LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Affaires criminelles (Page 8 of 12)

Treiber : le prix de l'amitié

« Ce n’était pas Robin des bois ! » Ouais, mais en attendant, pendant des semaines, il a tenu en échec les meilleurs flics de France. Sans moyen, sans réseau, sans filière. Juste avec l’aide de quelques amis. Et ces derniers ont du mouron à se faire, car pour eux, on amis-pour-la-vie_-marc-zarka_impression-sur-toile.jpgrisque fort de ressortir un texte de loi rarement utilisé : le recel de malfaiteurs. Un délit très proche de celui de l’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France. Ils encourent trois ans de prison et 45 000 € d’amende, sans compter que les parents de Géraldine Giraud et de Katia Lherbier pourraient demander des dommages-intérêts pour préjudice moral.

Mais la loi s’applique-t-elle réellement aux gens qui ont hébergé Treiber ? On peut s’interroger, car l’article 434-6 du Code pénal, parle de l’assistance fournie à une personne auteur ou complice d’un crime. Ce qui signifie, entre parenthèses, que les auteurs d’un délit (sauf en matière de terrorisme) ne sont pas visés. Il serait donc plus exact de dire : recel de criminel. Oui mais voilà, Treiber est-il un criminel ? Pour en être certain, il faut attendre qu’il soit jugé – et reconnu coupable. Pour l’heure, il est présumé innocent.

Alors ?

Alors, il faut poursuivre la lecture de cet article, car deux lignes plus bas, il est dit que cela vise les personnes qui ont fourni les moyens de soustraire le criminel « aux recherches ou à l’arrestation ».

Il y a donc là une formulation ambiguë. Que font les juristes, dans ces cas-là ? Ils farfouillent dans la jurisprudence. Mais pour ce délit, elle date souvent de plus d’un siècle. Le seul cas récent que j’ai trouvé (Cass. Crim. 17 sept. 2003) concerne une infirmière qui avait accepté de soigner et d’héberger un homme blessé par balle, alors que celui-ci était recherché pour meurtre dans son pays, au Portugal.  Il était donc l’auteur présumé d’un fait qualifié crime – et l’infirmière a été condamnée.

« Le receleur, nous dit le professeur Patrick Maistre du Chambon (Dalloz, 2009), est donc celui qui, par un moyen quelconque, fait obstacle aux recherches et à l’arrestation d’un criminel, quel que soit le cadre procédural dans lequel s’inscrivent ces recherches ou cette arrestation. [Cela] exclut ainsi toute distinction entre la phase judiciaire proprement dite et la phase policière. »

Oui, mais supposons que la Cour d’assises déclare Jean-Pierre Treiber innocent des crimes dont on l’accuse… Dans ce cas, le délit de recel de malfaiteur ne pourrait exister (il serait putatif), et il s’agirait là d’un fait nouveau qui justifierait la révision d’une éventuelle condamnation de ses amis.

À noter enfin qu’il existe un autre article du Code pénal (434-32) qui, lui, punit la connivence à toile_araignee_ecolescfwbbe.gifévasion. Il vise les personnes qui procurent à un détenu « tout moyen de se soustraire à la garde à laquelle il est soumis ». Mais cela ne semble pas le cas ici.

Heureusement qu’en droit, l’intention ne suffit pas. Car s’il fallait poursuivre ceux – notamment sur le Net – qui, oubliant crime ou délit, ont soutenu Treiber ou Musulin, les prisons ne seraient pas assez vastes. C’est vrai qu’avec le « grand » emprunt, on pourrait en construire de nouvelles. 

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Le convoyeur a le droit de se taire a été lu 2.107 fois en 3 jours et a suscité 19 commentaires.

Boulin : toujours des questions

Pour faire suite au billet précédent et pour répondre à certaines questions, je me permets d’en poser d’autres :

– Pourquoi aurait-on assassiné Robert Boulin ? Parce qu’il était Premier ministrable ?

– S’il s’agit d’un assassinat organisé avec tant de minutie pour faire croire à un suicide, alors pourquoi dans 50 cm d’eau ?

– Et pourquoi l’aurait-on frappé sur le visage ?

– Et pourquoi ne pas envisager un instant que cet homme, cassé, ait choisi de se donner la mort ? Il revient dans un endroit pour lui chargé de souvenirs. Il fait le point sur sa vie, professionnelle et privée ; et sur ses erreurs. Il hésite à passer à l’acte. Mais peut-il renoncer après avoir annoncé son intention d’en finir… Il erre dans les bois. Puis il avale du Valium et dans un état plus ou moins comateux, il se dirige vers l’étang. Il tombe, se blesse, il se relève, il retombe, mais cette fois dans 50 cm d’eau. Et il se noie. On le retrouve quelques heures plus tard et on tire son corps sur la berge – sur le dos.

– Et pourquoi certaines invraisemblances ne seraient-elles pas le résultat d’une intervention après coup, juste pour « faire le ménage », et s’assurer que ce ministre suicidaire n’avait pas allumé une bombe avant de s’en aller ?

– Et pourquoi ceux qui sont persuadés d’être en présence d’un meurtre camouflé en suicide ne se posent jamais la question inverse ?

Boulin : une affaire toute simple

Longtemps, j’ai cru que Pierre Bérégovoy avait été assassiné et que Robert Boulin, lui, s’était volontairement donné la mort. Deux ministres, l’un de droite l’autre de gauche, décédés dans de mystérieuses circonstances à 14 ans d’intervalle.

croisee-chemins_libuwoca.gifRécemment, d’anciens policiers alors chargés de la sécurité de Bérégovoy, m’ont convaincu qu’il s’était bel et bien tiré une balle dans la tête. Et qu’on pouvait au pire regretter un certain relâchement des consignes de sécurité et surtout de ne pas avoir pris conscience de son état dépressif.

En revanche, je n’ai pas changé d’avis sur la mort de Boulin. Après la découverte de son corps, dans un étang de la forêt de Rambouillet, le suicide s’est imposé d’entrée de jeu. Cela se passe le mardi 30 octobre 1979, vers 8 heures. Il y a juste 30 ans. L’homme est étendu dans 50 cm d’eau. Sa voiture est à proximité. Le procureur saisit le SRPJ de Versailles – ce qui n’a rien d’exceptionnel, car à cette époque, en Île-de-France, c’était souvent le cas. Les anciens s’en souviennent, le leitmotiv des patrons de la PJ était : on prend tout. Au grand dam des gendarmes qui voyaient d’un mauvais œil cette boulimie frustrante.

Donc collaboration en demi-teinte.

Lorsque les péjistes arrivent sur place, on est loin d’une scène de crime « figée », comme on voit à la télé. Les lieux ont été pas mal « barbouillés ». Faut dire que c’est pas tous les jours qu’on découvre le corps sans vie d’un ministre ! Pour une grande partie, les suspicions qui vont suivre tournicotent d’ailleurs sur les heures qui ont précédé le début des investigations. Que s’est-il réellement passé dans cette nuit du lundi au mardi ? Car il semble aujourd’hui acquis que le corps a été découvert plus tôt, peut-être au cours de la nuit – et probablement pas de façon fortuite, puisque la famille de la victime avait tiré la sonnette d’alarme dès la veille au soir en découvrant un morceau de papier plus ou moins déchiré dans lequel Boulin mentionnait son intention de se noyer « dans l’étang de la forêt de Rambouillet, où j’aimais faire du cheval » (source Investigation, passion de Derogy et Pontaut, chez Fayard).

Et le suicide paraissait tellement vraisemblable que l’autopsie a été des plus light, à la demande des proches selon certains, à la demande du Parquet selon d’autres. La procédure peut paraître bizarre, mais elle n’était pas exceptionnelle vu la personnalité de la victime. J’ai vu la même chose pour des stars du showbiz. Conclusion des deux médecins légistes de Paris : mort par noyade.

Si l’on ajoute à ça le mot adressé par le ministre à ses proches et les lettres envoyées à plusieurs de ses amis ainsi qu’à quelques journaux, on comprend que les enquêteurs aient conclu à un suicide. Maxime Delsol, le policier attaché à la sécurité de Boulin, s’exprime dans Sud Ouest au sujet de ces correspondances : « J’en ai reçu une, elle ne laisse aucun doute sur ses intentions. Il était déprimé depuis plusieurs mois. Il y avait l’affaire des terrains de Ramatuelle, mais il y avait aussi ce qui se tramait dans son propre camp… »

Plus on avançait, plus la motivation était évidente : Boulin s’était laissé emberlificoter par un escroc de talent. Et il savait qu’il ne s’en relèverait pas.

C’est un jeune juge de Caen qui avait mis le feu aux poudres. Depuis, ce magistrat a montré que lorsqu’il tenait un os, il ne le lâchait pas… Il s’agit de Renaud Van Ruymbeke.
L’ange noir de Boulin, c’est Henri Tournet. Ce dernier avait acquis, dans des conditions disons… discutables, 35 hectares de terrain, sur la presqu’île de Ramatuelle, près de Saint-Tropez, afin d’y construire 26 villas. Une opération immobilière qui devait se montrer juteuse. Mais encore fallait-il obtenir les permis de construire ! Et pour cela, il compte sur son ami de toujours. Mais comme les choses traînent en longueur, il décide finalement de revendre ce terrain sans plus attendre, en s’engageant à le rendre constructible. Au passage, petite étourderie, il le vend deux fois. Les premiers acquéreurs, des Normands, portent plainte, et il est inculpé pour faux en écriture publique. Pour se dédouaner, il met en cause Robert Boulin. Il lui aurait offert 2 hectares de garrigue. En fait il lui a vendu pour 40.000 francs (une bouchée de pain) – somme qu’il affirme ensuite lui avoir intégralement remboursée. Petite particularité, cette parcelle a, semble-t-il, été la première pour laquelle un permis de construire a été délivré (il y en a eu deux autres par la suite).  Le juge fouine dans les comptes bancaires du ministre du travail, et bingo ! il découvre la trace d’un encaissement de 40.000 francs. Boulin se défend. Il affirme qu’il s’agit là d’une donation de sa mère… Complicité de faux en écriture publique, trafic d’influence, etc., si les faits sont démontrés, c’est un procès public qui se profile à l’horizon. La prison, le déshonneur… C’est sans doute le langage que doit lui tenir Van Ruymbeke qui pousse un peu son avantage. Il fera d’ailleurs par la suite l’objet d’une enquête exceptionnelle du Conseil supérieur de la magistrature – dont il sortira blanchi.

Le Canard enchaîné fait sa Une. Minute en rajoute une couche. Et durant la semaine qui précède la mort de Boulin, l’info est reprise par tous les médias.

Autant d’éléments pour expliquer un geste de désespoir… D’ailleurs, dans l’entourage du ministre, le consensus est total sur la thèse du suicide. À tel point que l’année suivante, Bertrand Boulin, le fils, écrit un livre dans lequel il s’en explique, Ma vérité sur mon père, éd.  Stock2.

Ce n’est que bien plus tard que la famille se laisse convaincre que Robert Boulin a été assassiné.

Depuis, bien des gens ont repris l’enquête. Je me garderai bien de leur emboîter le pas. Je voulais juste dans ce billet tenter de décrire la situation au moment des faits et relater les circonstances de l’enquête.

Aujourd’hui, on nous fait un rapprochement avec l’assassinat, 3 ans plus tôt, de Jean de Broglie, on nous parle du SAC, de Pasqua (il est vraiment dans tous les coups), de la CIA, du Mossad… Là, je dois avouer que je donne ma langue au chat.

On nous explique aussi toutes les boulin_rue89.jpgbizarreries, toutes les invraisemblances de l’enquête. Certaines retiennent l’attention, d’autres peuvent trouver une explication tout aussi logique que la contre-explication.

On nous dit que le corps est arrivé à la morgue tout nu…
Pour éviter que des pièces à conviction ne se perdent (ce qui s’était produit par le passé), les victimes étaient systématiquement dévêtues sur place (ce qui permet en plus un rapide examen clinique) et les effets placés sous scellé provisoire.

On nous dit que les traces de lividité cadavérique (hypostase) auraient dû se trouver sur le devant du corps alors qu’elles étaient sur l’arrière, ce qui démontrerait que le cadavre a été déplacé…
Les légistes fixent l’heure du décès à la veille vers 20 heures, soit environ 12 heures avant la découverte du corps. Or les lividités apparaissent généralement au bout de 3 heures et si le cadavre est déplacé après, mais avant la douzième heure, les traces s’ajoutent les unes aux autres. On dit qu’elles sont mixtes. Donc le corps devrait porter des traces devant et derrière… Mais peut-on se fier à l’avis des légistes sur l’heure de la mort (souvent difficile à déterminer) alors qu’on refuse leurs conclusions sur les causes de la mort ?
À chacun de bâtir son hypothèse…

On nous dit qu’on ne peut pas se noyer dans 50 cm d’eau…
Je connais un exemple qui prouve le contraire. Un homme d’un certain âge marche au bord de la plage, les pieds dans l’eau, comme lui avait sans doute recommandé son médecin. Il fait un malaise et tombe tête la première. Si des passants ne l’avaient pas tiré de là, il se serait noyé.

Etcetera.

Mais s’il faut admettre comme réelles ces révélations fracassantes, nous, on se dit que le système est complètement pourri. Des dizaines et des dizaines de policiers et de gendarmes, des magistrats de tous grades, des médecins légistes…, ainsi que le directeur central de la PJ, le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice, et tous les membres de leur cabinet, ont volontairement couvert l’assassinat d’un homme politique…

robert-boulin_monsieur-biographie.jpgQuand même.

Et personnellement, je trouve qu’un ministre qui met fin à ses jours pour éviter l’opprobre, ça ne manque pas de panache.

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Le billet précédent, Affaire Kalinka : et maintenant ? a été lu 1.783 fois en 3 jours et a suscité 15 commentaires.

Affaire Kalinka : et maintenant ?

L’enlèvement rocambolesque du docteur Krombach, afin de le livrer à la justice française, risque de provoquer un certain chambard derrière les portes capitonnées du ministère de la place Vendôme. Cet épisode musclé pointe du doigt un certain justice_jecritiquetoutover-blog.jpgdysfonctionnement. En tout cas ce contumax, puisque condamné par contumace à 15 ans de réclusion criminelle, est aujourd’hui sur le territoire national, et l’on attend de voir comment les autorités vont se dépatouiller de cette histoire pour que justice soit enfin rendue.

Les faits
Kalinka n’a que 15 ans lorsqu’elle meurt. Nous sommes le 10 juillet 1982, à Lindau, en Bavière, à 350 km de la frontière française. Lors de l’autopsie pratiquée deux jours plus tard, le médecin légiste mentionne des traces de sang et d’un liquide blanchâtre (?) sur les parties génitales. Et ça s’arrête là. Pas de prélèvements, pas d’analyses.
Le légiste s’étonne toutefois de l’état du corps de la jeune fille, et de la nature du produit que le docteur Dieter Krombach, son beau-père, dit lui avoir administré pour tenter de la ranimer.
Les organes génitaux de la victime sont prélevés, probablement pour un examen ultérieur, lequel ne sera hélas jamais effectué : le scellé a été égaré.
Cause du décès : inconnu.
Dossier classé.

Un premier élément troublant
La presse se fait l’écho de cette affaire et les parents de la première femme de Krombach font le rapprochement avec le décès de leur propre fille, décédée elle aussi à la suite d’une injection effectuée par ce médecin.
Ils déposent une plainte.
Sans suite.

L’enquête en France
André Bamberski, le père de Kalinka, n’en reste pas là. Il dépose une plainte en France, et en 1985, le corps de la jeune fille est exhumé. Les médecins français concluent à une mort consécutive à une injection intraveineuse d’un produit à base de cobalt et de fer.

Après une instruction qui dure et qui dure, en 1991, le docteur Krombach est inculpé d’assassinat par un juge d’instruction parisien.

Le jugement
Il faudra attendre quatre ans de plus pour que la Cour d’assises se réunisse. En l’absence de l’accusé, son président applique alors la procédure de contumace. Il retient les charges de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner et rend une ordonnance de prise de corps, puis prononce une condamnation à une peine de 15 ans de réclusion criminelle.

L’exécution du jugement
Krombach saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celle-ci ne juge pas sur le fond mais uniquement sur la procédure française de contumace. Et elle la déclare non-conforme au principe fondamental d’un procès équitable qui veut que tout accusé, qu’il soit ou non présent à son procès, ait le droit d’avoir un avocat, même commis d’office. Ainsi que le droit de faire appel de toute décision de justice (à l’époque, l’appel n’existait pas en matière criminelle – et la procédure de contumace n’autorisait pas le pourvoi en cassation).

Étrangeté du droit, la France est condamnée à verser 100.000 francs au docteur qui est lui-même condamné par la France à une peine de réclusion criminelle…

Cette décision de la CEDH va amener la loi du 9 mars 2004 (Perben II) qui substitue la procédure de défaut criminel à celle du jugement par contumace. Dorénavant, un avocat peut représenter l’accusé absent. Et si ce dernier est condamné à une peine privative de liberté, la Cour décerne un mandat d’arrêt contre lui.

Mais le père de la victime ne lâche pas prise. Il veut justice. Il harcèle les magistrats et va même jusqu’à déposer une plainte contre certains d’entre eux. Finalement, en 2003, la France transmet le dossier aux autorités allemandes. La justice allemande refuse de poursuivre, estimant d’après le site, Justice pour Kalinka, qu’il n’y a pas lieu de mettre en accusation Dieter Krombach.

Il est vraisemblable que les Allemands aient pris cette décision en application du principe non bis in idem : pas deux fois pour la même chose. Autrement dit, on ne peut poursuivre une personne andre-bamberski_lepost.jpgdéjà condamnée (même par contumace) pour les mêmes faits dans un autre État membre de l’U-E.

Finalement, en 2004, la France délivre un mandat d’arrêt européen contre le docteur Krombach. C’est en effet à partir de cette année-là que les demandes d’extradition reçues par les États membres de l’U-E doivent s’appliquer dans leur plénitude. L’Allemagne refuse l’extradition.

On peut noter ici que cette décision semble en contradiction avec la précédente : on ne peut à la fois reconnaître la valeur du jugement par contumace et en même temps refuser une extradition conforme aux accords européens.

Et maintenant ?
On a l’impression que par le passé, la justice française n’a pas mis beaucoup d’ardeur pour récupérer un ressortissant européen accusé d’un crime… Aujourd’hui, elle est au pied du mur. Et l’on ne comprendrait pas que ce sulfureux docteur Krombach échappe à la sentence d’un jury populaire ! Mais à la suite de son enlèvement, le parquet de Kempten, en Bavière, a ouvert une enquête pour séquestration et coups et blessures. Et le suspect principal, du moins en tant qu’instigateur, est évidemment André Bamberski. Et l’on risque fort d’arriver à cette situation incongrue où, l’Allemagne, après avoir refusé d’exécuter un mandat d’arrêt européen, réclame de la France l’extradition de Monsieur Bamberski.

Affaire à suivre…

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Le billet précédent, Affaire Maddie : un flic sur la paille, a été lu 2.452 fois en 2 jours. Il a suscité 26 commentaires, dont certains me reprochent de critiquer le comportement de Gonçalo Amaral. Ce n’est pas tout à fait vrai. J’apprécie son courage : défendre sa conviction d’enquêteur au point de démissionner… Et lorsque je l’ai rencontré, ses arguments m’ont en grande partie convaincu. Mais d’un côté ou de l’autre, j’ai du mal à admettre qu’on fasse du fric sur le dos d’une petite fille, probablement aujourd’hui décédée.

Treiber : le pompon, c'est la forêt de Bombon

Il s’est fait la belle dans un carton, et l’on a souri. Va se faire reprendre, ont dit les cassandres. Et depuis 1 mois 1/2, non seulement il court toujours, mais il trouve le moyen de ridiculiser policiers et gendarmes. C’était le vendredi de la semaine dernière… Les enquêteurs savent qu’il a un rendez-vous avec son amie Blandine, ou du moins qu’il doit venir relever sa boîte aux lettres, en planque-dans-un-arbre_egostracisme.jpgl’occurrence un trou dans un arbre où la jeune femme a déposé un pli, dans l’après-midi. Un arbre avec un cœur gravé dans l’écorce. Les poulagas se frottent les mains. Cette fois, il est marron, le fugitif ! Mais dans la Grande Maison, en haut, on ne veut prendre aucun risque, car plus haut encore, ça commence à tousser : cette histoire a assez duré ! Aussi vers 20 heures, nous dit Jean-Marc Ducos, dans Le Parisien, ce sont les hommes du RAID qui se mettent en place. Rien de moins. Mais pas facile d’établir une souricière dans une forêt, peu de policiers y sont préparés. Même ceux du RAID et j’oserais dire surtout… Entendons-nous bien, j’ai un profond respect pour ces hommes qui sont souvent confrontés à des situations à haut risque, ils ont montré leur valeur. Mais je ne suis pas sûr que les planques fassent partie de leur entraînement quotidien… C’est plutôt le boulot d’une brigade antigang. Enfin, peut-être que je me trompe…  

La réforme du Grand Paris de la police a été trop timorée doivent se dire certains. Ah, si la Préfecture de police avait compétence sur toute l’Île-de-France ! Mais pour l’instant on est sur le ressort de la direction régionale de PJ de Versailles.

À 21 heures, les choses bougent. Fausse alerte ! C’est un couple d’amoureux qui se gare en bordure d’un chemin de terre, en plein milieu du dispositif de surveillance. Leur conversation doit être d’un vif intérêt, car ils y restent environ trois quarts d’heure. On imagine les flics qui attendent la fin de la séance couchés sous les feuilles mortes de la forêt de… – et qui se gèlent les… Et impossible de bouger une oreille !

Enfin, les amoureux s’en vont. Mais quelques minutes plus tard, c’est la pluie qui est au rendez-vous. François Pérain, le procureur d’Auxerre, explique que « les conditions météorologiques étaient épouvantables, [et que] la perturbation a bouleveflagrant_delit.jpgrsé les surveillances ». On suppose qu’il parle de la visibilité, car on a du mal à imaginer des policiers qui refusent de se mouiller.

Vers 22 heures, une ombre apparaît enfin. Puis plus rien. Les caméras n’auraient selon la thèse officielle, rien enregistré. À cause de la pluie ? Quant au procureur, il refuse de confirmer qu’il s’agissait de Treiber : « Une personne s’est approchée dans l’obscurité et a pris la fuite aussitôt », et c’est tout.  En tout cas cette mystérieuse silhouette a eu le temps de relever le courrier. Et le journaliste du Parisien, qui manie la plume avec malice, de conclure son article ainsi : « Aussi incroyable que cela puisse paraître, le fugitif est parvenu à semer les super-policiers super-entraînés et super-équipés ».

C’est une loi relativement récente (2004 et 2005) qui a institué un cadre juridique pour la recherche des personnes en fuite. Elle permet entre autres, à la requête du procureur de la République, d’installer des écoutes, des surveillances techniques, etc.

Avant cette loi, on se débrouillait. Les anciens étaient-ils meilleurs ? Évidemment, non ! Mais ils compensaient le manque de moyens techniques par la fantaisie, l’initiative, le flair peut-être ! Et lorsqu’on loupait une affaire, c’était à l’abri des… caméras.

Aujourd’hui, après le show politique on en arrive à la police-spectacle, au point de voir des images de surveillance dans la presse. On dit que le ministre de l’Intérieur s’est fâché tout rouge (c’est un pléonasme me souffle une voix par-dessus mon épaule). Franchement, il y a de quoi. Et déjà, on a trouvé le responsable : la presse. À tel point qu’un syndicat de journalistes vient de publier un communiqué sous le titre Le Figaro Magazine auxiliaire de la guerre des polices dans lequel il est dit que « l’information s’accommode mal (…) d’une trop grande proximité avec la police ou la justice ».

Et pas de la politique ? assurancetourix-copie.jpg

De cette histoire abracadabrantesque, on peut tirer deux enseignements :

D’abord, il faut arrêter de pressurer les policiers et leur laisser suffisamment la bride sur le cou pour qu’ils puissent travailler à leur main – car ce métier ne vaut que par l’initiative individuelle.

Ensuite, les caméras de surveillance dont on veut truffer le pays ne servent pas à grand-chose.

Et par parenthèse, on peut en conclure qu’à l’époque du téléphone portable et d’Internet, le moyen le plus sûr est encore de communiquer via l’entaille d’un tronc d’arbre. Ce que les espions appelaient autrefois une boîte aux lettres morte.

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Le billet précédent, Récidive : la rétention de sûreté est appliquée en douce, a été lu 2.936 fois en 2 jours et a suscité 15 commentaires.

Polanski : Les Suisses sont chocolat

Après l’arrestation du fils Kadhafi pour violences, les Suisses ont cédé aux « sanctions économiques » de la Libye. Pour leur fameux secret bancaire, ils ont fait le dos rond couteau_suisse_en_chocolat.jpglorsque les Américains ont tapé du poing sur la table. Vont-ils aujourd’hui plier devant le tollé provoqué par l’arrestation de Roman Polanski ?

C’est une affaire judiciaire, diront les sages qui lisent ce blog. Pas tout à fait. Car malgré les apparences, l’extradition est une décision politique. D’ailleurs, en France, c’est le Premier ministre qui prend un décret pour entériner une telle mesure.

Si l’on devait définir l’extradition, on dirait que c’est la décision d’un état souverain de livrer à un autre état, dit requérant, un individu afin qu’il soit jugé ou, s’il a déjà été condamné, pour qu’il purge sa peine.

En France, c’est réglé par les articles 696 et suivants du Code de procédure pénale et régi par une multitude de conventions internationales. Le principe étant que la France, comme d’ailleurs de nombreux pays, n’extrade pas ses nationaux.  Raison pour laquelle, c’est probable, les États-Unis ont préféré s’adresser à la Suisse.

Ce qui permet à quelques ministres trop bavards de notre République de crier à l’injustice, au scandale, et de s’époumoner contre cette Amérique « qui fait peur », comme nous dit Mitterrand II.

Voyons, voyons… Que se serait-il passé si les États-Unis s’étaient adressés à nous ?… Pas question d’extrader Polanski, il est français. On doit donc, c’est la loi (art. 113-6 du C. pén.), l’arrêter et le juger en France. De quoi est-il soupçonné ? De viol sur mineur de 15 ans. Alors, M. Kouchner feuillette le Code pénal, et il découvre qu’il encourt une peine entre 5 et 20 ans d’emprisonnement, en fonction des circonstances. Il est vrai qu’il n’y a pas si longtemps, aux E-U, il aurait risqué la mort. Car ce n’est que l’année dernière que la Cour suprême a décidé que la peine de mort ne pouvait être appliquée qu’aux meurtriers. C’est ainsi qu’un certain Patrick Kennedy, qui avait violé une fillette de 8 ans, a sauvé sa peau. À noter au passage qu’à l’époque, le candidat Obama s’était montré défavorable à une telle mansuétude. Mais quid de la prescription ? Problème d’école, mais il semble bien qu’en droit français le réalisateur aurait pu en bénéficier.

C’est vrai qu’il s’agit d’une affaire vieille de plus de 30 ans…
Pourtant, il y a quelques semaines, certains se plaignaient de l’amnistie (de fait) dont bénéficiait cet homme qui venait de s’accuser d’avoir tué une épicière en 1975… 

Oui mais puisque la victime a pardonné ! Cela ne change rien, l’action civile est éteinte, mais pas l’action publique.

Alors ? M. Polanski s’est rendu coupable d’une infraction criminelle, et plutôt que de faire face, il a préféré se mettre en cavale. Aujourd’hui les-excuses_myspace_film.jpgla justice lui réclame des comptes, et finalement, ce n’est que… justice. Son talent, sa personnalité, n’ont rien à voir dans cette affaire. Une seule question : Pourquoi avoir attendu si longtemps…

Et du coup, ce sont les Suisses qui sont dans la panade. Et il y a fort à parier qu’ils vont de nouveau baisser culotte et mettre tout ça sur le dos des policiers, comme cela a été le cas pour l’arrestation d’Hannibal Kadhafi, après que les autorités se soient platement excusées auprès du papa.

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Le billet précédent, Ami, entends-tu…, a été lu 1.400 fois en 2 jours et a donné lieu à 14 commentaires.

La cavale de Treiber

J’ai toujours de l’empathie pour les gens qui ont une sale gueule… Or ce Treiber, il est gâté. Au point de se demander comment il a pu, à ce jour, échapper aux policiers et gendarmes de la France entière… Mais au fait, comment fait-on pour retrouver un détenu en cavale ?

evasion-en-carton_terra-economica.jpgÀ chaud, on met en place des barrages sur un ou plusieurs départements, et dans le cas de Treiber, on a fouillé minutieusement la forêt d’Othe, autour de l’entrepôt, point de destination du camion dans lequel il s’était dissimulé. Pour cela, un dispositif d’environ 120 hommes, qui ont parcouru en tout sens les chemins forestiers. Mais une fois acquis la conviction que « l’homme des bois » n’était pas dans les bois, il a bien fallu revenir à un travail plus conventionnel, plus routinier, plus discret.

D’abord, l’enquête de police judiciaire (l’évasion sans violence est un délit punissable d’une peine de 3 ans de prison) qui consiste autant à repérer les complices qu’à surveiller les contacts, la famille…

Et puis, la fiche de diffusion…
SIGNALEMENT : Homme de type européen, apparemment âgé de 50 ans, taille 1,80m, cheveux roux… Cette personne est dangereuse et susceptible d’être armée…

Enfin, l’inscription au FPR (fichier des personnes recherchées), dans l’une des neuf catégories, ici la « V », non pas pour victoire, mais pour « évadés ». Ce fichier est très ancien, bien antérieur à la date de son arrêté de création, en 1996. C’est le seul moyen efficace pour se donner une chance de retrouver une personne recherchée. En effet, il est systématiquement consulté pour toute demande de documents d’identité, et il est relié au système d’information Schengen et au fichier des passagers aériens.

Il existe également un service, l’Office central des personnes recherchées ou en fuite (OCPRF), commun à la police et à la gendarmerie, et rattaché à la direction centrale de la PJ. Il a pour mission « d’animer et de coordonner » la recherche des individus qui font par exemple l’objet d’un mandat de justice, ou qui sont considérés comme auteurs présumés d’un crime ou d’un délit, ou témoins importants…, et bien entendu les personnes évadées.

En fait, pour retrouver un bonhomme en cavale, on compte à 80 % sur l’erreur qu’il va obligatoirement commettre un jour ou l’autre, et pour le reste sur un témoignage, une dénonciation, ou un coup de chance (pour les enquêteurs, s’entend).

Et finalement, dans le cas des évasions, ça ne marche pas si mal. Les prisonniers qui se font la belle sont toujours repris un jour ou l’autre. Et pourtant, il s’agit le plus souvent de malfaiteurs chevronnés, lesquels bénéficient d’aides extérieures, d’argent, de faux papiers, d’un réseau de soutien… Ce n’est pas le cas de Jean-Pierre Treiber. Et même s’il a fait preuve d’ingéniosité avant de… plier ses cartons, on ne voit guère comment il pourrait échapper aux recherches… Mais son but, si j’ai bien compris, est tout autre : il veut attirer l’attention et démontrer son innocence. Et ça, c’est sans doute une première. Et puisqu’il a promis d’être présent le jour de son procès, on peut dire qu’il a d’ores et déjà marqué un sérieux point auprès des jurés de la Cour d’assises – surtout s’il se constitue prisonnier.

Et l’on s’étonne des propos tenus par l’avocat de la partie civile qui le présente comme coupable avant qu’il ne soit jugé.

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Le billet, Obama se prend les pieds dans la Toile, a été lu 1.250 fois en une journée. Il a donné lieu à 5 commentaires.

Julie : les enquêteurs ont-ils eu raison de mentir ?

J’imagine l’embarras des journalistes qui fidèlement ont rapporté les déclarations officielles : la jeune fille a fugué, tout le monde a été gentil et tout va bien dans le cadeau-a-la-presse_terra-economiicainfo.1252580188.jpgmeilleur des mondes. Sauf que tout était faux. Il s’agissait de donner du temps aux enquêteurs pour arrêter les auteurs de faits criminels : séquestration et viol d’un mineur de 15 ans.

Et le résultat est là ! Les gendarmes de la section de recherches de Toulouse ont réussi leur coup. On ne peut que les féliciter. Et en même temps on a l’impression désagréable d’avoir été dupé.

Pour les flics, les gendarmes, les magistrats, les rapports avec la presse sont toujours un casse-tête. Faut-il faire le black-out complet, comme dans l’enlèvement d’Ilan Halimi (avec le résultat que l’on connaît) ou au contraire enchaîner les déclarations et les sous-entendus comme ce fut le cas lors de la disparition du petit Antoine, l’année dernière. Il y a tout juste un an.

Ou demander à la presse de se taire, ce qu’elle a fait par exemple d’un seul bloc ou presque, pour cacher au grand public les menaces du soi-disant groupe terroriste AZF.

Ou faut-il, comme c’est le cas ici, utiliser les médias à leur insu. Les manipuler. La tentation est forte. Tous les flics de ma génération ont utilisé cette méthode, notamment dans les affaires de kidnapping. Ainsi, dans l’enlèvement de Maury-Laribière, le vice-président du patronat français, le sous-directeur de la PJ tenait des conférences de presse complètement bidon, comme de faire croire que la famille allait remettre la rançon contre l’avis de la police. Avec un objectif : rassurer les ravisseurs et nous donner une chance de plus de récupérer l’otage sain et sauf.

Bien sûr les vieux briscards de la presse n’étaient pas naïfs au point de tout gober. Souvent, ils étaient de connivence pour être certains d’avoir la bonne info au bon moment – c’est-à-dire juste avant les autres. C’est peut-être le cas pour les journalistes qui ont sorti l’affaire de la jeune Julie…

flic_indecis_lesso.1252586641.jpgEn tout cas, à mon avis, il y a une leçon à méditer : l’important n’est pas ce qu’on nous cache mais ce qui se cache derrière ce qu’on nous dit.

Assassinat du juge Michel : un complice retourne en prison

C’était le 21 octobre 1981, un tueur grimpé sur le tansad d’une moto tire trois balles de 11.43 dans la tête de Pierre Michel, Premier juge d’instruction à Marseille. En 1988, François Girard a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir commandité ce meurtre. Sorti de prison en 2005, pour raison de santé, vendredi dernier il a été mis en examen dans une affaire de trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et la France.

juge-michel.1251874888.jpgMichel était un juge hors du commun, chéri par les policiers et tout juste toléré par certains de ses collègues. Il faut reconnaître qu’il était parfois borderline, n’hésitant pas à faire pression sur les suspects, à les piéger dans leur cellule, à leur proposer des marchés pour pêcher un plus gros gibier… Mais quels résultats ! En 8 ans, une demi-douzaine de laboratoires d’héroïne décapités et de nombreuses affaires retentissantes, comme la tuerie du « Bar du téléphone » ou l’imprimerie de faux billets de la maison de retraite « Les cigales ».

On peut dire que dans son domaine, c’était un crack ! Faut dire qu’il avait été à bonne école. En arrivant à Marseille, il fait ses premières armes avec le juge Saurel, ce magistrat qui avec les commissaires Le Mouël, Morin et Aimé-Blanc a démantelé la « French Connection ».  D’emblée il reprend le flambeau de son mentor, notamment avec l’aide du commissaire Lucien Aimé-Blanc. Ce dernier, aux méthodes un peu marginales (tu m’en veux pas, Lucien ?) avait trouvé là son alter ego : une véritable connivence s’était installée entre les deux hommes.

Après le meurtre du juge François Renaud, à Lyon, en 1975, l’assassinat de ce deuxième magistrat a fait craindre que le milieu n’adopte les méthodes mafieuses à l’époque en cours en Italie… Inutile de dire que tous les moyens furent mis en oeuvre pour trouver les coupables…

Pourtant cette affaire a bien failli être classée !

La moto est retrouvée 48 heures après le meurtre. Elle avait été volée un an auparavant. Aucune piste, juste un fragment d’empreinte relevé derrière un autocollant. Un travail de fourmi pour les spécialistes de l’identité judiciaire, plus de 160.000 fiches consultées avant de tirer le bon numéro : Charles Giardina, un mécanicien au chômage, proche de la bande de la Carpette. Le conducteur habituel de la machine, une Honda 900 « Bol d’or », serait un certain Gilbert Ciaramaglia, qui lui est un truand chevronné. En recoupant certaines informations, les enquêteurs pensent que c’est Gaëtan Zampa, alias Tany, qui lui aurait confié la moto, en lui recommandant de la garder en réserve, « pour un coup ». Or le juge Michel avait Zampa dans le collimateur de longue date. Et il croyait bien le tenir, car lors du démantèlement d’un laboratoire clandestin (l’une de ses dernières opérations), il avait déniché dans la sacoche de l’un des trafiquants les coordonnées du monsieur. Et il avait fait connaître haut et fort sa volonté de pousser son avantage.

Mais les policiers ne parviennent pas à réunir la moindre preuve, juste des présomptions. Pendant ce temps, l’intéressé s’insurge – dans la presse – des accusations qui sont portées contre lui. En désespoir de cause, il est incarcéré en novembre 1983 pour des infractions financières. Six mois plus tard, il se pend dans sa cellule. Compatissant, un codétenu se porte à son secours et lui entaille la gorge. « J’ai voulu lui faire une trachéotomie », dira-t-il, imperturbable.

Considéré comme le tueur, Ciaramaglia est mis en examen. Mais au bout de deux ans d’instruction, faute de preuves, le juge Patrick Guérin renonce. Blanchi dans cette affaire, il sera condamné pour d’autres faits. Quant au voleur de la moto, son corps calciné et criblé de balles sera retrouvé en 1985, dans le bois d’Aubagne, près de Marseille.

Tous les flics qui s’intéressent au grand banditisme suivent cette enquête de près, et pour quelques-uns, la vengeance du milieu n’est pas nécessairement le mobile… Le juge Michel aurait mis le doigt sur un truc explosif : une mystérieuse filière de trafic d’influence qui aurait gangréné l’administration pénitentiaire et qui aurait permis à certain détenus (fortunés) d’obtenir des « grâces médicales »… Hypothèse qui n’a jamais vraiment été exploitée. Mais, ceux qui ont approché le magistrat les semaines précédant sa mort l’ont trouvé particulièrement tendu – et ce ne sont pas les menaces d’un truand qui aurait pu le perturber à ce point !

juge-michel_moto.1251874521.jpgFinalement, il faudra attendre 1986 pour qu’on commence à y voir clair. Et la lumière vient de Suisse, en la personne d’un détenu qui tente ainsi de négocier un allègement de sa peine. Et il donne des noms : Charles Altiéri et François Checci. Le premier pilotait la moto tandis que le second faisait feu sur le juge. Ils auraient agi à la demande de deux hommes : Homère Philippi, dit Mimi, un proche de Zampa, dont le nom est apparu dans le casse de la Société générale de Nice ; et François Girard, dit Le blond, condamné à une peine de 12 ans pour une affaire de trafic de stupéfiants instruite par le juge Michel. Incarcérés au moment des faits, tous deux auraient organisé ce meurtre du fond de leur cellule…

Altiéri, Checci et Girard ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Pour le premier par contumace, puisqu’il était parvenu entretemps à s’échapper de la prison suisse où il purgeait une peine de 20 ans de prison (il a été arrêté à Chypre en 1993). Quant à Philippi, à ma connaissance, il n’a jamais été retrouvé.

Sur le plan judiciaire, l’enquête sur l’assassinat du juge Michel a donc été bouclée, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il reste des zones d’ombre. Peut-être un jour l’un des protagonistes nous apportera-t-il un autre éclairage, comme un testament.

Une affaire criminelle qui en rappelle une autre

Le jeune garçon soupçonné d’avoir tué sa famille en Corse-du-Sud a été écroué, mais les gendarmes de la section de recherches ne sont pas satisfaits. Malgré les aveux, malgré les preuves, ils poursuivent leurs investigations. Peut-on corse-carte.jpgenvisager que cet adolescent ait « imaginé » un rôle qu’il n’a pas tenu ? Qu’il cherche à protéger quelqu’un ? Qu’il soit sous une emprise qui échappe aux enquêteurs ? Ou faut-il admettre simplement l’horreur d’un quadruple crime qui restera à jamais incompréhensible ? Un jeune meurtrier « dans un état proche d’un coup de folie », comme l’a dit (un peu vite ?) son avocate.

Cette affaire en rappelle une autre, tout aussi terrible et tout aussi mystérieuse. C’était le 27 février 1995…
Au petit matin, le permanent du commissariat de Marly-le-Roi reçoit un appel téléphonique. Une voix affolée : « Venez vite ! On a assassiné toute ma famille ». Incrédules, les policiers se rendent sur place, une somptueuse villa située à l’orée de la forêt domaniale, chemin des Gressets, à Louveciennes. Sidérés, ils découvrent les corps de six personnes, toutes tuées par balles. Seuls survivants du massacre, une petite fille de 2 ans ½, et Alexis P., âgé de 17 ans, qui vient justement de les prévenir. Les victimes sont ses parents, ses grands-parents et un couple d’amis de la famille.

C’est le début d’une affaire bizarre, et à dire vrai inconcevable, que les journalistes ont appelé La tuerie de Louveciennes. Même s’il ne reconnaît pas spontanément son acte, Alexis craque très vite. Au bout de quelques heures, il avoue être l’auteur de ces six meurtres, sans aucun motif sérieux, si ce n’est une mésentente avec son père.

Les aveux du jeune homme sont corroborés par les constatations : les empreintes sur les armes, les traces de poudre sur ses mains et même un fragment de sa montre, qu’il a cassée en défonçant la porte de la chambre.

Tout est dit.

Pourtant, une dizaine de mois plus tard, Alexis revient sur ses aveux. Il parle d’un homme, un Russe. C’est lui qui aurait commis ces meurtres. Et il l’aurait obligé, lui, le jeune Alexis, à en assumer la responsabilité. Menaçant de tuer sa jeune demi-sœur et sa mère (biologique) dans l’hypothèse où il raconterait la vérité à la police.
Sans vraiment y croire, le juge délivre une commission rogatoire pour vérifier. Et les policiers découvrent que l’oncle du jeune homme a également été assassiné, quelque part en Biélorussie. Or ce dernier avait repris les affaires de son frère, des affaires sur lesquelles planait l’ombre de la mafia russe…

Mais il existe trop de preuves contre le jeune homme. Le juge boucle son dossier, et le 14 mars 1998, Alexis P. est condamné à huit ans de réclusion criminelle – alors que l’avocat général réclamait une peine de 18 à 20 ans.

Une condamnation en demi-teinte qui montre la perplexité des jurés. Le dossier d’assises apportait des preuves mais pas d’explications. Et du coup, ils ont eu un doute, doute qui a profité à l’accusé.

Cette histoire ressemble suffisamment à celle qui vient de se passer en Corse pour se dire que malgré les preuves et les aveux, les gendarmes ont bien raison de poursuivre leurs investigations. Car de deux choses l’une, ou cet adolescent affabule ou les événements se sont déroulés tels qu’il les rapporte – et dans les deux cas, il faut à tout prix savoir pourquoi.

Il en va de l’intime conviction des jurés.

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