LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Actualité (Page 52 of 71)

Chroniques du procès AZF (9)

La fatigue se fait sentir – Au tribunal de Toulouse, les avocats rouspètent sur des audiences qui s’éternisent, azf-le-site-apres-lexplosion_lepost..jpgsouvent tard le soir. « On ne peut pas travailler efficacement. Je pense que physiquement, cela devient difficile pour tout le monde. Ce n’est pas une bonne méthode de travail dans un dossier aussi compliqué », dit Me Monferran. Mais le Président est intraitable. Il semble ne rien vouloir laisser au hasard et, pas à pas, il refait l’enquête – une enquête qui en a bien besoin.

Après avoir entendu des témoins, dont les déclarations renforçaient nettement l’hypothèse d’un attentat, aujourd’hui la situation s’inverse. C’est surtout la famille d’Hassan Jandoubi, l’homme tué lors de l’explosion et sur lequel les soupçons se sont portés, qui vient défendre son honneur.

Voici le compte-rendu que nous fait Jean-Christian Tirat.
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La part de la société
Au fil du long préambule qu’il consacre à la piste intentionnelle, le président du tribunal Thomas Le Monnyer s’interroge sur les réflexes communautaires qui tendent à signaler les origines des gens, pour peu qu’ils soient plus ou moins suspects : « (…) On peut observer que l’origine d’un individu peut être stigmatisée. Je suis dans l’incapacité de faire la part entre le contexte et la part de la société. On peut relever que Monsieur Jandoubi, né en France, de nationalité française, pourra être désigné dans certains témoignages comme étant le Maghrébin, voire l’Arabe ou pour certains témoins, le Tunisien (…) On se retrouve dans cette situation que la propre sœur d’Hassan qui est française, a estimé nécessaire de dire qu’il pouvait avoir un ami français ».

Bagarre ou engueulade : la chaîne aurait été arrêtée
La soirée du 28 avril aura été longue, très longue. Après
victime-azf-hassan-jandoubiles confrontations entre policiers et avec Leïla, la sœur d’Hassan Jandoubi, c’est Abdelkader Daoud qui est venu « dégonfler » les accusations portées par le chauffeur Karim à propos des altercations entre chargeurs et routiers ( voir la chronique du procès AZF n°8 ). M. Daoud travaillait à proximité du poste de chargement. Il a été gravement blessé par l’explosion du hangar 221. Selon lui, Hassan était ce jour-là « habillé comme d’habitude (…) S’il y avait eu quelque chose, bagarre ou engueulade, la chaîne aurait été arrêtée par le chef d’équipe. Le quart s’est déroulé normalement, jusqu’à 6 heures du matin ».

Le commissaire fait plaisir à la famille
Le commissaire Romain Paireau a remplacé Frédéric Malon à la tête de la crim’ toulousaine, en  2004. L’enquête était déjà bien avancée mais à la demande de la défense et du juge d’instruction Thierry Perriquet, il a vérifié certaines zones encore obscures… 

Lire la suite de l’article…

1 Français sur 90 en garde à vue

Pour nombre de Français, l’augmentation constante des gardes à vue (GAV) devient préoccupante. 577.816 en 2008, pour une population (des plus de 15 ans) d’environ 52 millions d’habitants. Soit une inflation de plus de 35 % en cinq ans (50,70 % d’après un syndicat de police). S’agit-il d’un plus pour notre sécurité ou d’un moins pour notre liberté ?

Menottes dans le dos_blog moreas_photo S. DellusAfin d’appliquer le précepte souvent énoncé par le président Sarkozy « Je veux protéger les plus faibles », on met la pression sur les forces de l’ordre pour que policiers et gendarmes deviennent plus répressifs – et du même coup on les éloigne de la population.

L’excès en tout est néfaste. L’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dit que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Il s’agit donc de trouver un équilibre entre notre « liberté » et notre « sûreté ». À ce jour, j’ai l’impression que peu de pays y parviennent…

Pour revenir à la garde à vue, il s’agit bien d’une privation de liberté. Mais à la différence d’une décision de justice, elle est de la responsabilité d’un homme ou d’une femme : l’officier de police judiciaire ou OPJ.

En fait, depuis que le juge d’instruction ne peut plus décider d’une mesure de détention, seul l’OPJ possède maintenant un tel pouvoir au cours d’une enquête*. Et on a l’impression aujourd’hui que cette mesure est appliquée d’une manière trop… automatique, qu’il y a inflation.

L’une des raisons avancée pour justifier cette situation est la « crânite » ou la « bâtonnite » dont seraient atteints certains chefs de service.

La phobie informatique
Dans l’administration comme dans le privé, on ramène tout au système binaire, de 1 à 0. Or l’activité d’un policier est difficilement quantifiable.
Trois gardiens en patrouille peuvent être attentifs au moindre incident ou au contraire complètement déconnectés de leur environnement. Ils émargeront de la même manière au budget de la Nation. Comment contrôler leur travail ? Les technocrates ont horreur de ce vide… Aussi, depuis des lustres, a-t-on pris l’habitude de recenser différents chiffres : dossiers entrés, dossiers sortis, affaires résolues, GAV de moins de 24 heures, de plus de 24 heures, nombre d’écroués, etc.
En fait, c’est le seul moyen qui a été trouvé pour contrôler l’activité du personnel et des services, et cela bien avant le passage de M. Sarkozy à l’Intérieur et la création de son fameux « sarkomètre ».

Donc, il faut faire du chiffre !

Une deuxième raison pourrait être l’augmentation de la délinquance… Mais d’après Mme Alliot-Marie, les chiffres sont en baisse. Je sais, je sais, on peut toujours dire que si la délinquance est en baisse c’est grâce à l’action de la police. Là, on tourne en rond.

Mais puisqu’on parle chiffres…

25% d’OPJ en plus en 6 ans
Il a 6 ans, on comptait 20.794 OPJ. Aujourd’hui, il y en 25.984 (selon les calculs de l’UNSA). Cela ne veut pas dire que le nombre de fonctionnaires de police a augmenté, non, au contraire ! Mais on attribue la qualité d’OPJ différemment. Peut-on dire qu’on la brade ? Aujourd’hui, 44 % des OPJ font partie du corps d’encadrement et d’application (CEA) qui va du gardien de la paix au brigadier major. Cette réforme date d’une loi de 1998 qui a été rajoutée à l’article 16 du Code de procédure pénale. Dans le jargon on les appelle les OPJ 16.
Auparavant, seuls les officiers de police et les commissaires pouvaient être habilités à cette fonction.

Lorsque je suis entré dans la police, il fallait 5 ans de terrain à un officier de police adjoint (OPA) pour accéder au concours d’officier de police (OP), le premier grade qui permettait alors d’être OPJ.

Dans un rapport du Sénat (2005-2006), il est dit : « Il conviendra d’être particulièrement vigilant à ce que l’attribution de la qualité d’OPJ à un plus grand nombre de fonctionnaires ne se traduise pas par une détérioration du niveau moyen des connaissances des OPJ constatée par les magistrats ».

Mais en général, les syndicats ne sont pas d’accord avec cette analyse. Ils estiment que l’augmentation des GAV n’a rien à voir avec l’augmentation des policiers OPJ, car pour eux, bon nombre d’OPJ sont « virtuels ».

emploi-des-opj-surchauffe-dans-les-services_syndicat UNSA-police.jpgTableau extrait d’une note UNSA-Police concernant l’emploi des OPJ.

Pour UNSA-Police, par exemple, le corps des officiers se rapproche de plus en plus de sa nouvelle mission de commandement et délaisse peu à peu les missions procédurales, les permanences et les astreintes  (Emploi des OPJ  : surchauffe dans les services).

Ce sont donc les gardiens et leurs gradés qui sont le plus souvent à la tâche. Et ils se cognent le boulot à risques ! Mais ont-ils les épaules pour ça ?
N’existe-t-il pas une certaine disproportion entre leurs responsabilités de police judiciaire et leur échelon « administratif » qui les tire vers le bas de la grille indiciaire de la police ?

Rappelons que le policier a comme tout fonctionnaire un devoir d’obéissance. Toutefois, dans l’exercice de ses attributions judiciaires, il ne devrait plus dépendre de sa hiérarchie mais du procureur ou du juge d’instruction, car son action relève directement des règles de la procédure pénale.

C’est la théorie.

Une double casquette !
Mais comment garder la maîtrise d’une enquête lorsqu’on a au-dessus de sa tête tant de monde auquel il faut rendre des comptes ? D’autant que le port généralisé de l’uniforme (dès l’école de police) a engendré, au moins chez les plus jeunes, une sorte de fantasme militaire qui les éloigne chaque jour de l’esprit de la fonction publique.

Cela n’est pas fortuit. Il s’agit d’une volonté politique, au point que certains se demandent si demain ce n’est pas la gendarmerie qui va absorber la police… Je plaisante.

Il semble d’ailleurs que le nouveau Code de procédure pénale actuellement en gestation (Police et réforme pénale, sur ce blog) va conforter l’autorité hiérarchique dans les enquêtes judiciaires. Une sorte de filtre « administratif » entre le magistrat et l’OPJ.

Au final, on se demande quelle marge de manœuvre on laisse à ces policiers de terrain, lorsqu’on les encourage à faire du chiffre ! 

La raison officielle
Dans son bulletin Grand Angle n° 16,
l’Observatoire national de la délinquance, dont le président est Alain Bauer, s’embarbouille un peu dans ses explications : « La cause principale du phénomène observé n’est pas le recours plus fréquent à la garde à vue, même si celui-ci augmente, mais la hausse du nombre de personnes mises en cause. On rappelle que les violences et menaces et les infractions révélées par l’action des services sont les principales composantes de cette augmentation. Ces deux types d’infractions expliquent non seulement plus de 83,1 % de la hausse des mis en cause depuis 2003 mais aussi 75,6 % de celle des gardes à vue ».

Comme ça, c’est clair.

Définition de la GAV
Il n’y en a pas. Disons que c’est une prérogative de l’OPJ qui lui permet de garder une personne à sa disposition contre son consentement. C’est donc une mesure contraignante qui s’applique à un suspect. Ça n’a pas toujours été le cas. Avant les années 2000, un témoin ou une personne susceptible de fournir des renseignements pouvait être placé en GAV « pour les besoins de l’enquête ». Puis la loi sur la présomption d’innocence a changé la donne en précisant qu’il fallait justifier cette mesure par « des indices faisant présumer (que la personne) a commis ou tenté de commettre une infraction
Declaration-droits-homme_dessin-de-serguei-pour-la-France.gif ». Sous la pression des policiers eux-mêmes, quelques mois plus tard, une circulaire faisait machine arrière en appuyant sur le fait que la nouvelle loi ne parlait pas d’indices « graves » et qu’un simple témoignage, des déclarations contradictoires, un comportement anormal…, tout cela pouvait faire l’affaire. En 2005, une nouvelle loi a repris les mots de l’article 5 -1 de la Convention EDH : « raisons plausibles de soupçonner ».

Après tout ce charivari politico-législatif, on peut dire aujourd’hui que l’OPJ va se fier à son flair pour prendre sa décision. Sachant que le simple témoin peut à tout moment devenir un suspect. Mais qu’on se rassure, dans ce cas le temps passé comme simple témoin sera défalqué des premières 24 heures de la GAV.
Le seul moyen pour un témoin de savoir s’il est devenu suspect, serait de se lever et de partir. Si on le retient, il doit être placé en GAV. C’est une boutade, évidemment, car le simple fait de vouloir s’en aller en ferait un suspect…
Je-plonge

Combien de temps peut durer la GAV ? Quels sont les pouvoirs de l’OPJ ? Quelles sont ses obligations ? Quels sont les droits de la personne placée en GAV ? Et dans la pratique, ça se passe comment ?… Plein de questions auxquelles je vais tenter de répondre dans un prochain billet.

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* C’est le juge des libertés et de la détention qui peut prendre une décision de détention provisoire. Une institution créée par la loi du 15 juin 2000. Ce magistrat doit avoir rang de président, de premier vice-président ou vice-président du TGI. On peut considérer qu’il est détaché de l’information judiciaire.

Les réservistes de la police nationale

logo-rc2.1242030180.jpgVa-t-on vers une mobilisation des réservistes de la police nationale ? C’est l’avis de nombreux internautes qui s’enflamment et imaginent le pire. Il semble d’ailleurs que l’information trouve sa source sur un blog du Monde1, qui cite une réponse du ministère de l’Intérieur. Mais au fait, c’est quoi « la réserve civile de la police nationale » ?

C’est une idée de Nicolas Sarkozy, alors qu’il était ministre de l’Intérieur. Elle s’inscrit dans la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 qui comprend deux dispositifs différents.

Un dispositif automatique qui prévoit une réserve statutaire : durant 5 ans après la mise à la retraite, les fonctionnaires ont une obligation de disponibilité jusqu’à l’âge de 60 ans. Ils doivent alors répondre aux rappels individuels ou collectifs du ministre de tutelle, dans la limite de 90 jours par an, en cas de menaces ou de troubles graves à l’ordre public.

Mais, s’ils le souhaitent, les retraités de la police peuvent également demander à servir en qualité de volontaires. Ce qu’on appelle la réserve contractuelle. Dans ce cas la limite d’âge peut alors atteindre 65 ans.

Une loi d’avril 2006 a porté la durée maximale d’emploi d’un réserviste à 150 jours par année civile et même 210 jours, pour certaines missions de coopération internationale.

Les réservistes ont la qualité d’agent de police judiciaire3 et peuvent être amenés à participer à des missions de police, à l’exception du maintien de l’ordre.

Ils sont dotés d’une carte professionnelle spécifique et éventuellement d’une arme. Et perçoivent une indemnité journalière de réserve (IJR) qui varie entre (environ) 75 € et 165 €, selon les grades.

Il paraît donc tout à fait légitime, en fonction de ces textes, que le ministre de l’Intérieur établisse un plan de « mobilisation » de la réserve statutaire, pour le cas où un événement grave surgirait. Cela pourrait être des troubles à l’ordre public, mais tout aussi bien, pour coller à l’actu, la propagation du virus de la grippe A, ce qui amènerait les autorités à prendre des mesures particulières de sécurité.

Et cela ne veut pas dire qu’on s’apprête à mobiliser des milliers et des milliers de policiers vieillissants – dont beaucoup n’ont aucune envie de reprendre du service – en prévision d’un coup d’État.

L’amalgame anxiogène qui est fait entre cette décision administrative et un article de Philippe Leymarie2, dans Le Monde diplomatique, sur la formation des militaires au combat urbain est révélateur du climat actuel. Certains ont même fait le lien avec l’allocution de président de la République lors de la présentation des vœux au corps diplomatique étranger. En Carte réserviste police.jpgouverture, il a attaqué par « nouveau capitalisme, nouvel ordre mondial… », pour terminer son discours par des propos guerriers : « On ira ensemble vers ce nouvel ordre mondial. Et personne, je dis bien personne, ne pourra s’y opposer. Car à travers le monde, les forces au service du changement sont considérablement plus fortes que les conservatismes et les immobilismes ».

Il parlait de l’économie, du climat, de la guerre ou de la paix… Mais alors que les français sont majoritairement persuadés que quelque chose va péter, hors contexte, il y a des mots qui font froid dans de dos.

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1/ Tout est dans tout

2/ Comment les armées se préparent au combat urbain

3/ APJ de l’art. 20-1 du CPP. Leur gestion est assurée par le préfet de la zone de défense, sauf à Paris, dans les départements de l’Ile-de-France et d’Outre-mer.

Chroniques du procès AZF (8)

Deux témoins qui ne mâchent pas leurs mots – Karim est sur azf-explosion_nouvelobs-copie.1241887154.jpgla route lorsqu’il apprend la catastrophe. Arrivé chez son patron, il se lâche : « Ces bâtards, ils ont fait péter AZF ! ».
Dans cette chronique, un chauffeur et une secrétaire apportent des témoignages troublants, qui font irrémédiablement penser à un attentat. Pourtant, on a l’impression que personne n’y croit vraiment – ou personne ne veut y croire. Le président Thomas Le Monnyer n’a toutefois pas l’intention de faire l’impasse. Comme il l’a souligné : « Divers éléments ont très vite alimenté la question de la piste terroriste »…

Voici le compte-rendu que nous fait Jean-Christian Tirat.
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Dans les chroniques précédentes nous avons entendu les arguments des policiers. Aussi bien ceux qui soutiennent l’enquête que ceux qui s’insurgent contre la façon dont elle a été menée. Chacun a exposé son point de vue et chacun est resté sur ses positions.
C’est à présent au tour des témoins de s’exprimer. Écoutons d’abord ceux qui de bonne foi ont alimenté cette hypothèse.

Karim et les guerriers turcs
Karim est cité par l’association des anciens salariés d’AZF.
Il est chauffeur de camion. Il se nomme Karim Mohamed Ben Driss. Il a été le témoin et l’acteur de vives altercations entre ses collègues venus charger du nitrate et certains intérimaires qui le transportaient (à dos d’homme). Pendant des années, alors que son nom n’était connu que de quelques fins connaisseurs du dossier, on a prétendu que ces querelles avaient un caractère raciste. Le commissaire Malon en a même rajouté à la barre en évoquant le témoignage d’un chauffeur corse : « Vous connaissez les relations des Corses avec les Maghrébins ! ». C’était le 28 avril, il était presque minuit, personne n’a relevé.
Karim possède un physique de pilier de rugby et le parler simple franc et rapide du quartier populaire du Mirail – d’où il vient. C’est aussi le quartier de ceux qu’il dénonce. Karim est en colère, Karim est bouleversé. Alors il dit sa rage, parfois dans un cri, parfois dans un sanglot.

Ce 21 septembre, il arrive au chargement vers cinq heures du matin. La benne de quatre heures contient à peine une dizaine de sacs. À l’intérieur un intérimaire lui fait une grimace – qu’il mime au Président. Mais son visage est projeté en gros plan sur les écrans géants, et toute la salle en profite. On sourit.
– Il y avait déjà eu des retards de chargement à Grande Paroisse, dit-il, mais pas à ce point. Trois conteneurs auraient dû partir le jeudi soir. La vapeur est montée. Les intérimaires nous faisaient des grimaces.
Les chauffeurs s’énervent, et comme il est très tôt, les chefs ne sont pas arrivés. Il n’y a personne pour rétablir l’ordre. Karim poursuit :
– J’ai été voir le premier intérimaire et je lui ai dit, tu charges ou je t’explose la tronche avec mon cric. Franck, un autre chauffeur lui dit « En plus, il habite au Mirail ». À 7h30, le chef d’équipe des intérimaires me demande si je me suis accroché avec eux. Il me dit « On ne les supporte plus ». Michel Farré est passé avec son camion. Malheureusement, il est resté sur le site. Il me dit : « Karim, ça va ? Y a le feu par rapport aux agissements des intérimaires ». À 9h45, Je vais à la pesée récupérer les papiers. Je leur dis : « Il y en a là-bas qui cherchent à faire une connerie, je ne sais pas laquelle ».

Karim est sur la route lorsqu’il apprend la catastrophe. Arrivé chez son patron, il se lâche :
– Ces bâtards, ils ont fait péter AZF !
Puis il pense à ses copains…
– Putain, on a deux chauffeurs sur le site, Alain et Michel. Ils sont morts là-bas, sur place…
Cliquer ici pour lire la suite. 

Chroniques du procès AZF (7)

Règlements de comptes – En affirmant a priori que l’explosion était la conséquence d’un accident, le procureur de Toulouse a bloqué l’enquête. Huit ans plus azf-dossier_lepost.1241766981.jpgtard, entre ceux qui ont obéi aux ordres et ceux qui auraient voulu ne pas obéir, les policiers règlent leurs comptes. Pourtant, à l’époque, aucun n’a tenu tête. Et les plus courageux se sont contentés de baisser les bras.
On a pu penser qu’il était sage, après les attentats du 11-Septembre, de ne pas affoler les gens en enquêtant – seulement en enquêtant – sur une éventuelle piste terroriste. Mais aujourd’hui le résultat est là. Certains policiers estiment que dans cette procédure, toutes les portes n’ont pas été refermées. Que pour le moins, il reste des points de suspension…

Sauf rebondissement de dernière minute, ce procès retiendra probablement la thèse de l’accident. Mais quelque part, il restera comme un doute. Comme dit Me Soulez-Larivière : « Il n’y a de preuve judiciaire de rien du tout, ni sur une piste accidentelle, ni sur une piste intentionnelle… ».

Dans ce compte-rendu des débats, Jean-Christian Tirat, nous montre la confrontation entre les différents enquêteurs.
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Ceux qui ne croient pas à l’hypothèse intentionnelle sont convaincus qu’AZF n’était pas un attentat puisqu’il n’y avait pas eu de revendication. Argument léger quand on se souvient par exemple des attentats non revendiqués de 1995 contre le RER à la gare Saint-Michel de Paris. Et puis, quid des cinq revendications adressées à la presse et aux autorités policières après la catastrophe de Toulouse ?

Houarla-Houarla contre Alpha-Bravo
Entre 2005 et 2006, Michel Monier, un policier du SRPJ de Toulouse, a enquêté sur ces revendications. Un peu tard diront certains. Auparavant, l’OPJ était en poste en Espagne où il faisait l’interface entre la police espagnole et la police française. Il a vécu les attentats de Madrid, mais, chose curieuse, il ne sait pas s’ils ont été revendiqués (Ndr : ils l’ont été par Al-Qaïda le soir même dans un communiqué reçu par le journal Al Qods Al Arabi, basé à Londres, puis trois jours plus tard par une cassette signée de la même organisation reçue par les autorités espagnole).
Pour AZF, passons sur quatre revendications fantaisistes, comme l’appel téléphonique reçu par une gendarmerie de banlieue d’un groupe inconnu : Houarla-Houarla islamique…
En revanche Me Simon Foreman (avocat de la défense) focalise sur « Alpha-Bravo ». De quoi s’agit-il ?
Le 28 septembre 2001, à 8h50, la chaîne de télévision locale TLT reçoit un fax manuscrit :
« Contrairement à ce que peut dire la Presse, le Groupe ALPHA-BRAVO Revendique l’attentat de l’Usine AZF du 21/09/2001… Cliquer ici pour lire la suite.



Maddie : l’inspecteur raconte l'enquête

maddie_jungalig.1241539623.jpg« La télévision montre Gérald McCann qui descend de l’avion en portant son fils. L’enfant a la tête contre son épaule gauche, ses bras pendent le long de son corps (…) En Irlande, les Smith regardent le journal télévisé (…) Pour eux, c’est le choc (…) Il s’agit de l’homme aperçu le 3 mai à 22 heures, avec une petite fille profondément endormie dans les bras. »

Quatre mois plus tôt, les Smith étaient en vacances en Algarve, au sud du Portugal. C’est une famille nombreuse, en tout quatre adultes et cinq enfants. Ce soir-là, ce soir du 3 mai 2007, ils regagnent à pied leur appartement lorsqu’ils croisent un homme qui porte un enfant dans ses bras. Ils n’ont pu distinguer son visage, mais c’était une petite fille. Et elle était vêtue d’un pyjama clair, elle avait les pieds nus, et elle avait des cheveux blonds – comme Madeleine McCann, cette petite anglaise disparue alors qu’elle dormait dans sa chambre. Maddie, dont la photo a fait le tour de monde et qu’on n’a jamais retrouvée (ici).

L’inspecteur de la police judiciaire portugaise, Gonçalo Amaral, nous fait revivre son enquête, minute par minute, dans un livre qui vient d’être traduit en français Maddie, l’enquête interdite, chez Bourin Editeur.

D’un ton qu’il voudrait neutre, mais qui ne l’est pas, tant cette histoire l’a marqué, il nous livre le détail de ses investigations. Il nous énumère les différentes pistes qu’il a suivies, certaines farfelues, et d’autres, plus sérieuses, comme la piste polonaise qui n’a jamais vraiment été élucidée. Et surtout, il met en avant les difficultés qui se sont amoncelées devant lui lorsqu’avec ses coéquipiers il a envisagé la responsabilité, voire la culpabilité, des parents de la fillette. Et notamment les pressions politiques de la part de la Grande-Bretagne. Au point que certains enquêteurs ont imaginé que la signature prochaine du traité de Lisbonne (déc. 2007) pouvait influencer l’enquête sur la disparition d’une enfant d’à peine quatre ans…

Dans cette affaire, Amaral a échoué. Il reconnaît certains manquements : on aurait dû… etc. Mais il a surtout l’impression qu’on l’a empêché d’aller jusqu’au bout. Et sa hiérarchie a profité d’une réponse maladroite à un journaliste pour le limoger.

À la lecture de ce récit, qui pourrait se lire comme un polar si les faits n’étaient pas réels, personnellement, j’ai eu l’impression que les policiers portugais, à tous les étages, ont trop tenu compte de la personnalité et de la nationalité des parents, des amis, des témoins…

Autrement dit, ils ont pris des gants ! Ainsi, pour recouper les témoignages, une reconstitution s’imposait. avis-recherche-interpol_53974070.1241590905.jpgElle n’a jamais eu lieu. Parmi les raisons invoquées : « les gens pourraient croire que les parents et les amis sont suspects ». Dans les premières heures, les premiers jours, les enquêteurs n’ont suivi qu’une seule piste, celle de l’enlèvement.  Chez nous, on ne fait pas toujours mieux. On se souvient de la disparition du petit Antoine, à Issoire, en septembre 2008, et du lynchage de sa mère et son compagnon… Ou, pour coller à l’actualité du procès AZF, du procureur de Toulouse qui d’entrée de jeu a bloqué l’enquête en claironnant qu’il s’agissait d’un accident à 90 %. Ou encore de l’arrestation prématurée de Jacques Viguier, après la disparition de son épouse, par un commissaire qui a voulu à tout prix faire coïncider les faits avec son intuition.

La liste est longue. Or dans une affaire criminelle, on commence par faire un champ large avant de zoomer, et l’on met dans sa poche ses petites idées de grand flic.

livre-maddie.1241539722.jpgJeudi prochain, le 7 mai, à 14 heures, Jacques Pradel recevra Gonçalo Amaral dans son émission Café crimes, sur Europe1.

Dans cette affaire, l’inspecteur a acquis au moins une certitude : la petite Madeleine McCann « est décédée dans l’appartement où la famille passait ses vacances ».

Et comme je participerai à cette émission, je lui demanderai pourquoi !

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Pour écouter l’émission : ici.

Les dégâts collatéraux de la loi HADOPI

 hacker_googlestoriescom.1241430487.jpg« Un scan de votre ordinateur a été effectué… Vous avez un ou plusieurs logiciels dont vous ne possédez pas la licence légale. Vous devez remédier à cette situation dans les 24 heures sous peine de poursuites… » Pour les aigrefins, HADOPI, c’est déjà fait. Ils n’avaient pas envisagé le bon tour de ces diablotins de députés socialistes qui, planqués à la buvette du Parlement, ont surgi au dernier moment pour faire capoter le texte.

Bon, c’est pas grave : vont revoter, scrogneugneu ! Ils feront ainsi les frais (à leur tour) du nouveau postulat : Si tu votes mal, tu revotes !

Ces dernières semaines, des pourriels menaçants arrivent dans nos boîtes aux lettres : On a scanné votre ordinateur… Vous êtes en infraction… Alors, imaginons demain, lorsque cette loi sera adoptée…

La pauvre africaine qui veut qu’on l’aide à rapatrier son héritage en France moyennant une substantielle commission est complètement dépassée… Entre les arnaques et les bonnes blagues, va-t-y avoir du rififi dans les foyers ! En effet, comment détecter les avertissements réels, des arnaques, et même de la pub ?!

Car en cas de manquement à la loi HADOPI, l’internaute sera avisé par mail.
Et comme ce n’est pas l’auteur du piratage qui est visé par la loi, mais le titulaire de l’accès à la ligne, cela laisse la place à bien des incertitudes…

En effet, en tant que détenteur d’un abonnement au web, nous allons nous trouver « dans l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins » frauduleuses susceptibles de porter atteinte aux ayants droit (art. 336-3).

C’est le défaut à cette obligation de surveillance qui déclenchera les foudres HADOPI. Dans le recueil Dalloz 2009, Me Asim Singh, spécialiste en propriété intellectuelle, remarque toutefois que ce texte « n’a de sens et n’est intelligible que si l’internaute sait quels actes sont en effet soumis à l’autorisation des ayants droit. Or, dit-il, la réponse à cette question demeurant parfois incertaine même pour les spécialistes, il nous semble illégitime de la part du législateur de demander aux internautes de faire mieux ».

Pour parler simple, Le législateur se montrant incapable de définir l’objet exact du « délit », l’usager moyen se trouve dans l’incapacité de savoir quelles sont exactement ses obligations.

Bon, ça s’éclaircit pas !

En fait, si j’ai bien compris le système alambiqué qui nous attend, des agents assermentés rémunérés par des entreprises privées (Sacem, SACD, producteurs de film, de disques…) scanneront la Toile à longueur de journée pour détecter les pirates du Net. Ensuite, ils transmettront l’adresse IP des suspects à d’autres agents assermentés auprès d’une autorité administrative. Lesdits agents s’adresseront alors aux fournisseurs d’Internet pour obtenir l’identité des titulaires de la liaison en vue de leur adresser une mise en garde, et de les sanctionner en cas de récidive.

En principe, ils n’auront accès ni à l’historique des pages visitées ni au contenu des boîtes mails.

Ce n’est pas l’avis d’Anthony Astaix, de la rédaction de Dalloz. Dans une étude parue en 2008, il estime que l’art. L.331-20, permettra d’aller plus loin. Les agents publics habilités « pourront obtenir tous documents, quel qu’en soit le support, y compris les données nominatives conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques telles que identité, adresse postale et électronique, coordonnées téléphoniques du titulaire de l’abonnement utilisé… ».

Les gens qui s’y connaissent un peu en informatique (ce qui n’est pas mon cas) m’assurent que tout ça n’est pas très réaliste. Certains pensent même que le piratage pourrait du coup devenir une sorte de challenge chez les jeunes. On pirate et l’on se fait peur et on vous em… !

hadopi_leblog-de-djib.1241430851.jpgL’ancien directeur de l’Adami (Société pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes), Bruno Ory-Lavollée, a déclaré dans un article du Monde du 14 avril 2009 : « Aucun des artistes qui ont signé des pétitions pour soutenir cette loi ne peut accepter qu’en son nom on s’attaque aux libertés individuelles, ni que la culture, synonyme de liberté et d’épanouissement, entre en ménage avec l’espionnage des vies privées ».

Aujourd’hui, certains artistes (de gauche) ont écrit à Martine Aubry pour lui dire qu’elle avait perdu son âme en ne soutenant pas ce projet…

Alors, au risque de perdre ma place au paradis, je m’y suis mis aussi. J’ai téléchargé un ouvrage numérisé par Google : Les lettres choisies de Voltaire, 1792, tome deux. Et j’ai noté cette petite phrase : « Mais remarquez, Monsieur, pour la consolation des grands artistes, que les persécuteurs sont assurés du mépris et de l’horreur du genre humain, et que les ouvrages demeurent ».

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Le deuxième dessin provient du blog de Djib (ici).

Chroniques du procès AZF (6)

La piste de l’attentat – « Vous dites que des recherches importantes n’ont pas permis de retrouver un engin explosif, ni un détonateur… », s’étonne Me Mauricia trou-azf_google-copie-2.1241342732.jpgCourrégé, en agitant sous le nez de l’expert un cylindre métallique de la taille d’une demi-cigarette… « C’est quoi, ça ? » demande-t-il. « Un détonateur, Monsieur, comme ceux que vous venez de montrer, fortement agrandis à l’écran ».

Qu’est-ce qui a provoqué cette énorme explosion sur le site AZF ? Ce cratère immense (photo satellite Google) ? La réponse est connue : 300 tonnes de nitrates déclassés.

Mais une question reste en suspens : la raison de cette explosion.

S’agit-il d’une banale réaction chimique, comme le maintiennent les partisans du « Total seul responsable » – ou d’un attentat ?

Jean-Christian Tirat reprend le fil de son exposé. Aujourd’hui, le tribunal suit la piste intentionnelle, comme on dit pudiquement. Le président Le Monnyer marche sur des œufs, mais visiblement il a bien l’intention de vérifier tous les détails et de remplir les blancs laissés par les enquêteurs. En fait, ce procès, c’est une seconde enquête.

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Les précautions du Président
« La question d’un acte intentionnel me paraît légitime », déclare le président Le Monnyer à l’ouverture des débats. « C’est délicat à aborder car des suspicions se sont fait jour sur une personne, Monsieur Jandoubi, qui est décédé dans l’explosion. M. Jandoubi est dans l’incapacité de se défendre. » Il précise que des membres de sa famille se sont constitué partie civile. Il décrit ensuite le contexte international, dix jours à peine après les attentats qui ont frappé les E-U. Le contexte régional est aussi évoqué à travers l’affaire de Béziers : le 2 septembre 2001, un illuminé, Safir Bghouia, s’est attaqué aux forces de l’ordre à l’aide d’un lance-roquettes et d’une Kalachnikov. Il a tué un conseiller municipal de 12 balles dans le dos avant d’être abattu par la police après une course-poursuite de 12 heures. Lors des perquisitions, un véritable arsenal a été découvert chez lui, sans qu’on puisse établir le moindre lien avec une organisation terroriste.

Une aiguille dans une botte de foin
Pour les experts en explosifs, il n’y a pas de doute. Dans le cas d’un acte de malveillance, ils auraient retrouvé la trace du détonateur.
« Vous dites que des recherches importantes n’ont pas permis de retrouver un engin explosif, ni un détonateur. Si on ne retrouve pas une aiguille dans une botte de foin, cela signifie-t-il qu’il n’y a pas d’aiguille ? »
C’est Me Mauricia Courrégé qui monte au créneau. L’avocate (de la défense) brandit sous le nez de l’expert, Daniel Van Schendel, un petit cylindre en aluminium pas plus gros qu’une demi-cigarette. Décontenancé l’expert en incendies et explosions hésite : « Mais c’est quoi ça ! ». Puis il s’énerve et pose carrément la question : « C’est quoi ça ? ».
– Me Courrégé : « Un détonateur monsieur, comme ceux que
mauricia_courrege_grande_paroisse_blog-azf_ladepeche.1241340634.jpgvous venez de montrer fortement agrandis à l’écran ».
– D. Van Schendel : « J’en ai plein dans mon labo des détonateurs, j’en ai même chez moi… ».
Le président Thomas Le Monnyer demande à voir l’objet. Il le saisit entre deux doigts, l’examine, puis il le pointe en direction de l’artificier : « Le détonateur est peut-être belge… Bon, il est petit », dit-il sur un ton ironique.
– D. Van Schendel (penaud) : « C’est un constat. On n’a rien retrouvé. On était sur les lieux… On a ratissé. On a trouvé des choses intéressantes, mais pas un détonateur ».

L’aiguille dans la botte de foin…

Entre le préambule du Président et cette dernière scène, il y a eu quatre jours de débats. Quatre jours intenses qui ont tenu les Toulousains en haleine et bouleversé les 400 personnes fidèles aux audiences.

Il est vrai que sur la question de l’acte de malveillance, attentat ou sabotage, les opinions sont partagées et les avis tranchés. Selon les uns cette piste ne repose sur rien. Elle relève d’un nauséabond phantasme. Selon d’autres, trop de portes sont restées entr’ouvertes et il existe un faisceau d’indices convergents.

Les trous dans l’enquête
– Le 1er septembre 2001, deux équipes de policiers et/ou de gendarmes (jamais identifiées) préviennent la société voisine d’AZF, la très sensible SNPE, qu’il existe un risque d’attentat.

– Le 20 septembre, la veille du drame, un appel anonyme parvient au commissariat. Il signale l’arrivée dans la ville d’un islamiste algérien spécialiste en explosifs.

– Le matin même du jour fatidique, des altercations opposent des chargeurs intérimaires à des chauffeurs de camion, juste à côté du hangar 221, celui qui va détonner. Les raisons tourneraient autour du peu d’entrain mis par les intérimaires à charger les bennes des camions.
Un drapeau US en berne dans la cabine de l’un des camions (l’attentat du WTC est récent) semble avoir envenimé les choses. Des menaces auraient été proférées par un ouvrier français d’origine tunisienne, Hassan Jandoubi.

– Ce dernier aurait tenté à trois reprises de faire embaucher sur le site une relation qui n’a pas voulu décliner son identité.

– Une quinzaine de minutes avant le sinistre, un intérimaire algérien quitte l’usine un rien précipitamment. Il suit un circuit alambiqué pour rejoindre le domicile de son « ex », dont il est en instance de divorce. Plus tard, la police découvre chez lui la trace d’un virement bancaire en provenance des USA, un devis de 120.000 francs portant sur de la littérature technique et industrielle, et une chemise contenant un texte manuscrit sur Al-Qaïda. Il y est écrit en gras les lettres TOULOUSE.

– Hassan Jandoubi est tué dans l’explosion. Le 22 septembre au petit matin, son corps est transporté à la chambre mortuaire de l’hôpital Purpan. Le médecin légiste, Anne-Marie Duguet, et les policiers qui l’assistent, découvrent que la victime est revêtue de plusieurs couches de sous vêtements. Ce serait un rituel de « kamikazes » islamistes destiné à protéger certaines parties du corps. Il s’agirait d’honorer au Paradis les 72 vierges (houris) promises aux musulmans méritants. Le docteur Duguet, qui rentre d’un congrès en Tunisie où ce rituel a été évoqué, déclare aux policiers : « Cet homme savait qu’il allait mourir ». C’est à cet instant que la piste intentionnelle prend corps.

– En réponse aux questions des enquêteurs, la famille et la compagne de Jandoubi s’étonnent de cet accoutrement – avant de se raviser.

– Des prêcheurs fondamentalistes de l’organisation piétiste Dawa al Tabligh sont contrôlés par la gendarmerie au péage de Valence d’Agen, une heure après la catastrophe. La lunette arrière de leur véhicule est brisée. À cause de l’explosion, expliquent les occupants.

– Le 24 septembre, lors d’un briefing, le patron du SRPJ de Toulouse explique à 70 policiers réunis qu’il faut enquêter en priorité sur la piste accidentelle. Il aurait évoqué comme origine de l’explosion les exhalaisons d’un rat en décomposition qui aurait réagi avec le nitrate pour produire du gaz méthane. Abasourdis par les propos tenus par leur chef, des policiers s’en ouvrent à des journalistes.

– Au mois d’octobre, une « note blanche » des renseignements généraux (RG), circule dans toutes les rédactions. Elle porte la date du 3 octobre 2001 et conforte l’hypothèse terroriste.

Cette liste non exhaustive montre comment la piste intentionnelle a pu troubler une ville comme Toulouse, qui fonctionne comme un gros village. Tout s’y sait très vite. Le doute s’est propagé au fur et à mesure que ces éléments ont filtré dans l’opinion publique.
Et aujourd’hui, les policiers mécontents viennent dire à la barre du tribunal qu’ils n’ont pas eu la possibilité de vérifier ces éléments. Ne serait-ce que pour les infirmer.

Alors, ce que les enquêteurs n’ont pas pu réaliser, ce que jc-tirat.1240585967.jpgles magistrats instructeurs n’ont pas su exiger, le président Le Monnyer a bien l’intention de le faire.

Nous verrons comment dans la prochaine chronique.

Jean-Christian Tirat
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Pour en savoir plus vous pouvez vous reporter au blog de J-C Tirat (ici) et à l’ouvrage qu’il a coécrit avec Franck Hériot AZF : l’enquête assassinée, chez Plon.

Procès Viguier : un coup pour rien ?

Avant même l’ouverture des débats, l’avocat de Jacques Viguier l’avait annoncé : « Si mon client est acquitté, le parquet va faire appel, et s’il est condamné, c’est nous qui allons faire appel ». Autrement dit, c’est un procès qui ne sert à rien.

shadok-pompe_castaliefr.1241099206.jpgAlors, aujourd’hui qu’on connaît le verdict, on recommence tout à zéro ?

Auparavant, les décisions de la Cour d’Assises étaient définitives. On trouvait deux justifications à cet état de fait :
1/ Vox populi, vox dei (j’ai pompé). Autrement dit, la voix du peuple est la voix de Dieu.
2/ Le double degré d’instruction assuré par le juge d’instruction, puis la chambre d’accusation, était supposé corriger le défaut d’appel.

Mais la Convention européenne des droits de l’homme a vu les choses différemment : « Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité… »

En ratifiant la Convention, en 1974 (après une hésitation de 24 ans – ici), la France a biaisé en faisant valoir que le recours en cassation pouvait très bien faire l’affaire.

Puis, en l’an 2000, Élisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, a donné la possibilité à tout condamné par une Cour d’assises de faire appel de la décision devant une Cour d’assises composée différemment.

Dans cette loi destinée à renforcer la présomption d’innocence, il est dit que seul un condamné a la possibilité de faire appel, à condition qu’il soit… condamné. Autrement dit il lui est impossible de faire appel d’une décision d’acquittement.

C’est vrai qu’on voit mal un type se plaindre de ne pas avoir été condamné…

Mais certains juristes ont estimé qu’il y avait là rupture d’équilibre entre les parties lors d’un procès criminel. Et en mars 2002, le nouveau garde des Sceaux, Madame Marylise Lebranchu, devait penser la même chose puisqu’elle a fait adopter une loi pour corriger le tir : « Le procureur général peut également faire appel des arrêts d’acquittement ». On peut s’interroger sur cet ajout, qui donne au pouvoir exécutif la possibilité d’aller contre une décision d’acquittement rendue par un jury populaire !

Donc aujourd’hui, si l’accusé est condamné, il fait appel ; et s’il n’est pas condamné, c’est le procureur général qui fait appel.

Pour Jaques Viguier, la balle est dans son camp.

Et s’il y a un deuxième procès… On se souvient de Maurice Agnelet (ici), innocent en première instance, vingt ans de réclusion en appel.

Je ne suis pas sûr que cette impression de loterie rehausse le standing de notre justice ! 

Alors, je ne sais pas ce vous en pensez, mais puisqu’on marche à pas forcés vers une réforme de la procédure pénale, on pourrait peut-être se montrer un rien cartésien descartes_cent-francs_les-mathematiques-copie-2.1241099488.jpget trouver autre chose, un autre système, je ne sais pas moi…, peut-être un premier tour réservé aux magistrats (pour juger sur le droit) et un second tour réservé au populi-populo, pour juger avec son coeur !

Mais existe-t-il un rien de cartésianisme chez les gens qui nous gouvernent ! Voici l’avis de Monsieur René Descartes, en personne : « Tout ce qui n’est pas imaginable leur semble n’être pas intelligible ».

Les enlèvements avec demande de rançon

Alors que débute le procès des accusés soupçonnés d’avoir participé de près ou de loin à l’enlèvement d’Ilan Halimi, certains s’interrogent sur l’efficacité de la brigade criminelle. Les enquêteurs ont-ils choisi la bonne méthode? C’est la question que certains se posent, mais c’est surtout la question que doivent se poser certains policiers.

enigme-picsou.1241004836.jpgLes enlèvements avec demande de rançon sont différents des prises d’otages en ce sens que l’enlèvement et la séquestration sont le moyen choisi pour obtenir ce qu’on veut : de l’argent.

Ce phénomène est apparu en France vers le milieu des années 70. En 1975, on a compté pas moins de 12 affaires de ce genre. Devant cette explosion, les autorités ont alors donné des instructions précises à la police : on ne paie plus. Le résultat de cette politique a été spectaculaire et ce type d’affaires a progressivement diminué. Avec toutefois une reprise dans les années 80 (8 enlèvements en 1980, dont 2 se sont soldés par la mort de l’otage). Il semble qu’ensuite le grand banditisme ait plus ou moins renoncé à ce genre d’action.

On voit d’ailleurs que la recrudescence des actes de piraterie dans le golfe d’Aden est la conséquence du paiement systématique des rançons exigées par les ravisseurs. Lorsqu’on entend Hervé Morin, le ministre de la défense, annoncer devant les caméras que l’État « avait proposé de payer une rançon » lors de la dernière prise d’otages, on se dit qu’il y a là pour le moins une erreur de communication. Car s’il y a un message qu’il ne faut pas faire passer, c’est que la France est disposée à payer.

Mais comment faire comprendre à un père, une mère, un conjoint… qu’il est préférable de ne pas payer la rançon demandée ? Et si les ravisseurs tuent l’otage ! Quelle responsabilité !

Pourtant, sans qu’on puisse parler de statistiques, l’otage a plus de chances de s’en tirer si l’on ne paie pas. Car une fois l’argent encaissé, les malfaiteurs n’ont plus qu’une crainte : se faire prendre. Et la tentation est grande d’éliminer le seul obstacle qui se dresse devant eux.

J’ai dû participer à une dizaine d’affaires de ce genre, et voici les questions qu’à chaque fois on se pose :

– Dans les premières heures, les premiers jours : s’agit-il réellement d’un enlèvement ? Et pas d’une disparition volontaire ou d’un scénario monté de toutes pièces par la… supposée victime ? Souvent, je ne sais pas pourquoi, c’est le scepticisme qui l’emporte. L’enquête sur la personne disparue doit éclairer les enquêteurs. Mais on a perdu du temps.

– Si l’enlèvement est confirmé, à quel genre d’adversaires a-t-on à faire ? S’agit-il de malfaiteurs chevronnés ou d’amateurs ? Ces derniers étant souvent plus imprévisibles que les truands professionnels, il faut s’adapter en conséquence. Le montant de la rançon est souvent une première indication. Je me souviens d’une affaire où les ravisseurs exigeaient des milliards et des milliards (de francs), avant d’accepter une transaction autour de cinq millions.

– La presse est-elle au courant ? Faut-il l’informer ? La diffusion de l’information risque-t-elle de faire peur aux ravisseurs et ainsi les amener à commettre l’irréparable… Ou au contraire cela peut-il permettre de recueillir des témoignages et augmenter les chances de sauver l’otage ? Je n’ai pas en mémoire de cas où la presse a joué un rôle négatif (mais il peut y en avoir). En revanche, dans deux affaires au moins, à l’issue d’une première arrestation « médiatisée », les ravisseurs ont préféré plier bagages en abandonnant leur otage sain et sauf.

– Les relations avec la famille, les proches, sont-elles bonnes ? Existe-t-il un climat de confiance ou de méfiance ? Souvent, la police n’est pas considérée comme un allié, mais plutôt comme un ennemi. Dans un enlèvement sur la Côte d’Azur, au bout de 24 heures, je me suis fait virer comme un malpropre de la maison de l’otage. Je n’avais pas su gagner la confiance de la famille (nombreuse).

– Les négociations (ne jamais dire oui, ne jamais dire non) sont l’un des moments clés, avec l’espoir de récupérer des indices (téléphone, voix…) et surtout de se forger une opinion sur la personnalité des malfaiteurs.

– La remise de la rançon est le moment charnière : les ravisseurs sont obligés de sortir de l’anonymat pour la récupérer (qu’il s’agisse d’argent ou de journaux entassés dans un sac). Ils savent qu’ils vont prendre des risques, mais l’appât du gain est le plus fort. Si l’on réussit à interpeller l’un des membres de la bande, il y a de fortes chances que l’affaire trouve rapidement une issue heureuse.

Ces enquêtes sur les enlèvements s’étirent souvent dans le temps, avec pour les policiers des journées de travail non-stop qui s’accumulent, la crainte de faire une bêtise, de prendre la mauvaise décision, et une hiérarchie souvent pesante et parfois à côté de la plaque. À l’arrivée, si l’otage est sauf, aucune gloire à attendre, juste la satisfaction d’avoir bien fait son boulot. Et si l’affaire se termine mal…

Si l’affaire se termine mal, si l’otage est tué, alors on se fiche bien des yakatistes qui claironnent qu’il fallait faire ceci ou cela, on reste avec ce souvenir, ce poids sur la conscience, cette question obsédante : Est-ce que j’ai merdé !

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