LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Droit (Page 16 of 20)

Le trust, niche fiscale des milliardaires

Tout est bon pour grappiller quelques petits millions d’euros sur le dos du fisc, comme nous le montre l’affaire Bettencourt. Mais dans le catalogue des combines et entourloupes (paradis fiscaux, placements offshore, fondations…) on n’a pas mentionné la martingale à la mode : le trust.

niche-fiscale_site_partenaire-europeen.jpgLe trust n’est ni une personne physique ni une société ni quoi que ce soit. C’est une entité, une réalité abstraite. Un acte par lequel une personne confie ses biens à une autre personne, afin que celle-ci les gère au profit d’une troisième personne, avant de les remettre à une quatrième personne – celle qui, à l’expiration du trust, empoche la mise. Tout cela sous le contrôle éventuel d’un  cinquième larron appelé le « protector ».

Je sais je sais, on n’y comprend rien. Mais c’est exprès. D’autant que cela peut encore se compliquer lorsqu’il y a réunion de plusieurs candidats trusteurs.

Quel avantage, me direz-vous. Eh bien, le principal avantage, c’est que les biens mis en trust n’apparaissent plus dans le patrimoine de leur propriétaire. Puisque juridiquement, il s’en est défait au profit du trust – jusqu’au jour où il les récupérera, lui ou ses héritiers.

Un bon truc le trust, non !

Vous pensez bien que l’administration fiscale s’est intéressée depuis longtemps à ce petit bijou du droit anglo-saxon. Mais elle s’y est plus ou moins cassé les dents. Ainsi, le Tribunal de grande instance de Nanterre a jugé qu’un résident français ne pouvait pas être assujetti à l’ISF pour des revenus provenant d’un trust créé aux USA. Et, en 2007, la Cour de cassation a enfoncé le clou dans un arrêt qui souligne l’intérêt fiscal d’un trust ouvert à l’étranger.

« Il peut donc être utilisé pour planifier une succession, préparer sa retraite, financer une association caritative… ou simplement organiser une séparation temporaire. Ainsi, Sylvio Berlusconi a mis dans un trust ses participations dans des chaînes de télévision italiennes pendant son mandat de Premier ministre », lit-on, dans Money Week. Et de citer l’exemple d’un résident américain, de nationalité française, décédé en France en 1995, dont les héritiers (français) ont encaissé la succession sans verser le moindre centime au fisc. Car le défunt n’étant plus légalement propriétaire des biens, il s’agissait non d’un héritage mais d’une mutation à titre gratuit.

Pour ne pas être en reste, en 2007, la France a créé son propre trust, mais réservé uniquement aux entreprises : la fiducie.

L’article 2011 du Code civil nous en donne cette définition, alambiquée à plaisir : «La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires.»

Bon !

Il s’agissait, a-t-on dit à l’époque, de freiner les délocalisations. Pourtant, l’année dernière, la fiducie s’est ouverte aux personnes physiques.

Pour faire simple, aujourd’hui, beep-beep_site_allo-cine.jpgpour un droit fixe de 125€, chacun peut créer sa fiducie. Encore faut-il avoir quelque chose à mettre dedans. On imagine les avantages sur l’ISF ou les droits de succession… Mais je suis peut-être mauvaise langue : la loi est trop récente pour avoir la moindre idée de ses imbrications fiscales.

En attendant, si Mme Bettencourt avait glissé son île dans un trust de droit anglo-saxon, qui lui est aussi vieux que le monde, les as de la brigade financière auraient pu chercher longtemps à qui elle appartenait, car elle n’aurait appartenu à personne.

Alors pourquoi ses gestionnaires de fortune n’ont-ils pas utilisé ce stratagème ? Je me garderai bien de répéter l’opinion de l’avocat fiscaliste qui a fait l’effort de m’initier à ces techniques…

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Un flic qui se mouille a été lu 56 181 fois et a suscité 62 réactions. Comme le commentaire d’Olivier P., qui se trouvait près du lac Daumesnil, a été malencontreusement effacé, on peut le retrouver ici. Sa vision des événements est moins lyrique que la mienne.

Bettencourt : Les écoutes peuvent-elles servir de preuve ?

Toute la procédure visant l’entourage de la milliardaire, et au passage celui d’un ministre, est basée sur des enregistrements effectués clandestinement. Or, « ces enregistrements constituent d’abord des délits dont celui d’atteinte à l’intimité de la vie privée qui seront poursuivis », déclare le procureur Philippe Courroye dans une interview au Figaro.

espionnage_espion_on_line.jpgFichtre ! Peut-on bâtir une procédure qui vise à déterminer l’existence d’un ou plusieurs délits en utilisant le fruit d’un ou plusieurs délits ? D’autant qu’il ajoute : « Ces pratiques illégales sont une très grave entorse au principe de la loyauté de la preuve. »

Si le procureur chargé des poursuites se pose des questions,  on est en droit de s’en poser également.

Qu’en dit l’antisèche des juristes, autrement dit la jurisprudence ?

Dans une affaire qui opposait un employeur à son salarié, la Cour d’appel d’Agen a jugé que les enregistrements téléphoniques et la retranscription de SMS étaient des procédés déloyaux. Mais, en 2007, la Cour de cassation a estimé que seules les écoutes téléphoniques étaient déloyales, pas  les SMS, car « l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ».

Mais, ce qui est vrai au civil l’est-il au pénal ? Non, car l’article 427 du Code de procédure pénale, nous dit Me Benoît Denis, sur son blog, mentionne que « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve ».

Il semble donc admis que les parties à un procès pénal puissent utiliser ce genre de procédés. Ce qui n’empêche pas, parallèlement, des poursuites pour avoir porté atteinte « à l’intimité de la vie privée d’autrui », délit puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende.

En revanche, les policiers, eux, ne peuvent utiliser les écoutes que lorsqu’elles sont ordonnées par un juge, même si la loi Perben II a écorné ce principe pour la criminalité organisée. Je me souviens de la mésaventure de ce commissaire, dans les années 80, qui avait branché un magnétophone sur son propre téléphone dans l’affaire dite des « fausses grâces médicales de Marseille ». Non seulement la procédure a été cassée, mais il a été poursuivi pour avoir procédé à des écoutes illégales.

Le Figaro nous rapporte que Jean-Paul Belmondo envisagerait de déposer une plainte contre les policiers belges à la suite d’écoutes téléphoniques effectuées sur sa compagne, Barbara Gandolfi. Guère de chances d’aboutir, car il s’agit ici d’une enquête judiciaire, mais… les policiers avaient-ils le droit de lui faire écouter certains enregistrements susceptibles de bousculer sa vie privée, alors que ses proches le disent « en état de fragilité » ?

Je parle de droit moral.

Et les journalistes… Ont-ils le droit (tout court) de mettre en ligne ou de retranscrire des enregistrements effectués au domicile de Mme Bettencourt ?

Si l’on se rappelle qu’il y a actuellement une information judiciaire, et plusieurs personnes mises en examen, à la suite de la diffusion en 2008, par Rue89, des images « off de Sarkozy » (les quelques minutes qui précédaient l’intervention du chef de l’État sur France 3), on peut s’interroger.

En Italie, on soupçonne Berlusconi de sombres arrières pensées lorsqu’il veut limiter l’utilisation des écoutes téléphoniques et leur publication dans la presse, mais, « Voulez-vous une société où, demain, n’importe qui s’arrangera pour faire sonoriser le bureau ou le domicile d’un avocat, d’un chef d’entreprise d’un journaliste, d’un magistrat puis rendra publics ces enregistrements ? » s’interroge le procureur Courroye. 

Alors là, la tête me tourne. Je ne sais plus que penser. Je n’aimerais pas que l’on place chez shadok-probleme_e-atlantidecom.1279873236.jpgmoi des micros et que ma vie privée devienne publique. Mais je n’aimerais pas non plus que l’on empêche les journalistes de faire leur travail, car sans eux, finalement, la démocratie serait mollassonne – et la vie bien plus grise.

Cela dit, si lui-même n’y croit pas, on ne voit pas très bien la suite judiciaire que M. Courroye va pouvoir donner à l’affaire Bettencourt…

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Le droit et la police a été lu 1.233 fois et a suscité 13 commentaires.

Le droit et la police

L’affaire  Bettencourt aura au moins le mérite d’attirer l’attention sur la guéguerre entre certains magistrats, sur le fonctionnement de la justice, et sur celui de la police. Il y a de la passion dans ce dossier, et chacun y va de sa propre interprétation du Code de procédure pénale – moi compris, sans doute. Aussi n’est-il pas inutile dans de telles circonstances d’ouvrir droit-de-la-police.1279609376.jpgun livre comme celui du commissaire principal Hervé Vlamynck : Droit de la police (3e édition – 2010), chez Vuibert, ouvrage qui se situe à mi-chemin entre la théorie et la pratique, et qui est préfacé par l’ancien directeur de la formation de la police nationale, Emile Pérez.

Voici ce qu’il nous dit de l’enquête préliminaire :

« Le pouvoir d’ouvrir une enquête préliminaire et de mener les investigations appartient concurremment à l’officier de police judiciaire, à l’agent de police judiciaire et au procureur de la République (…) Lorsque le parquet donne pour instruction de procéder à une enquête préliminaire, il fixe le délai dans lequel cette enquête doit être effectuée. »

À noter qu’à la différence de l’enquête menée dans le cadre d’une information judiciaire, il n’y a pas ici de délégation de pouvoir. L’enquêteur agit selon les prérogatives de sa fonction.

 « La police judiciaire a la possibilité de mettre directement en œuvre certains pouvoirs coercitifs » (contrôle d’identité, garde à vue, palpation de sécurité, réquisition à manœuvrier et prélèvement génétique).

Pour la garde à vue, le Code impose deux conditions : « La première concerne les nécessités de l’enquête et la deuxième suppose l’existence d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre l’infraction, objet des investigations ». L’OPJ n’a pas à solliciter l’accord de la personne. « Il faut que celle-ci soit à sa disposition (…) Lorsque la personne accepte de l’accompagner, de le suivre ou de déférer à une convocation, (il) peut la placer en garde à vue. »

« Le seul domaine où la personne doit consentir expressément, est celui de la perquisition. »

Si une personne refuse d’accompagner les policiers ou de répondre à une convocation, le procureur de la République peut utiliser des mesures de contrainte (art. 78).

Si une personne refuse une perquisition, c’est le juge des libertés et de la détention qui va intervenir, pour les délits punis d’au moins cinq ans de prison (ce qui, après lecture de l’art. 324-1 du Code pénal, est le cas du blanchiment). Ce même magistrat peut également autoriser l’OPJ à se faire remettre les données des opérateurs de téléphonie, et sans doute (mais ce n’est pas très clair), à procéder à des écoutes téléphoniques. Dans la pratique, l’utilisation d’écoutes administratives, simplifient les choses. Elles ne peuvent cependant être utilisées en procédure.

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Quant à la coopération internationale, elle a profondément évolué ces dernières années. Ses différents organes sont aujourd’hui rassemblés au sein d’une plate-forme commune, le SCCOPOL (section centrale de coopération opérationnelle de police), qui est rattachée à la direction centrale de la PJ. Les échanges d’informations sont monnaie courante, avec, pour la Suisse, commission rogatoire ou pas, cette réticence à répondre à des recherches qui concernent une fraude fiscale.

Une enquête effectuée sur délégation d’un juge d’instruction ne donne guère plus de pouvoir à l’OPJ, et certainement beaucoup plus de contraintes. C’était le fil du billet précédent : une plus grande liberté d’enquête pour la police. D’autant qu’à la brigade financière, les rapports de force sont rarement physiques : on y sort plus souvent son stylo que son calibre.

Bien entendu, l’information judiciaire malmène moins les droits de la défense, puisque les « mis en examen » ont accès au dossier, mais il s’agit là d’un autre débat. À noter, comme le rappelle Péhène dans son commentaire du billet précédent, que le procureur peut très bien donner aux personnes concernées un accès au dossier, comme cela a été fait pour Julien Dray.

D’ailleurs, qui peut affirmer que le procureur Courroye n’ouvrira pas une information judiciaire à l’issue de l’enquête préliminaire ?

Ce qui serait dans l’ordre des choses.

Et dans ce cas, le magistrat qui serait en charge de l’affaire délivrerait des commissions rogatoires à des policiers – probablement les mêmes hommes et les mêmes femmes, avec au-dessus d’eux la même hiérarchie. Je suis de ceux qui réclament la saisine d’un juge d’instruction dans l’enquête Bettencourt, mais juge ou pas, les « techniciens de surface » seront les mêmes.

Bien sûr, on n’est pas obligé de leur faire confiance, mais pour l’instant, à la brigade financière, ils ont fait un sans-faute.

Attention, au nom de la justice, de ne pas se livrer à un procès d’intention.

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Bettencourt : Les policiers ne sont pas des potiches a été lu 10 434 fois et a suscité 37 commentaires. Le billet ci-dessus tente de répondre aux critiques.

Le poisson d’avril de MAM

On sait combien au ministère de la Justice on est respectueux des traditions, mais de là à épingler un poisson d’avril dans un article du Code de procédure pénale, il fallait oser…

Eh bien, c’est fait !

nemo.jpgDans le décret du 1er avril 2010, qui reprend certaines dispositions concernant l’assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE), dans la partie concernant les mineurs, il est dit ceci (art. D. 32-26)  : « En cas d’assignation à résidence avec surveillance électronique au domicile des représentants légaux du mineur, le juge d’instruction spécialement chargé des affaires concernant les mineurs, le juge de l’enquête ou des libertés ou le juge des enfants compétent pour ordonner la mesure recueille préalablement l’accord écrit de ces derniers. »

Petit hic, le juge de l’enquête ou des libertés n’existe pas, sauf dans la tête des gens qui préparent la réforme de la procédure pénale (le titre envisagé dans le pré-rapport est juge d’instruction et des libertés). Les rédacteurs de ce texte ont donc pris un sacré raccourci en institutionnalisant un magistrat aux contours encore imprécis, qui doit en principe venir combler le vide laissé par la suppression du juge d’instruction.

On suppose que les susnommés, et les signataires de ce décret (François Fillon  et Michèle Alliot-Marie), ont voulu parler de l’actuel juge de la détention et des libertés…

Il faut dire que notre législation est tellement ondoyante qu’ils ont bien des excuses, allez ! Le principal, n’est-il pas, c’est qu’il y ait le mot « liberté »…

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A l’intérieur de l’Intérieur a été lu 1 203 fois et a suscité 14 commentaires. Pour le billet du jour, mes remerciements au magistrat qui m’a signalé ce lapsus révélateur. 

Les zigzags du droit

Grossière erreur dans l’affaire des 123 émigrants qui ont débarqué en Corse, ont dit les juges, en annulant la procédure. «  Je veux essayer de clarifier les compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire… », a déclaré le ministre de l’Immigration. Tandis que sur TF1, zigzag_madamebidule.pngle président de la République faisait porter le chapeau au procureur de la République, lequel aurait refusé de les placer en garde à vue.

Il y a quelques mois, à Montreuil, un homme a perdu l’usage d’un œil après avoir reçu une balle de Flash-Ball, lors de la dispersion d’un attroupement. Mission de police judiciaire ou mission de police administrative ?

Dans le domaine judiciaire, il y a une dizaine de jours, les juges d’instruction de Bobigny ont demandé aux policiers que les personnes interpellées bénéficient d’un avocat durant la garde à vue, conformément à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce qu’ils ont refusé.

Et la Cour de cassation doit se prononcer sur la légalité de la garde à vue à la française.

Pas une loi ces temps-ci qui ne soit examinée à la loupe par le Conseil constitutionnel, décortiquée, et parfois retoquée. Il faut dire que son président, Jean-Louis Debré, lui, il connaît le droit, puisque c’est un ancien juge.

Ce qui n’est peut-être pas vrai pour tout le monde. Nul n’est censé ignorer la loi, nous dit-on. Je suppose que cet adage concerne aussi ceux qui la font…

Allez, nous ne sommes pas dupes. À l’approche de la réforme pénale, on se dit qu’il y a un combat d’arrière-garde de la part de certains juges… N’empêche qu’on a une drôle d’impression, celle d’un cafouillage législatif. Si l’on veut appliquer les textes à la lettre, ça coince. Vous savez, c’est un peu comme au volant, celui qui respecte une limitation de vitesse à 30 Km/h se fait aussitôt doubler par des automobilistes furibards, l’index vrillé sur la tempe.

Dans cette « histoire corse », la seule chose évidente, c’est le ridicule de la situation. Au moins, ce ridicule va-t-il profiter à 123 personnes… Entendons-nous bien, devant calimero_kamizole-blog-lemonde.jpgle problème de ces clandestins, je suis comme beaucoup, partagé entre un souci humanitaire et la raison, laquelle nous dit qu’on ne peut accueillir toute la misère du monde. Mais allez M’sieur le Président, pour cette fois, un bon geste…

Enfin, je dis ça… c’est sans doute pas très objectif. Je suis né en banlieue parisienne et je me souviens combien j’ouvrais de grands yeux ahuris lorsque mon père parlait une langue que je ne comprenais pas. Et  que ses copains lui tapaient dans le dos en l’appelant « Papadiamantopoulos ».

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Les policiers ne sont pas des cow-boys a été lu 17.374 fois en 3 jours et a suscité 210 commentaires.

Pic et pioche autour de la garde à vue

Depuis que la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) a mis les pieds dans le plat, déclarant grosso modo que la présence de l’avocat est nécessaire dès la rédaction du premier procès-verbal sérieux, chacun s’en donne à cœur sept-nains_tititendresse_centerblog.jpgjoie dans les récriminations et les jérémiades. Par ordre d’entrée en scène, on a eu les avocats, les syndicats de police, le Premier ministre, la Garde des sceaux (mais du bout des lèvres), et aujourd’hui ce sont les magistrats.

Pour éviter, dans plusieurs affaires, que leur procédure ne soit retoquée par la CEDH, les juges d’instruction du tribunal de Bobigny enjoignent les policiers de faire venir l’avocat des suspects dès le début de la garde à vue.

Aussi sec, les policiers refusent. Ils s’arc-boutent, brandissent le Code de procédure pénale, et refusent tout net d’appliquer ces instructions.

Même sans être versé dans les coups tordus, on comprend bien que ces magistrats n’ont pas agi sans arrière-pensée, et que les policiers, en revanche, semblent avoir foncé tête baissée.

À moins qu’ils n’aient sauté sur l’occasion pour engager un bras de fer avec les juges. Car les heurts ne sont pas rares entre ces derniers et les commissaires de la PP. Comment pourrait-il en être autrement entre des juges qui sont censés être indépendants et une police très centralisée et sous la houlette d’un préfet !

Mais dans cette histoire, qui a raison ?

En 1996, lorsque le directeur de la PJ parisienne, le commissaire Olivier Foll, avait refusé son assistance au juge Eric Halphen pour effectuer une perquisition au domicile des époux Tibéri, il avait été muté à l’Inspection des services, le cimetière des éléphants, comme on l’appelle – qui, vu le nombre de directeurs qui y pantouflaient, n’avait jamais autant mérité son nom que dans ces années-là. Pour se défendre, Foll avait argumenté que le juge ne lui avait pas adressé de réquisition écrite et ne l’avait même pas informé du lieu de la perquisition. L’affaire était allée jusqu’en cassation, et la Cour lui avait donné tort, confirmant la décision antérieure : le commissaire Foll s’était rendu coupable d’un manquement grave à sa fonction.

Une décision compréhensible, car, comme le rappellent les magistrats de Bobigny, les policiers, en tant qu’officiers de police judiciaire, sont placés sous leur autorité directe, et ils ne peuvent recevoir leurs ordres de personne d’autre. Ils sont donc tenus de répondre à leurs diligences.

Mais cette fois, les policiers sont sûrs de leur fait. Ils se reportent à la loi, et refusent d’exécuter des flic_grognon_lessor.jpginstructions qui n’existent pas aujourd’hui dans le Code de procédure pénale. La secrétaire générale du Syndicat des commissaires allant même jusqu’à déclarer que les juges veulent les pousser à la faute et qu’il n’y a pas lieu d’obéir à un ordre illégal. Un vieux principe militaire, rarement appliqué, je dois le dire, au sein de la Grande maison. Ainsi, lorsqu’un Pichon dénonce l’illégalité du fichier STIC, il se retrouve mis en examen et aucun syndicat n’accepte de prendre sa défense.

Pour en revenir à cette fronde qui s’est déroulée il y a quelques jours en Seine-Saint-Denis, pas facile de savoir qui est dans le vrai.

Les juges s’inquiètent à juste titre, car de nombreuses procédures risquent d’être entachées de nullité, au moins partiellement, du fait de la décision de la CEDH, laquelle déclare la garde à vue à la française contraire à la Convention des droits de l’homme. Mais à l’identique, un OPJ qui convierait un avocat hors des créneaux prévus par le Code de procédure pénale* (30 mn dans les 24 premières heures de GAV), ne commettrait-il pas un acte irrégulier et sans doute fautif ? Autre motif de nullité…

Alors ?

En fait, aujourd’hui, les OPJ sont tenus d’agir en conformité avec le Code français et en contradiction avec le droit européen. Situation pour le moins inconfortable, même si la majorité du corps préfère fermer les yeux tant peu de policiers sont disposés à modifier leurs méthodes de travail, et à accepter la présence de l’avocat durant la garde à vue. C’est un peu la politique de l’autruche. Et pour des poulets… Il va bien falloir s’en sortir et avoir le courage de légiférer. Comment un pays qui se targue (à l’excès ?) du principe de précaution pourrait-il accepter que par négligence ou faiblesse des criminels voient demain leur condamnation annulée !? Et je ne suis pas sûr que ce changement puisse attendre la réforme annoncée de la procédure pénale…

Le rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, remis au président de la République en septembre 2009, ne règle d’ailleurs pas vraiment le problème. Il suggère en effet le maintien d’un entretien d’une demi-heure avec l’avocat dès le début de la garde à vue, puis un nouvel entretien au bout de douze heures, avec cette fois un accès aux procès-verbaux d’audition, et enfin la présence de l’avocat en cas de renouvellement.

La CEDH y trouvera-t-elle son compte ? Pas sûr, car ce qu’elle exige, c’est la présence de l’avocat dès l’audition d’un suspect.

En revanche, messieurs les magistrats, ce comité met un point bouc-emissaire_ougen__umourcom.jpgfinal à votre tutelle sur les policiers. Car il annonce carrément la couleur : « Le système actuel qui prévoit que la police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de la république, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction est satisfaisant. Il a toutefois été jugé qu’il serait opportun que la loi précise que les officiers de police judiciaire agissent toujours sous le contrôle de leurs chefs hiérarchiques ».

Enfin, pour les juges d’instruction, ça n’a pas grande importance, puisqu’ils auront disparu.

* Voir les différents billets dans la catégorie garde à vue.
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Les risques liés aux scanners corporels a été lu 37.373 fois en 3 jours et a suscité 74 commentaires – et quelques mails désagréables dans lesquels on me reproche mon incompétence, avec des réflexions du genre « de quoi qui se mêle ! » Mais je persiste et signe. C’est visiblement un sujet qui fâche, mais entre nous, j’adore ça.

Les vigiles ont-ils un droit d'arrestation ?

Après la mort d’un jeune homme interpellé à la suite d’un larcin dans un Carrefour de Lyon, on peut s’interroger sur les pouvoirs dont disposent les vigiles de ces grands magasins.

À la différence des policiers, gendarmes ou autres personnes nommément désignées, les vigiles ne sont ni dépositaires de l’autorité publique brassard-securite_mondedutravail.jpgni chargés d’une mission de service public. Ils ne peuvent intervenir – comme tout citoyen – que selon les termes de l’article 73 du Code de procédure pénale : « Dans le cas d’un crime ou d’un délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche ».

Toutefois, si l’auteur de l’infraction flagrante ne se laisse pas maîtriser, qu’il se rebelle, on ne peut considérer qu’il s’agit d’un acte de rébellion, tel que défini par l’article 433-6 du Code pénal. Raison pour laquelle, dans la pratique, les vigiles se contentent le plus souvent de relever l’identité du suspect ou lui demandent d’attendre l’arrivée des policiers ou des gendarmes. Mais s’il veut s’en aller ? Peuvent-ils utiliser la force ? Eh bien, le Code n’a pas véritablement tranché, se contentant d’indiquer que, dans l’éventualité où des mesures coercitives sont nécessaires, ces mesures doivent être  « proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ». C’est donc le juge qui se prononcera par la suite, et au cas par cas.

Dans le magasin de Lyon, il semble que les caméras de surveillance aient surpris l’homme en train de chaparder des bouteilles de bière. Il était donc l’auteur quasi certain d’un vol (ce que les juristes appellent la théorie de l’apparence), délit puni d’une peine de prison. Le juge devra estimer si les violences utilisées étaient nécessaires et si elles n’étaient pas disproportionnées au regard du préjudice. Ici, la question est vite tranchée, surtout si l’on en croit les déclarations du procureur de la République. De toute façon, entre le vol de quelques canettes de bière et la vie d’un homme…

Mais il faut bien reconnaître que le métier de vigile ne doit pas être facile tous les jours et qu’ils n’ont à l’évidence aucune formation sérieuse pour gérer ce genre de situation. Il n’en est pas de même des policiers – ce qui n’empêche pas, d’ailleurs, de terribles bavures. Comme la mort le mois dernier de Mohamed Boukrourou. Cet homme, qui avait des problèmes arrestation_exercice2_g-moreas.1262333757.jpgcardiaques, aurait succombé par suffocation peu après son arrestation.

Alors, peut-être ne serait-il pas inopportun de rappeler que la cage thoracique d’un homme maintenue contre une surface dure ne peut supporter une compression supérieure à quelques secondes – et faire réviser à certains policiers les techniques d’interpellation ! Et sans arrêt rabâcher qu’une fois privé de liberté, même le plus récalcitrant des suspects, ne doit plus être considéré comme un individu dangereux, mais au contraire comme une personne vulnérable (au sens juridique), et, qu’à ce titre, il doit être protégé par ceux-là même qui l’ont arrêté.

Le flic qui passe ainsi, quasi instantanément, d’un état offensif à un état de protecteur, s’appelle un pro. 

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HADOPI : On verra ça après les élections…   a été lu 3.548 fois en 4 jours et a suscité 25 commentaires, certains assez techniques, et la plupart défavorables à cette nouvelle loi.

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Bonne année à tous !

« Un journaliste digne de ce nom ne donne pas ses sources »

… avait déclaré Nicolas Sarkozy, en janvier 2008, lors de sa première conférence de presse à l’Élysée. Il aura fallu attendre deux ans, mais depuis hier, c’est fait : la loi sur la liberté de la presse, vieille de 128 ans, va être modifiée en ce sens, art.2 : « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information poster-1112-de-lexpostion-sur-la-liberte-dexpression-du-ce.1261469628.jpg ».

Tout n’est pas rose. Il peut toutefois être porté atteinte à ce secret, nous dit le texte, dans le cas d’un « impératif prépondérant d’intérêt public ». Quelques mots qui feront sans doute grincer des dents, car les termes sont assez flous, et certains ne manqueront pas d’y voir les pires intentions. Il est assez rare, c’est vrai, que nos élus montrent tant de circonspection… Pourtant, cette restriction ne semble pas anormale, d’autant que « cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources ».

Le législateur estime même que le simple fait de « chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui […] peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources » est contraire à la loi.

Autrement dit, si je comprends bien, pas question de farfouiller dans son téléphone portable, ou celui d’un ami ou d’un proche, pour tenter d’y découvrir ses informateurs.

Quant aux perquisitions dans les entreprises de presse, elles font l’objet de contraintes juridiques plus importantes que par le passé. Le magistrat doit notamment motiver sa décision par écrit et il « veille à ce que les investigations conduites respectent le libre exercice de la profession de journaliste, ne portent pas atteinte au secret des sources] […] et ne constituent pas un obstacle ou n’entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l’information ».  

De plus, le domicile et le véhicule des journalistes bénéficient de la même protection.

Enfin, s’il peut être entendu comme témoin, comme tout le monde, même sous serment le journaliste n’est pas tenu de révéler l’origine de ses informations. Et, un nouvel alinéa à l’art. 100-5 du Code de procédure pénale prévoit qu’ « à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source… »

Ce qui de fait assure aux journalistes la même protection que les avocats, notamment quant au secret des correspondances.

On peut en déduire que la bonne vieille méthode qui consiste depuis la nuit des temps à « planter un zonzon » sur un journaliste pour tenter de savoir d’où il tient ses tuyaux est définitivement révolue.

Vingt-cinq ans après les écoutes de l’Élysée, c’est quand même un progrès, non !

Le mois dernier, après avoir couvert une conférence de presse donnée par des membres encagoulés du Comité régional des vins, des reporters de France 3 et du Midi Libre ont été longuement entendus dans les locaux de la PJ de Montpellier. On imagine que les policiers auraient bien voulu mettre des visages derrière les masques ! Eh bien, cela ne devrait plus se reproduire. En effet, à quoi bon pressurer un journaliste s’il se retranche derrière la loi !

Qu’on ne s’y trompe pas, cette décision nous concerne tous. Car, sans les journalistes d’investigation, pas d’affaire du sang contaminé, pas d’affaire des diamants de Bokassa, pas d’affaire Clearstream, etc.

Par ailleurs, il est intéressant de noter la définition de ce métier donnée par le législateur : « toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public ».

Contrairement à l’administration fiscale, qui en fait un postulat à lapresse-muselee.1261469897.jpg déduction d’impôts (7 500 € sur les revenus) accordée aux gens de presse, il n’y a donc aucune référence à la possession de la carte de presse. Peut-on en déduire que le blogueur pourrait être assimilé à un journaliste ? Entre nous, pour l’instant, je ne pense qu’il existe beaucoup de blogueurs qui puissent se considérer comme des professionnels, mais un jour ou l’autre, la question pourrait bien se poser.

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Quand Julien Dray se fait gronder par le Procureur a été lu 10.346 fois en 2 jours et a suscité 28 commentaires.

Points de vue sur la garde à vue

Pas une semaine sans qu’on n’en parle, soit pour la dénoncer, soit pour la défendre. Et depuis que le Premier ministre a déclaré qu’il fallait la… « repenser », on peut même dire que c’est devenu une préoccupation au plus haut niveau de l’Etat. Ce n’est pourtant pas une mesure file-dattente_parentheses-atelier.jpgnouvelle, alors pourquoi tout ce remue-ménage autour de la garde à vue ?

On l’a détournée de son objectif pour en faire un outil statistique, nous dit-on. Certes ! Il est d’ailleurs injustifiable qu’une atteinte à l’une de nos libertés essentielles puisse servir à l’avancement d’un fonctionnaire ou au montant de la prime qu’il va encaisser à la fin du mois… La garde à vue alimentaire, c’est de la technocratie à l’état pur. Mais l’explication n’est pas suffisante, car dans les statistiques, les deux colonnes GAV de – de 24 heures et de + de 24 heures, existent depuis très très longtemps.

Non, je crois que la raison est plus profonde. Elle est dans un rapport de force qui s’est peu à peu établi entre le policier et le citoyen. Souvent d’ailleurs, cette mesure est agitée comme une menace – donc comme une sanction. Or, un officier de police judiciaire n’est pas là pour sanctionner, et encore moins pour condamner, mais simplement pour faire respecter la loi et l’ordre public. Ce qui n’est déjà pas si mal. Cette notion de puissance explique sans doute la réaction de certains responsables syndicaux qui n’ont guère apprécié la remarque du chef du gouvernement. Un peu comme s’il avait déclaré vouloir désarmer les policiers.

En fait, de quoi s’agit-il ? De trouver un moyen terme entre le respect de la liberté de chacun, les droits de la défense, et le bon fonctionnement de la police. Et aussi d’éviter les abus d’autorité.

Aujourd’hui chacun y va de son avis.

Ainsi, le bâtonnier de Paris organise ce lundi 7 décembre un débat intitulé « POLICE-JUSTICE : Contrôle ou connivence », avec comme objet, la garde à vue : « l’avocat doit être présent tout au long de sa durée et assister aux interrogatoires ».

Un beau programme, mais un rien utopiste. D’abord, même s’il est le porte-parole de 21 000 avocats, le bâtonnier serait bien en peine de mettre sur pied un système de permanence opérationnel.  Et bon nombre de ses confrères ne seraient sans doute pas très chauds. Ensuite, la garde à vue ne se déroule pas obligatoirement dans un local de police. Et parfois, c’est la course contre la montre : les recherches, les perquisitions, les recoupements, les filatures, les interpellations d’autres suspects, etc. Imaginons un instant l’arrestation d’une équipe de braqueurs… Une douzaine de personnes – et douze avocats ? Il faudrait pousser les murs.

Dans Le Monde du 4 décembre 2009, ce sont de hauts magistrats de la Cour de cassation1 qui s’expriment. Ils appellent, eux, à un habeas corpus à la française, afin de garantir à chacun « les droits à la liberté et un procès équitable ». Sous la plume de ces magistrats d’expérience, ce sont des mots qui pèsent lourd. Mais ils ne nous livrent pas la solution.

Quant au commandant de police Philippe Pichon, connu pour avoir dénoncé les irrégularités du fichier STIC, il monte lui aussi au créneau. Plus pragmatique, dans la revue en ligne ACP2 du 7 décembre 2009 (pas de lien, mais ici, au format pdf), il se livre à une analyse réfléchie  de la garde à vue et propose une ouverture qui mérite qu’on s’y attarde : la création d’un statut de « mis en cause assisté », copié sur celui de « témoin assisté », utilisé parfois par le juge d’instruction, à mi-chemin entre le statut de témoin et celui de mis en examen. La garde à vue resterait une initiative de l’OPJ, mais elle serait appliquée uniquement sur une personne contre laquelle il existe des indices graves et concordants. Dans les autres cas, ce serait donc une mesure moins lourde qui s’appliquerait, sauf en cas de déposition, où la garde à vue redeviendrait obligatoire.

Il a cette formule, qui, me semble-t-il, résume assez bien sa démarche : «  En fait, la garde à vue ne devrait intervenir ni trop tôt ni trop tard. Ni trop tôt parce qu’on ne saurait prendre inconsidérément le risque de nuire à la réputation d’une personne en la plaçant en garde à vue, ni trop tard parce que les droits de la défense ne doivent pas être éludés ».

Pas facile à mettre en application… La preuve, c’est que peu ou prou ce système existe déjà. En effet, contrairement à une idée toute faite, la garde à vue n’est en rien obligatoire. « Le mis en cause3 qui accepte d’être entendu librement ne doit pas l’être nécessairement sous le régime de la garde à vue, même au sortir d’une période de dégrisement (Cass. crim. 8 sept. 2004). » Il y a deux cas dans lesquels la garde à vue est obligatoire : le mandat de recherche et l’utilisation de la contrainte.

Si je peux me permettre d’apporter mon grain de sel, et au risque de passer pour un provocateur, je dirais qu’il ne faut rien changer ou presque à la situation actuelle. En effet, pour reprendre l’exemple du témoin assisté, le Code prévoit  (art. 152) que l’OPJ peut procéder à son audition (s’il est d’accord), en présence de son avocat (sauf s’il renonce expressément à ce droit). Alors, pourquoi ne pas généraliser cette pratique à l’enquête préliminaire et à l’enquête de flagrant délit ?

Ainsi, du moins, les droits de la défense seraient sauvegardés sans pour autant chambouler de fond en comble le travail des enquêteurs.

A noter que, paradoxalement, la présence de l’avocat pourrait donner au procès-verbal du policier un poids encore plus fort, ce qui n’est pas nécessairement le but recherché par la défense…

Il resterait ensuite à déterminer les conditions matérielles de la garde à vue, et surtout à éviter les gardes à vue vachardes ou… alimentaires.

Mais c’est un sujet dont on a déjà débattu sur ce blog.

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1) Jean-Pierre Dintilhac, président de chambre honoraire à la Cour de cassation ; Jean Favard, conseiller honoraire à la Cour de cassation et Roland Kessous, avocat général honoraire à la Cour de cassation.
2) Arpenter le Champ Pénal, revue en ligne ACP n° 168, sous la direction de Pierre-Victor Tournier, criminologue, directeur de recherche au CNRS et enseignant en sociodémographie pénale à l’Université de Paris I.
3) Hervé Vlamynck, Droit de la police, Ed. Vuibert.
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Fier d’être flic a été lu 11.400 fois en 3 jours et a suscité 80 commentaires, certains très intéressants, comme le témoignage de Obligatoire, le 04 décembre 2009 à 20:10, d’autres un peu trop enflammés, ce qui a obligé le modérateur du Monde à intervenir. Mais pour conclure sur un ton plus léger, je ne peux m’empêcher de relever la petite pique de François, le 04 décembre 2009 à 18:36, qui a déniché une faute d’orthographe dans la citation de l’article du règlement de la police, dont voici le lien sur Légifrance. Je suis incapable de dire si c’est lui qui a raison ou le signataire de cet arrêté, un certain Nicolas Sarkozy. Je donne ma langue au chat, comme diraient peut-être les correcteurs du Monde, sur leur blog, Langue sauce piquante…

Témoin sous X : ni indic ni imposteur

« Je demande à tous les témoins (…) de se faire connaître. Ils ont désormais la possibilité de le faire sous X, c’est-à-dire de façon anonyme. » C’était une déclaration du Premier ministre, Dominique de Villepin, en octobre 2006, après l’incendie d’un bus, à Marseille. masques_jeuditfurieux.pngAujourd’hui, dans l’affaire de Tarnac, les avocats remettent en cause la parole du « témoin 42 », et d’une certaine manière, ils nous interrogent : peut-on faire confiance à quelqu’un qui porte des accusations derrière un masque ? Pourtant, sans cette possibilité, les jeunes auteurs de l’incendie de ce bus n’auraient-ils pas bénéficié de la loi du silence ? Et après tout, n’est-il pas normal que la société protège un témoin qui apporte son concours à la justice…

C’est une loi de novembre 2001 qui a ouvert la voie. Le législateur a estimé que les sanctions, même aggravées, contre les auteurs de menaces ou de représailles à l’égard des témoins n’étaient pas une garantie suffisante. Cette possibilité a été reprise l’année suivante, dans la loi Perben, avec l’objectif avoué de délier les langues des résidents des banlieues chaudes. C’est aujourd’hui une possibilité offerte pour les crimes ou les délits dont la peine encourue est au moins de trois ans d’emprisonnement. Lorsque le témoin estime que son audition peut lui faire courir un danger (à lui ou à sa famille), ni son nom ni son adresse n’apparaissent. Système en contradiction avec un principe de notre procédure qui veut que tous les actes soient identifiés : le droit n’apprécie pas l’anonymat.

Comment cela fonctionne-t-il ?

Les articles 706-57 et suivants du Code de procédure pénale fixent les modalités. Dans un premier temps, avec l’accord du procureur ou du juge, la personne demande à déclarer comme domicile l’adresse du commissariat ou de la gendarmerie. Ensuite, le juge des libertés et de la détention est saisi, et c’est lui qui éventuellement accorde l’anonymat. Les coordonnées du témoin sont alors enregistrées sur un procès-verbal à part, qui n’est pas joint à la procédure. L’identité de la personne est donc connue de la justice, mais pas de la défense. À noter que sa révélation (même par la presse !) serait un délit punissable de 5 ans d’emprisonnement.

Toutefois, pour respecter un certain équilibre entre l’accusation et la défense, la personne mise en examen peut demander à être confrontée avec le témoin sous X. Mais il n’y a pas de contact physique. Cette confrontation « en aveugle » a lieu à distance en utilisant les moyens techniques nécessaires pour éviter toute identification. Il en serait de même lors d’un témoignage devant une juridiction. Il est évident que cette possibilité pose problème à la règle d’anonymat, car le jeu des questions-réponses pourrait permettre l’identification du témoin.

Ce système connaît ses limites. D’une part, il remet en cause le principe de la présomption d’innocence : s’il faut protéger le témoin, c’est que le suspect est considéré comme coupable et dangereux. Et d’autre part, il diminue la valeur du témoignage : on ne peut pas condamner sur la seule parole d’un anonyme (art. 706-62).

En droit européen, il pose également problème. La Convention EDH garantit en effet à toute personne poursuivie la possibilité de faire interroger les témoins à charge. Pourtant, à plusieurs reprises, elle a dérogé à ce principe et légitimé le témoignage anonyme, dès lors que le danger pesant sur le témoin se trouvait nettement caractérisé.

Récemment, l’affaire Richard Taxquet a toutefois remis la question à l’ordre du jour. Ce Belge, condamné en janvier 2004 à une peine d’emprisonnement de 20 ans pour assassinat et tentative d’assassinat, contestait l’équité de la procédure pénale pour deux raisons : absence de motivation de la décision de la Cour d’assises et impossibilité d’interroger ou de faire interroger le témoin anonyme.

Et la Cour lui a donné raison. Elle a considéré qu’il y avait eu violation de la Convention, et que Taxquet n’avait pu, à aucun moment de la procédure être confronté au témoin anonyme dont les déclarations avaient pourtant été déterminantes.

Cette affaire n’est pas réglée, puisqu’en juin 2009, le gouvernement belge a fait appel de cette décision en demandant un renvoi devant une « Grande Chambre ».

Que faut-il penser du témoignage sous X ?

Il appartient aux enquêteurs de faire le tri entre les confidences d’un informateur, même occasionnel, et un réel témoignage. L’indic fournit des tuyaux « off », parfois d’ailleurs rémunérés – et il ne doit en aucun cas être mentionné en procédure. Le témoin sous X dépose officiellement, et ses propos engagent sa responsabilité.

Le système français est assez proche des exigences de la Cour européenne, mais malgré tout, c’est la porte ouverte à la suspicion. On peut dire qu’il pénalise la défense, prive les avocats d’arguments, et les incite à décrédibiliser au maximum le témoignage « trop anonyme pour être honnête ».

La banalisation du témoin anonyme serait assurément préjudiciable à une saine justice. On pourrait alors s’approcher de l’appel à la délation. Mais aménagé différemment, et réservé à certaines affaires sensibles (terrorisme, grande criminalité, voire affaires politiques ou/et financières), et en s’orientant plutôt vers une véritable assistance protection-de-temoins.jpgà celui ou à celle qui accepte de prendre des risques, il pourrait devenir un élément solide de notre système judiciaire.

Outre-atlantique, il existe un véritable programme de protection des témoins, avec un budget afférent. Il s’agit d’assurer la protection de la personne avant le procès et ensuite de la prendre en charge : déménagement, changement d’identité, et même soutien psychologique et financier. De cette manière, le témoin apparaît au grand jour, lors du procès. Puis il disparaît. Ce système pourrait-il être importé ? Il faudrait déjà que la justice accélère le pas. Cinq à six ans avant d’être jugé, comme c’est le cas pour Treiber, c’est un peu long. On imagine une protection policière en attente du procès…

Et il faudrait aussi que les Français aient confiance dans la justice (et dans la police) de leur pays.

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La chasse aux belles voitures est ouverte a été lu 44.000 fois en 3 jours et a suscité 63 commentaires.
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