Aucun élément matériel sérieux, aucune preuve tangible n’est venu conforter la culpabilité d’Yvan Colonna lors de ce troisième procès. Certes, il existe contre lui un solide faisceau de présomptions. Il y a bien cette lettre sortie de nulle part,
mais c’est une arme à double tranchant. Il faut dire que son origine reste mystérieuse. D’autant que son signataire dit ne jamais l’avoir écrite, et son destinataire ne jamais l’avoir reçue… Pourtant, Christian Lothion, le directeur central de la police judiciaire, ne pouvait faire autrement que de rapporter cette pièce devant la cour d’assises – ce qui ne veut pas dire qu’il en connaisse l’origine. Il a d’ailleurs déclaré ne pas savoir s’il existait un original, ajoutant que, s’il s’agissait d’un faux, il en assumait la responsabilité. Ceux qui le connaissent ne peuvent mettre en doute son intégrité. Pourtant, cela ressemble tellement à une manipulation qu’il aurait mieux valu oublier cette pseudo-pièce à conviction de dernière minute. Le président de la Cour en a décidé autrement. Il l’a versée au dossier, invoquant « la liberté de la preuve », prenant ainsi le risque d’un pourvoi en cassation. Et d’un quatrième procès.
Contrairement aux États-Unis, chez nous, l’accusé n’a pas à démontrer son innocence, raison pour laquelle la défense ne bénéficie d’aucun moyen d’investigation. C’est au ministère public d’apporter la preuve de sa culpabilité. Et, dans cette affaire, pas d’empreintes ADN, pas d’empreintes digitales, pas de caméras, pas d’écoutes, pas d’aveux… seulement des mises en cause, des rétractations, des témoignages… En fait, le principal de l’accusation tourne autour de déclarations et sur le fait qu’après le meurtre, le berger se soit mis en cavale. On le disait au Venezuela, au Brésil, aux Antilles… exfiltré du territoire par on ne sait quel réseau, et pendant ce temps, il gardait ses moutons.
Les neuf magistrats professionnels qui composent la Cour d’assises spéciale (compétente pour juger les crimes en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants en bande organisée) vont donc avoir du mal à rendre leur jugement. D’autant que, cette fois, leur verdict devra être motivé, et pas seulement basé sur l’intime conviction. Autrement dit, chacun expliquera sa décision dans un écrit joint à la liste des questions. Or, si l’on revient en arrière, on peut se demander sur quels arguments concrets, en 2009, leurs prédécesseurs se sont basés pour répondre à la question n° 31 : Yvan Colonna est-il coupable d’avoir « volontairement donné la mort » à Claude Érignac ? Oui, ont-ils répondu à la majorité, c’est-à-dire au moins cinq d’entre eux.
Devant une cour d’assises d’appel normalement constituée, il aurait fallu dix voix sur quinze, soit les deux tiers. Me Dupont-Moretti avait d’ailleurs souligné cette anomalie, estimant que dans ces conditions, la moindre des choses serait que le verdict soit motivé. Pour le procès 2011, le président de la cour d’assises lui a donné raison, estimant que la motivation était « conforme aux exigences d’un procès équitable, au sens de la convention européenne des droits de l’Homme ». Il ne s’agit pas pour autant d’une fleur faite à l’accusé, mais plutôt de l’application stricto sensu du principe de précaution : éviter à tout prix que le jugement ne soit à nouveau remis en cause par la cour de cassation. Pourquoi ? Parce que celle-ci doit se prononcer sur le même sujet le 15 juin prochain, en réponse au pourvoi de l’islamiste algérien Rachid Ramda, condamné pour des attentats commis à Paris en 1995.
D’autant que dans la réforme de la procédure concernant la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, Michel Mercier, le garde des Sceaux, a inséré un article 365-1 qui prévoit que l’arrêt des cours d’assises sera dorénavant motivé. Le président ou l’un de ses assesseurs devra « énoncer les principales raisons qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises ». Si la loi est adoptée, sa mise en application est prévue pour le 1er janvier 2012.
Pour en arriver là, la route a été longue.
Le Conseil constitutionnel saisi de deux QPC a décrété, en avril 2011, qu’il appartenait au législateur de fixer des règles claires de nature à exclure l’arbitraire, que ce soit dans les enquêtes pénales ou devant les juridictions. Message reçu cinq sur cinq par Michel Mercier.
De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme s’était dans un premier temps déclarée favorable à la motivation du verdict des cours d’assises (arrêt Taxquet) avant de faire légèrement machine arrière, en novembre 2010 : « La non-motivation du verdict d’un jury populaire n’emporte pas, en soi, violation du droit de l’accusé à un procès équitable. »
Yvan Colonna, lui, n’est pas jugé par un jury populaire mais par des magistrats professionnels. Raison de plus pour qu’ils motivent leur décision. Cela peut jouer en sa faveur, car il est plus difficile d’expliquer les raisons d’une condamnation que de répondre simplement par oui ou par non. 
Quel que soit le verdict, on gardera en mémoire une enquête perturbée par les appétits de chacun : un flic qui visait la casquette de préfet, un préfet qui se prenait pour un flic, un juge qui se voyait place Vendôme et un ministre de l’Intérieur qui louchait vers l’Élysée. Pas vraiment la sérénité.
Yvan Colonna, lui, n’est pas jugé par un jury populaire mais par des magistrats professionnels. Raison de plus pour qu’ils motivent leur décision. Cela peut jouer en sa faveur, car il est plus difficile d’expliquer les raisons d’une condamnation que de répondre simplement par oui ou par non.

Voici un petit pensum des bizarreries que l’on a pu découvrir au fil des jours :
Lebbos d’avoir obtenu des aveux par des moyens… intellectuellement malhonnêtes. Il est certain qu’une garde à vue, ça se rapproche plus du poker menteur que de la belote. D’un côté, il y a ceux qui veulent obtenir des renseignements, voire des aveux ; et de l’autre, ceux qui n’ont pas envie de partir en galère. Alors, il y a trois méthodes. Celle de la guerre d’Algérie, celle de l’ENA, et la bonne : on baratine pour tenter de convaincre les suspects qu’il est de leur intérêt de se confesser. C’est pas beau-beau, mais chez les flics, il n’y a que les gens de la police technique qui mettent des gants blancs. L’un des procédés consiste à établir un P-V de chique : on enferme un suspect dans ses mensonges. Ensuite, on lui met sous le nez les déclarations (bidonnées ou pas) de l’un de ses complices. Ça marche des fois. Rarement chez les voyous. Mais là, on n’est pas dans le « milieu ».
Dans cet embrouillamini, on ne sait plus si on doit rire ou pleurer. Mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas un jeu : un homme de 60 ans a été lâchement assassiné. Un autre homme a été condamné pour cet acte. Il a fait appel. Il est rejugé.
Le commissaire Vinolas n’est pas ce qu’on appelle un flic de terrain. Au début de sa carrière, après deux années à la direction de la PJ où il s’occupe des vols de voitures, il est nommé « chargé de mission » au cabinet du directeur général de la police nationale, peu après l’arrivée de Pierre Joxe à la place Beauvau. À l’époque, il pouvait d’ailleurs côtoyer le père d’Yvan Colonna, le député socialiste des Alpes-Maritimes, Jean-Hugues Colonna, qui avait un bureau voisin au sien. Plus tard, en 1991, le député deviendra le conseiller technique de Philippe Marchand, le nouveau ministre de l’Intérieur,.
Tout cela, nous a-t-on dit en 1986, pour protéger les citoyens jurés. La vérité est qu’on veut mettre à mal l’un des derniers héritages de la Révolution: le jury populaire. Mais il ne faut pas trop le dire. C’est un peu comme les 35 heures : on n’y touche pas, mais on les flingue en douce.
