qui passe doit-il estomper un crime ou un délit au point que son auteur ne sera jamais poursuivi ? À cette question, le système juridique français répond oui. C’est le droit à l’oubli. La prescription extinctive de l’action publique. Cette mansuétude trouve son fondement dans le fait qu’au bout d’un certain temps, il ne serait pas souhaitable de raviver le souvenir d’une infraction. Pour des raisons de tranquillité publique, diront les ingénus, mais en réalité pour masquer la défaillance de la société.

Le principe de la prescription existe depuis la nuit des temps, mais aujourd’hui, cette mesure rencontre une hostilité certaine, probablement en raison de cette mémoire informatique qui a bouleversé notre monde. Une simple recherche sur Google nous ramène des années en arrière ! Et alors que la prescription était là pour ne pas raviver les souvenirs, elle apparaît maintenant comme un instrument de l’injustice.

Aussi, les juges n’hésitent plus à piocher dans le panier aux arguties pour tordre le droit au nom de la justice.

Car une infraction qui ne fait pas l’objet de poursuite peut être considérée comme un dysfonctionnement du système judiciaire : le ministère public n’a pas fait le job. Continue reading

Info trafic… d’influence

Ces temps-ci, plusieurs affaires judiciaires visant le trafic d’influence ont fait la une des journaux, notamment celles qui touchent les hautes sphères de la hiérarchie policière. La dernière en date concerne Bernard Squarcini, l’ancien patron du Renseignement intérieur. On peut toujours en déduire que les flics sont moins honnêtes qu’auparavant ou les juges plus sévères, mais la réalité est tout autre : le marché de la sécurité et du renseignement est devenu un champ de mines – de mines d’or, s’entend !

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Extrait du mensuel Super Picsou

Dans les entreprises, notamment les grands groupes, l’espionnage est aujourd’hui une bête noire. Elles sont tenues de se protéger – et accessoirement, mais il ne faut pas le dire, de rendre la pareille à leurs concurrents. On comprend bien que ni le droit ni la morale n’ont de place dans cette guerre underground ou tout est permis sauf de se faire prendre. Ainsi, peu de gens sont au fait des arcanes des énormes marchés militaires que la France a récemment remportés ! Or, dans ce jeu off, les services de l’État ne sont pas innocents, mais ils ne doivent pas apparaître : il leur faut une couverture. Qui est mieux placé qu’un ancien de leurs services ! C’est ainsi que nombre de policiers ou de militaires (pas nécessairement des gendarmes) se lancent dans l’aventure, oubliant parfois qu’ils agissent désormais sans gilet pare-balles.

Et les balles proviennent d’une loi du 4 juillet 1889 qui est issue d’un trafic de décorations. Continue reading

Salle de shoot : une zone de non-droit pénal ?

Cela fait des années que l’on en parle. Lors de sa campagne électorale, François Hollande s’était même dit favorable à une expérimentation, mais cette fois, c’est fait : les deux premières « salles de consommation à moindre risque » (SCMR) vont prochainement ouvrir leur porte. L’une à Paris, l’autre à Strasbourg. Pour mémoire, il en existe déjà plus de 90 de par le monde, dont 70 sur le continent européen. La première a été installée à Berne, en Suisse, il y a juste 30 ans.

Laboratoire clandestin (archives perso)

Laboratoire clandestin (archives perso)

Le code de la santé publique a été modifié pour la circonstance. Il prévoit l’ouverture d’espaces réservés aux usagers de drogues dures « qui souhaitent bénéficier de conseils de réduction de risques » dans l’utilisation du produit dont ils sont dépendants. Les usagers doivent être majeurs et en possession dudit produit. À l’intérieur de l’enceinte de la salle de consommation, ils ne pourront pas faire l’objet de poursuites judiciaires. Ils bénéficient de l’immunité de l’article 122-4 du code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Les professionnels qui interviennent à l’intérieur de la salle de consommation bénéficient de la même protection. À noter toutefois qu’ils ne peuvent pas procéder à l’injection du stupéfiant, un acte qui doit rester volontaire et personnel.

Pour autant, il ne faut pas croire que la SCMR est une zone de non-droit pénal, car, en cas d’accident, il y aura l’ouverture d’une enquête pour recherche des causes de la mort, et, éventuellement, blessures ou homicide involontaires. Continue reading

La justice secrète : indic, infiltré, repenti, collaborateur…

À l’approche du procès de Michel Neyret, l’ancien sous-directeur de la PJ de Lyon, et des autres policiers impliqués dans ce dossier, on va évidemment reparler de la gestion des indics. On pourrait croire ce problème derrière nous : la police de papa, c’est fini ! mais il n’en est rien. Dans ce domaine, comme dans d’autres, à tout vouloir borner, on a tellement compliqué les choses que même Vidocq, le roi des indics, y perdrait son latin.

Vidocq 2

Plaque au musée de la police

Alors, entre le tuyau reçu au zinc d’un bistrot et le brouillamini mis en place depuis une dizaine d’années, tentons d’y voir clair. Ce n’est pas gagné !

La loi du 9 mars 2004, dite loi Perben II, prise pour « adapter la justice aux évolutions de la criminalité », est considérée comme le premier pas vers une « officialisation » des sources, qu’elles soient techniques (hors écoutes téléphoniques) ou humaines. Même si, pour le flic de terrain, c’est plutôt la « jurisprudence » Neyret qui a marqué les esprits.

Donc, plus question d’avoir un indic sans en rendre compte à son patron, qui en rendra compte à son patron, qui informera le directeur central de la PJ dont dépend le bureau central des sources (BCS). Lequel est rattaché, comme chacun le sait, au SIAT, c’est-à-dire le Service interministériel d’assistance technique. Ce service, qui a curieusement pris comme logo le négatif du logo de la DCPJ (Clemenceau n’est plus blanc mais noir), a été créé pour être le fer de lance de la loi Perben II. Autrement dit, pour parler comme des agents secrets – qui d’ailleurs n’ont pas de comptes à rendre au BCS -, non seulement, il gère le ROHUM (renseignement d’origine humaine) mais également une partie du ROEM (renseignement d’origine électromagnétique), via les sonorisations et les bidouillages informatiques. Et bientôt, probablement, le ROIM (renseignement d’origine image), qui est pour l’instant plutôt l’apanage des armées, via les nacelles de reconnaissance embarquées, les drones et autres satellites. Il manque à mon énumération les caméras de surveillance, lesquelles, du moins à ma connaissance, ne sont pas reliées à un ordinateur central. Continue reading

Police : le choix des armes

Certains services de police vont se voir doter d’un fusil d’assaut allemand, le Heckler & Koch G36, jusque-là uniquement accroché au râtelier des unités d’élites. Pour la première fois, des policiers « de rue », notamment ceux de la BAC, vont être armés comme pour une guerre (ici, soupir de nostalgie pour feu « le gardien de la paix »).

CibleToutefois, si j’ai bien compris, ce fusil serait destiné à être remisé dans le coffre d’une voiture. À disposition, pour le cas où. Quelles seront les conditions nécessaires pour « dégainer » le HK ? Trop tôt pour le dire, mais on peut espérer que l’encadrement sera solide : l’utilisation d’un tel engin lors d’une intervention sur la voie publique pourrait se révéler à hauts risques – pour tout le monde. D’autant, il faut bien le reconnaître, que sous la menace terroriste, et la fatigue aidant, les policiers, comme nos dirigeants d’ailleurs, ont tendance à perdre leurs nerfs. Continue reading

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