LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Armement (Page 2 of 4)

Le drone, l’arme des crimes d’État

Mercredi dernier, un chef taliban, le mollah Nazir, a été tué par un drone américain. L’affaire n’a pas fait les gros titres. Et pourtant, cet homme a été assassiné par des tirs qui auraient fait au moins une dizaine de victimes. Le lendemain, ce sont quatre autres insurgés qui auraient été abattus. Pour les USA, ces hommes étaient une menace, tandis que pour le Pakistan (leur allié), Maulvi Nazir était plutôt considéré comme un précieux auxiliaire dans leur lutte contre les talibans locaux. Et hier dimanche, ce sont une douzaine de personnes qui auraient été tuées par des missiles tirés depuis des drones américains, faisant au passage de nombreux blessés.

Je suis comme beaucoup, j’ai du mal à comprendre ce qui se passe réellement dans cette région du monde. J’ai l’impression que chacun place ses billes avant le départ de la coalition militaire, l’année prochaine. Pourtant, devant ces assassinats qui s’enchaînent, on doit se rendre à l’évidence : le crime d’État est devenu une banalité.

Et l’arme quasi invisible de ce mécanisme inquiétant est le drone.

Depuis 2004 (le second mandat de George W. Bush), la CIA aurait effectué des centaines de frappes au Pakistan, tuant 2 560 à 3 325 personnes, selon les estimations, dont 474 à 881 civils. « Les drones survolent les populations du nord-ouest vingt-quatre heures sur vingt-quatre, frappent des véhicules, des maisons et des espaces publics sans sommation. Leur présence terrorise les hommes, femmes et enfants, créant un traumatisme psychologique. Les habitants doivent vivre dans la crainte permanente de pouvoir être frappés à tout moment par un bombardement meurtrier, sachant qu’ils n’ont aucun moyen de s’en protéger », peut-on lire dans le rapport d’un groupe d’experts américains cité dans Le Monde. Si l’on compte les autres opérations, notamment au Yémen, en Somalie et aux Philippines, combien de personnes ont ainsi trouvé la mort, alors que ces pays ne sont pas en guerre contre les États-Unis ? De plus en plus de voix s’élèvent d’ailleurs Outre-Atlantique contre ces actions répétées. Sont-elles toutes justifiées ? D’autant que depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, les raids de drones se sont multipliés. C’est aujourd’hui l’un des principaux volets de sa stratégie militaire mondiale.

M. Obama restera peut-être dans l’histoire comme le Prix Nobel de la paix qui a le plus de morts innocents sur la conscience. Car non seulement les dégâts collatéraux sont inévitables, mais en plus, ces assassinats ciblés sont souvent fomentés sur des hypothèses bâties par les services secrets. Des mises à mort sans procès. C’est une guerre d’intellectuels qu’il a déclenchée, disent ses détracteurs. En pointillé, une guerre sans honneur. Durant la récente campagne pour son second mandat, afin de leur couper l’herbe sous les pieds, il s’est plus ou moins engagé à « régulariser » la procédure de ces pratiques meurtrières. Ce à quoi Amnesty international a répondu qu’il n’y avait pas à fixer de nouvelles règles mais à appliquer les règles existantes : les droits de l’homme et les lois humanitaires reconnus internationalement. C’est-à-dire, en langage non châtié, la ligne qui sépare l’action de guerre du crime de guerre. De leur côté, les Nations unies pourraient cette année ouvrir un bureau, à Genève, pour enquêter sur les victimes civiles des attaques par drones. Plusieurs familles de celles-ci auraient d’autre part déposé plainte contre la CIA.

Dans le Courrier International, on peut lire les confidences troublantes de Brandon Bryant, 27 ans, un ancien pilote de drones… Le Predator, un avion délicat et argenté, décrit des huit dans le ciel afghan. À plus de 10 000 kilomètres de là, Brandon est aux commandes. Il attend les instructions. Lorsque l’ordre d’ouvrir le feu tombe, il fixe la cible dans son viseur laser : une étable pour les chèvres. Près de lui, le deuxième pilote actionne alors un joystick. Il reste 16 secondes avant l’impact. Soudain, sur l’écran, un enfant apparaît au coin de la bâtisse. Une lueur. L’explosion.  « On vient de tuer un gamin ? » demande Brandon à son collègue. « Je crois », lui répond celui-ci. Quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, enfermé ailleurs, dans un poste de commandement, intervient alors sur les ondes : « Non, c’était un chien ! »

Lorsque Brandon sort de son conteneur, ce jour-là, sur la base de Creech, au Nevada, à une cinquantaine de kilomètres de Las Vegas, l’Amérique lui paraît sans doute moins belle. Jamais il n’aurait imaginé tuer tant de gens.

Lors d’un récent débat à l’ONU, les représentants de plusieurs pays ont souligné le mauvais exemple donné par la plus grande puissance militaire mondiale. Un engrenage qui pourrait s’avérer ravageur. Car le drone va se « vulgariser ». Que se passera-t-il lorsque les armées des grandes puissances seront toutes dotées de drones de combat ? A l’opposé de la Kalachnikov, arme symbolique des combattants les plus pauvres, le drone pourrait bien devenir le symbole de leur hégémonie.

À ce jour, il semble que l’armée française ne possède que des drones de surveillance. Mais le mois dernier, Dassault Aviation a présenté le Neuron (qu’il faut parait-il écrire nEUROn), un drone de combat de 10 mètres de long et de 12.50 mètres d’envergure issu d’une coopération européenne dans l’industrie de défense. D’ici deux ans, nos militaires seront donc équipés de ces engins. Comment les utiliserons-nous, alors que la France est le pays d’Europe le plus engagé à l’étranger ?  Lors de la campagne de Libye, le général Vincent Tesnière a insisté sur le rôle déterminant des drones américains. « Si on avait eu 30 ou 40 drones armés, on aurait fait ce qu’il y avait à faire », a-t-il déclaré.

On dit d’ailleurs que c’est un drone américain qui aurait repéré Kadhafi lors de sa cavale. Nos alliés dans la coalition ont-ils passé l’information à la France ? Cela pourrait expliquer le mystère qui entoure la mort du dictateur. Mais alors, s’agirait-il d’un crime d’État ?

EADS face à la corruption

La maison mère d’Airbus a bien des soucis. Ce sont les confidences d’un financier déchu, Gianfranco Lande, surnommé le « Madoff de Rome » qui ont mis le feu aux poudres. Par ses déclarations, il a relancé une enquête qui avait été classée sans suite. Une invraisemblable affaire de corruption ; et accessoirement de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. Cela concerne, comme souvent, le marché de l’armement.

En 2003, l’Autriche passe commande de 18 avions de chasse Eurofighter Typhoon pour un montant de deux milliards d’euros.  Cet appareil est fabriqué par un consortium dont EADS est le partenaire majeur. Rapidement, le bruit court que pour arracher ce marché, le constructeur aurait versé d’importants pots-de-vin. Une enquête est ouverte. Elle traîne des années, empuantissant la vie politique du pays, avant d’être classée sans suite en 2011. Et patatras ! Voilà-t-y pas qu’un escroc de stature lui aussi européenne décide avant de partir en prison pour de longues années de manger le morceau. Sans doute une petite vengeance contre des gens qui ne l’ont pas soutenu… « Devant le juge d’instruction, Gianfranco Lande a admis que sa société Vector Aerospace aurait reçu 87 millions d’euros d’EADS, qu’elle aurait ensuite redistribués, notamment en Autriche. Selon le député Vert autrichien Peter Pilz, la corruption porterait, au total, sur 170 millions d’euros », peut-on lire dans la Tribune de Genève. Du coup, l’enquête est repartie. Et cette fois, les enquêteurs semblent avoir des biscuits, suffisamment pour lancer leurs filets et procéder à une série de perquisitions en cascade sur plusieurs sites EADS, en Autriche, en Allemagne et en Suisse. Les soupçons se porteraient sur 13 ou 14 personnes dont plusieurs employés de l’entreprise et un ancien haut dirigeant. En deux mots, le ministère public autrichien soupçonne EADS d’avoir corrompu des personnalités du monde des affaires et de la politique pour obtenir le marché de l’État autrichien. EADS aurait fait remonter l’argent à Londres, entre les mains de Gianfranco Lande, à charge pour lui de le redistribuer aux différents intermédiaires. La plus grosse partie aurait ensuite transité par la Suisse avant d’atterrir dans des paradis fiscaux sur les comptes des lobbyistes. Le reste, environ 10 millions d’euros, serait passé entre les mains d’un porteur de valise, un citoyen allemand chargé de distribuer les petits pourboires.

Si les faits sont confirmés, une question se pose : d’où provient cet argent ? Car évidemment, il ne peut apparaître dans la comptabilité d’EADS, ni dans celle de ses filiales. De là à entrevoir l’existence d’une caisse noire, il n’y a qu’un pas.

Devant cette résurgence d’un scandale que tout le monde croyait éteint, le président exécutif d’EADS, l’Allemand Thomas Enders, dit Tom, qui a succédé au Français Louis Gallois en mai 2012, aurait pris comme un coup de sang. Aussi sec, il a envoyé une missive à tous les dirigeants du groupe dans laquelle il affirme qu’il ne fera preuve d’aucune tolérance envers « des attitudes illégales ou immorales ». Il a également lancé une enquête interne via un célèbre cabinet d’avocats.

Si c’était pour éteindre l’incendie, c’est raté ; sa réaction ne fait hélas que confirmer l’existence de l’énorme magouille. Et, comble de malchance (ou guerre économique?), cela survient alors que le groupe européen postule pour le renouvellement d’une partie de la flotte d’hélicoptères de l’armée américaine.

Arnaud Lagardère, lui, n’a rien dit. Il est pourtant le président du Conseil d’administration d’EADS. Mais il se murmure que le mastodonte européen ne l’intéresse pas. À moins qu’il ne fasse semblant, car le personnage est insaisissable, au point que dans son monde, celui de la finance, on se demande s’il a suffisamment les pieds sur terre pour diriger un groupe de 20.000 personnes. Il se conduit souvent comme un ado provocateur. « Ce gamin de 51 ans ne grandira jamais. Il est atteint du syndrome de Peter Pan… », peut-on lire dans le livre de Jacqueline Rémy, Arnaud Lagardère, l’héritier qui voulait vivre sa vie, qui vient de sortir chez Flammarion.

Dilettantisme ou non, en attendant, au conseil d’administration d’EADS, il représente à la fois ses intérêts et ceux de la France (citation de Thierry Funck-Brentano, cogérant de Lagardère SCA). Même s’il ne détient plus que 7.5 % de capital alors que l’État, lui, en possède 15 %. Mais les choses vont bouger, car l’héritier Lagardère a exprimé clairement son intention de revendre l’intégralité de ses actions. C’est sans doute une coïncidence, mais François Hollande vient justement d’annoncer « un nouveau pacte d’actionnaires pour EADS » afin de préserver l’équilibre franco-allemand et de préparer « les défis du futur ». Ça sonne comme un coup de clairon ! Pour faire plus simple, il s’agit de faire entrer l’État allemand directement dans le capital du groupe pour un montant équivalant au nôtre. Pour cela, nous pourrions revendre environ 3 % de nos actions (#600 millions d’euros). Dans la foulée, il faudra nécessairement nommer de nouveaux administrateurs. Je me demande si M. Montebourg parviendra à chasser du conseil d’administration son ennemi du jour, l’homme d’affaires indien Lakshmi Mittal !

Au passage, pour ceux qui sans cesse fustigent ces salopiauds d’actionnaires, il n’est peut-être pas mauvais de rappeler que l’État possède un portefeuille d’actions bien garni. Un peu plus de 54 milliards, au cours de clôture de la semaine dernière. Un portefeuille qui représente +/- 10 % du CAC 40. Même si ces derniers temps, notre tirelire a sérieusement fondu : une petite quinzaine de milliards en un peu plus d’un an. Et comme antérieurement, les performances étaient tout aussi médiocres, on peut estimer la perte de ces trois dernières années à environ 47 milliards d’euros. Jérôme Kerviel est un petit garçon à côté de ces messieurs de Bercy… Petite compensation, tous les ans, l’État encaisse 3 ou 4 milliards de dividendes.

Actions détenues par l’État (tableau du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie)

Les Américains détiendraient une part importante du capital flottant du groupe européen, mais, sur la liste nominative des actionnaires, c’est notre pays qui est en tête. Pourtant, le pouvoir du Gouvernement se limite à certaines décisions stratégiques et à un simple droit de veto sur les activités nucléaires. Rien de plus. Aussi, dans cette  histoire de corruption, la France ne devrait pas être concernée. Elle ne participe d’ailleurs pas à la construction de l’Eurofighter. Elle lui préfère le Rafale de Dassault. Il n’empêche que dans le domaine des pots-de-vin, nous faisons aussi bien que nos voisins. Comme lors de la vente de deux sous-marins Scorpène à la Malaisie. Une affaire rocambolesque dans laquelle la politique, le sexe et la corruption font bon ménage. Et il faut probablement y ajouter un meurtre, celui du traducteur qui a participé aux négociations. Cette fois, c’est l’entreprise Thalès et la Direction des constructions navales qui sont sous les feux de la rampe. Et deux juges d’instruction planchent pour vérifier les premiers éléments d’une enquête préliminaire qui, selon l’AFP, aurait permis de mettre à jour plusieurs réseaux de commissions occultes. On parle de 114 millions. Un dossier qui présente certaines similitudes avec celui qui vise la vente de sous-marins au Pakistan. Cette affaire qui pourrait être à l’origine de l’attentat à Karachi et de la mort de onze ingénieurs français et dans lequel la justice avance lentement. Il y a quelques jours, c’est le domicile de l’ancien ministre François Léotard qui a fait l’objet d’une perquisition.

En France, le chiffre d’affaires annuel de l’industrie de l’armement est de 15 milliards d’euros, dont le tiers à l’exportation. Nous sommes au quatrième rang des exportateurs mondiaux. Mais pour vendre des armes à l’étranger, il faut l’accord du Gouvernement. Les fabricants doivent donc composer avec l’État exportateur et l’État importateur. Cette connivence entre le monde des affaires et le monde politique est un véritable appel aux tripatouillages. Pour tenter d’y remédier, il existe une directive européenne qui permet d’exporter librement du matériel d’armement au sein de l’Europe et de n’en rendre compte qu’a posteriori. La France l’a mise en application l’année dernière. Mais le problème reste entier au-delà des frontières européennes.

On peut donc penser que les margoulins sont toujours à l’affût. C’est sans doute pour cela qu’il y aura toujours une guerre quelque part.

Bon anniversaire, Monsieur Kalachnikov !

En ce 10 novembre, il fête ses 93 ans. Il était tout jeunot lorsqu’il a inventé le fusil-mitrailleur qui va symboliser une époque. L’arme de toutes les révolutions. Que l’on retrouve aujourd’hui chez nous, dans les guéguerres des cités.

L’histoire de Mikhaïl Timofeïevitch Kalachnikov ne démarre pas sur les bancs de l’école. Né le 10 novembre 1919, près de la frontière chinoise, d’une famille paysanne, il est le 17e d’une fratrie de 19 (Wikipédia). Pour le régime communiste, son père est un koulak. Autrement dit un paysan qui se serait enrichi sur le dos des travailleurs. Lui et sa famille sont déportés en Sibérie. Mikhaïl a 11 ans. Il voit mourir ses frères et ses sœurs. Sept seulement ont survécu. À 15 ans, il s’évade. Repris deux ans plus tard, il s’évade de nouveau. Il se fait alors embaucher dans un atelier des chemins de fer et se découvre une véritable passion pour la mécanique. À 19 ans il dépose son premier brevet : un dispositif pour mesurer le kilométrage et la consommation des véhicules, juste avant de partir pour remplir ses obligations militaires. Il est affecté dans les chars. Lors de son stage de formation, il impressionne ses instructeurs par l’effervescence de ses idées. Dès qu’il découvre un nouvel outil, un nouveau dispositif…, il cherche à améliorer son fonctionnement. Comme il le fit avec le Tokarev T33. Un pistolet qui restera en dotation dans la police et dans l’armée jusqu’aux années 60.

Mais le 22 juin 1941, c’est l’opération Barbarossa : la Wehrmacht envahit l’URSS. Lors de la bataille de Briansk, destinée à stopper l’avancée allemande vers Moscou, Mikhaïl Kalachnikov est grièvement blessé. Son séjour à l’hôpital lui sera profitable. En effet, les soldats se plaignent de la supériorité de l’armement des forces allemandes. Ils le trouvent bien supérieur à celui de l’Armée rouge. Ce qui titille Mikhaïl. C’est ainsi que lui vient l’idée de créer une arme automatique. Il effectue de nombreuses esquisses sur son lit d’hôpital. À sa sortie, convalescent, il rejoint son ancien atelier aux chemins de fer et se met à bricoler un truc qui ressemble à un fusil d’assaut, même si le terme n’existe pas encore. À l’époque, au mieux, les militaires possèdent des fusils semi-automatiques. Dans les troupes françaises, le fusil Lebel, dont l’invention remonte à 1886, est encore largement utilisé, même s’il est peu à peu remplacé par le MAS 36. Une fois son arme conçue, Mikhaïl ne sait pas trop quoi en faire. À qui la présenter ? Il se rend au commissariat et… il est arrêté pour détention d’arme. Ce sont ses compagnons du Komsomol (les Jeunesses communistes) qui le font libérer. Il est alors convoqué au Parti où un dirigeant lui dit que ce qu’il a fait était bien « même si ton arme n’est pas très belle ». Et il l’expédie faire des études à l’Université. En 1942, Mikhaïl créé un deuxième prototype, plus proche du modèle final, aujourd’hui exposé au musée de Saint-Pétersbourg – et il épouse la dessinatrice industrielle qui l’accompagne dans ses recherches.

L’arme n’a été officiellement déposée qu’en 1947 (son nom officiel est Avtomat Kalachnikova 1947 ou AK-47).

L’AK-47 est conçu pour durer. Et du coup, quelles que soient les conditions (marécages, sable…), il ne s’enraye jamais. C’est cette simplicité et sa robustesse légendaire qui en ont fait l’arme des pauvres. Et sa beauté vient de son succès. Mais rien ne laissait supposer que la kalache deviendrait une star mondiale…

C’est le fusil préféré des guérilleros. « Je suis très fier qu’il soit devenu pour beaucoup symbole de liberté », dit Mikhaïl Kalachnikov. Pas une révolution, pas une rébellion sans des images de combattants agitant leur kalache. Elle était aux premières loges de la révolution libyenne, comme c’est le cas aujourd’hui en Syrie ou au sein des Forces armées révolutionnaires de Colombie. On dit, après le deuxième conflit irakien, que les Américains ont négligé (volontairement ou non) de détruire les importants stocks de kalachnikovs constitués par Saddam Hussein. Ce sont des millions de kalaches qui se seraient évaporées dans la nature. Cette arme est chargée de symbole même pour les grands de ce monde. Ainsi, Salvador Allende se serait suicidé avec l’AK-47 que lui avait offert Fidel Castro et qui portait la dédicace : « À mon ami Allende, de la part de Fidel, qui essaye par des moyens différents d’atteindre les mêmes buts ».

Le modèle actuel de ce fusil d’assaut est l’AK-74. Il est toujours fabriqué dans la même usine, laquelle est sous contrat avec le gouvernement russe. Mais les choses pourraient évoluer, car, si l’AK s’est illustré dans de nombreux conflits, il a fait son temps. Ce que personne n’ose trop dire à son inventeur de crainte de lui faire de la peine. Il est vaguement question d’un nouveau modèle, l’AK-12 (pour 2012), mais l’usine Ismash, à Ijevsk, dans l’Oural, qui fabrique cette arme depuis toujours, serait au bord du dépôt de bilan (son sort semble lié au succès de la nouvelle voiture « low cost », la Lada Granta, dont elle assure la production). D’autant que l’armée russe, d’après un expert, possède un stock d’armes légères « suffisant pour mener plusieurs guerres mondiales ».

Alors que l’inventeur du fusil américain M16 percevait un dollar sur chaque arme qui sortait de l’usine, Mikhaïl Kalachnikov dit, non sans malice, qu’il n’a jamais touché un kopeck de royaltie sur son invention. En revanche, il a été comblé d’honneurs. C’est l’homme le plus décoré de Russie. Il a été fait général en 1994. Et il est devenu une légende.

Monsieur Kalachnikov aime à se raconter, ce qu’il a d’ailleurs fait dans un livre, Ma vie en rafales, sorti au Seuil en 2003. Et même si l’on peut hésiter à montrer de l’admiration pour l’inventeur d’une arme de guerre, on a du mal à ne pas trouver le personnage sympathique. Surtout lorsqu’il confesse : « J’aurais préféré inventer une chose plus utile, par exemple une tondeuse à gazon… »

Quadruple meurtre de Chevaline : l’arme du crime

La publication par Le Monde d’éléments provenant des constatations effectuées sur la scène de crime a semé un malaise au sein de la gendarmerie nationale. Au point, d’après Le Figaro, que le lieutenant-colonel qui dirige l’enquête s’est fendu d’un communiqué à l’AFP qui met indirectement en doute l’authenticité du reportage.

Comme il n’est pas dans les habitudes du Monde de « bidonner », on peut penser que cette fuite va nécessairement donner lieu à une enquête interne.

Pour être franc, le plan de com’ de la gendarmerie nationale et du parquet d’Annecy, surtout au début de l’affaire, en a surpris plus d’un.  Mais ce flot d’informations était sans doute destiné à éviter tout clash avec nos voisins d’Outre-manche, comme cela avait été le cas pour les Portugais, lors de la disparition de la petite Maddie. Les deux juges d’instruction sont beaucoup plus discrets.

En tout cas, dans de récentes déclarations, le procureur Éric Maillaud souligne « l’absence de conviction personnelle » des enquêteurs français et britanniques. Ce qui laisse peu de doutes sur l’avancée de l’enquête : on est dans le fog.

Et même le formidable travail « technique » qui a permis de reconstituer en partie la scène de crime ne fait guère avancer les choses. On ne sait même pas quelle a été la première cible du tueur.

En fait, il semble bien que les seuls éléments concrets sur lesquels les enquêteurs peuvent s’appuyer sont les balles extraites du corps des victimes, les balles perdues et les douilles.

Après étude de ces pièces à conviction, les spécialistes seraient arrivés à la conclusion que l’arme utilisée est un pistolet automatique Parabellum Luger de calibre 7,65. Une arme qui a été en dotation dans l’armée suisse – et qui a une histoire…

À la fin du XIXe siècle, l’Autrichien Georg Luger développe une nouvelle arme de poing : le pistolet automatique Parabellum (du latin : prépare la guerre – dans l’expression Si tu veux la paix, prépare la guerre). Une arme à la forme caractéristique par sa culasse « à genouillère » et qui est devenue une sorte de mythe de l’arme de poing. Au point que le mot Parabellum est rapidement devenu synonyme de pistolet automatique. Chambré pour des munitions de 7,65 x 21 mm Para, il est adopté par l’armée allemande en 1908, mais au calibre 9 mm, sous le sigle P08 (pour Pistole 1908, l’année de l’homologation par l’armée). Tandis que l’armée suisse préférait conserver le calibre initial. Je suppose, mais je n’en suis pas sûr, que cette arme a été enregistrée en Allemagne en 1906, d’où P06. Toutefois, la commande effectuée par la Suisse est bien antérieure à cette date. Elle a d’ailleurs été la première nation à adopter le Parabellum 7,65 comme arme de poing réglementaire.

À partir de 1929, ce PA a été fabriqué à Berne. Il y en a eu 27 941 exemplaires pour les besoins de l’armée helvétique et 1 916 pour des civils. Ces derniers portent la lettre P devant le numéro de série (d’après Les armes à feu modernes, aux éditions Denoël, 1975). Il existe un marché restreint parmi les collectionneurs. On peut voir ici une vidéo d’une annonce concernant une arme de ce type (photo) vendue avec deux chargeurs au prix de 1 400 euros.

Ce pistolet a une capacité de huit cartouches. Comme les enquêteurs ont récupéré 25 étuis (ou douilles) on peut donc en déduire que le tireur possédait trois chargeurs et qu’il avait en plus une balle engagée dans le canon. Auquel cas il y a eu trois salves lors de la tuerie de Chevaline, chacune espacée de plusieurs secondes.

Toutefois, sauf dans les films, il est peu courant de se balader avec un pistolet et trois chargeurs. Si l’on retient l’hypothèse que le tueur n’en possédait que deux, cela signifie qu’il a dû réapprovisionner. Pour garnir un chargeur il faut d’abord l’éjecter, puis poser son arme pour libérer sa deuxième main, et, enfin, récupérer des cartouches pour les glisser dedans. Une opération délicate (il faut comprimer le ressort du chargeur) qui peut prendre plusieurs dizaines de secondes… Ensuite, on met le chargeur à poste et on actionne la culasse. Cela suppose que durant cette manipulation, à Chevaline, toutes les victimes étaient mortes, blessées ou tétanisées. En tout cas, incapables de prendre la fuite. Une fois son arme rechargée, on peut alors imaginer que l’assassin a fait le tour de « sa » scène de crime pour administrer à chacun le coup de grâce.

Plaquette de crosse avec son marquage

Ce qui conforte cette hypothèse, ce sont les fragments du pistolet retrouvés près du corps du cycliste. Probablement des morceaux d’une plaquette de crosse, la partie la plus fragile. Car pour regarnir son chargeur, lorsque l’on ne possède pas d’étui, il est presque naturel de glisser son arme sous son coude en la plaquant contre son corps. Un bon moyen de la faire tomber. Surtout dans une situation de stress, où il est parfois difficile de contrôler ses gestes.

Mais il y avait peut-être trois chargeurs…  En tout cas, cela ne permet pas de déterminer l’ordre dans lequel les personnes ont été abattues. Est-ce le cycliste, Sylvain Mollier qui a été la première victime ? Et alors pourquoi ? Pour rien, si l’on retient l’éventualité d’un tueur fou.  Et il en est peut-être de même pour Saad al-Hilli et sa famille. Mais il faut reconnaître que la piste Saddam Hussein est plus exaltante. L’argent du compte en Suisse, avait laissé entendre un avocat de la famille, au début de l’enquête, ne provient pas de Saddam Hussein mais trouverait son origine dans les commissions liées à l’affaire Pétrole contre nourriture. Une information relayée aujourd’hui par un journal allemand. Cette affaire date de l’époque où l’embargo contre l’Irak avait été adouci par souci humanitaire – et aussi pour récupérer quelques barils de pétrole. Mais pour obtenir le feu vert de l’ONU, les entreprises qui voulaient faire du business avec l’Irak devaient d’abord obtenir l’accord de leur  gouvernement. D’où un lobbying qui aurait donné lieu à de substantielles commissions occultes allégrement empochées par des hommes politiques malhonnêtes. Et un système de surfacturation qui aurait engraissé pas mal d’entreprises. Dans ce dossier, la France et la Suisse sont aux premières loges. Une affaire qui, pour le volet français, devrait bientôt recevoir une réponse judiciaire.

C’est un beau roman. Mais dans une enquête criminelle, il faut garder les pieds sur terre… Et le plus concret, sans doute, concerne les recherches sur l’arme et les cartouches utilisées. Les 7.65 Para sont devenues des munitions assez rares. Elles doivent se vendre au compte-gouttes. En France, sauf cas particuliers, seuls les chasseurs, les tireurs sportifs et les collectionneurs (avec la nouvelle loi) peuvent acheter et/ou détenir des armes et des munitions.

Une affaire où tout est possible, a dit le procureur Maillaud, un rien défaitiste, en rappelant l’échec de l’enquête sur la disparition du docteur Godard et de sa famille. On espère plutôt que les enquêteurs gardent des atouts dans leur manche, comme des fragments d’empreintes digitales ou des traces ADN qu’ils auraient pu récupérer sur les douilles. Des traces qui, par comparaison, pourraient au moins servir à confondre un suspect. Encore faut-il trouver un suspect !

Marseille : vous avez dit guerre des gangs ?

Marseille est-elle à feu et à sang ? Non, a répondu le préfet délégué Alain Gardère sur l’antenne de RTL, c’est plutôt « une ville paisible ». Les habitants de l’agglomération ne seront sans doute pas tous d’accord, mais il est vrai que ce focus permanent sur la cité phocéenne donne une vision tronquée de la réalité.

Coupure de presse du 1er septembre 1989

En fait, on pourrait dire « rien de nouveau » : cela fait plus de 30 ans que Marseille est au hit-parade des règlements de comptes. Ainsi, en 1982, 67 affaires de ce type ont été recensées sur l’ensemble du territoire, dont plus du tiers sur le seul ressort du service de police judiciaire de Marseille (15 homicides et 15 tentatives d’homicide). En décembre 1985, Le Figaro, qui a fait deux pages sur le sujet hier, me citait : « L’explosion de la violence dans les rangs du grand banditisme est un phénomène indéniable ». Une remarque sans aucun intérêt, que je reprends uniquement pour montrer que l’histoire du banditisme bégaie. Et moi aussi. Mais je ne suis pas le seul : on retrouve à peu près les mêmes mots dans la presse de ces derniers jours.

Alors, pour Marseille, l’année 2012 sera-t-elle pire que 1982 ? On s’en approche. Mais on n’est pas dans un match de foot, et il est un peu ridicule de compter les morts. Il est plus positif de tenter de comprendre.

Il y a trente ans, les truands étaient plus âgés, plus structurés qu’aujourd’hui. La plupart étaient issus des milieux pauvres, mais dès qu’ils le pouvaient, ils s’en échappaient pour les beaux quartiers. Ils avaient alors pignon sur rue : bars, salles de jeux, sociétés en tous genres… Il était donc plus facile de les surveiller. C’était un milieu que la police pouvait pénétrer, même si quelques poulets s’y sont brûlé les ailes. Comme aujourd’hui, les clans éliminaient la concurrence ou ceux qui leur « avaient manqué », ou les jeunots qui venaient marcher sur leurs plates-bandes. Une bonne partie de ces meurtres ne rentraient d’ailleurs pas dans les statistiques pour la bonne raison que l’on ne retrouvait pas toujours les corps.

À l’époque, les voyous ne se servaient pas de la mythique Kalachnikov. Non, les truands préféraient le pistolet 11,43 ou encore le fusil à pompe, sans doute impressionnés par la puissance de feu (exagérée) de Steve Mac Queen dans le film Guet-apens. À la question d’un sénateur qui interpellait le ministre de l’Intérieur sur l’augmentation du nombre de saisies de kalaches (+113% en un an), Manuel Valls a répondu (JO du 30 août 2012) que le nombre d’armes de guerre récupérées par les services de police et de gendarmerie, toutes catégories confondues, était passé de 90 en 2010 à 165 en 2011. Il ne donnait pas de chiffres pour l’AK 47, mais estimait que « cet armement reste difficile à acquérir et peu répandu ». A-t-il raison ? Oui, car si l’on s’en tient au département des Bouches-du-Rhône, sur 265 armes d’épaule saisies en 2011, il n’y avait que 22 Kalachnikov (8 en 2010). Sur un total de 534 armes récupérées durant l’année (près de 4000 au plan national). Pour la petite histoire, on estime à environ cent millions le nombre de kalaches qui circulent sur la planète. Comme quoi, il faut se méfier des pourcentages – et surtout de l’effet loupe des médias.

Lors de sa réponse au sénateur, le ministre de l’Intérieur a également rappelé que « les travaux réglementaires de mise en application de la loi [du 6 mars 2012] sur le contrôle des armes font l’objet de la plus grande attention ». C’est le moins que l’on puisse dire, car, de mémoire, la proposition de loi remonte au mois d’avril 2010. En réalité, cela n’a guère d’importance : les voyous se soucient peu de la loi. Et même la justice réagit parfois bizarrement dans son application. Ainsi, il n’y a pas longtemps, un homme a été trouvé en possession d’un AK 47, d’un fusil à pompe et d’un pistolet 9 mm : les enquêteurs ont dû insister lourdement pour que le délinquant soit présenté à un juge. Il n’a d’ailleurs pas été incarcéré, mais placé sous contrôle judiciaire. Cette mansuétude, même si elle s’appuie sur de bonnes raisons juridiques, n’est certainement pas un bon message. C’est même peut-être un mauvais service rendu à l’intéressé.

Une quinzaine de règlements de comptes depuis le début de l’année, cela vaut-il la peine d’envoyer l’armée ? La sénatrice socialiste Samia Ghali a sans doute cédé à son exaspération, car la réponse se trouve dans notre constitution. Pour que l’armée dispose de pouvoirs de police, il faut que le Conseil des ministres et le Président de la République décrètent l’état de siège. Ce qui n’a jamais été fait sous la Ve République. La réponse de Manuel Valls a été d’une grande limpidité : « Il n’y a pas d’ennemi intérieur ». Autrement dit, les policiers ne font pas la guerre aux délinquants. Un langage que l’on n’avait pas entendu depuis longtemps.

Steve Mac Queen dans le film Guet-apens (capture d'écran)

Alors, si on n’envoie pas l’armée, on fait quoi ? Il faut d’abord s’interroger sur l’enjeu de ces règlements de comptes entre voyous : la concurrence pour le trafic de stups, l’exemplarité et l’argent. Tout cet argent liquide qu’il faut sortir de sa planque pour le blanchir. Ce qui entraîne, on s’en doute, pas mal de tentations. Et dans ce drôle de monde, les arnaques se paient cash. Le petit blanchissage, via des restos, des cafés, des pizzas…, c’est sans doute là le talon d’Achille de ces truands qui savent faire parler la poudre mais qui ne l’ont pas inventée. Il semble de bon augure que Pierre Moscovici participe au comité interministériel « sur Marseille » qui doit se réunir le 6 septembre autour du Premier ministre. Le ministre des Finances a sans doute un rôle important à jouer. Mais il ne sera pas facile d’inciter les agents du fisc à repérer ceux qui paient trop d’impôts. C’est contre-nature.

Et puisque l’on sait que les produits stupéfiants sont en grande partie responsables de ces règlements de comptes, quitte à passer aux yeux de Mme Ghali pour un « pseudo-gaucho-intello-bobo », je reste persuadé qu’il faut sécher le problème à la base. Et je ne vois pas le mal que l’on se fait à y réfléchir. D’autant que nous sommes nombreux, sans doute, à nous demander comment on peut installer des « salles de consommation à moindre risque » pour les drogues injectables (d’une certaine manière, on dépénalise) et refuser systématiquement toute avancée pour la drogue la plus consommée en France : le cannabis.

Usage des armes dans la police : vers un meilleur encadrement

Il n’y aura pas de présomption de légitime défense pour les policiers mais probablement un codicille aux textes en vigueur afin de mieux encadrer les situations dans lesquelles ils peuvent faire usage de leur arme. Un peu comme cela a été fait l’année dernière dans l’hypothèse où un attroupement devrait être dispersé par la force.

C’est du moins ce que l’on peut déduire des propositions de la « mission indépendante de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et gendarmes » dont la mise en place avait été annoncée par Manuel Valls lors de l’un de ses premiers déplacements en tant que ministre de l’Intérieur. Il s’agissait alors d’étouffer la colère des policiers après la mise en examen de l’un d’eux pour homicide volontaire dans l’affaire de Noisy-le-Sec.

« En encadrant l’usage des armes, on en consacre l’existence et on répond d’une certaine manière – autrement que par les propositions que nous avons écartées [Note : la présomption de légitime défense] – à une attente », estime le conseiller d’État Mattias Guyomar dans son rapport remis vendredi dernier au ministre.

Je dois avouer que je trouve l’idée d’encadrer l’usage des armes pour en consacrer l’existence assez sibylline. Le rapporteur parle de « codifier la jurisprudence du code pénal »… Mais comment prévoir à l’avance les circonstances d’une intervention de police alors que celles qui posent problème sont justement les plus imprévues… S’agit-il d’énumérer les cas dans lesquels le policier peut faire usage de son arme ? Attention à ne pas ouvrir la boîte de(s) Pandore(s) ! Et puis, ce serait oublier une chose qui ne peut s’expliquer : la peur, tout simplement. La peur d’être tué et la peur de tuer. Dans le drame de Noisy-le-Sec, le gardien de la paix a-t-il cédé à un tir panique ? Cette peur, souvent non avouée, c’est le fossé qui sépare le juge du policier.

Définir les conditions d’utilisation des armes lors d’une interpellation, serait d’autant plus curieux, qu’en flagrant délit, le policier ne possède aucun pouvoir particulier. Il agit comme pourrait le faire tout citoyen, dans le cadre de l’art. 73 du CPP.

Je trouve le Conseiller plus intéressant lorsqu’il outrepasse sa mission pour réfléchir à l’utilisation des armes dites à létalité réduite, celles que l’on classe dans la catégorie des moyens intermédiaires de défense. Il est vrai, par exemple, qu’entre le premier Flash-Ball, arme essentiellement dissuasive, presque de contact, et le lanceur de balles suisse à visée électronique actuellement en dotation, il y a tout un monde. Et il ne serait pas idiot de mieux adapter leur utilisation aux missions, plutôt que de faire la surenchère à la puissance.

Pas question dans ce rapport d’aligner les policiers sur les gendarmes – ou le contraire. Statu quo. Les gendarmes continueront donc à bénéficier – dans certaines circonstances – de la possibilité de tirer après sommations. Pour justifier cette possibilité de tuer, on met en avant leur statut militaire. Ce qui n’a évidemment pas beaucoup de sens, puisque la plupart des missions de la gendarmerie sont identiques à celles de la police nationale. Là, je crois qu’on est plutôt dans le ni-ni. Rappelons pour les auteurs de polars qui candidatent au Prix du Quai des Orfèvres, que le policier ne fait pas de sommations. Il ne peut par exemple tirer sur un délinquant qui s’enfuit, qu’il soit à pied ou en voiture. Tout au plus pourrait-on tolérer un tir d’avertissement…

Mais parmi les 27 propositions de ce rapport, il y en a une qui est très appréciée : l’extension de la protection fonctionnelle. D’après l’agence d’informations spécialisées aef-info, en 2011, elle aurait été actionnée 20 289 fois pour les policiers (j’ai du mal à croire ce chiffre) et 500 fois pour les gendarmes. Mais en l’état, elle est loin de donner satisfaction. Si cette recommandation était suivie d’effet, le policier ou le gendarme mis en cause par la justice dans l’exercice de ses fonctions devrait bénéficier d’une protection juridique plus étendue et, surtout,  il devrait se voir garantie la continuité de ses ressources. Éventuellement en faisant l’objet d’un reclassement provisoire dans une autre administration. Alors qu’aujourd’hui, un policier mis en cause par la justice peut du jour au lendemain être interdit d’exercer son métier par le juge d’instruction ou suspendu par l’autorité administrative. Et si le plus souvent il continue à percevoir son traitement (du moins dans un premier temps), celui-ci est sérieusement amputé. Grosso modo réduit de moitié. De plus, en tant que fonctionnaire, il n‘est pas autorisé à avoir une autre activité salariée. De nombreux policiers ont très mal vécu cette expérience où ils tournent en rond, désœuvrés, à tirer le diable par la queue, et souvent seuls, car coupés de leurs collègues, de leurs amis. Comme soutien psychologique, peut mieux faire.

Cette évolution très importante dans la protection matérielle nécessiterait de modifier le statut de la fonction publique (de la défense, pour les gendarmes), et devrait donc profiter à l’ensemble des fonctionnaires. On ne voit pas en effet comment, sous un quinquennat placé sous le signe de la justice pour tous, on pourrait faire une différence entre les agents publics, selon qu’ils seraient rattachés à tel ou tel ministère.

Le livre des armes dans la police

Même s’ils préfèrent ne pas en parler, les policiers entretiennent souvent une relation particulière avec leur arme. Pour Dominique Noël, commandant de police, la question ne se pose pas : c’est un passionné, un collectionneur, un technicien et… un fin tireur qui a gagné par deux fois le prestigieux challenge national de la PJ en équipe. Cet instructeur de tir vient de sortir un livre bourré de photos et d’illustrations qui nous retrace la petite histoire des armes dans la police.

On y découvre ainsi qu’à leur création, les brigades mobiles de Clemenceau, comptent une seule arme pour sept hommes, le fameux revolver d’ordonnance modèle 1892, qui avait la particularité de ne pas faire de fumée. Un revolver écolo, en quelque sorte. Il faudra attendre les exploits criminels de la bande à Bonnot, en 1911, pour que chaque « mobilard » soit doté d’une arme individuelle. Du moins sur le papier, car les finances ne suivent pas. Ainsi, en 1921, il est mentionné dans un rapport que « la situation budgétaire actuelle ne peut malheureusement permettre de couvrir les dépenses très élevées qu’entraînerait l’acquisition des revolvers et des cartouches nécessaires pour armer l’effectif total des brigades… » En fait, les crédits permettent tout au plus l’achat de 2 ou 3 revolvers par brigade. D’où cette idée de génie du ministre de l’Intérieur (qu’en ces temps de disette revenue, je permets de souffler à M. Valls), il propose aux policiers d’acheter leur arme et leurs munitions. Et beaucoup sont d’accord. Ainsi, sur les 22 policiers que compte la brigade de Montpellier, 14 se portent acquéreurs d’un revolver et de 600 cartouches. Ce manque de moyens n’a d’ailleurs pas empêché les brigades du Tigre d’avoir des succès retentissants. Et Paris n’est guère mieux loti.  En 1912, seulement 250 inspecteurs sont équipés de pistolets automatiques. Le fameux Browning 1900, de calibre 7,65, que le catalogue Manu décrit comme « élégant, d’une bonne prise en main avec un pointage naturel, son chien automatiquement réarmé à chaque coup lui valant des départs très doux… Il permet un tir très rapide et soutenu grâce à son alimentation par chargeurs… ». L’ancêtre des pistolets d’aujourd’hui. Une invention de l’américain John Moses Browning. Pourra-t-on  l’acquérir librement en application de la loi du 6 mars 2012 qui va faciliter la vie aux collectionneurs ? Deux conditions pour qu’une arme soit considérée comme une arme de collection : une fabrication avant 1900 et un calibre déclassé – ce qui n’est pas le cas du 7,65. Mais de toutes façons, sauf erreur de ma part, le décret d’application n’est pas paru.

Dans ce livre, Les armes de la police nationale de l’Ancien Régime à nos jours (Histoire et Collections), on découvre l’évolution de l’armement en fonction des problèmes de sécurité liés aux différentes périodes. Rien de nouveau. La plus grande partie de l’ouvrage est néanmoins consacrée aux armes modernes, létales ou non. Et, bien sûr, le fameux pistolet SIG SP 2022 (2022, c’est sa date de péremption, un peu comme les yaourts), y tient la vedette. Mais à la lecture, en s’approchant de notre époque, on voit que les choses s’accélèrent et qu’il existe aujourd’hui une véritable prospection dans ce domaine, comme une quête impossible : l’arme capable de sauver une vie sans en prendre une.

Dominique Noël est aujourd’hui réserviste. Il est directeur technique d’un club de tir privé et instructeur-chef du Centre de tir de Paris et de la police nationale, le stand Foch, comme on l’appelle, dirigé depuis très longtemps par Raymond Sasia. Lequel a préfacé son livre. Pour mémoire, cet ancien gorille du général de Gaulle a profondément modifié l’entraînement des policiers, notamment avec sa méthode (parfois controversée) du tir rapide. Des milliers de flics ont été marqués par la répétition à plus soif des séances de « sortie d’arme », la fameuse « prière », sur le pas de tir.

En tout cas, je partage son opinion : « Ce livre, outre l’aspect technique agrémenté d’une impressionnante iconographie, aborde l’histoire de la police à travers les siècles et apporte ainsi une richesse insoupçonnée qui devrait connaître un réel succès auprès des policiers, collectionneurs et historiens.  »

Je dois dire que ce qui m’a le plus étonné, lorsque j’ai rencontré Dominique Noël, ce n’est pas sa connaissance des armes ou des méthodes d’intervention, mais son émotion contenue lorsqu’il parle du Budukan de Deuil-la-Barre, dans le Val-d’Oise. Cela fait bientôt 30 ans qu’il y enseigne le jiu-jitsu, essentiellement à des ados, et leur comportement, lorsqu’ils montent sur le tatami, est bien loin des clichés habituels. « Un club hyper sympa, dit-il avec une petite flamme dans les yeux, où les pratiquants respectent les principes énoncés dans le code des arts martiaux (salut, respect, etc.). Un vrai bonheur ! »

Le jiu-jitsu comme arme non létale, ce n’est pas mal non plus.

Le fusil à pompe dans la police : une longue histoire

À défaut de renforts, les policiers vont obtenir des fusils à pompe. Quelle que soit la tristesse de perdre l’un de leur collègue, plusieurs syndicats ont manifesté leurs réserves devant cette décision prise sous le coup de l’émotion. La ficelle est un peu grosse, mais le procédé n’est pas nouveau. Au début des  années 80, alors que les attentats terroristes se multipliaient en France et que plusieurs policiers avaient trouvé la mort, Gaston Defferre, alors ministre de l’Intérieur, s’était engagé dans la même direction. Ou du moins, avait-il décidé de lancer une table ronde, à laquelle j’avais participé, pour réfléchir à l’utilisation du fusil à pompe par les forces de l’ordre, voire pour remplacer le pistolet-mitrailleur, la fameuse MAT 49. Cela avait donné lieu à une étude et à des essais très poussés en présence de policiers de tous les grades et de représentants syndicaux.

À l’époque, plusieurs pays européens avaient déjà adopté cette arme, mais uniquement pour les unités spécialisées chargées de la lutte contre le grand banditisme et le terrorisme. En revanche, aux États-Unis, de nombreux services en étaient dotée : gardes statiques, patrouilles, interventions, ordre public… Le fusil de type Riot Gun (fusil anti-émeute) était considéré là-bas comme la « bonne à tout faire » de la police. Quand je pense qu’à l’origine il s’agissait d’un fusil de chasse adapté pour abattre les pigeons voyageurs qui portaient, durant les conflits, des messages au-delà des lignes ennemies…

Quels sont les avantages et les inconvénients du Riot Gun ?

C’est une arme voyante et impressionnante, surtout au bruit de la manœuvre d’armement. Elle entraîne un triple effet psychologique : rassurant pour celui qui la tient, dissuasif pour celui qui est en face, inquiétant pour le public. Mais faire croire à un policier qu’avec une telle arme il peut se confronter à un adversaire qui le braque avec un fusil d’assaut comme une Kalachnikov, c’est l’envoyer au casse-pipe. En revanche, à quelques dizaines de mètres, avec la munition appropriée, elle peut permettre d’immobiliser un véhicule. Et c’est bien l’avantage et l’inconvénient de cette arme : ses possibilités dépendent essentiellement du type de cartouches utilisées. Or, sauf dans le cas d’une intervention mûrement réfléchie, les policiers le plus souvent subissent l’événement. Pas question de fignoler.

Quelles cartouches pour le fusil à pompe* ?

La cartouche à plombs n°5, celle le plus souvent utilisée pour la chasse, contient entre 200 et 250 petits plombs. À 3 ou 4 mètres, ils sont encore groupés, ensuite, ils se dispersent. À 40 mètres, la gerbe est éparpillée sur un rayon de 1 mètre 20.
Pour la cartouche à chevrotine 9 grains, la dispersion est deux fois moindre, mais le risque de dégâts collatéraux est encore fort. En revanche, à dix mètres, c’est la mort quasi certaine pour celui qui subit l’impact, au mieux, si c’est un membre qui est touché, c’est l’amputation.

Quant aux cartouches à projectile unique, comme la Brenneke ou la Prevot, elles sont encore plus puissantes et possèdent un effet de choc et un pouvoir de pénétration très importants. Elles peuvent sans difficulté stopper une voiture. Lors des essais, une Prevot a quasiment traversé un muret de parpaings. En revanche, ce même projectile a ricoché sur un mur de béton, et des éclats du mur ont atteint le tireur situé pourtant à 40 mètres.
Sauf à créer une munition spéciale police, c’est pourtant ce type de cartouche qui pourrait équiper les BAC.

Il existe cependant des munitions moins létales dans lesquelles le plomb est remplacé par du caoutchouc. La cartouche à billes multiples ne présente guère d’intérêt, mais celle à bille unique rapproche le fusil à pompe du lanceur de balles, type Flash-Ball.

En fait, l’essai le plus intéressant a été celui de la cartouche à gaz lacrymogène. Capable de perforer la vitre d’un véhicule, son utilisation oblige le conducteur et les passagers à descendre. Sans bobo, si ce n’est les éclats de verre. Or, sortir des malfaiteurs de leur voiture est l’un des moments les plus dangereux lors d’une arrestation.

La majorité des représentants syndicaux se sont dits opposés à l’adoption du fusil à pompe comme arme de police. Parmi leurs remarques, il y avait celle-ci : « Il n’est pas humain d’autoriser l’usage contre les personnes de munitions interdites pour la chasse au gros gibier et susceptibles de causer des blessures particulièrement affreuses. »

C’était en 1982. Aujourd’hui, un syndicat proche du pouvoir le demande et, sans aucune concertation, la décision tombe. Autre époque, autres gens.

____________

* Les résultats doivent être modulés en fonction de la longueur du canon, voire de l’utilisation d’un choke (rétrécissement de la bouche du canon), mais, en l’état, ces tests des années 80 restent valables.

Une loi pour armer les policiers municipaux

« La présente proposition de loi rend tout d’abord obligatoire le port d’une arme dans l’exercice de leur fonction pour tout policier municipal. » Ce sont les premières lignes du texte que voudrait faire adopter un député de la majorité. La démarche est politiquement malicieuse puisqu’elle heurte de plein fouet la position du Monsieur sécurité du PS, Jean-Jacques Urvoas, qui veut, lui, désarmer les polices municipales.

M. Morel-A-L’Huissier, qui en est à l’origine, fait référence aux déclarations du président de la République, après la mort d’une jeune policière municipale, Aurélie Fouquet, lors d’une fusillade provoquée par des braqueurs, le 20 mai 2010, dans le Val-de-Marne.

L’exploitation de ce drame me semble déplacée. D’abord, il n’est pas inutile de rappeler que la policière était armée. Mais que peut faire un .38 contre une Kalachnikov ! Et, si je peux me permettre une parenthèse, il apparaît aujourd’hui vraisemblable que cette course-poursuite tragique est en fait le résultat d’un certain cafouillage qui n’a rien à voir avec le fait d’armer ou non les policiers municipaux. Car la BRB était aux basques de ces braqueurs depuis longtemps, probablement pour tenter un flag ou une opération retour. Les choses n’ont pas tourné comme prévu. Aujourd’hui, ce qui coince, d’après France Soir, c’est que la patronne de la BRB, neuf mois après les faits, ait reconnu que ses hommes avaient placé une balise sous le fourgon des malfaiteurs. Ce qui va à l’encontre des premières déclarations des policiers qui disaient s’être trouvés là par hasard. Pour les avocats, c’est la preuve que la police a menti à la justice. Il n’est donc pas exclu que tout ou partie de la procédure soit annulée. Et que les auteurs présumés soient libérés…

Mais, pour en revenir au sujet, faut-il oui ou non armer les policiers municipaux ? Pour les syndicats la réponse ne fait guère de doute. Ils poussent dans le sens de l’armement. Mais aujourd’hui, ce sont les maires qui décident. Et c’est un vrai dilemme. Car, en cas de fusillade, si une balle perdue touche un passant, ils pourraient se voir reprocher leur décision d’armer leurs policiers. Mais si un policier sans arme était tué ou blessé, le choc en retour serait tout aussi difficile à encaisser. Donc, d’une certaine manière, en ne leur laissant pas le choix, on leur enlèverait une belle épine du pied.

Mais en fait, la seule raison qui peut légitimement motiver une telle décision se trouve dans la définition de leurs missions. C’est d’ailleurs le lièvre que vient de soulever Éric de Montgolfier, le procureur de Nice. Pour lui, il y a dérive, car l’action de police judiciaire des agents municipaux doit se placer sous l’autorité d’un OPJ. Et ils n’ont pas à intervenir à la place de la police nationale, sauf flagrant délit. En engageant des poursuites contre un policier municipal qui a blessé une femme dans un accident, alors qu’il se rendait sirène hurlante sur les lieux d’une agression, il demande aux juges de trancher sur les conditions d’intervention de la police municipale. Pour Christian Estrosi, le député-maire de Nice, qui vient d’être nommé président de la Commission consultative des polices municipales (commission qui était en sommeil depuis quatre ans et qui vient d’être réactivée par le ministre de l’Intérieur), il n’y a pas de dérive. D’ailleurs, a-t-il dit, « si le tribunal donne raison au procureur, je proposerais à cette commission de faire évoluer le droit ».  Il y aurait comme un soupçon d’arrogance dans ces propos… Cela revient à dire : si la loi ne me convient pas, je change la loi.

Il faut dire que M. Estrosi est particulièrement investi dans ce domaine. Il faut le voir passer ses hommes en revue, comme un général au champ de bataille… Du coup, il y a dans sa ville 3 à 4 fois plus de policiers municipaux qu’à Marseille, qui compte pourtant deux fois plus d’habitants. Dans les Alpes-Maritimes, les agents territoriaux sont devenus la deuxième force de sécurité du département, loin devant les gendarmes.

En fait, on comprend bien qu’en toile de fond, le problème est ailleurs. Il s’agit de savoir si les polices municipales restent sous l’autorité du maire ou si, peu à peu, elles doivent remplacer une police et une gendarmerie cruellement en manque d’effectifs. Un moyen de nous faire payer deux fois notre sécurité.

Je ne sais pas si tous les policiers municipaux désirent porter une arme à la ceinture. Je n’en suis pas sûr. Mais en tout cas, ils seront tous d’accord sur un autre volet de cette proposition de loi : l’intégration de leurs indemnités (20 % de leur salaire) dans le calcul de leur retraite et une bonification d’une annuité tous les cinq ans. Alors qu’un nouveau coup de balai sur les retraités ou futurs retraités est dans les tuyaux, on peut se demander où l’on va trouver l’argent… Il paraît que ce sont les fumeurs qui seront mis à contribution.

Et pour faire bonne mesure, on va leur attribuer une médaille (pas aux fumeurs). L’article 4 de la proposition de loi prévoit en effet la création de la Médaille d’honneur de la police municipale. Cette fois, personne ne peut être contre, même si l’absence de pluriel à police municipale paraît un peu singulier. Un peu comme un aveu de vouloir « nationaliser » les polices municipales.

Calmons le jeu. Il n’y a pas urgence à débattre. Prenons par exemple la loi qui vise à clarifier et à simplifier la réglementation sur les armes. Elle a été souhaitée par le président de la République en mai 2009. Un comité de concertation et une mission d’information de l’Assemblée nationale ont planché sur le sujet courant 2010. Et, finalement, un projet de loi a été adopté en janvier 2011. Pour l’heure, il doit être dans le tiroir d’un sénateur.

Tir sur les manifestants : une rumeur qui fait long feu

Les forces de l’ordre ont-elles le droit d’ouvrir le feu contre des manifestants ? La rumeur a pris naissance après la publication de deux nouveaux décrets le 30 juin 2011. La presse s’en est fait l’écho, notamment Le Monde, dans son édition du 17 août. Parmi la liste des armes pouvant être utilisées pour le maintien de l’ordre, il est expressément mentionné un fusil à répétition de calibre 7.62. Une arme de précision.

Erreurs de communication à répétition – Comment interpréter cette décision ? À mon avis, ce texte envisage la possibilité de placer des tireurs d’élite à proximité d’une manifestation. Non pas pour le tir aux pigeons, mais par sécurité ! Les OT (observateurs-tireurs), comme les appellent les gendarmes, sont dotés d’un fusil à lunette. En maintien de l’ordre, leur mission est avant tout  d’observer. Mais en cas de nécessité, ils pourraient faire usage de leur arme. Pour cela, ils sont en liaison permanente avec l’autorité responsable. On comprend bien qu’ils ne sont pas là pour tirer dans la foule, mais pour neutraliser un énergumène qui se risquerait à ouvrir le feu contre les forces de l’ordre, ou d’ailleurs, contre d’autres manifestants. Imaginons qu’un déjanté, genre Behring Breivik, se glisse dans une manifestation bon enfant. Il tire à droite à gauche. Les policiers et les gendarmes ripostent. Et c’est l’hécatombe. Le tireur d’élite est justement là pour éviter ce risque.

Il aurait été si simple de l’expliquer…

Dernière sommation : On va faire usage de la force ! –  Il n’en demeure pas moins que, dans certaines situations, il est possible d’utiliser la force, voire des armes, dûment répertoriées dans le décret (grenades, lanceurs de balles de défense…), pour disperser un attroupement. Le Code pénal ne vise que l’attroupement, c’est-à-dire un rassemblement de personnes susceptibles de troubler l’ordre public. Le nouveau texte dit que l’intervention doit être proportionnée au trouble à faire cesser. Ce qui ne veut pas dire grand-chose puisqu’il s’agit d’une notion subjective. CRS et gardes mobiles ne peuvent faire usage de ces armes que sur l’ordre exprès de « l’autorité civile », sauf s’ils sont attaqués ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.

La dispersion de l’attroupement ne s’impose pas aux forces de l’ordre. C’est une décision politique, relayée par l’autorité civile qui se trouve sur place.

Un commissaire qui va qui vient – Dans l’ancien Code pénal, les autorités civiles susceptibles de donner l’ordre d’utiliser la force pour disperser un attroupement étaient le préfet, le sous-préfet, le maire ou l’un de ses adjoints, le commissaire de police ou un officier de police judiciaire. Dans la pratique, c’était souvent le commissaire responsable du service d’ordre qui faisait les sommations. On lui prêtait la double casquette : magistrat de l’ordre administratif et judiciaire. En tant que militaire, l’officier de gendarmerie ne pouvait pas prendre cette décision. Et il n’était pas inhabituel de voir le commissaire, fort de son expérience en la matière, calmer les ardeurs d’un préfet ou d’un sous-préfet trop prompt à en découdre. Mais, en 1995, patatras ! le commissaire disparaît de la liste des autorités civiles. Il est remisé au rang des OPJ. On dit que le directeur général de la police de l’époque, M. Guéant, en avait marre de voir le moindre « commissouille » discutailler les ordres d’un préfet… Je ne sais pas si l’anecdote est vraie. Mais il est amusant de constater qu’aujourd’hui, il refait surface. Pourquoi ce revirement ? Les commissaires de police seraient-ils devenus plus dociles ? Peut-être ! Mais il y a une autre explication : l’apparition du gendarme parmi les autorités civiles.

Le nouvel article R. 431-3 est ainsi rédigé : « Dans les cas d’attroupements (…) le préfet ou le sous-préfet, le maire ou l’un de ses adjoints, le commissaire de police, le commandant de groupement de gendarmerie départementale ou, mandaté par l’autorité préfectorale, un commissaire de police ou l’officier de police chef de circonscription ou le commandant de compagnie de gendarmerie départementale doivent être présents sur les lieux en vue, le cas échéant, de décider de l’emploi de la force après sommation. »

Des militaires chargés de l’autorité civile, cela laisse dubitatif. Raison pour laquelle, le législateur, dans sa grande sagesse (?), avait antérieurement rectifié le Code de la défense. En effet, une loi de 2009 a modifié la compétence de la gendarmerie nationalecommentaires. Elle n’est plus chargée « d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation », mais de « veiller à la sûreté publique et d’assurer le maintien de l’ordre et l’exécution des lois ».

Pour faire simple, on peut dire aujourd’hui que les gendarmes sont des militaires de plus en plus civils, tandis que pour les policiers, c’est le contraire. Ils vont bien finir par se rencontrer…

Cette rumeur révèle le climat négatif qui peu à peu s’installe dans notre pays. On a l’impression d’un gouvernement aux abois, qui craint que la population ne se rebelle, que des manifestations éclatent, voire des émeutes, et qui accumule les moyens d’auto-défense ; et de l’autre, un peuple qui sombre dans la parano et qui entrevoit des lendemains noirs et une répression aveugle. La défiance à tous les étages.

Un sale climat, cet été…

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