LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Actualité (Page 58 of 71)

L'escroquerie à la boule de neige

Un récent rapport sur la cybercriminalité montre que la crise économique génère une ambiance favorable aux escrocs et aux arnaqueurs. Aujourd’hui, les consommateurs du monde entier se tournent vers Internet pour chercher des emplois, gérer leur budget ou tout simplement faire de « bonnes affaires ». À la différence des hackers, ces filous n’ont pas besoin de connaissances informatiques. Il leur suffit d’un peu d’imagination.

logo_escroquerie.1231667403.jpgSelon l’éditeur de sécurité informatique McAfee, le nombre de programmes malveillants aurait augmenté de 500 % l’année dernière. En France, les escroqueries et les abus de confiance ont augmenté de 20 % entre novembre 2007 et décembre 2008, tandis que le taux d’élucidation n’est que de 35 %.

La plupart des États n’ont pas encore pris conscience de l’importance de ce phénomène. Et chez nous ?

Notre ministre de l’Intérieur vient de faire un premier pas en présentant un plan qui vise à « prévenir, détecter et réprimer » ce type d’infraction. Un numéro de téléphone « info escroqueries » a été ouvert au public. Au prix d’un appel local, toute personne qui pense être la victime d’une escroquerie ou d’une tentative d’escroquerie, peut s’informer auprès de policiers réservistes. Parallèlement, un site spécialisé a été ouvert (ici) sur lequel « tout internaute pourra signaler un site ou un mél dont le contenu lui semblerait illicite ». C’est de la délation, mais il faut garder en mémoire que les victimes d’escroqueries (surtout sur Internet) sont souvent de petites gens, désarmés devant la justice : « la partie la plus fragile, la plus naïve ou la plus généreuse de la population », comme dit avec ses mots Madame Alliot-Marie.

Au cours de la présidence française de l’Union européenne, elle a également fait adopter (à l’unanimité) l’idée d’une plate-forme européenne de signalement. Installée auprès d’Europol, cette structure devrait être opérationnelle l’année prochaine.

L’imagination des escrocs n’a pas de limite. Ainsi, sur Internet on trouve une version moderne du « vol au rendez-moi ». Jean X. met un objet en vente, disons mille euros. Un acheteur se manifeste. Il habite un pays étranger. Après un échange de mails, Jean reçoit un chèque de 1.200 € et en même temps un mail dans lequel l’acheteur explique qu’il s’est trompé dans la conversion en euros, ou que finalement il préfère payer les frais de port à réception, ou qu’il y un problème de TVA, ou n’importe quoi de crédible. Et il demande le remboursement du trop perçu. Par prudence, Jean attend que son compte soit crédité pour effectuer le remboursement. En fait, il vient de perdre 200 €, mais il ne le sait pas encore. Il s’en rend compte lorsque sa banque lui débite le montant du chèque, qui évidemment était en bois.
La force de cette arnaque tient dans le renversement de situation : ce n’est pas le vendeur qui est malhonnête, mais l’acheteur.

Mais l’autre jour, ce n’est pas sans nostalgie que j’ai retrouvé le remake de l’escroquerie à la boule de neige. Enfant, je m’étais émerveillé devant la logique des chiffres et je m’étais fait avoir de quelques centaines de francs (anciens). C’était la version papier. Voici la version numérique :
Sur le site d’autoédition Lulu.com, on peut télécharger gratuitement un petit opuscule, Je ne vends rien je donne juste un tuyau super, d’un certain Anthony Herout. Pour s’enrichir sans rien faire, il suffit d’avoir une adresse email, un compte Paypal avec 5 € dessus et 30 ou 40 minutes à perdre.
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Le principe est simple : sur une liste de cinq adresses email, on envoie 5 € à la première – qu’on retire de la liste – et l’on inscrit la sienne en cinquième position. Ensuite il faut expédier cette liste avec le mode d’emploi à une quarantaine d’autres personnes. Si vous avez fait ça et si les quarante destinataires ont fait la même chose que vous, et les quarante suivants, etc. Au bout de cinq fois, c’est votre adresse qui sera en tête de liste. Et sauf erreur dans mes calculs, vous recevrez environ cent millions de fois 5 €, c’est-à-dire, la bagatelle d’un demi-milliard d’euros.
Évidemment, le seul qui s’enrichit dans cette histoire, c’est Anthony Herout. Il s’agit d’une escroquerie à la boule de neige, dite aussi escroquerie pyramidale.

L’autre soir, à la télé, un vieux couple expliquait comment il s’était fait escroquer de 7.000 € en réservant un bien immobilier qu’il n’avait même pas visité. Et la dame de dire : « Dans la vraie vie, on ne l’aurait jamais fait ».

Angoissant, non ?

Je n'ai pas peur de la justice…

C’est en résumé ce que nous dit le premier magistrat de France, mais nous qui ne sommes pas président de la République, devons-nous en avoir peur ? On peut le penser. Si on réforme, c’est que cela ne marche pas. Or, il semble que Nicolas Sarkozy a changé de registre. Longtemps, il a été le représentant des victimes, claironnant ici ou là qu’on n’en tenait pas suffisamment compte. D’ailleurs son leitmotiv n’est-il pas « je veux vous protéger » ! Aujourd’hui, il n’en parle pas.

bagnard_unicefr.1231495009.jpgOr, bizarrement, ce qu’on dit, ce qu’on lit, nous ramène essentiellement aux relations entre la justice et le justiciable : pouvoirs juridictionnels du juge d’instruction, omniprésence du procureur, rôle de l’avocat, etc. Et suivant sa girouette politique de nous menacer des pires avanies pour le cas (probable) où cette réforme verrait le jour : justice à deux vitesses, ingérence du pouvoir politique, dépénalisation des affaires financières… Ou de nous promettre une justice plus soucieuse des libertés, une meilleure représentativité de la défense, une détention préventive plus circonstanciée…

Question : Et la victime ?

Il y a quelques jours, un ami m’a rapporté les faits suivants : un vieil homme est retrouvé mort en bas d’une échelle. Il a une plaie à la tête. Les gendarmes en déduisent qu’il est tombé : accident. Le procureur confirme et il n’y a même pas d’enquête pour rechercher les causes de la mort, comme le prévoit pourtant le Code de procédure pénale (art. 74). Mais son épouse n’est pas d’accord. Elle tente d’expliquer que d’abord son mari ne montait jamais sur une échelle, car il était sujet au vertige, et qu’ensuite ladite échelle était habituellement rangée sous un hangar, et qu’il n’aurait jamais eu la force de la transporter et de la dresser contre le mur. Personne ne l’écoute. Elle radote la vieille. Qu’est-ce qu’elle doit faire ? me demande mon ami. Hypocritement, j’ai répondu qu’elle devait saisir le procureur.

Oui mais le procureur, il a déjà répondu. Va-t-il se déjuger ?

Lorsque le petit Antoine a disparu, il y a maintenant quatre mois, le procureur n’a pas déclenché le plan Alerte-enlèvement. Persuadé de la culpabilité d’un proche, il a orienté les recherches dans cette direction en justifiant son action par des déclarations à la presse, tissées de sous-entendus. Or 95 % des disparitions d’enfants se règlent dans les heures qui suivent. Parfois avec un dénouement heureux, souvent le contraire. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas ce qu’est devenu cet enfant. Sa mère vit avec 400 euros par mois. La justice, ce n’est pas pour elle.

De nos jours, en France, il y a déni de justice pour de nombreuses personnes, surtout celles qui n’ont pas les moyens, matériels ou intellectueavis-recherche-interpol_53974070.1231495184.jpgls, de s’intégrer dans cette ronde juridique peuplée de gens de robe.

Comment fait-on pour saisir la justice lorsqu’on pense être victime d’un crime ou d’un délit ? On va au commissariat ou à la gendarmerie pour déposer une plainte. Et si cela ne suffit pas ? On écrit au procureur de la République. Et si cela ne suffit pas ? Pour une grande majorité des gens, c’est fin de partie.

Sur ce blog, nous avons été les premiers (voir les deux billets – ici et ici – et les nombreux commentaires) à nous interroger sur les conséquences de la disparition du juge d’instruction, mais le problème n’est plus là. Il s’agit maintenant de remplacer intégralement notre système procédural actuel par un autre, plus moderne, plus adapté. Et qu’il renforce les droits de la défense, moi, je trouve ça indispensable. Mais on aimerait dans le même temps, qu’il aménage aussi un juste équilibre entre les droits des justiciables et les droits à la justice.

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais plutôt que d’empiler des banalités, il me semble que l’opposition politique devrait participer à la construction d’un Code de procédure pénale qui lui survivra peut-être et qui survivra de toute façon au président actuellement en fonction.

Mort d'un truand

Dans le milieu lyonnais des années 70 on l’appelait « La Carpe ». Un surnom plutôt flatteur pour un truand. Âgé de 78 ans, il vient de se suicider après avoir abattu son gendre, dans un coron de la cité minière de Marles-les-Mines, dans le Pas-de-Calais. Son nom ? Louis Guillaud, mais personne le connaît – et c’est bien. Pourtant, c’est un ancien caïd, dont le patronyme a figuré longtemps dans le fichier du grand banditisme.

la-trilogie-noire-de-leo-malet-par-daoudi-et-bonifay.1231315803.jpgPetit retour en arrière… Dans ces années-là, la cité lyonnaise est au centre du grand banditisme et les règlements de comptes entre truands vont bon train. Le gang de Momon Vidal écume la France, en se livrant à une série de hold-up retentissants, dont le plus spectaculaire (et le plus lucratif) est celui de l’attaque de la poste centrale de Strasbourg. Un butin de plus de onze millions de francs contenus dans huit sacs postaux. La presse le qualifiera de « hold-up du siècle ».  Plus tard, on dira même que le butin a servi à renflouer les caisses d’un parti politique. Sans doute en raison de la personnalité du parrain local, Jean Augé, dit P’tit Jeannot, ancienne barbouze et militant du SAC (service d’action civique). Durant la guerre d’Algérie, ce lascar portait le sobriquet moins reluisant de Jeannot la Cuillère, pour sa manière d’utiliser cet accessoire comme engin de torture, en énucléant ses victimes.

En tout cas, à la PJ, on n’aime pas trop ce genre de littérature politico-criminelle, surtout du côté de la rue des Saussaies. Le sous-directeur des affaires criminelles, Honoré Gévaudan, met la pression sur les gens du SRPJ de Lyon. Ce qui n’est pas vraiment utile car le sous-chef de ce service, le commissaire Pierre Richard, est un hyperactif. C’est l’affaire de sa vie. Des centaines d’hommes à sa disposition qu’il gère comme un général, pour parvenir à arrêter tout ce beau monde en « flag ». Des moyens techniques de surveillance innovants pour l’époque et… un résultat en demi-teinte. À défaut de flag, une partie de l’équipe est arrêtée, avec l’espoir d’obtenir des aveux et de découvrir des indices, des preuves. Coup de chance, il y a eu un peu les deux. Des éléments suffisants pour conduire ces truands en Cour d’assises, devant des jurés étonnés de la déposition passionnée du commissaire Richard. Dix ans de réclusion pour le chef de gang, Edmond Vidal, sous les applaudissements de ses amis, qui s’attendaient à bien pire.

Quant à La Carpe, il passe à travers les mailles du filet. On ne saura jamais quel rôle il a joué dans cette équipée.

Pas plus qu’il n’apparaît dans l’assassinat du juge François Renaud, dit Le Sheriff, le 3 juillet 1975. Affaire criminelle non résolue, même si on ne peut s’empêcher de faire un rapprochement entre l’enquête sur le gang des lyonnais et la mort du magistrat. Et sans faire de roman, les policiers savent bien que depuis la disparition brutale de P’tit Jeannot, en 1973 (une dizaine de balles calibre 11.43), l’étoile montante est un certain Nicolas Caclamanos, alias Nic le Grec, un gaillard qui ne s’embarrasse pas de fioritures – et un proche de Guillaud.

En décembre 1975, un enfant de neuf ans, Christophe Mérieux, est enlevé sur le chemin de l’école. Son père est l’actionnaire principal de l’Institut Mérieux et le petit-fils du constructeur des camions Berliet. Il est libéré quatre jours plus tard contre le paiement d’une rançon de 20 millions de francs. Mais en réécoutant les enregistrements téléphoniques effectués lors des tractations entre les ravisseurs et la famille, un vieux flic reconnaît la voix haut perchée de Louis Guillaud. Dès lors, les policiers ne le quittent plus. Et le 25 février 1976, il est appréhendé au moment où il tente de convertir une partie de la rançon en lingots d’or. Lors de sa première comparution devant le magistrat instructeur, le Palais de Justice est transformé en place forte. Nic le Grec doit se dire que même les carpes peuvent parler, car d’après un tuyau, il a décidé de l’éliminer. Pourtant, fidèle à sa réputation, Guillaud ne dit pas un mot. Mais dans le studio où l’enfant a été séquestré, on relève les empreintes de Jean-Pierre Marin, un individu considéré comme un tueur psychopathe. Il est abattu lors de son corons-de-marle-les-mines_flicker.1231316784.jpginterpellation. Guillaud a été condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Il en a fait quatorze. Christophe Mérieux s’est noyé dans sa piscine en juillet 2006. Le reste de la rançon n’a jamais été retrouvé.

À sa sortie de prison, Guillaud s’est retiré dans le nord de la France (ici). La semaine dernière, pour Noël, il est allé rendre visite à sa fille. On dit qu’il était compromis dans une nouvelle affaire et qu’il n’avait pas l’intention de finir ses jours en prison et que pour la première fois, peut-être, il aurait parlé. On dit aussi, c’est plus légende, que sa fille n’était pas heureuse en ménage, raison pour laquelle il aurait abattu son mari d’une balle dans la tête avant de se donner la mort. La famille dément.

Le juge d'instruction : une star déchue

Le statut du juge d’instruction est-il anachronique ? Pour le président de la République, cela ne fait guère de doute, et la commission qu’il a désignée pour « réfléchir » à la réforme de la procédure pénale lui a emboîté le pas. Dans un questionnaire adressé aux différents acteurs judiciaires, son président, Philippe Léger (ancien avocat général de la Cour de justice des communautés européennes), pose la question sans fioritures : êtes-vous pour ou contre le maintien du juge d’instruction ?

juge_intimeconviction.1231143053.jpgPour Jean-Claude Magendie, le premier président de la Cour d’appel de Paris (interview publiée dans Le Figaro du 11 décembre 2008), c’est clair : « Certains juges d’instruction ont conçu leur fonction de manière trop solitaire, coupés de l’institution, refusant d’échanger sur leurs pratiques. Je le dis depuis longtemps, la seule façon d’éviter la suppression du magistrat instructeur serait qu’il s’intègre dans un travail collectif (…) En tout cas, la starisation du juge d’instruction a vécu ».

Si les insuffisances du juge Burgaud, dans l’affaire d’Outreau, ont cristallisé les griefs contre le juge d’instruction, on peut dire que la goutte d’eau, c’est la convocation manu militari de l’ancien directeur de Libération. Même si l’on sait à présent que l’intéressé s’est donné le beau rôle en fustigeant exagérément le comportement des policiers, les méthodes de la juge Muriel Josié ont été désapprouvées par la plupart de ses confrères. Le moyen était légal a estimé sa hiérarchie, mais disproportionné par rapport à la nature de l’infraction, et du coup attentatoire à la dignité humaine. Elle a piqué un coup de sang, a-t-on murmuré, comme pour l’excuser.

Donc, puisque le juge ne parvient pas à instruire à charge et à décharge, on va chambouler le système judiciaire de façon, nous promet-on, à donner davantage de droits à la défense. On s’acheminerait alors vers un système de type anglo-saxon où les avocats disposent d’un véritable pouvoir de contre-enquête. Mais du coup, on se demande si l’on ne va pas vers une justice à deux vitesses…

Pourquoi, ce n’est pas déjà le cas ?

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Dans la note précédente sur la réforme de la procédure pénale, les commentaires ont été particulièrement constructifs (ici), je me permets d’en recommander la lecture.

Réforme annoncée de la procédure pénale

Lorsque Nicolas Sarkozy glisse une petite phrase dans un discours, il faut la prendre au sérieux. Il y a un an : « Je souhaite (…) que l’on réfléchisse à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques… » Or aujourd’hui, il pense qu’il faut réformer « notre procédure pénale pour mieux protéger nos libertés individuelles ».

magistrat_dreyfusculture.1230884530.jpgLa procédure pénale délimite les règles qui s’imposent dans la chaîne judiciaire qui suit un crime ou un délit. Elle est définie dans le Code de procédure pénale (CPP) qui a remplacé en 1958-59 le Code d’instruction criminelle (CIC) de 1808. C’est en quelques sortes le mode d’emploi pour les policiers, gendarmes et magistrats ; les droits et les devoirs qui les accompagnent dans l’enquête qui va de la constatation d’une infraction à la condamnation définitive de son auteur.

La procédure pénale doit permettre un équilibre entre le respect des libertés individuelles et la protection de la société.

L’article préliminaire du CPP précise que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire, et que les mesures de contrainte doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.

Donc, nous dit le président de la République, ce n’est pas le cas.

Il faut reconnaître que le CPP est un tel embrouillamini de textes qui se superposent souvent sans aucune cohérence et parfois même en contradiction les uns avec les autres, qu’il est difficile de s’y retrouver. Résultat de la cogitation de parlementaires féconds qui modifient la loi dans le sens de l’opinion publique, au jour le jour. Comme l’a dénoncé Robert Badinter, « Nous sommes passés de la démocratie d’opinion à la démocratie d’émotion ».

Il existe deux systèmes de procédure pénale :
– le système accusatoire, où chaque partie apporte ses éléments et où le juge joue essentiellement un rôle d’arbitre ;
– et le système inquisitoire, dans lequel le juge mène l’enquête de A à Z et rédige une procédure secrète et non contradictoire.

Une bonne justice est probablement un mélange des genres. Or, je ne pense pas dire de bêtises en affirmant qu’en France le système inquisitoire prédomine nettement, ce qui donne l’impression au justiciable d’être pieds et poings liés face au juge d’instruction.

Donc, le premier point d’une réforme consistera probablement à évoluer vers un système « accusatoire » et à remettre en cause l’existence même du juge d’instruction.

La loi sur la présomption d’innocence du 15 juin 2000 lui a déjà retiré le pouvoir de décider de la mise en détention provisoire en désignant un autre magistrat : le juge des libertés et de la détention (JLD). Mesure applaudie par les avocats. Mais hélas les moyens n’ont pas suivi ce transfert de compétences… Dans la pratique, le JLD décide un peu à la sauvette, sans connaître le dossier, sans interroger le suspect, et après une journée de travail qu’on peut imaginer bien remplie.

Or il s’agit de la décision la plus grave qu’un magistrat puisse prendre : priver quelqu’un de sa liberté.

Ce sera sans doute le deuxième point d’une réforme bien sentie.

Le troisième point est cher à notre président : la responsabilité « personnelle » des magistrats. Aujourd’hui, en cas de faute professionnelle d’un magistrat, c’est l’État qui est condamné. Il semble que « Maître » Sarkozy souhaiterait que l’État puisse se retourner, d’une manière ou d’une autre, contre celui qui a commis une faute.

Pour résumer, trois considérations devraient donc guider une remise à plat de la procédure pénale :
– La possibilité pour le justiciable de se défendre tout au long de la chaîne procédurale ;
– une décision d’emprisonnement prise à bon escient ;
– des magistrats responsables de leurs erreurs.
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Mais il y a sans doute plein de choses qui m’échappent. Si vous avez des idées sur la question, n’hésitez pas…

En tout cas, c’est un chantier complexe et il va falloir un juriste de taille pour s’atteler à cette tâche. Je ne sais pas si vous avez un nom, moi, je donne ma langue au chat.

2008 : l'année des chiffres

Sans nous demander notre avis, les scientifiques ont décidé de prolonger 2008 d’une seconde. Comme tripatouillage, on a vu pire. Ainsi, en 1582, d’un trait de plume, Christoph Clavius, qui est le père de notre calendrier, a supprimé dix jours du mois d’octobre. Quelle leçon d’humilité ! L’homme d’aujourd’hui croit qu’il dirige le monde et en une seconde, on comprend que c’est tout le contraire. À défaut de percer le mystère du temps, on pensait au moins maîtriser les chiffres…

montre-molle-tableau-de-dali-copie.1230644510.jpgNenni. 2008 restera comme l’année des chiffres incompréhensibles : Sarkozy dépose 26 milliards d’euros sur la table, pour sauver la France de la banqueroute ; l’Europe, 200 ; la Chine, 450 ; le Japon, 410 ; les États-Unis 750 ; et Barack Obama en prévoit 1.000 de plus.

Au total, c’est entre 2 et 3.000 milliards d’euros (bof !) qui seront donc injectés dans l’économie mondiale pour sauver… l’économie mondiale – mais qui donc va nous sauver de l’économie mondiale ?

Cette crise financière, qu’on nous annonce cataclysmique, au point d’en oublier la couche d’ozone qui se désagrège, les glaciers qui se liquéfient ou la menace terroriste, est-elle réelle ou bidon ?

On se souvient du changement de millénaire… La fin du monde annoncée. Un bug gigantesque, et puis… rien. Ou les armes nucléaires de Saddam Hussein… Ne soyons pas dupes. Lorsque les sirènes chantent, c’est toujours avec une arrière-pensée. Et tentons de conserver un zeste d’humour, un rien de deuxième degré, comme cet internaute anonyme qui a annoncé la couleur : « Si la crise devient mondiale, je quitte le pays ».

2008, l’année des chiffres qui ne veulent plus rien dire : shadok-reussite_e-atlantidecom.1230647499.jpg1 seconde de plus et 3.000 milliards sortis du chapeau, un trader de 30 ans qui perd 5 milliards, 63.619 personnes en prison (dont plus d’un quart sont présumées innocentes), une escroquerie de 50 milliards, 311.203 crimes ou délits constatés, 600 milliards d’euros du CAC partis en fumée, 5 SDF morts de froid, 58.779 clics sur ce blog juste pour suivre les mésaventures de Julien Dray, 53.809 personnes placées en garde à vue, 2 millions de chômeurs, 126.859 enquêtes résolues par la police et la gendarmerie, 48 heures de garde à vue, un enfant qui n’aura vécu que 3 ans, 300 millions de SMS attendus à minuit, 27 hôpitaux qui refusent un mourant, 6.750.126.571 terriens au 31 décembre 2008, à 8 heures 27 minutes et 03 secondes (ici).

Si je peux me permette un souhait, un seul, pour 2009 : moins de chiffres et plus de bonheur.

Bonne année.

Quand la police devient un marché public

Alors qu’un récent rapport envisage la fermeture de 175 brigades de gendarmerie, Michèle Alliot-Marie souhaite « un partenariat entre acteurs privés et publics ». La sécurité publique est un nouvel enjeu économique. C’est ce qu’il faut retenir du 1er sommet européen de la sécurité publique qui s’est tenu à la mi-décembre, et qui réunissait les 27 pays de l’U-E. Dans son discours, la ministre de l’intérieur a parlé « d’une économie de la sécurité (…) qui représente 1.500.000 emplois en Europe » et a annoncé la création d’un « Conseil économique de la sécurité » auquel seront associées des personnalités extérieures à l’administration (vidéo ici).

protection_polytrans.1230458982.jpgBizarrement, alors qu’il s’agit d’un domaine qui nous concerne au premier chef, ce sommet n’a guère été relayé par les médias. Avec quelques exceptions. Ainsi, Isabelle Mandraud, pour Le Monde (ici), a fait un petit tour d’Europe de la sécurité. Dans son article, elle nous explique par exemple qu’en Roumanie, les policiers et les agents privés patrouillent de concert, qu’en Hongrie, la surveillance des bâtiments publics est confiée à des entreprises privées, en Italie, c’est la vidéosurveillance, en Espagne, la protection des personnes menacées par l’ETA, etc. Dans huit pays d’Europe, les effectifs privés sont plus importants que les effectifs publics. Le pompon revient à la Grande-Bretagne, où le secteur privé est en charge du transfert de prisonniers (11 prisons privées sur 130) ou de la chasse aux infractions pour stationnement irrégulier.

Alliot-Marie, dans son discours, donne en exemple l’efficacité du service de sécurité de la SNCF ou de la RATP, et la parfaite collaboration avec la police nationale. Mais faut-il aller plus loin ? Faire effectuer les transports de fonds ou la surveillance de bâtiments par des entreprises privées ne pose guère de problème, mais ces personnels n’ont aucun pouvoir de police. Or, la ministre de l’intérieur envisage les choses différemment. Elle estime que « pour répondre à la demande de sécurité de nos concitoyens (…), la sécurité privée doit encore prendre plus de place dans la lutte contre l’insécurité ». Mais, sans doute pour nous rassurer, elle martèle aussi que « l’État demeure l’architecte de la sécurité globale ».

Tandis que des bruits persistants circulent sur la suppression de 10.000 postes dans la police et dans la gendarmerie, je me demande ce qu’en pensent les syndicats de police… Sur le plan idéologique, je crois qu’ils ne se sentent pas concernés (à mon avis, ils ont tort), mais sur le plan pratique, deux d’entre eux (UNSA-Police et SGP-FO) ont mis sur pied une manif virtuelle (ici) pour protester contre les diminutions d’effectifs et la remise en cause des acquis sociaux.

Alors, faut-il s’inquiéter de cette privatisation de la police ? Je vous laisse juge, tant il est malaisé d’envisager les conséquences sur notre vie de tous les jours, mais la réflexion d’Yves Roucaute, professeur à Paris X, fait froid dans le dos (d’autant qu’il est également, me semble-t-il, conseiller politique en matière de sécurité) : « Une illusion est en train de s’effondrer : l’État n’est plus le maître. Partout en Europe, les normes imposent leurs règles et la sécurité devient un secteur hybride ».

Souvent, on critique la police, mais si demain une partie de son activité (vidéosurveillance, infractions routières, contrôle aux frontières, expulsions…) était confiée à des entreprises privées, ce serait comment ? Difficile à imaginer, non ?

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Les détectives privés seront-ils les gagnants des christian-borniche.1230459300.jpgchamboulements qui s’annoncent ? C’est probable ! Christian Borniche, qui a été formé à la profession par son père (Roger Borniche, ancien policier et auteur à succès, détective le plus célèbre de France) le pense. Enseignant à l’université Paris II (qui délivre la licence professionnelle « enquêtes privées »), il parle avec beaucoup de passion de sa profession dans l’émission de Jacques Pradel, Café crime, diffusée sur Europe 1, le 31 décembre 2008 à 14 heures, à laquelle d’ailleurs je participe.

La garde à vue en question

L’enquête sur la mort tragique d’un enfant de 3 ans dans un hôpital parisien a attiré l’attention sur une mesure privative de liberté : la garde à vue (GAV). Et l’on a tout entendu. Selon Philippe Juvin, secrétaire national de l’UMP, « La garde à vue de l’infirmière est très inhabituelle… ». Quant au PCF, il juge la mesure « démesurée » et le premier syndicat des hôpitaux, la CGT-santé, estime la GAV « disproportionnée à partir du moment où l’erreur n’est pas intentionnelle ».

hopital_logo.1230374298.jpgOutre le fait qu’on puisse s’interroger sur la probabilité d’une « erreur intentionnelle », il faut se souvenir qu’on parle ici de l’enquête qui suit la mort d’un enfant. Heureusement, les policiers ont trouvé quelqu’un pour prendre leur défense, non, non, ni à la justice ni à l’intérieur, mais à la santé, en la personne de Roselyne Bachelot. Mais comme le président d’un syndicat de médecins a demandé sa démission, peut-être se prépare-t-elle à porter ses pénates place Beauvau ou place Vendôme !

Prévue par les articles 63 et suivants du Code de procédure pénale, la décision de retenir quelqu’un contre son gré est l’apanage de l’officier de police judiciaire. Même si son action est placée sous l’autorité du procureur de la République (ou du juge d’instruction), il est seul maître en la matière. Et dans la mesure où il respecte scrupuleusement le formalisme du Code, on ne peut jamais reprocher à un OPJ une telle décision. Le contraire n’est pas vrai.

Imaginons un instant que cette infirmière ait été retenue dans des locaux de police sans être en garde à vue, et qu’il se soit produit un incident, les mêmes personnes sans doute auraient dénoncé une détention arbitraire.

Ici, l’infirmière a déclaré spontanément qu’elle avait commis une erreur, mais ce n’est pas suffisant. Le temps de la GAV permet aux enquêteurs de recueillir son témoignage mais aussi celui de ses collègues, des parents, des témoins, etc. Ensuite, il faut vérifier l’ensemble des déclarations, les recouper, reconstituer les faits, prendre en compte l’avis du médecin légiste, etc. On peut quand même considérer que si le procureur décide d’une prolongation de GAV, ce n’est pas pour satisfaire un instinct pervers, mais pour que le dossier soit le plus complet possible, avant de prendre une décision concernant la qualification pénale et l’ouverture d’une information judiciaire.

Existait-il une autre possibilité ? En décortiquant les textes, il semble que oui *.

Finalement, Sylvie F. (il est rare que les journaux ne donnent pas le nom des personnes mises en cause dans une enquête, mais ici, c’est une bonne chose) a été mise en examen pour homicide involontaire, ce qui est l’aboutissement logique de ce qu’on connaît de cette affaire.

Et pour expliquer la nécessité pour l’OPJ de la mesure de GAV, permettez-moi une anecdote personnelle. C’était le… il y a longtemps (il est préférable de ne pas donner de date pour éviter tout rapprochement). Un centre commercial de la région parisienne faisait l’objet de vols à répétition. Après des nuits de planque, on parvient à surprendre les voleurs en pleine action. Un beau flag ! On embarque tout ce beau monde et dans la foulée, une jeune fille, au volant d’une fourgonnette, sur le parking.

Seulement voilà ! Le papa de cette jeune fille n’est autre que le président de la Ligue des droits de l’Homme. Pas content, le monsieur. Le téléphone n’arrête pas de sonner. Pourtant, je n’ai pas eu à me justifier. Je me suis contenté d’exhiber le procès-verbal de GAV, et l’affaire s’est arrêtée là.

Supposons que cette jeune fille, qu’on aurait pu considérer comme un simple témoin (enfin… à deux heures du mat, dans un fourgon faussement immatriculé…), n’ait pas été placée en garde à vue. On imagine les gros titres : La fille du président de la Ligue des droits de l’Homme retenue contre son gré… Je serais peut-être encore en prison…lautre-journal.1230374132.jpg

Depuis des dizaines d’années on parle de remettre en question le principe de la garde à vue. Pourquoi pas ? Mais avant, il faut prendre soin de refondre entièrement le Code de procédure pénale, sous peine de bloquer l’action de la police judiciaire. Dans un débat dans L’autre journal, en 1986, en parlant de la GAV, Me Thierry Lévy disait : « C’est à ce moment-là, selon moi, que l’essentiel se décide ».

Pas mieux.

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* Deux arrêts de la Cour de cassation dont l’interprétation est difficile :

– Crim. 6 déc. 2000 : Dès lors qu’une personne est tenue sous la contrainte à la disposition des services de police, et qu’elle est privée de la liberté d’aller et venir, elle doit être aussitôt placée en garde à vue et recevoir la notification de ses droits.

– Crim. 2 sept. 2003 : Aucune disposition légale n’impose à l’OPJ de placer en garde à vue une personne entendue sur les faits qui lui sont imputés, dès lors qu’elle a accepté d’être immédiatement auditionnée et qu’aucune contrainte n’est exercée durant le temps strictement nécessaire à son audition.

Laquelle des deux s’applique à l’infirmière ? En l’absence de précisions sur les conditions de l’enquête, je me garderais bien de me prononcer.

TRACFIN justifie les moyens

Les ennuis de Julien Dray viennent de Tracfin, ou plus exactement de la dénonciation faite par le Crédit coopératif qui gère les fonds de SOS Racisme et de la Fidl. On ne peut rien reprocher à cette banque. D’ailleurs, il y a quelques années, Arnaud Montebourg voulait expédier les banquiers récalcitrants en prison. C’est dans cet esprit qu’il avait déposé en 2001, un amendement pour faire de la non-dénonciation un délit. Amendement rejeté.

aimant-et-argent_visuel-ingenierie-formation.1230028235.jpgIl est certain que Tracfin n’a pas été créé pour chercher des poux dans la tête d’un député, qu’il soit de droite ou de gauche. Mais comme les informations recueillies par ses fonctionnaires passent par le tamis du ministre des finances, on est en droit de se poser des questions. Pourquoi par exemple a-t-il fallu 3 ans (et l’arrivée de Christine Lagarde) pour que Tracfin dénonce des mouvements d’argent (bien plus colossaux que pour Julien Dray) sur les comptes de l’UIMM ?

Mais c’est quoi, Tracfin ? Comme dit un rien pompeusement la Revue du droit bancaire et financier de novembre 2007, c’est « la clé de voûte de la lutte anti-blanchiment en France ». Il s’agit d’une cellule (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) créée en 1990, au sein de l’administration des douanes, dont les structures et même les missions ont été revues par un décret de décembre 2006 (ici).

Pour appeler un chat un chat, il s’agit d’un système basé sur la délation. Au début, seuls les établissements financiers étaient concernés, mais aujourd’hui, c’est quasiment toutes les professions (agents immobiliers, casinos, antiquaires, galeries d’art, bijoutiers…). Et depuis 2004, il faut y ajouter les professions judiciaires et juridiques (experts comptables, commissaires aux comptes, notaires, huissiers, administrateurs judicaires, commissaires-priseurs…, ainsi que les avocats et avoués). Le Conseil d’État a toutefois déclaré que le secret professionnel des avocats devait être respecté, lorsqu’ils défendent un client.

L’ensemble de ces professionnels a donc obligation de déclarer (cela peut se faire sur Internet) les transactions suspectes, les mouvements de fonds incertains, les déplacements d’argent liquide (à partir de 8.000 €), etc.

Et ils ont interdiction d’avertir leur client de leur suspicion sous peine de poursuites pénales.

Les critères de dénonciation sont laissés à la libre appréciation de chacun. Sauf volonté de nuire, on ne peut leur faire le reproche d’une erreur de jugement. Toutefois, n’en déplaise à M. Montebourg, l’absence de dénonciation n’est pas un délit. C’est d’ailleurs inutile, car si l’administration s’aperçoit qu’un professionnel n’a pas fait de déclaration alors que des faits de blanchiments sont découverts, la complicité pénale n’est pas loin. Et comme en France le principe du parapluie est désormais constitutionnel…

Un rien oppressant, non ! On n’est pas encore obligés de payer sa baguette de pain avec une carte de crédit, mais on y vient. D’ailleurs la tentative (avortée) de la carte Monéo en est l’exemple.

Tracfin n’est pas un service répressif, du reste ses agents n’ont pas la qualité d’OPJ, mais ses pouvoirs sont considérables. Il a accès aux fichiers de police, via l’office central de répression contre la grande délinquance financière (OCRGDF), aux comptes bancaires, via FICOBA, etc. En fait, on ne peut rien lui refuser. Et il peut conserver les informations pendant dix ans (Tiens, un nouveau fichier !)

Mais tout cela pour la bonne cause. Car la vocation de Tracfin est de communiquer aux parquets les « faits susceptibles de relever du trafic de stupéfiants ou d’activités criminelles organisées ou qui pourraient participer au financement du terrorisme ». En premier lieu.

Car, par ailleurs, l’article 40 du Code de procédure pénale impose à tout fonctionnaire qui dans l’exercice de ses fonctions découvre l’existence d’un crime ou d’un délit d’en informer le procureur de la République. D’où Julien Dray (ici).enigme-picsou.1230028512.jpg

Mais pour une fois, l’Europe va plus loin. La troisième directive anti-blanchiment demande que toute infraction susceptible d’une peine d’emprisonnement d’un an soit systématiquement signalée. C’est-à-dire quasiment tous les délits. Ce qui risque sérieusement d’engorger Tracfin.

Même si c’est pour une bonne cause et des tas de bonnes raisons, organiser avec tant de rigueur la délation peut sembler malsain, voire immoral.

Mais la morale et l’argent…, deux mots antinomiques, non !

Julien Dray : technique d'enquête

L’enquête sur des mouvements de fonds suspects entre le député socialiste, l’association SOS Racisme et l’organisation lycéenne FIDL, attire l’attention sur deux modifications de l’arsenal répressif français : l’enquête préliminaire et Tracfin.

lapin-pays-des-merveilles.1229936217.gifL’enquête préliminaire (qu’on appelait il y a bien longtemps enquête officieuse) est effectuée soit sur l’initiative des policiers ou gendarmes, soit à la demande du procureur de la République. Dans les deux cas, elle est placée sous l’autorité de ce dernier. Ses limites sont définies par le Code de procédure pénale, dans les articles 75 et suivants. Mais si les numéros sont à l’identique, son utilisation s’est considérablement modifiée ces dernières années.

Autrefois, en « préli », l’enquêteur disposait d’un seul pouvoir coercitif : la garde à vue. Mais sans « droit d’arrestation », la mesure restait, il faut bien le dire, un rien… platonique. Je me souviens des stratagèmes qu’on était amené à utiliser pour convoquer un suspect : raison administrative, infraction au Code de la route, etc. Et une fois l’individu dans les locaux de police, patatrac ! on lui notifiait sa garde à vue « pour les besoins de l’enquête ».

Aujourd’hui, les OPJ disposent quasiment des mêmes prérogatives qu’en présence d’un crime ou d’un délit flagrant. Alors qu’en général, en préli, il est bon de le rappeler, le crime ou le délit n’a pas « encore » eu lieu, ou du moins n’a pas encore été constaté. La seule différence notable avec le flag réside dans la nécessité d’obtenir l’assentiment du « maître de maison » pour effectuer une perquisition. Mais de fait, le refus est rarissime, car dans cette hypothèse, le procureur peut passer en force, soit en demandant l’accord du juge des libertés et de la détention, soit en repassant le bébé au juge d’instruction.

Les pouvoirs du procureur ont donc considérablement augmenté ces dernières années, or ce magistrat, à la différence du juge d’instruction, n’est pas «indépendant».  Il est intégré dans la hiérarchie du ministère de la justice, et de facto il reçoit ses instructions du pouvoir exécutif (bonjour Montesquieu !). D’ailleurs, lorsque le président de la République dépose une plainte devant le procureur, sans être juriste, on sent bien qu’il y a problème.

Julien Dray est donc soupçonné d’un délit découvert par les fonctionnaires de la cellule anti-blanchiment, Tracfin. Service créé pour lutter contre Al-Qaïda ou tel baron de la drogue, mais pas contre un député de l’opposition. Les faits ont été dénoncés par la ministre des finances à sa collègue de la justice. Celle-ci a ordonné derechef à sesarroseur-arrose.1229936328.jpg fonctionnaires d’enquêter sur ces agissements probablement illicites. Rien d’anormal, me direz-vous ! Non, mais on est à la limite d’une enquête administrative, on s’éloigne quand même rudement de la séparation des pouvoirs.

Il est vrai que la création de cet arsenal «administrato-judiciaire» a trouvé sa justification dans la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, etc. Et comme les socialistes ont entériné tout ça, on ne sait pas si l’on doit considérer Dray – même s’il est coupable – comme une victime collatérale ou si c’est l’arroseur arrosé.

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