LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Argent et escroqueries (Page 2 of 5)

EADS face à la corruption

La maison mère d’Airbus a bien des soucis. Ce sont les confidences d’un financier déchu, Gianfranco Lande, surnommé le « Madoff de Rome » qui ont mis le feu aux poudres. Par ses déclarations, il a relancé une enquête qui avait été classée sans suite. Une invraisemblable affaire de corruption ; et accessoirement de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. Cela concerne, comme souvent, le marché de l’armement.

En 2003, l’Autriche passe commande de 18 avions de chasse Eurofighter Typhoon pour un montant de deux milliards d’euros.  Cet appareil est fabriqué par un consortium dont EADS est le partenaire majeur. Rapidement, le bruit court que pour arracher ce marché, le constructeur aurait versé d’importants pots-de-vin. Une enquête est ouverte. Elle traîne des années, empuantissant la vie politique du pays, avant d’être classée sans suite en 2011. Et patatras ! Voilà-t-y pas qu’un escroc de stature lui aussi européenne décide avant de partir en prison pour de longues années de manger le morceau. Sans doute une petite vengeance contre des gens qui ne l’ont pas soutenu… « Devant le juge d’instruction, Gianfranco Lande a admis que sa société Vector Aerospace aurait reçu 87 millions d’euros d’EADS, qu’elle aurait ensuite redistribués, notamment en Autriche. Selon le député Vert autrichien Peter Pilz, la corruption porterait, au total, sur 170 millions d’euros », peut-on lire dans la Tribune de Genève. Du coup, l’enquête est repartie. Et cette fois, les enquêteurs semblent avoir des biscuits, suffisamment pour lancer leurs filets et procéder à une série de perquisitions en cascade sur plusieurs sites EADS, en Autriche, en Allemagne et en Suisse. Les soupçons se porteraient sur 13 ou 14 personnes dont plusieurs employés de l’entreprise et un ancien haut dirigeant. En deux mots, le ministère public autrichien soupçonne EADS d’avoir corrompu des personnalités du monde des affaires et de la politique pour obtenir le marché de l’État autrichien. EADS aurait fait remonter l’argent à Londres, entre les mains de Gianfranco Lande, à charge pour lui de le redistribuer aux différents intermédiaires. La plus grosse partie aurait ensuite transité par la Suisse avant d’atterrir dans des paradis fiscaux sur les comptes des lobbyistes. Le reste, environ 10 millions d’euros, serait passé entre les mains d’un porteur de valise, un citoyen allemand chargé de distribuer les petits pourboires.

Si les faits sont confirmés, une question se pose : d’où provient cet argent ? Car évidemment, il ne peut apparaître dans la comptabilité d’EADS, ni dans celle de ses filiales. De là à entrevoir l’existence d’une caisse noire, il n’y a qu’un pas.

Devant cette résurgence d’un scandale que tout le monde croyait éteint, le président exécutif d’EADS, l’Allemand Thomas Enders, dit Tom, qui a succédé au Français Louis Gallois en mai 2012, aurait pris comme un coup de sang. Aussi sec, il a envoyé une missive à tous les dirigeants du groupe dans laquelle il affirme qu’il ne fera preuve d’aucune tolérance envers « des attitudes illégales ou immorales ». Il a également lancé une enquête interne via un célèbre cabinet d’avocats.

Si c’était pour éteindre l’incendie, c’est raté ; sa réaction ne fait hélas que confirmer l’existence de l’énorme magouille. Et, comble de malchance (ou guerre économique?), cela survient alors que le groupe européen postule pour le renouvellement d’une partie de la flotte d’hélicoptères de l’armée américaine.

Arnaud Lagardère, lui, n’a rien dit. Il est pourtant le président du Conseil d’administration d’EADS. Mais il se murmure que le mastodonte européen ne l’intéresse pas. À moins qu’il ne fasse semblant, car le personnage est insaisissable, au point que dans son monde, celui de la finance, on se demande s’il a suffisamment les pieds sur terre pour diriger un groupe de 20.000 personnes. Il se conduit souvent comme un ado provocateur. « Ce gamin de 51 ans ne grandira jamais. Il est atteint du syndrome de Peter Pan… », peut-on lire dans le livre de Jacqueline Rémy, Arnaud Lagardère, l’héritier qui voulait vivre sa vie, qui vient de sortir chez Flammarion.

Dilettantisme ou non, en attendant, au conseil d’administration d’EADS, il représente à la fois ses intérêts et ceux de la France (citation de Thierry Funck-Brentano, cogérant de Lagardère SCA). Même s’il ne détient plus que 7.5 % de capital alors que l’État, lui, en possède 15 %. Mais les choses vont bouger, car l’héritier Lagardère a exprimé clairement son intention de revendre l’intégralité de ses actions. C’est sans doute une coïncidence, mais François Hollande vient justement d’annoncer « un nouveau pacte d’actionnaires pour EADS » afin de préserver l’équilibre franco-allemand et de préparer « les défis du futur ». Ça sonne comme un coup de clairon ! Pour faire plus simple, il s’agit de faire entrer l’État allemand directement dans le capital du groupe pour un montant équivalant au nôtre. Pour cela, nous pourrions revendre environ 3 % de nos actions (#600 millions d’euros). Dans la foulée, il faudra nécessairement nommer de nouveaux administrateurs. Je me demande si M. Montebourg parviendra à chasser du conseil d’administration son ennemi du jour, l’homme d’affaires indien Lakshmi Mittal !

Au passage, pour ceux qui sans cesse fustigent ces salopiauds d’actionnaires, il n’est peut-être pas mauvais de rappeler que l’État possède un portefeuille d’actions bien garni. Un peu plus de 54 milliards, au cours de clôture de la semaine dernière. Un portefeuille qui représente +/- 10 % du CAC 40. Même si ces derniers temps, notre tirelire a sérieusement fondu : une petite quinzaine de milliards en un peu plus d’un an. Et comme antérieurement, les performances étaient tout aussi médiocres, on peut estimer la perte de ces trois dernières années à environ 47 milliards d’euros. Jérôme Kerviel est un petit garçon à côté de ces messieurs de Bercy… Petite compensation, tous les ans, l’État encaisse 3 ou 4 milliards de dividendes.

Actions détenues par l’État (tableau du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie)

Les Américains détiendraient une part importante du capital flottant du groupe européen, mais, sur la liste nominative des actionnaires, c’est notre pays qui est en tête. Pourtant, le pouvoir du Gouvernement se limite à certaines décisions stratégiques et à un simple droit de veto sur les activités nucléaires. Rien de plus. Aussi, dans cette  histoire de corruption, la France ne devrait pas être concernée. Elle ne participe d’ailleurs pas à la construction de l’Eurofighter. Elle lui préfère le Rafale de Dassault. Il n’empêche que dans le domaine des pots-de-vin, nous faisons aussi bien que nos voisins. Comme lors de la vente de deux sous-marins Scorpène à la Malaisie. Une affaire rocambolesque dans laquelle la politique, le sexe et la corruption font bon ménage. Et il faut probablement y ajouter un meurtre, celui du traducteur qui a participé aux négociations. Cette fois, c’est l’entreprise Thalès et la Direction des constructions navales qui sont sous les feux de la rampe. Et deux juges d’instruction planchent pour vérifier les premiers éléments d’une enquête préliminaire qui, selon l’AFP, aurait permis de mettre à jour plusieurs réseaux de commissions occultes. On parle de 114 millions. Un dossier qui présente certaines similitudes avec celui qui vise la vente de sous-marins au Pakistan. Cette affaire qui pourrait être à l’origine de l’attentat à Karachi et de la mort de onze ingénieurs français et dans lequel la justice avance lentement. Il y a quelques jours, c’est le domicile de l’ancien ministre François Léotard qui a fait l’objet d’une perquisition.

En France, le chiffre d’affaires annuel de l’industrie de l’armement est de 15 milliards d’euros, dont le tiers à l’exportation. Nous sommes au quatrième rang des exportateurs mondiaux. Mais pour vendre des armes à l’étranger, il faut l’accord du Gouvernement. Les fabricants doivent donc composer avec l’État exportateur et l’État importateur. Cette connivence entre le monde des affaires et le monde politique est un véritable appel aux tripatouillages. Pour tenter d’y remédier, il existe une directive européenne qui permet d’exporter librement du matériel d’armement au sein de l’Europe et de n’en rendre compte qu’a posteriori. La France l’a mise en application l’année dernière. Mais le problème reste entier au-delà des frontières européennes.

On peut donc penser que les margoulins sont toujours à l’affût. C’est sans doute pour cela qu’il y aura toujours une guerre quelque part.

Le blanchiment au cœur de la finance mondiale

Le démantèlement d’un réseau de blanchiment, dans lequel une élue parisienne vient de se faire poisser, nous fait découvrir un pan de la criminalité peu concerné par les zones de sécurité prioritaires. Ici, pas de Kalachnikov, mais des gens qui se la pètent et qui ont pignon sur rue. On disait autrefois, pas de voleur sans receleur, eh bien, aujourd’hui, on peut dire que tout malfrat qui se respecte doit avoir sa petite blanchisserie. Car le bon argent, sonnant et trébuchant, disparaît peu ou prou de nos porte-monnaie, pour devenir scriptural. Donc « traçable ».

Dans les faits, on peut découper le blanchiment en trois phases :

1/ Le placement, qui consiste à transformer les billets de banque en monnaie électronique ou en d’autres biens, comme des biens immobiliers ou des œuvres d’art.

2/ L’empilage, qui vise à brouiller les pistes en fragmentant cette première activité, et à créer suffisamment d’écrans pour qu’il soit impossible de remonter à la source.

3/ L’intégration, autrement dit l’injection des produits frauduleux (qui ont désormais l’apparence de la légitimité), dans l’économie traditionnelle.

Dans le démantèlement du réseau franco-suisse, les blanchisseurs jouaient sur la crainte du fisc. Crainte que certains banquiers malhonnêtes savent exploiter au mieux de leurs intérêts. Moyennant une honnête commission, ils suggéraient aux détenteurs de comptes en Suisse de leur procurer des liquidités. Puis, moyennant une nouvelle honnête commission, ils proposaient à des intermédiaires douteux de transformer leurs liquidités en lignes de crédit. Florence Lamblin s’en explique ainsi dans Le Parisien : « Avoir un compte en Suisse me paraissait risqué et me mettait mal à l’aise » Mais en même temps, elle craignait de le déclarer au fisc et ne se sentait probablement pas de passer la frontière avec une valise de billets. Un certain Berty prend les choses en main. Le scénario est simple : la dame doit d’abord virer l’intégralité de ses avoirs en Suisse sur un autre compte, également en Suisse. Ensuite, un inconnu lui apportera l’argent liquide à domicile. « Je savais juste que je serais ensuite contactée sur mon portable par un certain Marc pour récupérer les fonds moyennant une commission de 4 % », explique-t-elle. C’est l’étape 1 du processus.

Dans les cités, l’argent de la drogue est blanchi d’une tout autre manière.  Il ne semble pas que les truands de quartier aient suffisamment d’entregent pour fréquenter le monde de la finance. Le blanchiment se fait donc souvent via de petits commerces (qui bidonnent leur CA) – du moins pour l’instant. Car si on laisse faire, ces petits truands pourraient grandir… Ou alors, l’argent sale s’expatrie vers des pays moins regardants.

Il faut dire que la France s’est dotée d’un contrôle très strict de la circulation de la monnaie : interdiction de payer en espèces au-delà de 3 000 €. Mais la criminalité n’est pas à l’origine de cette rigueur. La première loi qui limitait les paiements en espèces a été prise sous le gouvernement de Vichy. Ensuite, la règle a perduré. C’est donc un héritage du passé, sur lequel sans arrêt on remet une couche. Après-guerre, la lutte contre l’inflation (sans résultat, d’ailleurs), ensuite la nécessité d’un contrôle fiscal et douanier. Puis, à partir de 1987, c’est la « sécurité » qui a emporté le morceau. Une loi du 31 déc. 1987 prévoit spécifiquement le délit de blanchiment de l’argent de la drogue. Dix ans plus tard (13 mai 1996), l’infraction s’applique à tous les crimes et à tous les délits.

La suspicion autour de l’argent est désormais ancrée dans notre société. Pourtant, il y a quelques mois, le Conseil d’État a déclaré inapplicable la prohibition des paiements en espèces effectués par les professionnels lorsqu’ils se trouvent à l’étranger. Comme un rappel à la réalité. Caroline Kleiner, qui est maître de conférences à la Sorbonne, nous explique dans le Recueil Dalloz (2012 p. 2289) les enjeux économiques de cette défiance un rien paranoïaque. D’un côté, l’interdiction de régler en espèces pénalise nos entreprises lorsqu’elles font du business dans des pays où la monnaie n’est pas convertible sur le marché des changes. Mais de l’autre, cela favorise fortement les affaires des établissements de crédit qui ont le monopole de la gestion des moyens de paiement électronique. Un CA de plusieurs milliards d’euros. En souriant, on pourrait se dire que ce sont les mêmes qui profitent de l’argent du crime et de l’argent de la lutte contre le crime. Un monde parfait.

Le blanchiment ne concerne pas que l’argent, mais tous les biens qui proviennent d’un crime ou d’un délit. Le simple fait de favoriser la dissimulation de leur origine illégale constitue l’infraction. Mais comme il est souvent impossible de reconstituer le circuit (étape 2 : l’empilage), le législateur parle de « sommes paraissant provenir de l’activité d’organisations criminelles » (loi du 12 juillet 1990). En matière de stups, une loi de 1996 a inscrit dans le code pénal la présomption d’illicéité pour les individus douteux incapables de justifier de leur train de vie et qui sont en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant au trafic (ou à l’usage) de stupéfiants. Un véritable renversement de la preuve, puisqu’il appartient au suspect de prouver qu’il n’est pas coupable. Ce principe a été généralisé en 2006 (321-6 du CP) pour tout crime ou délit.

Parviendra-t-on un jour à juguler le blanchiment de l’argent du crime ? C’est inenvisageable, selon certains, car cela déstabiliserait complètement l’économie mondiale. L’ONUDC (Office des nations Unies contre la drogue et le crime) parle d’un CA de 870 milliards de dollars, soit 1.5 % du PIB de la planète. Pour prendre un exemple, la famille mafieuse Rizzuto, au Québec, gère une fortune de plusieurs milliards de dollars. Peut-être équivalente à celle de Madame Bettencourt. Mais bien en deçà des trois cartels internationaux auxquels Barack Obama a déclaré la guerre. Chaque année, les groupes criminels organisés font des millions de victimes (directes et indirectes). Leur puissance est telle qu’ils peuvent déstabiliser l’économie d’un pays. Tant qu’il y aura une demande, les réseaux criminels profiteront de la vente de biens illégaux, nous dit l’ONUDC. Et la demande n’est pas prête de s’arrêter, car l’évasion fiscale est la clé de voûte du blanchiment. Or son montant est estimé entre 17 000 et 26 000 milliards d’euros pour l’ensemble de la planète. Un véritable trou noir dans l’économie mondiale, peut-on lire    dans un article du Monde du 23 juillet 2012. D’autant que ces chiffres ne tiennent pas compte des actifs non-financiers des hyper-riches, comme les œuvres d’art, dont il a été question ces derniers jours. Chez nous, en 2007, la Cour des comptes parlait de 30 à 40 milliards d’évasion fiscale.

Florence Lamblin apparaît minuscule dans ce schéma. Est-elle coupable selon les critères de la loi ? Elle ignorait vraisemblablement que cet argent provenait de trafiquants de drogue, mais pouvait-elle ignorer que c’était de l’argent d’origine illicite ? À la justice de trancher. Mais son cas est emblématique. Par leurs agissements, des gens « honnêtes » participent au blanchiment de l’argent du crime.

Si l’on additionne l’ensemble des commissions versées pour payer les intermédiaires, l’ardoise finale peut atteindre 50 %. Ce sont donc des sommes colossales qui atterrissent dans la poche de ces petits malins en col blanc qui font le trait d’union entre l’argent sale et les banques. Grand naïf, j’aime à penser que ni eux ni ceux qui grugent le fisc ne sont conscients qu’ils sont un rouage d’un mécanisme criminel où chaque billet est tâché de sang.

Cette affaire bizarre des douaniers de Roissy

Sept douaniers ont été mis en examen pour vol en bande organisée, blanchiment et association de malfaiteurs. Ils ont été pris la main dans le sac alors qu’ils subtilisaient de l’argent liquide dans des bagages qu’ils étaient censés contrôler. « Grâce à leurs techniques professionnelles, nous dit Mme Sylvie Moisson, procureur à Bobigny, ils repéraient des valises susceptibles d’appartenir à des trafiquants et de contenir de grosses sommes d’argent… ». À ce jour, 5,5 millions d’euros auraient déjà été saisis par les enquêteurs de l’Office des stups (OCRTIS).

Euh !…

Je dois avouer que l’on a du mal à comprendre. Ainsi, grâce à leur flair, nos douaniers seraient capables de repérer les valises contenant la recette des narcotrafiquants ! On se demande alors comment il peut y avoir encore de la drogue qui passe nos frontières… Ce n’est pas très sérieux. Et même s’il est classe de protéger la réputation de la douane, il ne faut quand même pas nous prendre pour des imbéciles.  Derrière ces arrestations, quasiment en flag, on ne peut s’empêcher d’imaginer l’existence d’une véritable organisation criminelle. Et nous, simples spectateurs de l’actualité, on se demande si cet argent n’était pas plutôt une rétribution pour services rendus. Car il y a une sacrée différence entre subtiliser de l’argent dans des bagages et participer activement à un trafic international de stupéfiants.

Le directeur général des douanes, M. Jérôme Fournel, a bien senti la patate en mettant immédiatement en branle l’Inspection des services et en tenant des propos, dans Le Figaro, qu’on aimerait parfois entendre dans la police : « Si les soupçons se confirment (…) il s’agira ensuite de faire un retour d’expérience pour comprendre d’où sont venues les éventuelles failles… »

Les « ripouseries » sont rares chez les douaniers : 27 révocations ces huit dernières années, la plupart pour de petites choses. La douane est d’ailleurs reconnue pour être à la pointe de la lutte contre le trafic de stupéfiants. C’est l’une de ses priorités. Grâce à sa position clé aux points névralgiques du territoire et à son réseau d’informateurs, elle est à l’origine de deux tiers des saisies effectuées en France. Car si en 2004 la loi a permis de rémunérer officiellement les indics de police, pour la douane, ce système existe depuis longtemps. Il est bien difficile de connaître la part des « aviseurs » dans les affaires de douane (au-delà de 3 100 €, il faut l’accord du DG), mais, dans un rapport du Sénat qui date de 2003, il était dit que le montant annuel qui leur était versé était « probablement de plusieurs millions d’euros par an ».

On compte environ 18 000 douaniers. Ils dépendent du ministre du budget. Dans le temps, des policiers étaient détachés auprès d’eux pour assurer certaines missions, mais aujourd’hui, il existe des « officiers de douane judiciaire ». Ils disposent des mêmes pouvoirs que les OPJ de la police ou de la gendarmerie mais uniquement dans certains domaines (art. 28-1 du CPP). Pas en matière de trafic de stupéfiants, sauf exceptions (al. 8). Lorsque les douaniers découvrent une plaquette de shit dans une valise, c’est la police qui dresse la procédure pénale, alors qu’eux vont gérer l’aspect financier.

Entre celui qui ferme les yeux sur la bouteille de Scotch et l’autre qui pinaille à la cigarette près, on a tous une histoire à raconter sur le gabelou de service, mais là, l’image risque d’en prendre un sérieux coup. Il y a encore une dizaine d’années, le produit des amendes et confiscations obtenu par les douanes était plus opaque qu’aujourd’hui. Le trésor public n’en récupérait que 40 %, le reste servait au fonctionnement de l’institution. À l’époque, il n’était pas inhabituel pour les policiers d’appeler la douane lors d’une saisie de drogue, d’armes, ou autres. Et nous nous partagions la prime. Comme dans cette affaire où nous avions récupéré un semi-remorque plein de flacons de parfums en provenance d’une boutique hors-taxe d’un aéroport. Leur propriétaire cherchait à les revendre en douce. Les douaniers ont saisi la marchandise et nous, la semaine suivante, nous croulions sous les parfums… Ce n’était pas illégal, mais c’était quand même limite.

Que voulez-vous, il y a des métiers où il est bien difficile de rester vertueux.

Saisies pénales : pour que le crime ne paie pas

Hier, François-Marie Banier a demandé la mainlevée sur des contrats d’assurance-vie saisis par la justice, contrats souscrits à son profit par Mme Bettencourt. Pfft ! 75 millions d’euros. 5.500 années de travail pour un smicard. Une requête juridiquement intéressante. D’autant que le juge Gentil vient juste de finir l’inventaire de ses œuvres d’art entassées dans son immeuble du VI° arrondissement. Comme une épée de Damoclès qu’il agiterait au-dessus de la cache au trésor ! Dans un autre dossier politiquement sensible, le juge Van Ruymbeke a ordonné la vente du yacht de l’homme d’affaires Ziad Takieddine, mis en examen dans l’affaire de Karachi.

Qu’est-ce qui leur prend à ces magistrats ! En deux mots, ils utilisent les moyens exceptionnels mis à leur disposition par la loi du 9 juillet 2010, qui a créé un nouveau droit des saisies pénales. L’objectif de ce texte est de priver les délinquants de leur patrimoine dès lors que celui-ci semble provenir d’une activité criminelle en gelant leurs biens dès le début de l’enquête. Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, a soutenu cette loi pour lutter contre la criminalité organisée, notamment le trafic de drogue. Je me demande ce qu’il en pense aujourd’hui, alors que les juges l’utilisent – aussi – pour des affaires politico-judiciaires…

Tous les biens confiscables selon l’article 131-21 du code pénal peuvent être saisis. Mais, alors que cet article vise une peine complémentaire prononcée en plus d’une condamnation, il s’agit ici de mesures préventives. Elles concernent un simple suspect, autrement dit un « présumé innocent ». Avec un principe fort : tout ce qui est confiscable est saisissable. Pierre Dac aurait dit, « et son contraire ». Pour faire simple, tous les crimes et la plupart des délits punis d’une peine d’emprisonnement peuvent être concernés (pas les délits de presse). Et cela, soit sur décision du juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur (flag, préli) ; soit par la seule volonté du juge d’instruction lorsqu’une information judiciaire est ouverte. Que ces biens appartiennent à une personne physique ou morale, qu’ils soient corporels (argent, actions, immeubles…) ou incorporels, comme une créance sur un droit futur (assurance vie, droits d’auteurs, brevets…). À noter que la loi de 2010 permet également à l’OPJ de saisir directement les biens lorsqu’ils sont liés à l’infraction.

Cet argent, ces voitures, ces immeubles, etc., peuvent n’avoir qu’un rapport indirect avec le crime ou le délit. Il suffit de démontrer qu’ils ont été acquis grâce à l’infraction. Dans plusieurs cas, la loi va même plus loin. Elle le présume. Il appartient alors au suspect de prouver le contraire. Si les poursuites engagées concernent le délit de non-justification de ressources, c’est l’ensemble du patrimoine qui peut ainsi être confisqué.

Pour cela, la justice et les enquêteurs disposent de deux outils la PIAC et l’AGRASC. (Oui, pas terrible comme sigles, mais dans l’administration, surtout à l’Intérieur, on a appris à se méfier des acronymes trop facilement mémorisables.)

La PIAC, c’est la Plate-forme d’identification des avoirs criminels. Cette unité a été créée en 2007 au sein de la DCPJ. Elle est rattachée à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dirigé par le commissaire divisionnaire Jean-Marc Souvira. (Également auteur de romans policiers. Son dernier livre : Le vent t’emportera, au Fleuve Noir.) La PIAC comprend à parité des policiers et des gendarmes, ainsi que des fonctionnaires d’autres administrations (douanes, impôts…). Elle est dirigée par un commandant de police. Sa mission première est d’effectuer des enquêtes patrimoniales soit à la demande des magistrats ou d’autres services de police ou de gendarmerie, soit d’initiative. Elle recoupe également les informations relatives aux avoirs criminels saisis. Ces chiffres alimentent une base de données nationale et permettent l’élaboration du TACA (Total des avoirs criminels appréhendés). Conçu initialement pour lutter contre le blanchiment, ce service est de plus en plus sollicité. En gros, toutes les infractions dont l’objectif est le profit – ce qui doit être souvent le cas. La PIAC est également chargée de l’entraide internationale en complément de la coopération classique via EUROPOL ou INTERPOL. À la suite de la décision européenne de créer des unités de dépistage et d’identification des avoirs criminels au sein de chaque État membre, elle a été désignée comme « Bureau des avoirs pour la France ».

La gendarmerie nationale n’est pas en reste. Dès les années 1980, elle a formé des militaires aux arcanes de la finance souterraine pour les affecter dans les sections et brigades de recherche départementales. Aujourd’hui, il existe une formation à trois niveaux : un stage « enquêteur patrimonial », une licence professionnelle et un master II (lutte contre la criminalité organisée dans ses dimensions économiques et financières à l’échelle européenne), proposé par l’université de Strasbourg. Elle revendique 1000 spécialistes. Depuis 2006, la gendarmerie a saisi des biens « criminels » pour environ 340 millions d’euros. Une partie de ces fonds sert à alimenter le « fonds concours drogues » géré par la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie). La gendarmerie en récupère chaque année environ 25 % pour renforcer son action dans ce domaine. Des véhicules et du matériel saisis peuvent également être « empruntés » pour assurer certaines missions.

Mais pour gérer tous ces biens, il fallait un autre outil. La loi de 2010 a donc mis sur pied l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), dont l’activité a démarré en février 2011. Il s’agit d’un établissement public placé sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget avec à sa tête une magistrate de l’ordre judiciaire, Mme Élisabeth Pelsez. L’agence gère l’ensemble des biens confisqués (argent, comptes bancaires, immeubles…)  et, une fois le jugement rendu, en assure la vente, la destruction ou la restitution. Le produit de la vente sert si besoin à indemniser les victimes et à payer les créances et les amendes. Le solde est reversé au budget de l’État, sauf en matière de stupéfiants où, là encore, il alimente la MILDT. J’ai cru comprendre qu’une partie de la recette servait à couvrir les frais de fonctionnement de l’agence, mais je n’en suis pas sûr.

Cet organisme procède également à la vente – avant jugement – des biens saisis, suivant la décision des magistrats. Si le propriétaire est acquitté ou bénéficie d’une relaxe ou d’un non-lieu, l’argent tiré de la transaction lui est alors restitué. C’est donc l’AGRASC qui devrait vendre le bateau de M. Takieddine. À quel prix, doit-il se demander ?

Dans son premier bilan, l’AGRASC fait état de 8 000 affaires traitées avec un encours sur son compte de la Caisse des dépôts de 204 millions d’euros. Une somme placée à 1 %. Un bilan encourageant selon certains, mitigé selon d’autres. En fait, pour être rentable (car là on ne parle plus justice mais business) l’agence devrait se limiter aux grosses affaires. Or, il semble bien qu’elle croule sous les petites. 66 % des sommes confisquées sont inférieures à 1.000 €. Et les 714 véhicules saisis durant la période concernée représentaient une valeur insuffisante pour couvrir les frais d’immobilisation. Il a fallu payer un prestataire pour les détruire. Dans ce souci de rentabilité, on réfléchit à simplifier encore la procédure et à sensibiliser les magistrats et les OPJ pour qu’ils placent la barre plus haut. Les infractions les plus lucratives sont le blanchiment, l’escroquerie et l’abus de confiance. Alors que les stupéfiants, qui représentent 63 % des affaires n’ont rapporté que 13% du budget. M. Hortefeux doit se retourner dans son placard.

Le gros succès de cette loi de 2010 est la facilité qu’elle apporte dans la saisie d’immeubles. Ainsi, depuis le début de cette année, un immeuble est saisi chaque jour en France.

Il est amusant de constater que l’on applique aujourd’hui l’une des recommandations de Cesar Beccaria, considéré comme le fondateur du droit pénal moderne, qui, dans Des délits et des peines, écrivait : « La perte des biens est une peine plus grande que celle du bannissement ». C’était en 1763. Il est vrai qu’il trouvait également barbare la peine de mort et la torture et recommandait de prévenir le crime plutôt que de le réprimer.

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Sources : documentation officielle, documentation personnelle, presse et dossier Les nouvelles saisies pénales dans la revue Dalloz (AJ Pénal mars 2012).

Du petit cadeau à la corruption

« Il n’y a aucune preuve contre moi… », a dit M. Éric Woerth, à la suite de sa mise en examen pour deux délits qui visent des faits liés à sa carrière politique. Il a peut-être raison, car les infractions qui consistent à user de son influence pour obtenir un service, un avantage, voire de l’argent, sont parmi les plus difficiles à réprimer. Qu’il s’agisse de corruption ou de ces délits dits d’atteinte à la probité, comme le trafic d’influence, le favoritisme, le détournement de fonds publics, etc. D’autant que dans ces affaires, les protagonistes sont d’accord entre eux et chacun y trouve son compte. Non seulement il n’y a pas de victime « physique », mais, le plus souvent, tous les participants tombent sous le coup de la loi. Donc, aucun n’a intérêt à dévoiler le pot aux roses.

Si, la plupart du temps, ces dossiers sont mis à jour par des journalistes, ils ne peuvent aboutir que par la pugnacité de certains juges d’instruction. En d’autres temps, Mme Eva Joly disait d’ailleurs que ces enquêtes (je crois qu’elle parlait de l’affaire Elf) ne pourraient pas sortir dans un système judiciaire du type accusatoire. Et même l’avocat général Philippe Bilger, qui voulait « achever le juge d’instruction », a fait machine arrière, déclarant dans Marianne2 : « Je n’ose imaginer ce qu’aurait été la justice actuellement si nous n’avions pas des juges d’instruction… »

Ces infractions sont liées au pouvoir. Elles ne concernent pas que les élus ou les membres du gouvernement, mais tous les gens qui détiennent une parcelle de pouvoir – comme les fonctionnaires. À noter qu’une loi de juillet 2005 a introduit la corruption privée dans le Code pénal.

L’agent public est soumis à une obligation de moralité qui lui interdit d’accepter un cadeau susceptible de mettre en doute son impartialité ou sa probité. S’il passe outre, il peut tomber sous le coup de la loi. Pourtant, tout est dans la mesure. Il ne viendrait à l’idée de personne de chercher des poux dans la tête au facteur qui sonne à notre porte, en fin d’année, pour « vendre » ses calendriers ? Certains pays, notamment en Afrique, interdisent aux fonctionnaires d’accepter le moindre cadeau, alors que d’autres, comme la Suisse, admettent le « cadeau de peu de valeur offert par courtoisie » (canton de Berne). Le code de déontologie américain donne, lui, toute une liste de petits cadeaux que le fonctionnaire peut accepter. Alors que pour le voisin canadien, tout présent doit être retourné au donateur ou à l’État.
« Par essence, si le cadeau est banalisé, voire systématisé, cela signifie que le système en lui-même est corrompu », dit Frédéric Colin, Maître de conférences à l’Université Paul-Cézanne à Aix-en-Provence (Actualité juridique – Fonctions publiques, chez Dalloz).

Pour le policier français, la bonne règle voudrait qu’il n’accepte aucun cadeau ni aucune récompense. Il n’est pourtant pas inhabituel que la victime d’un vol, par exemple, tienne à montrer sa reconnaissance aux enquêteurs qui ont retrouvé ses bijoux, ses tableaux… C’est ainsi que l’ancien Orphelinat de la police (aujourd’hui Orpheopolis) a reçu parfois des donations d’une valeur assez inhabituelle. Je me souviens d’une anecdote… Le producteur de la série télévisée du Commissaire Moulin avait obtenu l’autorisation (rare) de tourner quelques séquences dans la cour mythique du 36. Et, pour remercier, il avait pris l’initiative de faire parvenir au directeur de la PJ une caisse de champagne. Celle-ci lui avait été retournée avec un mot sec, du genre : Un policier n’accepte pas de cadeau. Tout le monde n’a pas forcément le charisme de M. Jean-Pierre Sanguy, puisque c’est de lui dont il s’agit. Pour la petite histoire, c’est ce même personnage qui, quelques années auparavant, dans une affaire dramatique qui avait sérieusement perturbé la brigade antigang de Nice, et qui s’était traduite par la mort d’un jeune gardien de la paix, avait écrit au magistrat pour lui demander d’être inculpé au même titre que ses hommes. Alors que l’information judiciaire avait été ouverte pour assassinat.

Et, lorsqu’on se tourne vers la presse, le quatrième pouvoir, les choses ne sont pas plus évidentes. Si la plupart des rédactions mettent en commun les cadeaux que les journalistes reçoivent, c’est à l’initiative de chacun. Je crois savoir que cela se passe ainsi au Monde, notamment pour les livres envoyés par les éditeurs. Dans un autre journal, en fin d’année, une amie a reçu une caisse de bons vins. Situation embarrassante, lorsqu’on a le code de déontologie comme livre de chevet… Difficile de retourner le présent sans froisser le donateur. Discrètement, elle a fait suivre la caisse au comité d’entreprise. J’espère qu’ils en ont fait bon usage… Mais quid de ces voyages de presse offerts par des annonceurs publicitaires ! Ou de ces journalistes ou pseudo-journalistes qui chaque année figurent sur la liste de la promotion à la Légion d’honneur ! Il n’y a pas de honte, disent certains, à accepter une médaille. Et pourtant, M. Woerth est bien soupçonné d’avoir utilisé ce stratagème pour faire embaucher son épouse par Patrice de Maistres, le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt. Heureusement, certaines journalistes ont une autre opinion de leur métier. Comme Françoise Fressoz et Marie-Ève Malouines qui en janvier 2009 ont refusé cette distinction.

Pour les fonctionnaires, les limites entre le pénal et l’administratif sont parfois bien floues. Ainsi, lorsque l’on nous dit que le commissaire Michel Neyret s’est fait offrir un voyage au Maroc, que faut-il en penser ? Eh bien, s’il a accepté ce cadeau en échange ou en remerciement d’un service, c’est de la corruption passive (corruption active pour le corrupteur). Mais s’il n’existait aucune contrepartie à ce cadeau, alors, cela ne regarde pas le juge. Il s’agit d’une faute qui entraine une sanction administrative.

Pas facile de démêler l’écheveau. Et il faut bien reconnaître que la France est un peu à la traîne pour lutter contre la corruption. D’autant que la prolifération du « Secret défense » a encore compliqué les choses. Le FBI, par exemple, n’hésite pas à utiliser tous les moyens pour parvenir au flagrant délit. La preuve absolue en la matière. Chez nous, il n’y a guère d’exemple. L’affaire Schuller, peut-être, en 1995. Dans laquelle, une information recueillie par le juge Éric Halphen a permis aux enquêteurs de surprendre une remise de fonds de la main à la main. Il s’agissait, on s’en souvient, de l’affaire des HLM de la Ville de Paris (résumé sur Wikipédia). La création de la brigade centrale de lutte contre la corruption (BCLC) date seulement de 2004. Mais, à ce jour, on ne lui a jamais donné les moyens suffisants pour être véritablement performante. Elle compterait cinq fois moins d’enquêteurs que son équivalent en Belgique. Pire, ces dernières années, la sous-direction des affaires économiques et financières a plus ou moins été démantelée. Bien sûr, il y a Tracfin. Mais ce service ne brille pas par sa transparence. D’ailleurs n’est-il pas assimilé à un service secret ? Je pose seulement la question… Transparence International France remarque que seulement deux condamnations mineures ont été prononcées à ce jour au titre de la Convention sur la corruption entrée en vigueur il y a dix ans. Alors que dans le même temps, l’Allemagne a prononcé 42 condamnations et les États-Unis, 88.

Alors, soit nous sommes un pays particulièrement vertueux, soit, malgré les effets de manche et les mouvements d’épaule, la volonté politique n’y est pas.

La baraka de Bernard Barresi, le rentier du banditisme

« Je trouve inacceptable qu’on me traite comme un moins que rien », a-t-il déclaré, hier, après que la présidente de la Cour d’assises de Colmar ait ajourné son procès. Et, bien qu’il soit tenu de repasser par la case prison, il doit se dire que sa baraka ne l’a pas complètement abandonné. Ça fait plus de vingt ans que ça dure…

Le 1er mars 1990, sur une bretelle d’accès à l’autoroute, près de Mulhouse, des véhicules bloquent un fourgon de transport de fonds, des hommes cagoulés en jaillissent et, sous la menace de leurs armes, ils font main basse sur 300 kg de billets de banque. Un butin estimé à plus de cinq millions d’euros. Pas un coup de feu. Ni vu ni connu. Du travail d’artiste.

Mais, à défaut de la moindre piste, la PJ de Marseille subodore que les truands ne sont pas forcément originaires de l’est de la France. Les policiers grattent un peu et parviennent à mettre un nom sur une partie des malfaiteurs. Il s’agit de « l’équipe de l’Opéra », dont Bernard Barresi est le maillon central. Mais celui-ci, bien informé, parvient à prendre la poudre d’escampette. En 1994, il est jugé par contumace et condamné à vingt ans de réclusion criminelle.

On pourrait penser qu’il s’est réfugié dans un pays paradisiaque avec sa part du gâteau, mais il n’en est rien. Le truand s’est métamorphosé en homme d’affaires. Et pour cela, comme le font tous ceux qui ne peuvent se montrer en plein jour, il utilise des prête-noms. Outre sa présence dans le monde interlope de la nuit, il apparaît (masqué) dans différentes entreprises, comme la construction d’une maison de retraite sur le site des anciens chantiers navals de La Ciotat. Opération qui nécessite, on le suppose, certaines relations dans l’administration, voire la politique. On dit aussi qu’il aurait des intérêts dans des entreprises étrangères, en Amérique du Sud, en Asie, au Maroc et même à Dubaï. Comme on ne prête qu’aux riches, il y a sans doute une part de légende dans tout ça, mais le fait est que dans la cité phocéenne, on parle (à mots couverts) des Barresi comme d’une famille régnante, avec porte ouverte chez bon nombre de notables.

En tout cas, en 2010, en dehors de quelques policiers proches de la retraite, personne ne s’intéresse plus à Bernard Barresi. En fait, les enquêteurs sont sur la piste d’une équipe de Corses et de Marseillais dirigée par les frères Campanella, lesquels sont fortement soupçonnés d’être les rois des jeux clandestins dans le sud de la France. Mais, sur les écoutes téléphoniques, apparaît souvent un personnage non identifié, un certain « Jean Bon ». On raconte qu’un jour, peut-être comme Archimède jaillissant tout nu de son bain, un policier hurle eurêka ! Du serrano au jambon, il venait de franchir le pas : la compagne de Barresi se nomme Carole Serrano. Le couple est arrêté en juin 2010 alors qu’il embarque sur un yacht de 27 mètres appartenant à l’armateur Alexandre Rodriguez. Une croisière de grand luxe à laquelle devaient participer les frères Campanella et leurs dames.

Les enquêteurs ressortent alors le dossier sur ce braquage vieux de vingt ans et effectuent des comparaisons d’ADN entre M. Barresi et les scellés de l’époque, miraculeusement conservés. La réponse est négative. Un certain Roland Talmon, alias « Le Gros », a moins de chance. En partant d’un mégot de cigarette retrouvé dans le cendrier de l’une des voitures utilisées lors du hold-up, ils sortent son nom du fichier des empreintes génétiques. Heureusement pour lui, les faits sont prescrits. Il est quand même sous la menace de poursuites pour recel et blanchiment, et, surtout, il est cité devant la Cour d’assises qui doit rejuger Bernard Barresi. Il sera donc simple témoin. Va-t-il enfoncer son complice présumé ? On ne le saura pas, puisque les avocats de l’accusé, Mes Eric Dupont-Moretti, Jean-Yves Liénard, Pierre Bruno, etc., ont soulevé un lièvre en déclarant que le mandat d’arrêt des années 90 n’avait pas été notifié régulièrement. D’où un pourvoi devant la Cour de cassation. Et la présidente de la Cour d’assises, Mme Anne Gailly, a dû refermer ses dossiers : « Le pourvoi en cassation d’un arrêt de la chambre d’accusation est suspensif », a-t-elle déclaré.

Le jugement est reporté à décembre 2011 – s’il a lieu.

En décortiquant l’imbroglio des sociétés créées par Bernard Barresi, les enquêteurs de la financière ont eu des surprises. Ainsi, l’un des cafés les plus renommés d’Aix-en-Provence lui appartiendrait. Sa compagne, Carole Serrano, était la gérante d’Alba Sécurité, une société de 143 salariés basée à Gardanne, laquelle, selon le site Bakchich, aurait été sous contrat avec le conseil général des Bouches-du-Rhône et aurait fourni des centaines de « stadiers » lors des matchs de l’OM. « Selon nos informations, dit Le Point, les policiers auraient trouvé lors des perquisitions des contrats entre Alba Sécurité, la municipalité de Marseille, le conseil général et l’OM. » Pour La Provence, en moins de dix ans, Alba s’est taillée une place de choix dans le bizness de la sécurité privée. On présume que la société ne faisait pas les transferts de fonds…

Certains murmurent que si cette affaire ressort aujourd’hui, c’est que Bernard Barresi a perdu ses protecteurs. Et déjà, quelques policiers véreux en ont fait les frais. Il faut dire qu’à l’approche des élections présidentielles, Marseille devient peu à peu l’épicentre d’un enjeu politique : la sécurité.

J’espère que les candidats auront quand même le temps de parler d’autres choses.

35 ans après : Qui était le cerveau du casse de Nice ?

Le week-end du 17 juillet 1976, une bande de malfaiteurs met à sac la salle des coffres de la Société Générale, en plein centre de Nice. Emportant un butin estimé, à la louche, à 30 millions d’euros. Mercredi dernier, un vieux truand marseillais, Jacques Cassandri, alias « Le Tondu », a quitté la prison des Baumettes, où il était détenu depuis le 21 janvier 2011. Il a été libéré contre le versement d’une caution de 200.000 €. Une broutille pour celui qui revendique la paternité de ce casse.

C’est dans un livre autobiographique paru l’année dernière, qu’il a tenté de déboulonner le légendaire Albert Spaggiari, affirmant que ce dernier n’avait même pas participé au percement du tunnel qui partait de la bouche d’égout de la rue Gustave-Deloye pour arriver au mur en béton de la salle des coffres. Un tunnel d’environ 8 mètres de long et de 70 centimètres de diamètre.

Il pensait sans doute, Le Tondu, que 35 ans plus tard, il ne risquait rien à se « déboutonner ». Oubliant au passage que le Code pénal est devenu de nos jours si complexe qu’il est bien difficile de prendre ce genre de pari. Entre recel, blanchiment, non-justification de ressources, ou autres infractions financières ou fiscales, il y a toujours quelque chose à grappiller pour des enquêteurs opiniâtres. Ils n’ont guère eu de mal à savoir qui se cachait derrière le pseudonyme d’Amigo, l’auteur du livre La vérité sur le casse de Nice, et ils ont tout passé au peigne fin. Conclusion : ce monsieur connu pour d’anciennes activités dans le grand banditisme détiendrait directement ou non des participations importantes dans plusieurs restaurants ou clubs privés à Marseille et en Corse. Et il va falloir qu’il se justifie. On a même retrouvé son ADN sur les lieux d’une tentative de braquage dans une bijouterie de Toulon.

Mais est-il pour autant le cerveau du casse de Nice ? On peut se montrer dubitatif, même s’il est vraisemblable qu’il ait fait partie des 20 à 30 individus qui ont participé à cette affaire rocambolesque. Toutefois, pour rester dans du concret, il faut se souvenir que devant la Cour d’assises des Alpes-Maritimes, le 31 octobre 1979, seulement six personnes se trouvaient sur le banc des accusés. Deux ont écopé de cinq ans de prison pour avoir négocié des titres et des lingots d’or, et un seul, Daniel Michelucci, a été retenu comme l’un des « égoutiers ». Il a pris sept ans. Une jeune femme a été acquittée, ainsi que deux « beaux mecs », Dominique Poggi et Gérard Vigier. La justice n’a retenu aucune charge contre eux. Quelques années plus tard, tous deux succomberont à une overdose de plomb.
Gaëtan Zampa, soupçonné (à tort, semble-t-il) d’être l’organisateur de ce colossal fricfrac, a été arrêté par la suite pour des  infractions financières. Il est mort en prison, sans qu’on sache trop s’il a succombé à la pendaison ou à la trachéotomie que lui a gentiment prodiguée son voisin de couchette.

Quant à Spaggiari, Bert pour les intimes (et pour les flics), il a été condamné en novembre 1979 à la réclusion criminelle à perpétuité – par contumace. On se souvient en effet qu’à l’époque, il était en cavale.

T’as le bonjour d’Albert !
C’est un individu trouvé en possession de lingots d’or qui avance le premier le nom de Spaggiari, un photographe de Nice. Les surveillances ne donnent rien et, finalement, il est interpellé en octobre 1976. Sans biscuits. Les perquisitions, un fiasco, si ce n’est quelques armes découvertes dans son poulailler. Par la suite, il justifiera la présence de ces armes par sa participation à un mystérieux mouvement d’extrême droite, la « Catena ».
En fait, il se lâche à la fin de sa garde à vue. Mais, plus tard, devant le juge, il devient disert, au point que celui-ci décide de le revoir tous les jeudis à 14 heures 30. Ce qui est une erreur. Comme le raconte dans son livre le commissaire Honoré Gévaudan (Ennemis publics, chez JC Lattès), le magistrat instructeur est très content de « son » détenu : « Il collabore parfaitement. Nous faisons de grands progrès ». Mais, ce jeudi 10 mars 1977, le détenu modèle  ouvre la fenêtre, prend appui sur la corniche et se lance dans le vide. Un bond de huit mètres. Il rebondit sur le toit d’une voiture en stationnement et atterrit sur le tansad d’une moto. Qui démarre aussi sec. Pas si godiche que ça, le Bert…

Pour le situer, il faut se souvenir qu’à 18 ans, il s’engage dans les paras. Direction l’Indo. Et ceux qui se le représentent comme un petit photographe un rien mytho, mais pas dangereux, oublient que, sous l’uniforme, il a écopé de cinq ans de travaux forcés pour avoir braqué un bar à Hanoï. Et qu’à la fin des années 50, il a travaillé pour la société Fichet-Bauche, à Dakar. Société qui a installé la salle des coffres de la Société Générale de Nice.

Tout est folklore, chez cet homme. Ainsi, lorsqu’il a été arrêté, il revient d’un séminaire au Japon, avec le maire de Nice. Et s’il est mort d’un cancer, en juin 1989, et non d’une salve de gros calibres, il a pris soin de mettre en scène sa fin. Le 10 juin 1989, deux hommes déposent une civière dans le salon de sa mère : le corps d’Albert Spaggiari est revêtu d’un treillis, la tenue du baroudeur.

Lors de sa garde à vue, lorsqu’il finit par se confier aux trois policiers qui le questionnent, ce n’est pas qu’il craque, mais simplement parce que ceux-ci ont trouvé le point faible. Ils ont mis en doute ses capacités à fomenter un tel coup. Piqué au vif, Spaggiari a ouvert les vannes, s’attribuant du coup la place prépondérante, celle de chef. Inutile de dire qu’à l’époque, personne n’est venu le contredire.

Il n’était sans doute pas capable de mettre sur pied un telle affaire (manque de moyens, de connaissances…), mais on peut être certain que c’est bien lui « l’inventeur » du casse du siècle. Pourtant, à l’arrivée, il n’aurait encaissé que quelques miettes du gâteau. On peut donc dire qu’il s’est fait rouler par des complices… malhonnêtes.

Et aujourd’hui, alors que nombre des acteurs de ce feuilleton sont morts, un vieux truand vient revendiquer sa place ! Allez, on pourrait au moins lui laisser ça, à Spaggiari !

Jeux en ligne : Si tu me pousses, je te tire !

Il y a quelques jours, le FBI a lancé un vaste coup de filet sur plusieurs sites de jeux d’argent en ligne et notamment le plus gros d’entre eux, PokerStars. Lequel serait dirigé depuis le paradis fiscal de l’Île de Man. Ses dirigeants sont accusés de picsou-argent.1303575812.jpgfraude bancaire et de blanchiment d’argent. Ils risquent 55 ans de prison. La filiale française de PokerStars, qui est dirigée par Alexandre Balkany, n’est pas concernée par cette affaire, puisque cette entreprise possède une licence en bonne et due forme.

Contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, les jeux en ligne ne sont pas prohibés aux USA, mais une loi de 2006, promulguée par George W. Bush dans le cadre de la sécurité du territoire, vise le financement de ces jeux. Pour faire simple, elle interdit aux entreprises de paris en ligne de percevoir ou de déposer de l’argent auprès des banques américaines. Un rien hypocrite, non ! Ce qui oblige celles-ci à une petite gymnastique, comme de proposer aux clients des achats fictifs pour, de fait, alimenter leur compte joueur… Les Américains seraient ainsi quinze millions à acheter des objets qui n’existent pas pour mieux se livrer à leur passion : le jeu virtuel.

Pour les satisfaire, c’est toute une filière frauduleuse qui avait été mise en place, et il n’est pas interdit de s’interroger : Cette combine aurait-elle pu aller jusqu’au recyclage de l’argent du crime ou de la drogue ? Il est probable que la justice américaine a préféré ne pas prendre ce risque. Elle vient de donner un sérieux avertissement – et compte au passage récupérer environ 3 milliards de dollars de taxes.

Le casino, qu’il soit en dur ou virtuel, est l’endroit idéal pour blanchir l’argent sale. En France, on connaît bien le système de la paire de joueurs : celui qui gagne et celui qui perd. À la roulette, pour prendre le cas bêta, si l’un joue noir et l’autre rouge, il n’y a ni gain ni perte (sauf si le zéro sort), mais il est alors possible de justifier de l’origine de l’argent que l’on a dans sa poche, puisqu’on vient de le gagner au casino. Un truc utilisé par tous les truands, à plus ou moins grande échelle. À ne pas confondre avec la technique de la paire, telle qu’elle est pratiquée  par les spéculateurs boursiers. On sélectionne deux actions d’un même secteur, on en achète une et l’on vend l’autre. Ce qui diminue les risques et augmente sérieusement les probabilités de gains.

Bizarrement, cette intervention du FBI suit à quelques semaines d’intervalle le rejet d’une proposition de loi qui voulait faire du New Jersey le premier État américain où le poker en ligne aurait été autorisé. Une sorte de Silicon Valley des jeux en ligne. Et le sénateur qui soutenait ce projet se lamente du lobbying exercé par les casinotiers du Nevada, lesquels auraient dépensé des millions de dollars pour le faire capoter.

Chez nous, le lobbying doit plutôt s’exercer dans l’entourage de François Baroin, le ministre du Budget, puisque le Comité consultatif des jeux, qui a compétence sur tous les jeux d’argent et de hasard, vient de passer sous sa tutelle. Initialement, il devait être rattaché au Premier ministre, mais celui-ci aurait semble-t-il botté en touche, sans que l’on ne sache trop pourquoi. Le mois dernier, lors d’un colloque à Paris, les participants ont fait le point sur la loi de mai 2010 qui légalise les jeux d’argent en ligne. Que du beau monde : le député Lamour, le sénateur Trucy, l’homme d’affaires Partouche (une cinquantaine de casinos), etc. Rien n’est vraiment sorti de ces discussions, si ce n’est la conclusion du ministre du Budget, que je résume : Pour la clause de revoyure, on en reparlera après les Présidentielles.

En revanche, il y a une certaine agitation du côté de l’Union européenne. Le commissaire (et ancien ministre) Michel Barnier, vient d’ailleurs de présenter un Livre vert sur les jeux d’argent et de hasard en ligne dans le marché intérieur. La bible européenne du jeu, en quelque sorte, qui appuie là où ça fait mal :

Du marché noir au marché gris – Aujourd’hui, parallèlement à l’augmentation des services de jeux autorisés par les États membres, un vaste marché illicite s’est développé au sein de l’Europe. Cela va des sites sans aucune licence, le marché noir ; aux sites autorisés sur leur territoire mais qui prospectent allègrement dans les pays voisins, ce qu’on appelle le marché gris. Il y aurait plus de 12 000 sites de jeux en ligne qui seraient ainsi hors la loi. D’où la réaction des instances européennes.

Le droit européen – Comme l’a confirmé la Cour européenne, les sites de jeux sont régis par l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « Les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites » – sauf si un État membre s’y oppose pour des raisons qui touchent à la protection des consommateurs ou aux risques de troubles à l’ordre public.

L’argent du jeu – En 2008, en Europe, les recettes annuelles des jeux d’argent et de hasard ont atteint 75.9 milliards d’euros (les mises, moins les gains et les bonus), dont 6.16 milliards pour les seuls jeux en ligne. Avec une croissance prévue à deux chiffres. La France se situe au quatrième rang, mais bien loin du Royaume-Uni, qui devance largement tous les pays d’Europe. Le petit tableau, extrait du Livre vert, donne la répartition des jeux.

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On se trouve devant cette situation ambivalente : d’un côté les États-Unis d’Amérique qui ne veulent pas des jeux en ligne et de l’autre, les États d’Europe, qui s’organisent pour mieux les réglementer.

Qui a raison ?

Je crois que, lorsque l’on ne peut maîtriser une situation, il n’est pas idiot de chercher à la réglementer. C’est d’ailleurs l’argument phare de ceux qui voient dans la dépénalisation du cannabis un moyen de mettre un sérieux coup de frein à un marché underground que personne ne peut contrôler. S’il s’agit de canaliser, moi, je suis plutôt pour. Et au passage, on pourrait, comme cela se passe pour les jeux en ligne, prélever une taxe destinées aux services hospitaliers d’addictologie. La loi sur les jeux en ligne prévoit en effet qu’une fraction des mises soit reversée à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et au régime d’Assurance maladie.

Et pourquoi ne pas rétablir les bordels et prélever des taxes !

Je plaisante.

Mais rien ne pourra empêcher la prolifération des jeux d’argent en ligne. Que ce soit sur Internet, sur les téléphones portables ou via la télévision. casser-ordinateur_fotosearch.1303628037.jpegIl faut donc faire avec et en tirer un avantage : si tu me pousses, je te tire, comme au judo.

Et au moins, les casinos en ligne, on ne peut pas les braquer !

Fisc : des policiers qui n’en sont pas

Ils disposent des mêmes pouvoirs que les officiers de police judiciaire : garde à vue, perquisitions, saisies, réquisitions, écoutes téléphoniques, etc., et pourtant ce ne sont ni des policiers ni des gendarmes, mais des agents du fisc. Ce sont les nouveaux officiers fiscaux judiciaires (OFJ). Leur mission : la lutte contre les fraudes fiscales, et notamment contre ces assemblages tortueux qui mènent tout droit au paradis… fiscal.

police-fiscale.jpgCes fonctionnaires du fisc ont reçu une formation de trois mois à l’École nationale supérieure des officiers de police de Cannes-Écluse. Trois mois !…  Cela peut paraître bien court, alors que l’instruction des élèves officiers s’étale sur 18 mois. Et pour mémoire, par le passé, il fallait compter cinq ans de pratique avant de recevoir l’habilitation d’OPJ.

Afin de se donner les moyens de poursuivre les délinquants qui s’en prennent au portefeuille de l’État, en novembre dernier, la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) a vu le jour. Il s’agit d’un service de police judiciaire dans lequel sont regroupés officiers et agents de PJ, et les tout nouveaux OFJ. C’était une aspiration de l’ancien ministre du budget, M. Éric Woerth, mais, si j’ai bien compris, à l’époque, il voyait plutôt là un moyen d’éloigner les policiers des enquêtes fiscales. Peut-être pour avoir la mainmise sur un outil redoutable…

Depuis, les affaires sont passées…

Tout cela s’accompagne d’un changement de la procédure judiciaire applicable aux enquêtes fiscales. Cette procédure est à deux niveaux. Une saisine en amont sur la base de simples présomptions et, en aval, des investigations menées sous l’autorité du procureur ou du juge d’instruction. Or, il est dit dans la circulaire du ministère de la justice que cette nouvelle brigade n’a pas « la possibilité de réaliser des enquêtes d’initiative ; elle ne pourra procéder qu’aux enquêtes qui lui seront confiées par les magistrats, dans le cadre des procédures d’enquête préliminaire ou d’information judiciaire… » Une vue de l’esprit, d’autant que cette même circulaire précise que la mission de base est de rechercher et constater les infractions. D’ailleurs, un haut fonctionnaire de Bercy, cité par Le Figaro, déclare que « cette redoutable brigade » pourrait déclencher ses investigations « à partir de présomptions et sans contrôle fiscal préalable. »

Alors, quel avantage par rapport aux services existant aujourd’hui ? La justification tient dans « la plus-value que constitue pour les magistrats la compétence d’enquêteurs spécialisés disposant d’une compétence nationale et d’une expérience… » Ce qui n’est pas vraiment gentil pour les policiers spécialisés dans ce domaine au sein de la préfecture de police et de la direction centrale de la PJ, auxquels du reste sont intégrés plus de 80 inspecteurs des impôts. Ni pour les autres fonctionnaires du fisc ou des douanes qui se démènent au sein de services spécialisés, tellement nombreux, qu’il serait bien fastidieux de les énumérer ici.

Les deux précédents ministres de l’Intérieur avaient d’ailleurs freiné des quatre fers, conscients que la création d’un service de police judiciaire auprès de Bercy serait plutôt mal interprétée. Finalement, comme c’est souvent le cas ces temps-ci, on fait quand même mais on fait a minima : cette brigade a finalement été rattachée à la direction centrale de la police judiciaire.

Toutefois, cette démarche de nos dirigeants laisse un sentiment de malaise. Sous prétexte de pourchasser les milliardaires qui cachent une partie de leur fortune sous des cieux plus cléments (Tiens, qu’est donc devenue l’Île de Liliane Bettencourt ?), on peut se demander si l’objectif n’est pas de s’attaquer aux citoyens plus modestes, vous et moi.

Quoi de plus normal, me direz-vous ! Rien ! Mais ne risque-t-on pas demain de voir des gros bras fiscalistes harnachés comme les gens du RAID, flic_lessor.jpgenfoncer notre porte sous prétexte qu’on a un peu triché sur les frais de déplacements lors de sa déclaration d’impôts !

Une police fiscale répressive…

Évadés fiscaux : le listing volé est inutilisable

En 2009, Éric Woerth plastronnait : ses services avaient obtenu un listing volé à HSBC private bank, à Genève, contenant les identités de 3000 Français qui détenaient un compte bancaire en Suisse. On allait voir ce que l’on allait voir, voleur_ozepicesch.1300424873.jpgscrogneugneu ! La Cour d’appel de Paris vient de faire tomber le couperet : en résumé, on n’utilise pas en justice des pièces dont l’origine est frauduleuse.

Plusieurs des personnes citées dans cette liste, dite « liste des 3000 », auraient reçu la visite du fisc et de la police, dont Johnny Hallyday, du moins si l’on en croit Le Canard Enchaîné. Mais l’un de ces contribuables a réussi à faire plier Bercy en faisant annuler une perquisition fiscale effectuée à son domicile (et/ou dans le coffre de sa banque).

Il faut savoir que si la DNEF (direction nationale des enquêtes fiscales) possède bien des pouvoirs, dans ce cas précis, la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) est nécessaire. Ainsi que la présence d’un OPJ. Et la décision de ce magistrat est susceptible de recours. Possibilité qui résulte d’une décision, en 2008, de ces empêcheurs de tourner en hexagone de la Cour européenne des droits de l’homme, après condamnation de la France (plus de détails sur le site easydroit).

La raison essentielle de ce carton rouge repose sur l’origine des documents. « Il s’agit de données volées, nous dit le juge, la réalité de la commission de ce vol ayant été confirmée par le ministre du Budget (…) L’origine de ces pièces est donc illicite, que l’administration en ait eu connaissance par la transmission du procureur de la République ou antérieurement à cette date. »

Cette dernière petite phrase est intéressante. En effet, il semble bien que l’administration fiscale ait tenté de « blanchir » ces sulfureux documents en se les faisant remettre par Éric de Montgolfier, le procureur de Nice. Celui-ci les a transmis à l’administration fiscale le 9 juillet 2009, après les avoir saisis dans le cadre de la procédure concernant Hervé F. (le voleur, celui que la presse a appelé Antoine). Or, « la DNEF a transmis le 28 mai 2009 à l’administration centrale une liste de contribuables disposant d’un compte en Suisse, dite liste des 3000, et (…) il s’avère donc que la DNEF était en possession de cette liste et l’a exploitée bien avant sa transmission officielle par l’autorité judiciaire… »

Donc, le fisc possédait ces documents avant qu’ils n’apparaissent dans le cadre de l’enquête effectuée à la demande de la banque suisse HSBC (sur ce blog, Poker menteur à Bercy).

Et non seulement la perquisition de l’évadé fiscal est annulée, mais l’administration est condamnée à l’indemniser pour les frais qu’il a engagés pour sa défense. Mauvaise perdante, elle se serait pourvue en cassation.

Il reste à savoir si le procureur de Paris va ouvrir une enquête flic_attitudes_lessor.1300424994.jpgpréliminaire qui viserait les fonctionnaires de Bercy pour recel de documents volés !

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