La maison mère d’Airbus a bien des soucis. Ce sont les confidences d’un financier déchu, Gianfranco Lande, surnommé le « Madoff de Rome » qui ont mis le feu aux poudres. Par ses déclarations, il a relancé une enquête qui avait été classée sans suite. Une invraisemblable affaire de corruption ; et accessoirement de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. Cela concerne, comme souvent, le marché de l’armement.
En 2003, l’Autriche passe commande de 18 avions de chasse Eurofighter Typhoon pour un montant de deux milliards d’euros. Cet appareil est fabriqué par un consortium dont EADS est le partenaire majeur. Rapidement, le bruit court que pour arracher ce marché, le constructeur aurait versé d’importants pots-de-vin. Une enquête est ouverte. Elle traîne des années, empuantissant la vie politique du pays, avant d’être classée sans suite en 2011. Et patatras ! Voilà-t-y pas qu’un escroc de stature lui aussi européenne décide avant de partir en prison pour de longues années de manger le morceau. Sans doute une petite vengeance contre des gens qui ne l’ont pas soutenu… « Devant le juge d’instruction, Gianfranco Lande a admis que sa société Vector Aerospace aurait reçu 87 millions d’euros d’EADS, qu’elle aurait ensuite redistribués, notamment en Autriche. Selon le député Vert autrichien Peter Pilz, la corruption porterait, au total, sur 170 millions d’euros », peut-on lire dans la Tribune de Genève. Du coup, l’enquête est repartie. Et cette fois, les enquêteurs semblent avoir des biscuits, suffisamment pour lancer leurs filets et procéder à une série de perquisitions en cascade sur plusieurs sites EADS, en Autriche, en Allemagne et en Suisse. Les soupçons se porteraient sur 13 ou 14 personnes dont plusieurs employés de l’entreprise et un ancien haut dirigeant. En deux mots, le ministère public autrichien soupçonne EADS d’avoir corrompu des personnalités du monde des affaires et de la politique pour obtenir le marché de l’État autrichien. EADS aurait fait remonter l’argent à Londres, entre les mains de Gianfranco Lande, à charge pour lui de le redistribuer aux différents intermédiaires. La plus grosse partie aurait ensuite transité par la Suisse avant d’atterrir dans des paradis fiscaux sur les comptes des lobbyistes. Le reste, environ 10 millions d’euros, serait passé entre les mains d’un porteur de valise, un citoyen allemand chargé de distribuer les petits pourboires.
Si les faits sont confirmés, une question se pose : d’où provient cet argent ? Car évidemment, il ne peut apparaître dans la comptabilité d’EADS, ni dans celle de ses filiales. De là à entrevoir l’existence d’une caisse noire, il n’y a qu’un pas.
Devant cette résurgence d’un scandale que tout le monde croyait éteint, le président exécutif d’EADS, l’Allemand Thomas Enders, dit Tom, qui a succédé au Français Louis Gallois en mai 2012, aurait pris comme un coup de sang. Aussi sec, il a envoyé une missive à tous les dirigeants du groupe dans laquelle il affirme qu’il ne fera preuve d’aucune tolérance envers « des attitudes illégales ou immorales ». Il a également lancé une enquête interne via un célèbre cabinet d’avocats.
Si c’était pour éteindre l’incendie, c’est raté ; sa réaction ne fait hélas que confirmer l’existence de l’énorme magouille. Et, comble de malchance (ou guerre économique?), cela survient alors que le groupe européen postule pour le renouvellement d’une partie de la flotte d’hélicoptères de l’armée américaine.
Arnaud Lagardère, lui, n’a rien dit. Il est pourtant le président du Conseil d’administration d’EADS. Mais il se murmure que le mastodonte européen ne l’intéresse pas. À moins qu’il ne fasse semblant, car le personnage est insaisissable, au point que dans son monde, celui de la finance, on se demande s’il a suffisamment les pieds sur terre pour diriger un groupe de 20.000 personnes. Il se conduit souvent comme un ado provocateur. « Ce gamin de 51 ans ne grandira jamais. Il est atteint du syndrome de Peter Pan… », peut-on lire dans le livre de Jacqueline Rémy, Arnaud Lagardère, l’héritier qui voulait vivre sa vie, qui vient de sortir chez Flammarion.
Dilettantisme ou non, en attendant, au conseil d’administration d’EADS, il représente à la fois ses intérêts et ceux de la France (citation de Thierry Funck-Brentano, cogérant de Lagardère SCA). Même s’il ne détient plus que 7.5 % de capital alors que l’État, lui, en possède 15 %. Mais les choses vont bouger, car l’héritier Lagardère a exprimé clairement son intention de revendre l’intégralité de ses actions. C’est sans doute une coïncidence, mais François Hollande vient justement d’annoncer « un nouveau pacte d’actionnaires pour EADS » afin de préserver l’équilibre franco-allemand et de préparer « les défis du futur ». Ça sonne comme un coup de clairon ! Pour faire plus simple, il s’agit de faire entrer l’État allemand directement dans le capital du groupe pour un montant équivalant au nôtre. Pour cela, nous pourrions revendre environ 3 % de nos actions (#600 millions d’euros). Dans la foulée, il faudra nécessairement nommer de nouveaux administrateurs. Je me demande si M. Montebourg parviendra à chasser du conseil d’administration son ennemi du jour, l’homme d’affaires indien Lakshmi Mittal !
Au passage, pour ceux qui sans cesse fustigent ces salopiauds d’actionnaires, il n’est peut-être pas mauvais de rappeler que l’État possède un portefeuille d’actions bien garni. Un peu plus de 54 milliards, au cours de clôture de la semaine dernière. Un portefeuille qui représente +/- 10 % du CAC 40. Même si ces derniers temps, notre tirelire a sérieusement fondu : une petite quinzaine de milliards en un peu plus d’un an. Et comme antérieurement, les performances étaient tout aussi médiocres, on peut estimer la perte de ces trois dernières années à environ 47 milliards d’euros. Jérôme Kerviel est un petit garçon à côté de ces messieurs de Bercy… Petite compensation, tous les ans, l’État encaisse 3 ou 4 milliards de dividendes.
Les Américains détiendraient une part importante du capital flottant du groupe européen, mais, sur la liste nominative des actionnaires, c’est notre pays qui est en tête. Pourtant, le pouvoir du Gouvernement se limite à certaines décisions stratégiques et à un simple droit de veto sur les activités nucléaires. Rien de plus. Aussi, dans cette histoire de corruption, la France ne devrait pas être concernée. Elle ne participe d’ailleurs pas à la construction de l’Eurofighter. Elle lui préfère le Rafale de Dassault. Il n’empêche que dans le domaine des pots-de-vin, nous faisons aussi bien que nos voisins. Comme lors de la vente de deux sous-marins Scorpène à la Malaisie. Une affaire rocambolesque dans laquelle la politique, le sexe et la corruption font bon ménage. Et il faut probablement y ajouter un meurtre, celui du traducteur qui a participé aux négociations. Cette fois, c’est l’entreprise Thalès et la Direction des constructions navales qui sont sous les feux de la rampe. Et deux juges d’instruction planchent pour vérifier les premiers éléments d’une enquête préliminaire qui, selon l’AFP, aurait permis de mettre à jour plusieurs réseaux de commissions occultes. On parle de 114 millions. Un dossier qui présente certaines similitudes avec celui qui vise la vente de sous-marins au Pakistan. Cette affaire qui pourrait être à l’origine de l’attentat à Karachi et de la mort de onze ingénieurs français et dans lequel la justice avance lentement. Il y a quelques jours, c’est le domicile de l’ancien ministre François Léotard qui a fait l’objet d’une perquisition.
En France, le chiffre d’affaires annuel de l’industrie de l’armement est de 15 milliards d’euros, dont le tiers à l’exportation. Nous sommes au quatrième rang des exportateurs mondiaux. Mais pour vendre des armes à l’étranger, il faut l’accord du Gouvernement. Les fabricants doivent donc composer avec l’État exportateur et l’État importateur. Cette connivence entre le monde des affaires et le monde politique est un véritable appel aux tripatouillages. Pour tenter d’y remédier, il existe une directive européenne qui permet d’exporter librement du matériel d’armement au sein de l’Europe et de n’en rendre compte qu’a posteriori. La France l’a mise en application l’année dernière. Mais le problème reste entier au-delà des frontières européennes.
On peut donc penser que les margoulins sont toujours à l’affût. C’est sans doute pour cela qu’il y aura toujours une guerre quelque part.
Cela fait bien deux mois que je n’étais pas venu sur votre blog, mais c’est toujours un plaisir de lire les articles que j’ai ratés qui valent largement ceux des journalistes dits professionnels.
Avant que cette affaire soit jugée, on ne pouvait qu’écrire des romans pour dénoncer les scandales qui touchent ce secteur.
« En s’appuyant sur une opération portant sur des contrats d’armement – secteur assez scrupuleux pour que l’on ne puisse généralement pas lui imputer les indiscrétions dont il était lui-même victime – l’analyste soutenait que l’hypothèse la plus probable privilégiait des fuites en amont des industries, donc au niveau politique. »
Extrait de « On les croise parfois », sorti en mars 2012.
Pour faire enfin partie du clan de « ceux qui savent »
EADS face à la corruption : pour une fois, ça ne vole pas haut !
Votre diagramme est incomplet. Sur l’exemple Areva, l’état possède en propre 10% mais surtout 73%, à travers le CEA, un établissement public… Je suppose que ce n’est pas le seul cas du genre.