LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Chroniques du procès AZF (6)

La piste de l’attentat – « Vous dites que des recherches importantes n’ont pas permis de retrouver un engin explosif, ni un détonateur… », s’étonne Me Mauricia trou-azf_google-copie-2.1241342732.jpgCourrégé, en agitant sous le nez de l’expert un cylindre métallique de la taille d’une demi-cigarette… « C’est quoi, ça ? » demande-t-il. « Un détonateur, Monsieur, comme ceux que vous venez de montrer, fortement agrandis à l’écran ».

Qu’est-ce qui a provoqué cette énorme explosion sur le site AZF ? Ce cratère immense (photo satellite Google) ? La réponse est connue : 300 tonnes de nitrates déclassés.

Mais une question reste en suspens : la raison de cette explosion.

S’agit-il d’une banale réaction chimique, comme le maintiennent les partisans du « Total seul responsable » – ou d’un attentat ?

Jean-Christian Tirat reprend le fil de son exposé. Aujourd’hui, le tribunal suit la piste intentionnelle, comme on dit pudiquement. Le président Le Monnyer marche sur des œufs, mais visiblement il a bien l’intention de vérifier tous les détails et de remplir les blancs laissés par les enquêteurs. En fait, ce procès, c’est une seconde enquête.

______________________________________________

Les précautions du Président
« La question d’un acte intentionnel me paraît légitime », déclare le président Le Monnyer à l’ouverture des débats. « C’est délicat à aborder car des suspicions se sont fait jour sur une personne, Monsieur Jandoubi, qui est décédé dans l’explosion. M. Jandoubi est dans l’incapacité de se défendre. » Il précise que des membres de sa famille se sont constitué partie civile. Il décrit ensuite le contexte international, dix jours à peine après les attentats qui ont frappé les E-U. Le contexte régional est aussi évoqué à travers l’affaire de Béziers : le 2 septembre 2001, un illuminé, Safir Bghouia, s’est attaqué aux forces de l’ordre à l’aide d’un lance-roquettes et d’une Kalachnikov. Il a tué un conseiller municipal de 12 balles dans le dos avant d’être abattu par la police après une course-poursuite de 12 heures. Lors des perquisitions, un véritable arsenal a été découvert chez lui, sans qu’on puisse établir le moindre lien avec une organisation terroriste.

Une aiguille dans une botte de foin
Pour les experts en explosifs, il n’y a pas de doute. Dans le cas d’un acte de malveillance, ils auraient retrouvé la trace du détonateur.
« Vous dites que des recherches importantes n’ont pas permis de retrouver un engin explosif, ni un détonateur. Si on ne retrouve pas une aiguille dans une botte de foin, cela signifie-t-il qu’il n’y a pas d’aiguille ? »
C’est Me Mauricia Courrégé qui monte au créneau. L’avocate (de la défense) brandit sous le nez de l’expert, Daniel Van Schendel, un petit cylindre en aluminium pas plus gros qu’une demi-cigarette. Décontenancé l’expert en incendies et explosions hésite : « Mais c’est quoi ça ! ». Puis il s’énerve et pose carrément la question : « C’est quoi ça ? ».
– Me Courrégé : « Un détonateur monsieur, comme ceux que
mauricia_courrege_grande_paroisse_blog-azf_ladepeche.1241340634.jpgvous venez de montrer fortement agrandis à l’écran ».
– D. Van Schendel : « J’en ai plein dans mon labo des détonateurs, j’en ai même chez moi… ».
Le président Thomas Le Monnyer demande à voir l’objet. Il le saisit entre deux doigts, l’examine, puis il le pointe en direction de l’artificier : « Le détonateur est peut-être belge… Bon, il est petit », dit-il sur un ton ironique.
– D. Van Schendel (penaud) : « C’est un constat. On n’a rien retrouvé. On était sur les lieux… On a ratissé. On a trouvé des choses intéressantes, mais pas un détonateur ».

L’aiguille dans la botte de foin…

Entre le préambule du Président et cette dernière scène, il y a eu quatre jours de débats. Quatre jours intenses qui ont tenu les Toulousains en haleine et bouleversé les 400 personnes fidèles aux audiences.

Il est vrai que sur la question de l’acte de malveillance, attentat ou sabotage, les opinions sont partagées et les avis tranchés. Selon les uns cette piste ne repose sur rien. Elle relève d’un nauséabond phantasme. Selon d’autres, trop de portes sont restées entr’ouvertes et il existe un faisceau d’indices convergents.

Les trous dans l’enquête
– Le 1er septembre 2001, deux équipes de policiers et/ou de gendarmes (jamais identifiées) préviennent la société voisine d’AZF, la très sensible SNPE, qu’il existe un risque d’attentat.

– Le 20 septembre, la veille du drame, un appel anonyme parvient au commissariat. Il signale l’arrivée dans la ville d’un islamiste algérien spécialiste en explosifs.

– Le matin même du jour fatidique, des altercations opposent des chargeurs intérimaires à des chauffeurs de camion, juste à côté du hangar 221, celui qui va détonner. Les raisons tourneraient autour du peu d’entrain mis par les intérimaires à charger les bennes des camions.
Un drapeau US en berne dans la cabine de l’un des camions (l’attentat du WTC est récent) semble avoir envenimé les choses. Des menaces auraient été proférées par un ouvrier français d’origine tunisienne, Hassan Jandoubi.

– Ce dernier aurait tenté à trois reprises de faire embaucher sur le site une relation qui n’a pas voulu décliner son identité.

– Une quinzaine de minutes avant le sinistre, un intérimaire algérien quitte l’usine un rien précipitamment. Il suit un circuit alambiqué pour rejoindre le domicile de son « ex », dont il est en instance de divorce. Plus tard, la police découvre chez lui la trace d’un virement bancaire en provenance des USA, un devis de 120.000 francs portant sur de la littérature technique et industrielle, et une chemise contenant un texte manuscrit sur Al-Qaïda. Il y est écrit en gras les lettres TOULOUSE.

– Hassan Jandoubi est tué dans l’explosion. Le 22 septembre au petit matin, son corps est transporté à la chambre mortuaire de l’hôpital Purpan. Le médecin légiste, Anne-Marie Duguet, et les policiers qui l’assistent, découvrent que la victime est revêtue de plusieurs couches de sous vêtements. Ce serait un rituel de « kamikazes » islamistes destiné à protéger certaines parties du corps. Il s’agirait d’honorer au Paradis les 72 vierges (houris) promises aux musulmans méritants. Le docteur Duguet, qui rentre d’un congrès en Tunisie où ce rituel a été évoqué, déclare aux policiers : « Cet homme savait qu’il allait mourir ». C’est à cet instant que la piste intentionnelle prend corps.

– En réponse aux questions des enquêteurs, la famille et la compagne de Jandoubi s’étonnent de cet accoutrement – avant de se raviser.

– Des prêcheurs fondamentalistes de l’organisation piétiste Dawa al Tabligh sont contrôlés par la gendarmerie au péage de Valence d’Agen, une heure après la catastrophe. La lunette arrière de leur véhicule est brisée. À cause de l’explosion, expliquent les occupants.

– Le 24 septembre, lors d’un briefing, le patron du SRPJ de Toulouse explique à 70 policiers réunis qu’il faut enquêter en priorité sur la piste accidentelle. Il aurait évoqué comme origine de l’explosion les exhalaisons d’un rat en décomposition qui aurait réagi avec le nitrate pour produire du gaz méthane. Abasourdis par les propos tenus par leur chef, des policiers s’en ouvrent à des journalistes.

– Au mois d’octobre, une « note blanche » des renseignements généraux (RG), circule dans toutes les rédactions. Elle porte la date du 3 octobre 2001 et conforte l’hypothèse terroriste.

Cette liste non exhaustive montre comment la piste intentionnelle a pu troubler une ville comme Toulouse, qui fonctionne comme un gros village. Tout s’y sait très vite. Le doute s’est propagé au fur et à mesure que ces éléments ont filtré dans l’opinion publique.
Et aujourd’hui, les policiers mécontents viennent dire à la barre du tribunal qu’ils n’ont pas eu la possibilité de vérifier ces éléments. Ne serait-ce que pour les infirmer.

Alors, ce que les enquêteurs n’ont pas pu réaliser, ce que jc-tirat.1240585967.jpgles magistrats instructeurs n’ont pas su exiger, le président Le Monnyer a bien l’intention de le faire.

Nous verrons comment dans la prochaine chronique.

Jean-Christian Tirat
______________________________________________

Pour en savoir plus vous pouvez vous reporter au blog de J-C Tirat (ici) et à l’ouvrage qu’il a coécrit avec Franck Hériot AZF : l’enquête assassinée, chez Plon.

8 Comments

  1. teddy

    et si tout simplement il s’agissait d’une affaire d’état…avec ça, ajouter de la désinformations pour brouiller les pistes. Un travail parfaitement adapté pour DGSE.

  2. JIM

    Nous sommes surpris que le journal Le Monde ait confié le blog sur l’affaire AZF à une personne qui a déjà écrit un livre et pris une position très partisane dans cette affaire. En plus, il n’a même pas l’accréditation pour suivre ce procès. Le Monde n’a pas trouvé mieux?

  3. rg

    Si vous pouviez cesser de vous jetter des trucs à la figure !
    Tout le monde est plein de bonne volonté,
    Tout le monde sait que ‘ça n explose pas comme ça »,
    Tout le monde cherche !
    Sauf ceux dont c est le métier !
    La vérité n a pas besoin d égo !

  4. gresillaud

    A propos des trous dans l’enquête… ce n’est ni la gendarmerie, ni la police qui est venue à la SNPE le 1er Septembre. Le gars du poste de garde a mis cela sur ses pages et a même reconnu lors d’une déposition ne pas avoir vraiment identifier les tenues même il savait en fait très bien que c’était des gars de la DGSE et personnes d’autres. Vous le savez aussi très bien M. Tirat et je me demande encore pourquoi on retrouve dans votre article cette succession d’événements décousue qui aurait l’odeur d’une piste terroriste encore sur votre blog. Rien n’a montré que cet homme qui a quitté le site quelques minutes avant l’explosion avait le moindre lien avec une piste de mal vieillance… pourquoi encore rementionner cela sous couvert que le procès en a parler…? Cette semaine a eu bien d’autres détails plus intéressants. Chercher une piste terroriste c’est autre chose que de cumuler des faits n’ayant aucun rapport entre eux, histoire de dégonfler cette affaire après coup à l’instar du Président Lemonnyer. Pourquoi M. Tirat le dossier ne comporte-t-il pas toutes les pages de listing des appels GSM de HJ ? Ca c’est une question importante qui met à la fois en valeur une erreur judiciaire volontaire et la dissimulation d’une information importante qui concerne la voiture de HJ. C’est elle et tous ceux qui ont permis à HJ de l’acquérir qu’il faut suivre à la trace et non uniquement son propriétaire. Pourquoi était-elle hors de la zone de badgeage ? Pourquoi était-elle justement à côté du poste informatique qui a eu les premières perturbations électromagnétiques dans le bureau du pesage 1′ avant l’explosion ? Pourquoi la grande trace au sol venant du cratère et allant vers le bâtiment RCU et cette voiture ne vous intéresse-t-elle pas alors que la vidéo de la gendarmerie, au dossier depuis 2004, la montre parfaitement ? Vous niez l’importance de cette vidéo tout comme l’existence de la conduite d’eau brute sous le tas d’ammonitrate vue sur le plan de la SAUR confirmée par Mme Gouetta au procès il y a 15 jours.
    A force d’écrire que le Président Lemonnyer instruit (mon oeil oui…), vous aller vraiment le croire ! Gaffe !

  5. phil

    Le nitrate d’ammonium est une base pour la fabrication d’explosifs (mélange nitrate fuel). Seul il n’est rien mais amorcé par un explosif ou fortement chauffé en milieu confiné c’est une autre chose. La littérature est bien connue sur ces points.

    L’acceptation du stock sur site est aussi du domaine de la DRIRE, dont on néglige trop souvent la responsabilité dans cette histoire.

  6. Pierre

    A Jean-Pierre : une telle réaction est certes difficile à déclencher, mais la liste figurant sur le blog comprend en effet des sinistres s’étant produits chez des agriculteurs.

    Et c’est bien un stock de nitrate d’ammonium qui a explosé à Toulouse, n’est-ce pas ? Quand à la cause …

  7. jean pierre

    alors pierre, il faut dire a tous les agriculteurs qu’ils ont potentiellement des bombes dans leurs hangars…..un peu de sérieux….

  8. Pierre

    Un commentaire concernant le cas où la cause de l’explosion ne serait pas de la responsabilité de l’industriel :
    le caractére explosif (secondaire) des produits du hangar 221 n’est pas contestée …
    Ce type de produit a par ailleurs causé avant 2001 une dizaine de grosses explosions accidentelles(en général suite à des incendies). Ce caractère explosif ne pouvait donc être ignoré d’AZF.
    AZF ne pouvait non plus prétendre à une parfaite maîtrise des risques puiqu’un très grand nombre d’entreprises extérieures intervenaient sur le site.
    A partir de là et quelque soit la cause de l’explosion, la responsabilité d’AZF me paraît être fortement engagée : on ne stocke pas 300 tonnes d’un produit explosif dans une agglomération alors qu’il aurait été facile de les transporter ailleurs. Cela tombe sous le sens et l’absence d’une règlementation spécifique ne doit pouvoir être invoquée !
    J’espère que cette remarque atténuera un peu la douleur des victimes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑