Alors que la Garde des Sceaux promet une nouvelle loi sur la récidive des criminels dangereux, presqu’en catimini, une première décision a été prise par une « juridiction régionale de la rétention de sûreté » à l’encontre d’un condamné en fin de peine. Impossible, me direz-vous : la
loi de 2008 n’est pas rétroactive… C’est sans compter sur l’habileté de nos députés. Voici le scénario :
Acte I : En septembre 2005, le garde des Sceaux, Pascal Clément, présente sa loi destinée à lutter contre la récidive. Devant les députés il s’emballe et déclare qu’il est prêt à prendre « le risque d’une inconstitutionnalité » pour que ce texte s’applique aux personnes déjà condamnées. Tollé à l’Assemblée, puis le président du Conseil constitutionnel le tacle sérieusement en lui rappelant que le respect de la Constitution est un « devoir » et non un « risque ».
Acte II : Notre ministre change alors son fusil d’épaule : le placement sous surveillance judiciaire (PSJ) voit le jour sous la forme d’une mesure de sûreté prononcée par le juge d’application des peines (JAP). Il s’agit d’un ensemble d’obligations et d’interdictions imposé à l’issue de leur peine d’emprisonnement à des personnes condamnées pour crime ou délit et considérées comme potentiellement dangereuses (loi du 12 décembre 2005, dont on peut trouver un résumé sur le site Ban Public).
Comme il ne s’agit pas d’une condamnation mais d’une mesure « d’accompagnement » pour éviter une libération trop « sèche », elle peut s’appliquer aux détenus condamnés antérieurement à la loi. Et elle prend fin à l’expiration définitive de la peine, toutes réductions confondues.
Acte III : En 2008, une nouvelle loi créée la rétention de sûreté qui elle est destinée à retenir dans des centres fermés (distinction subtile avec un condamné, qui lui est emprisonné) certains criminels dangereux qui ont éclusé leur peine et qui sont considérés comme susceptibles de récidiver. Mais pour respecter le principe de non-rétroactivité de la loi, cette mesure n’est applicable que si la Cour d’assises l’a envisagée lors de la sentence – ce qui exclut de facto son application avant plusieurs années.
Elle a également prévu l’application d’une mesure de surveillance de sûreté qui correspond à la surveillance judiciaire (suivi médical, bracelet électronique, etc.) mais qui à la différence de son ainée s’applique à des condamnés qui ont entièrement purgé leur peine.
Prenons deux exemples :
X a été condamné à 20 ans de réclusion pour viol aggravé. Au bout de 17 ans, il est libéré, mais il peut faire faire l’objet d’un placement sous surveillance judiciaire pendant 3 ans, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la peine qui a été prononcée contre lui.
Ce qui s’est passé pour Manuel C., l’homme soupçonné d’avoir tué Marie-Christine Hodeau, à Milly-la Forêt : condamné à une peine de 11 ans, le jour de sa libération conditionnelle, il s’est vu contraint de se soigner et il a eu l’interdiction de rencontrer sa victime et de se rendre dans la commune où elle demeure. Mesures qui ont pris fin en novembre 2008, à l’échéance de sa peine.
Y, lui, est condamné aujourd’hui à 20 ans de réclusion pour les mêmes faits. Si dans son jugement la Cour d’assises le prévoit, lorsqu’il aura purgé sa peine (donc dans 20 ans), il pourra faire l’objet soit d’une mesure de rétention de sûreté (et dans ce cas il se retrouvera dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, autrement dit et au mieux dans un quartier de la prison de Fresnes spécialement aménagé), soit d’une libération sous surveillance de sûreté. Avec des contraintes :
– l’obligation de soins ;
– le placement sous surveillance électronique ;
– des mesures de contrôle par un délégué social ;
– l’interdiction de paraître en certains lieux.
À ce moment, on se dit que MAM peut faire l’économie d’une nouvelle loi, puisque les deux mesures qu’elle veut faire adopter sont déjà prévues dans celle de l’année dernière…
Tout le monde suit bien ? Car ça se complique, et c’est maintenant que cela devient intéressant. Subrepticement, le législateur a prévu qu’une mesure de surveillance de sûreté pouvait se substituer à une mesure de surveillance judiciaire (Art. 723-37).
Donc X, à l’issue de sa période de surveillance judiciaire, pourrait se retrouver sous le coup d’une surveillance de sûreté. Laquelle comme chacun sait est renouvelable chaque année sans limitation dans le temps.
Mais ce n’est pas fini.
Le moindre manquement aux obligations de la surveillance de sûreté (ne pas prendre un médicament, par exemple) entraîne immédiatement la rétention de sûreté. Et ainsi X risque de se retrouver à Fresnes avec Y.
Acte IV : On passe de la théorie à la pratique. Et c’est Martine Herzog-Evans, professeur de droit à Reims, qui nous raconte, dans le Recueil Dalloz (2009 p.2146), l’histoire de M. X, un malade mental condamné à 20 ans de réclusion pour viol aggravé. Au bout de 17 ans, légalement, il est libérable. On s’inquiète : l’individu est toujours considéré comme dangereux et capable de récidiver. Le préfet prend alors une mesure d’hospitalisation d’office et, bien qu’il soit interné, le JAP le place sous surveillance judiciaire. Mais X peut être remis dans la nature sur une simple décision médicale… Que faire ? Finalement, le parquet saisit la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Créteil, laquelle décide d’un placement sous surveillance de sûreté.
Et si X sort de l’hôpital psychiatrique, au moindre manquement à ses obligations, cette surveillance se transformera illico en rétention.
X devient donc le premier « bénéficiaire rétroactif » d’une loi non-rétroactive.
Mme Herzog-Evans appelle ça une « entourloupe juridique ».
Qu’elle se rassure, tout va rentrer dans l’ordre. Le porte-parole de l’Élysée (qui avait dégainé avant MAM) a annoncé qu’un projet de loi prévoit que « le placement sous surveillance de sûreté est possible, non seulement à l’issue d’une surveillance judiciaire ayant elle-même accompagné une libération anticipée mais aussi directement à la sortie de prison de la personne dangereuse ».
Ce qui revient, comme dirait Pascal Clément (voir acte I), à prendre « le risque d’une inconstitutionnalité »…

Je sais bien que la société a le devoir de se protéger de certains criminels particulièrement dangereux, et notamment des criminels sexuels, mais pourquoi utiliser un tel stratagème ? Même si la motivation est compréhensible, nos élus ont-ils le droit de « manipuler » l’esprit de la Constitution* ?
Et pourquoi nous promet-on un projet de loi pour la fin du mois alors que celle de l’année dernière vient juste d’être appliquée pour la première fois !
Cette gesticulation juridique n’abuse personne, car chaque loi nouvelle prise sous le coup de l’émotion populaire démontre l’inefficacité de la loi précédente. Et à chaque fois, le Gouvernement émousse son crédit et les élus du peuple leur prestige.
Politique de la mère Gigogne ou génération parapluie ?
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* Dont le préambule renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui énonce dans son art. 8 : La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.
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