LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Actualité (Page 33 of 71)

Les officiers de police sont en colère

Et pour marquer le coup, ils demandent leur intégration dans la gendarmerie nationale ! Bon nombre seront demain dans les manifs. Il faut dire que leurs représentants syndicaux sont sortis très fâchés d’une récente réunion au ministère de l’Intérieur. Parmi les sujets à l’ordre du jour, figurait l’ISSP (indemnité de sujétions spéciales police), une prime faite pour compenser les risques et les contraintes du métier de policier. C’était, en 1948, le plat de lentilles offert en échange du renoncement au droit de grève. Après avoir obtenu la promesse d’une parité dans les rémunérations, ils espéraient en effet obtenir les mêmes avantages que les officiers de gendarmerie.

On escadeau-empoisonne_terra-economiicainfo.jpgt loin du compte. Un jeune lieutenant de police, par exemple, pourrait voir sa prime majorée de 18 € par mois, alors que pour être à parité, il lui faudrait cinq fois cette somme. Et les négociations sont biaisées par un système de vases communicants : pour que le lieutenant touche plus, il faut que  le capitaine touche moins. Car la seule chose qui ne bouge pas, c’est le montant de l’enveloppe : 6.6 millions sur trois ans.

Bilan des courses : il manque vingt millions d’euros. Et les promesses ne seront pas tenues.

Les officiers de police sont tellement remontés que le syndicat majoritaire, le SNOP (syndicat national des officiers de police), a tendu la main à son concurrent direct, Synergie-Officiers, pour envisager une action commune. Si la porte est restée fermée du côté de Synergie, les deux syndicats se sont quand même engagés dans le même combat. Et le SNOP a adopté l’idée coup-de-poing lancée par Synergie : les officiers de police demandent leur intégration dans la gendarmerie nationale, afin « de bénéficier d’une carrière valorisante et diversifiée, d’un logement de fonction cédé à titre gratuit pour nécessité de service, d’une solde digne d’un salaire de cadres, d’une ISSP payée comptant… »

Il s’agit synergie.JPGévidemment d’une provocation, mais en filigrane, on sent combien cette aspiration de la gendarmerie dans le giron du ministre de l’Intérieur n’a pour l’instant pas réussi à trouver son régime de croisière. Et plutôt que de faire taire les rivalités, on a même l’impression qu’elle les a exacerbées. L’affaire du pseudo-fichier Roms au sein de l’OCLDI (Office central de lutte contre la délinquance itinérante) en est un exemple. Quelle est la source qui a donné cette information au journal Le Monde, ou plus probablement aux avocats des associations des Roms et de gens du voyage, Françoise Cotta et William Bourdon ? Et certains de penser que la PJ, mécontente de voir un office aux mains des gendarmes, ne serait pas étrangère à cette fuite… Je n’y crois pas une seconde, mais le simple fait que cette rumeur ait circulé montre bien que rien n’est joué entre ces deux grands corps de l’Etat.

En 2007, Nicolas Sarkozy s’était engagé à assurer « une parité globale de traitement et de perspectives de carrière des personnels de la police et de la gendarmerie ». Son discours visait surtout à rassurer les gendarmes. Mais aujourd’hui, ce sont les policiers qui rouscaillent. Il est vrai que les gendarmes n’ont pas de syndicat pour les représenter.

Il est d’ailleurs amusant que les syndicats de police appellent leurs adhérents à devenir militaires de la gendarmerie, ce qui, du coup, leur retirerait  la possibilité d’être syndiqués.

Flash-Ball : des instructions sans effet

« On nous donne des armes et on n’a pas le droit de s’en servir », c’est grosso modo ce qu’a déclaré, devant une caméra de télé, la représentante d’un syndicat de police. Elle rouspétait après les déclarations du préfet des Hauts-de-Seine visant à interdire l’usage du Flash-Ball. Mais elle aura sans doute mal compris ledit préfet (tout comme nous) puisque, bien vite, les autorités ont fait savoir que ce n’était pas ça du tout. Non, non ! On rappelait simplement aux forces de l’ordre que l’utilisation de cette arme est limitée aux situations de légitime défense.

On peut supposer qu’en dehors de quelques syndicalistes inconséquents, les policiers de terrain le savaient déjà.

À sa conception, le Flash-Ball pouvait être considéré comme une avancée intéressante. Il s’agissait en fait d’une arme d’auto-défense destinée à se dégager d’une position délicate. La portée était limitée à une dizaine de mètres et le projectile, une balle ronde en caoutchouc, se déformait suffisammflash-ball_super-pro_verney-carron.1287219841.jpgent lors de l’impact pour sonner sans trop blesser. De plus, par son aspect et le bruit de la détonation, l’effet dissuasif était assuré. Comme l’avait d’ailleurs dit Nicolas Sarkozy, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, une arme faite « pour impressionner ».

Mais en augmentant la puissance de cet engin, et en utilisant des projectiles différents, on a changé la donne. On en a fait une arme nettement plus dangereuse. Une arme comme une autre.

Le Flash-Ball est à l’origine de pas mal d’accidents graves, dont deux à Montreuil, quasi identiques. Comme si l’on n’avait pas tiré de leçon du premier. Pourtant, les circulaires d’instruction se multiplient pour réglementer son utilisation, ainsi que d’autres, dans d’autres domaines (gardes à vue, fouilles à corps, menottage…) – et rien !

Du coup, je m’interroge sur le climat dans la police… Et si une minorité de boutefeux cherchait à entraîner leurs collègues vers une escalade dangereuse ?

On a l’impression qu’une partie de la base ne tient aucun compte des instructions de la hiérarchie – et que celle-ci s’écrase, par crainte des réactions de la base.

Malsain.

A ne pas manquer, la chronique du commissaire Jean-François Herdhuin, sur Le Monde (ici).

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Le fichier ADN financé par les assureurs a été lu 11 901 fois à ce jour et a suscité 33 commentaires.

Le fichier ADN financé par les assureurs

On savait les caisses vides, mais on ne s’attendait pas à voir le ministre de l’Intérieur faire la manche. En deux mots, il sollicite les compagnies d’assurance pour assurer le bon fonctionnement de la police technique et scientifique. « Concrètement, cela prendra la forme d’un fonds (…)  Les compagnies ont tout à gagner de leur participation, si l’on identifie les cambrioleurs et que l’on récupère les biens volés, les assureurs n’auront pas à indemniser les victimes et les cambrioleurs seront hors d’état de nuire », a déclaré Brice Hortefeux.

Lors de sa visite mendiant_site_tapahont.gifau laboratoire de Versailles, il aurait même confié qu’il avait demandé aux assureurs une contribution de six millions d’euros sur trois ans.

Et ce ne sont pas des paroles en l’air, puisqu’une disposition en ce sens a été ajoutée à LOPPSI 2, sous la forme d’un article 9 bis.

Cette contribution devait initialement prendre la forme «  d’un fonds de soutien au recueil d’empreintes génétiques et digitales, alimenté par une taxe sur les polices d’assurance habitation, afin de permettre à la police et à la gendarmerie d’élucider davantage de cambriolages ». Mais, quai de Bercy, on s’est dit qu’une taxe, en ce moment… Donc, finalement, l’amendement a été amendé, et il semble que le fonds sera alimenté par les assureurs en fonction du montant des biens volés qui seraient récupérés par les enquêteurs.

Et voila-t-il pas que policiers et gendarmes vont se transformer en chasseurs de primes !

En attendant, le personnel de la police technique et scientifique croule sous des milliers de réquisitions – et la grogne monte. Ici ou là, on dénonce la culture du chiffre et le manque de moyens. D’autant que le budget 2011 serait de douze millions, contre seize en 2010.

Depuis longtemps les compagnies d’assurances lorgnent cette formidable base de données que constitue le fichier national automatisé des empreintes génétiques, lequel comprendrait à ce jour environ 1.5 million de « profils ». Un outil statistique hors du commun. S’agit-il d’un premier pas ? Et les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas en reste. « L’utilisation de l’information sur l’ADN pour les diagnostics et le développement des médicaments a déjà attiré des milliards de dollars de capitaux d’entreprises ou d’autres financements », dit le professeur Colin Masters*.

Personne n’aurait imaginé qu’un jour la police fonctionnerait avec des capitaux privés. Le pas est franchi. Alors, on peut s’interroger. Lorsque les caisses seront plus vides que vides, jusqu’où ira-t-on ?

D’autant qu’il s’agit d’un marché potentiel gigantesque : la bioinformatique – le mariage de l’informatique et de la biologie.

Or, la France est l’un des rares pays, une fois les fiches établies, à ne pas détruire les prélèvements génétiques. Ils peuvent être conservés 40 ans. Cette conservation de l’ensemble de l’ADN, partie codante et non codante, ne présente pourtant aucune réelle utilité pour les enquêtes.

Alors, pour quelle obscure raison le mettre en boîte ?chimpanze_bellesplumesblogscourrierinternational.1287047856.jpg

Avec l’ADN, on joue avec le feu. Ainsi, on a découvert, il y a peu, que la partie non codante que l’on croyait sans intérêt, permet de définir les différences entre les espèces. La bonne nouvelle, c’est qu’elle présenterait moins de similitude avec le chimpanzé que la partie codante.

Sans décoder.

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* Auteur de Notre ADN et nous, aux éditions Vuibert.
Kerviel et le prix du blé a été lu 4 095 fois et a suscité 61 commentaires. Merci à ceux qui ont pris la peine de nous expliquer la méthode du trader, et notamment à « Unbanquier ». Mon billet était évidemment imprécis, car je n’ai aucune connaissance dans ce domaine, mais à présent, je me sens moins nul…

Kerviel et le prix du blé

La Société Générale aurait récupéré 1,7 milliard sur le montant des pertes de Jérôme Kerviel, nous dit la presse. Et du coup, on a l’impression que l’État lui aurait remboursé une partie de l’argent perdu par son trader… Ce qui n’est pas le cas, évidemment. En revanche, ce qui peut choquer, c’est la différence de traitement fiscal entre une société et un particulier. Si vous ou moi perdons de l’argent en bourse, cela ne modifiera en rien le montant de notre impôt sur le revenu. Tout au plus pourra-t-on reporter cette perte sur des gains éventuels, dans les dix années qui suivent. Tandis que si l’on gagne, l’imposition pour une entreprise et un particulier est quasi identique.

Mais, dès qu’on parle d’argent, surtout s’il s’agit de fortes sommes, on est tous un peu perdus. Moi le premier. Si ça se trouve, je viens d’écrire une grosse boulette.

Bon, je vais essayer de me refaire…

Ce procècoup-de-pied_picsou.1286787654.jpgs SG contre JK, c’était un peu le pot de fer contre le pot terre, et le résultat n’a pas manqué, le pot de terre a été réduit en miettes. Et l’on a beau nous tenir un discours modérateur, nous expliquer en long en large que les juges se sont prononcés sur les faits, rien que sur les faits, cette  condamnation laisse quand même planer comme un sentiment d’insatisfaction.

Et même d’incompréhension.

Alors, pour mieux comprendre, j’ai cherché des réponses – jusqu’à l’absurde.  Ce billet s’éloigne de l’objet de ce blog, mais si l’on veut me suivre dans ce cafouillis de zéros…

Le travail de Jérôme Kerviel consistait à spéculer sur les contrats Futures, lesquels se situent dans la catégorie des contrats à terme. Lorsqu’on cherche la définition de ces produits, dits « dérivés », on se retrouve, de façon quasi systématique devant une métaphore bien terre-à-terre : le prix du blé. Quel rapport me direz-vous ? Je pense que les boursicoteurs donnent cet exemple pour montrer qu’ils ne sont pas tout à fait coupés de la réalité. Alors qu’ils évoluent souvent dans un monde virtuel. Donc, le blé pousse et le paysan se demande à combien il pourra le vendre. Alors, pour mettre fin à ses angoisses, quelqu’un lui propose de lui acheter sur pied, au cours du jour, quel que soit son prix le jour de la récolte. Si le jour J le cours a chuté, le paysan se frotte les mains, il a fait une bonne affaire ; et s’il a monté, il se dit qu’on ne l’y reprendra plus.

Dans cette histoire, sans rien connaître à la bourse, l’agriculteur et son acheteur ont conclu un contrat à terme. L’un l’a vendu, l’autre l’a acheté. Eh bien, Jérôme Kerviel jonglait avec les contrats à terme qui portaient non sur du blé, mais sur des indices boursiers, et notamment celui de Francfort, le DAX, pour lequel il semblait avoir une petite préférence.

Comment ça fonctionne ?

Ces jours-ci, le DAX cote environ 6300 points. Chaque point vaut 25 €. La valeur d’un contrat sur le DAX est donc de 157 500 €. Mais pour l’acheter, nul besoin de disposer de cette somme, une caution (le déposit) d’environ 6000 € est suffisante.

Ce qui réduit considérablement la facture.

Mais cette somme n’est même pas utilisée. On se contente de faire les comptes en fin de journée (l’appel de marge). Soit la position est gagnante, et l’on encaisse un gain, soit elle est perdante, et il faut payer sa dette. À défaut, la position est clôturée d’office le matin suivant.

Par exemple, si le DAX a gagné 1% dans journée, soit 63 points, l’heureux détenteur d’un Future (on parle d’un lot) va encaisser la somme de 63 X 25 € = 1575 €. Soit un gain de plus de 26% sur une somme qui est restée bloquée sur son compte. Si l’indice a baissé, évidemment, c’est l’inverse.

Lorsque Kerviel a été suspendu de ses fonctions, il possédait environ 10 000 lots sur le DAX (et d’autres sur d’autres indices). Ce qui représente une somme « virtuelle » de 1,575 milliard d’euros, et une somme réelle de 60 millions d’euros.

Pour résumé, et si je ne me trompe pas dans les zéros, si le trader était engagé pour un montant de 50 milliards, comme on l’a dit, il s’agissait en fait d’un montant réel de moins de deux milliards. Un argent qui n’avait pas vocation à être utilisé, puisque seule la compensation gains-pertes est comptabilisée.

Alors, comment a-t-il pu perdre près de cinq milliards ? Après avoir connu le succès, il se trouvait alors dans une spirale de pertes, et, chaque jour, il fallait remettre de l’argent au pot pour continuer de jouer. C’est le plus vieux système à la roulette : doubler sa mise à chaque coup perdant. On est sûr d’y laisser sa chemise.

Mais d’ailleurs, ce n’est pas lui qui a perdu cette somme ! Ses comptes s’arrêtent au 20 janvier 2008. À cette date, d’après un rapport de l’Autorité des marchés financiers, ses pertes potentielles avoisinaient 2,7 milliards. Mais la vente en catastrophe ordonnée par le PDG de la Société Générale aurait généré une perte supplémentaire de 3,6 milliards. Soit une perte totale de 6,3 milliards.

Alors, d’où vient ce chiffre de 4,9 milliards ? Eh bien, la banque a pris en compte la somme gagnée par Kerviel en 2007 (nous sommes en janvier 2008), soit 1,4 milliard (6,3 – 1,4 = 4,9).

Si on refait les calculs en tenant compte de ces chiffres, et si l’on admet le principe que Kerviel ne peut être tenu pour responsable d’opérations effectuées sans son accord, on obtient le décompte suivant :

6,3 (perte totale) – 3,6 (perte lors de la revente par la direction de la SG) + 1,4 (gain de Kerviel en 2007) = 1,3 milliard (montant de la perte de Kerviel)

Et pour poursuivre le raisonnement par l’absurde, comme la Société générale a récupéré une moins-value fiscale de 1flic_attitudes_lessor.1286790326.jpg,7 milliard d’euros. La banque doit des réparations à son salarié pour un montant de 400 millions d’euros.

CQFD.

Une pénalité qui viendrait à bon droit sanctionner le fait de spéculer sur ses fonds propres, autrement dit de prendre des risques inconsidérés avec l’argent destiné en principe à couvrir les risques d’une activité bancaire.

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Déchéance de nationalité : pour qui et pour quoi ? a été lu 1156 fois et a suscité 16 commentaires.

Déchéance de nationalité : pour qui et pour quoi ?

La déchéance de la nationalité française, dont l’objectif serait de protéger les forces de l’ordre, présente-t-elle un intérêt quelconque ? On peut en douter. Si la crainte d’aller en prison ne fait pas reculer un criminel, il y a  gros à parier que le risque de se voir – en plus – déchu de sa nationalité ne lui fera ni chaud ni froid.

Cette loi va s’insérer dans l’article 25 du Code civil. Ce sera l’alinéa 5. Pour la petite histoire, cet alinéa 5 existait déjà par le passé et prévoyait la déchéance pour toute condamnation criminelle à une peine de plus de cinq ans d’emprisonnement. Il a été supprimé en 1998, sous le gouvernement Jospin.

Qui est visé par ce texte ?

Le Code parle d’un « individu qui a acquis la nationalité française ». Or, pour un adulte, il n’y a que deux moyens : la naturalisation ou le mariage (et de manière marginale, la réintégration).

Si l’on en croit ces deux tableaux (l’un du Parlement, l’autre de l’Institut national d’études démographiques), c’est donc environ 100 000 personnes par an qui seraient concernées.

les-deux-tableaux.JPG

Pour les mineurs, c’est plus compliqué. Ceux qui sont nés en France, par exemple, et qui y résident, obtiennent automatiquement la nationalité française à leur majorité. Mais je dois avouer que je suis incapable de dire si ces jeunes Français sont potentiellement « révocables », tout comme les enfants des personnes naturalisées (le charmant titre « Effets collectifs », dans le premier tableau)…

De plus, cette déchéance ne concerne que les personnes qui bénéficient d’une deuxième nationalité. Ce qui doit être le cas de presque tous les immigrés (sauf les apatrides, évidemment) puisque la France accepte le principe de la double nationalité.

Ainsi, l’année dernière, alors que M. Eric Besson nous faisait le grand jeu sur « l’identité nationale » et « la fierté d’être Français », la France a même renforcé le principe de la double nationalité en dénonçant partiellement une convention européenne signée par une douzaine de pays, dont le nôtre. Cette convention, qui date de 1963, et qui a été modifiée en 1993, estime que « le cumul de nationalités est une source de difficultés ». Et qu’un ressortissant européen qui acquiert la nationalité d’un état signataire doit abandonner sa nationalité antérieure.

Depuis le 5 mars 2009, ce n’est donc plus le cas pour les Français. Et les personnes qui auraient perdu leur nationalité sur le fondement de cette convention, peuvent même la retrouver si elles le souhaitent.

C’est sans doute en raison de la complexité des textes que Carla Bruni s’emmêle parfois ses jolis pinceaux lorsqu’on lui demande si elle est française, italienne, ou les deux à la fois. Affirmant devant les Italiens : « Automatiquement, quand on épouse une personne, si c’est bien votre question, on a la double nationalité. Si l’on n’en a plus besoin, il faut faire une demande pour y renoncer. Mais cela m’aurait peiné de le faire. » – Ou aux Etats-Unis, devant une caméra télé : « Non, je suis juste française maintenant (…) On ne peut pas garder la double nationalité. »

Pour faire simple, notre pays admet qu’un étranger puisse devenir français tout en restant étranger et qu’un Français puisse devenir étranger tout en restant français…

Cela dit, si l’objectif de cette loi est de « protéger » les membres des forces de l’ordre, ils ne sont pas seuls à être concernés. On peut trouver le détail dans les articles 221-4 et 222-8 du Code pénal : magistrats, jurés, avocats, officiers publics ou ministériels, douanes, administration pénitentiaire, sapeurs pompiers, gardiens assermentés, etc.

Alors, policiers et gendarmes sont-ils satisfaits de cette nouvelle mesure ? Je ne crois pas me tromper en disant qu’ils n’en ont rien à battre. Lorsqu’on risque sa peau, on se fiche bien de savoir si le type qui tient le flingue va perdre ou non sa carte  nationale d’identité. Non, on prie surtout pour que l’administration n’ait pas lésiné sur le prix des gilets pare-balles.

Sûr qu’ils préféreraient, en cas de pépin, que leur famille bénéficie à la fois d’un soutien psychologique et d’une aide efficace pour régler les difficultés matérielles.

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Les policiers doivent-ils apprendre à désobéir a été lu 20 946 fois et a suscité 187 commentaires.

Les policiers doivent-ils apprendre à désobéir ?

« Leur seul tort est de ne pas avoir désobéi à un ordre illégal », a dit en résumé Daniel Vaillant. L’ancien ministre de l’Intérieur parlait des policiers. En tant que membre de la commission chargée de contrôler les écoutes, la CNCIS, il commentait le nouveau ricochet de l’affaire Woerth-Bettencourt, qui ressemble fort à un contournement de la loi.

don-quichotte-1955-de-picasso_artistikartskynetblogsbe.jpgS’il s’avérait en effet que des policiers, et notamment des commissaires, ont ainsi effectué des écoutes ou des recherches techniques en violation de la loi (lire sur ce blog le billet du 25 septembre), ils pourraient bien faire l’objet de poursuites pénales.

Ainsi, dans l’affaire dite des écoutes de l’Elysée, le 13 mars 2007, la Cour d’appel de Paris a condamné les personnages qui s’étaient rendus coupables d’écoutes illégales (deux hauts fonctionnaires, deux officiers de gendarmerie, un commissaire de police…). Et peu importe qu’ils aient agi à la demande du premier magistrat de France, en l’occurrence le président François Mitterrand. En résumé, a dit la Cour, si les protagonistes avaient un devoir d’obéissance, ils avaient le devoir supérieur de ne pas obéir à un ordre manifestement illégal. Elle a donc jugé que les prévenus avaient commis une faute personnelle « détachable du service de l’Etat » et qu’ils étaient même tenus de dédommager les victimes sur leurs deniers personnels. Décision confirmée par la Cour de cassation.

On se souvient que la cellule élyséenne, soi-disant destinée à lutter contre le terrorisme, avait été utilisée comme un cabinet noir par le président en place. Espionnant des personnalités diverses, comme la comédienne Carole Bouquet, l’écrivain Jean-Edern Hallier ou le journaliste Edwy Plenel.

Une affaire vieille de 25 ans. Oui, mais plus près de nous, les gendarmes qui ont incendié une paillote corse sur les ordres de leur préfet ont tous été condamnés, directeur de cabinet, colonel, capitaine et simples gendarmes. Motif : ne pas s’être soustraits à un ordre illégal.

Et Michel Bart, le directeur de cabinet de Brice Hortefeux, n’a-t-il pas engagé sa responsabilité personnelle en signant une circulaire sur les Roms qui viole les principes mêmes de notre Constitution ? La circulaire est diffusée sur tout le territoire, et quoi ! Personne dans la chaîne d’exécution pour s’étonner ?

Alors que j’étais jeune policier, pour toucher les frais forfaitaires que l’administration nous octroyait, nous devions remplir un état chiffré qui correspondait à des missions bidons. Toute la hiérarchie le faisait –  sauf un vieil inspecteur divisionnaire. Le mouton noir. On le désignait du doigt. Mais, il refusait de faire un faux. Car c’était  bien d’un faux dont il s’agissait, et même d’un faux en écriture publique. Quelle leçon a posteriori… Et comme il avait raison, le vieux.

Dans un livre* qui vient de sortir, le commandant de police Philippe Pichon dénonce le système. Il a payé pour avoir le droit de parler, puisqu’il est actuellement banni de la police au motif qu’il a voulu désigner les abus qui entourent l’utilisation du fichier STIC.

Dans ce brûlot qui, entre nous, ne va pas arranger ses affaires avec l’administration, il dénonce : « Les scandales du fichage sauvage, de l’incompétence et des déviances policières – des travers dont certains de mes collègues s’accommodlivre-pichon.1286187270.jpgent fort bien, quand ils ne cherchent pas à en profiter -, j’ai rompu un contrat tacite… La maison Poulaga ne pouvait décidément plus me garder ».

Un contrat tacite ! Mais entre qui et qui ? En fait, les policiers vivent en vase clos et, souvent, ils perdent de vue la vraie vie –  celle de tous les autres, tous ceux qui ne sont pas policiers. On appelle ça l’esprit de corps, mais lorsque « la paillote brûle » chacun se retrouve seul pour régler la facture.

On a fait de la police, ces dernières années, un corps paramilitaire, avec sans doute bien des arrière-pensées.  Mais même chez les militaires, il existe un devoir de désobéissance devant un ordre manifestement illégal, ce qu’on appelle, je crois, la théorie de la « baïonnette intelligente ».

Un Pichon qui part en guerre, c’est un peu Don Quichotte, mais si demain des dizaines, des centaines de policiers refusent d’exécuter des ordres manifestement non conformes au droit, français ou européen, ou refusent de fermer les yeux sur les petits tripatouillages et les petits arrangements, alors, la police va retrouver la confiance et le respect des citoyens.

Mais qui le souhaite vraiment ?

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* Une mémoire policière sale, de Philippe Pichon et Frédéric Ocqueteau, aux éditions Jean-Claude Gawsewitch.

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La nouvelle carte d’identité : un tournant a été lu 5 530 fois et a suscité 39 commentaires.

La nouvelle carte d’identité : un tournant

La nouvelle carte d’identité électronique (CNIe) est en route : une proposition de loi vient d’être déposée au Sénat. Elle va à la fois nous faciliter la vie et devenir en même temps un instrument de contrôle. Elle reflète quelque part la société de demain : une société docile.

puce-de-la-carte-didentite-belge.jpg Elle pourra comporter deux puces. L’une obligatoire, dans laquelle figureront des données d’identité et des données biométriques ; l’autre, facultative, destinée à faciliter l’échange d’informations sécurisées.  Il s’agit nous dit le sénateur Jean-René Lecerf (à lire sur le site du Sénat), d’éviter les usurpations d’identité (200 000  par an) et les fraudes sur Internet (400 000) et, bien entendu, de lutter contre le terrorisme et le crime organisé.

La CNIe comportera les renseignements suivants :
a)    le nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance ;
b)    le nom dont l’usage est autorisé par la loi ;
c)    le domicile ;
d)    la taille et la couleur des yeux ;
e)    les empreintes digitales ;
f)    la photo.

Pour l’instant, pas question d’y mettre l’Adn. Mais si demain Christian Estrosi devient ministre de l’Intérieur, rien n’est perdu. C’est lui en effet qui, en 2007, avait déclaré : « Les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance ».

En attendant, si le titulaire de la future carte le souhaite, une deuxième puce contiendra des données lui permettant de s’identifier sur les réseaux de communications électroniques. Ce qui permettrait de sécuriser les transactions sur le Net, de faciliter certaines démarches administratives et d’utiliser une signature électronique. Je trouve d’ailleurs étrange que l’État officialise en quelque sorte l’Internet comme moyen de communication avec les administrations, alors que dans le même temps on peut couper l’antenne à toute une famille si l’un de ses membres se livre à des téléchargements sauvages…

Parallèlement, pour archiver ces données, le ministère de l’Intérieur va créer « un traitement de données à caractère personnel ».

Un fichier, quoi !

On peut penser qu’il s’agira de la même base que pour le passeport électronique, laquelle a été créée par le décret du 30 avril 2008, article 18 : « … Le ministre de l’intérieur est autorisé à créer un système de traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé TES ». Il s’agirait d’une « base centrale des titres d’identité et de voyage » qui regrouperait l’ensemble des informations. Avec à échéance un projet européen.

Mais pour anticiper les critiques, il est précisé dans ce texte que l’identification d’une personne (la recherche fichier) ne pourra s’effectuer qu’au moyen des critères a), c’est-à-dire nom, prénoms, etc. (comme c’est déjà le cas aujourd’hui) ; et b), les empreintes digitales.
On va donc passer d’un fichier (le fichier automatisé des empreintes digitales) d’environ 3.5 millions de personnes à un fichier de plusieurs dizaines de millions.

Un vieux rêve de flics : tous fichés.

Pas tout à fait, car l’intention première se heurte pour l’instant à l’article 78-2 du Code de procédure pénale (qui concerne les contrôles d’identité), lequel stipule que l’identité d’une personne se prouve par « tout moyen », donc pas nécessairement une carte d’identité. C’est pourquoi on a renoncé – pour l’heure – à rendre la CNIe obligatoire.

Cette base, nous dit le projet de loi dans son article 4, « pourra également être utilisée par les services de police dans le cadre d’une vérification d’identité. La confrontation des caractéristiques biométriques (…) permettra de confondre les fraudeurs ». Mais toutefois, il restera interdit de faire une recherche générale en partant de caractéristiques physiques, comme la couleur de la peau.

Aujourd’hui, il existe bien un fichier informatique centralisé de la carte d’identité, mais l’empreinte digitale, la photographie et la signature du titulaire n’y sont pas enregistrées. Et ce fichier ne peut faire l’objet d’une interconnexion. Quant à la bande à lecture optique qui figure sur le document, elle ne fait que rappeler les éléments mentionnés sur la carte. Dans la pratique, elle n’est pas utilisée.

Dans le cas où la puce de cette carte serait RFID (comme dans les passeports US) – ce que je ne sais pas -, on en arriverait à pouvoir contrôler les gens à leur insu et à vérifier que leur bobine réelle correspond bien à leur bobine virtuelle.bourvil-poinconneur-de-metro_film-la-grosse-caisse.jpg

D’un autre âge, le contrôle au pif… Fini, le délit de sale gueule… Bientôt, tout sera informatisé. Des métros qui roulent tout seul et des contrôles de police… sans policiers.

Un monde inquiétant… Parfois, j’ai un peu la nostalgie du « poinçonneur des Lilas ».

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Prisons : des détenus au profil inattendu a été lu 22 450 fois et a suscité 140 commentaires. Alors que je cite dans ce billet des chiffres officiels, certains me reprochent de prendre des positions à gauche, et d’autres de faire le jeu de l’extrême droite. Ce qui prouve qu’à la différence des huîtres, dans les statistiques, on trouve souvent des perles…

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Pour ceux qui ont suivi l’enquête sur la disparition de la petite Maddie, on peut écouter l’émission du 1er octobre de Jacques Pradel, L’heure du crime, sur RTL.

Prisons : des détenus au profil inattendu

La semaine dernière, la garde des Sceaux répondait à la question d’un député sur la population du milieu carcéral. Et plutôt qu’une explication laconique, comme c’est souvent le cas à l’Assemblée nationale, dans le petit jeu des questions-réponses, elle a étalé les statistiques trimestrielles.

profil-prison_site_saharamedias.jpgSurprise ! Alors qu’après le discours de Grenoble, on pouvait imaginer nos prisons remplies d’étrangers, pour beaucoup Roms, et de jeunes provenant de cités cosmopolites qui ne pensent qu’à vendre de la dope et à flinguer des flics, il n’en est rien.

Et, loin des annonces politiques, devant ces statistiques, dans la froide logique des chiffres, on retrouve enfin un peu de sérénité.

Au 1er avril 2010, il y avait 67 757 personnes en prison (dont 8 020 condamnés à une peine criminelle). Soit une augmentation de près de 10% en quatre ans. Or, d’après le ministère de l’Intérieur, la délinquance est en recul depuis plusieurs années. On peut donc en conclure que, contrairement à une idée toute faite, la justice ne se montre pas laxiste, mais au contraire de plus en plus répressive. Aussi, lorsque le ministre de l’Intérieur déclare : « La chaîne de sécurité s’interrompt brusquement après l’interpellation », je me demande sur quels critères objectifs il base cette affirmation…

Il y a 697 mineurs de 18 ans en prison, dont 68 ont moins de 16 ans. 58% d’entre eux n’ont pas été condamnés. Ils sont en attente de jugement, comme  d’ailleurs près du quart des détenus. Les moins jeunes, ceux de 18 à 21 ans, sont 5 080 derrière les barreaux.

Quant aux étrangers, ils représentent environ 17.5 % de la population carcérale, soit un pourcentage en diminution de plus de 3% en quatre ans. Bien loin des chiffres qu’on a l’habitude d’entendre au comptoir du café du Commerce.

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Mais ce qui est le plus marquant, à mon avis, c’est le niveau d’instruction des détenus. Si l’on pense que délinquance va de pair avec illettrisme, c’est raté : 72.5% des personnes écrouées ont reçu une éducation secondaire ou supérieure.

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La prison se trouve au bout de la chaîne pénale, c’est donc son meilleur marqueur. Et à  la vérité, ce n’est ni pire ni mieux qu’avant. Si le sentiment d’insécurité semble plus grand, c’est que notre époque est à l’inquiétude. À moins que l’influence des femmes… Elles ne représentent que 3.4 % de l’ensemble des détenus.

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Écoutes et espionnage

La plainte déposée par Le Monde pour violation du secret des sources incite à faire le point sur les  « interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications ». Les zozors, comme on disait dans le temps ! Depuis les fameuses « bretelles » que jadis de mystérieux noctambules des PTTtelephone_site_design-technology.JPG plaçaient sur les câbles des centraux téléphoniques, l’eau a coulé sous les ponts. Aujourd’hui, on obtient tout d’un clic de souris. Et l’écoute d’une conversation téléphonique a souvent moins d’importance que les informations que l’on peut glaner en périphérie : identifications, points de chute, relations, géolocalisation, etc.

Pour 2008, le budget de la justice consacré à ces écoutes était d’environ 33.2 M€ (pour faire un parallèle, celui des analyses génétiques était de 17.5 M€). Soit environ 12% des frais de la justice pénale. Une manne qui alimente les opérateurs et certaines officines habilitées. Un marché juteux. Mais qui devrait bientôt prendre fin avec la mise en service de « la plate-forme nationale des interceptions judiciaires ». Celle-ci permettra aux OPJ et aux agents de la douane judiciaire de surveiller, depuis leur poste de travail, et en temps réel, l’ensemble des communications électroniques (téléphonie fixe et mobile, fax, flux internet, et probablement les images).

Elle devrait voir le jour en 2012, malgré l’avis défavorable de certains conseillers de l’Intérieur. Comme Alain Bauer, qui parle d’une usine à gaz (cité par Sophie Coignard, Le Point). Aujourd’hui, seule fonctionne une mini plate-forme dite STIJ (système de transmission des interceptions judiciaires). Elle permet aux OPJ, depuis leur bureau, de lire les SMS et de prendre connaissance de certaines données connexes (date, heure, numéro, etc.).

Le secret de l’instruction sera paraît-il garanti, pourtant, certains juges sont dubitatifs. Auraient-ils peur que de grandes oreilles indiscrètes se glissent dans leurs dossiers ?

Rappelons que dans le cadre d’une information judiciaire, c’est le juge d’instruction qui accorde l’autorisation de placer une écoute, sous forme d’une commission rogatoire, dite « technique », pour une durée de quatre mois renouvelables. Ensuite, c’est  l’officier de police judiciaire qui gère. Sauf découverte d’une affaire incidente, seuls les éléments qui concernent l’enquête sont retranscrits.

En enquête de flagrance ou en enquête préliminaire, c’est le juge des libertés et de la détention qui donne son feu vert, sur requête du procureur de la République. La durée est de quinze jours renouvelables (délai à vérifier dans Loppsi 2).

Au ministère de l’Intérieur, on n’est pas en reste. Depuis 2007, il existe aussi une plate-forme d’interception (une usine à gaz ?) destinée à prévenir tout acte de terrorisme (loi du 3 janvier 2006). Elle était à l’époque gérée par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, mais je dois avouer qu’aujourd’hui, je ne sais pas trop comment elle fonctionne.

Les écoutes administratives de sécurité partent tout azimut, mais sont fortement encadrées : demande écrite du ministre de tutelle du service qui sollicite l’écoute et décision écrite et motivée du Premier ministre ou de l’une des deux personnes spécialement déléguées par lui. L’autorisation est accordée pour quatre mois et les enregistrements doivent être détruits dans les dix jours. Une commission a été créée pour veiller au respect des dispositions légales.  Elle est destinataire de la demande  et peut émettre un avis défavorable. Elle a également le pouvoir de contrôler toute interception pour en vérifier la légalité.

Ces écoutes, dites administratives, sont secrètes, et leur divulgation tombe sous le coup de la loi. Elles ne peuvent être utilisées dans une procédure judiciaire, raison pour laquelle on trouve parfois cette formule laconique en préliminaire d’une enquête : Selon un informateur anonyme…

Cette réglementation sur les interceptions télécoms est-elle respectée ? Ce n’est pas à moi de le dire, mais il semble bien qu’il y ait des ratés. Ainsi, dans l’affaire de Tarnac, la Cour d’appel doit très prochainement se prononcer sur la légalité des interceptions effectuées sur le réseau internet de l’épicerie de la commune, où certains des suspects travaillaient, car l’écoute a été effectuée sans l’autorisation du juge des libertés et de la détention, alors que les policiers agissaient en enquête préliminaire.

De même pour un système de vidéosurveillance mis en place au domicile parisien de Julien Coupat. D’après Me Thierry Lévy et Jérémie Assous, seul un juge d’instruction aurait pu décider de cette surveillance technique. Or il n’a été saisi que trois mois plus tard.

Dans l’affaire du Monde, après s’être emberlificoté dans des réponses vaseuses, le patron de la DCRI a sorti de sa manche l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 (JO du 13), lequel vise la surveillance et le contrôle des communications radioélectriques. Une mission séculaire de la DST et de la DGSE qui n’a rien à voir avec les téléphones portables. Donc, mauvaise pioche, car il n’a réussi, semble-t-il, qu’à dévoiler une ficelle de la maison. D’ailleurs, aussitôt dit, Le Canard a mis ses pieds palmés dans la mare : les policiers utilisent ce procédé pour requérir les opérateurs télécoms « hors de tout contrôle », écrit en résumé l’hebdomadaire.

Le titre de ce billet est celui d’un livre que j’avais publié en 1990, et qui avait eu un certain retentissement dans les médias (et qui m’avait valu quelques désagréments). J’y dénonçais l’absence d’encadrement juridique des écoutes. Certains députés de l’opposition (la majorité actuelle) s’en étaient d’ailleurs inspirés pour exiger une loi. Celle justement de 1991.

Sous le pont Mirabeau coule la Seine…

Ce livre est obsolète, c’est un peu comme si l’on comparaît le Minitel à un iPad, mais je ne peux m’empêcher de citer un extrait du « bêtisier des écoutes » :

1970 – René Pleven, garde des Sceaux : « … L’écoute téléphonique ne doit être utilisée que pour protéger la sécurité de l’État ou l’intérêt public… Actuellement, la véritable garantie réside dans la conscience des ministres qui disposent en pratique du moyen de recevoir des écoutes… »
1973 – Albin Chalandon, futur ministre de la justice : « … Inadmissible (que les écoutes) soient utilisées comme cela en France, pour espionner systématiquement ceux qui sont d’une façon ou d’une autre mêlés à la vie publique, amis ou ennemis du pouvoir. »
1974 – Valéry Giscard d’Estaing, nouveau président de la République : « Il faut supprimer les écoutes… si elles existent. »
1974 – Raymond Marcellin, ancien ministre de l’Intérieur : « Les écoutes sont une corvée nécessaire que le gouvernement va essayer de refiler aux magistrats. »
1977 – Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur : « … Il n’y a plus d’écoutes d’hommes politiques, de journalistes et de syndicalistes. Les seules écoutes sont celles relevant de la criminalité, et particulièrement des affaires de drogue… »
1981 – Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur : « Il faut en finir pour toujours avec les écoutes. »
1982 – Pierre Mauroy, Premier ministre : « … C’est un hommage au gouvernement d’avoir supprimé les écoutes téléphoniques… »
1986 – Jacques Chirac, Premier ministre, s’engage à : « … Limiter les écoutes téléphoniques à celles qui sont décidées par l’autorité judiciaire ou exigées par la sécurité de l’Etat. »le-flic-solitaire_dessin-de-savaro_collection-personnelle.1285401743.jpg
1986 – Jacques Toubon, député, à l’Assemblée nationale : « … Quand j’entends ricaner sur les bancs socialistes lorsque le Premier ministre annonce que nous allons supprimer l’essentiel des écoutes téléphoniques […] Nous voulons faire ce que vous n’avez pas fait. Le courage que vous n’avez pas eu, nous l’aurons. »

2010 – Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur : Le gouvernenent ne pratique « aucune écoute téléphonique illégale ».

… Les jours s’en vont, je demeure.

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La DCRI en question a été lu 10 197 fois et a suscité 32 commentaires.

La DCRI en question

La direction centrale du renseignement intérieur a vu le jour en juillet 2008. On se demande qui a soufflé au président Sarkozy l’idée de démanteler la DST et les RG pour créer cette entité… Certainement personne. Cette décision relève-t-elle de l’envie un rien mégalo de disposer d’un service de renseignements démesuré ou d’une analyse sérieuse axée sur l’efficacité ? Sans doute un peu des deux. Mais comme souvent de nos jours, on a oublié de prendre en compte l’élément humain. Les anciens de ces deux services sont-ils satisfaitsdcri_logo.1285142268.png de ce changement ? Sont-ils plus efficaces ? Nous le saurons peut-être un jour, lorsque l’un d’eux écrira « son » bouquin, comme l’ont fait plusieurs patrons de la DST.

En attendant, aujourd’hui, 3 à 4 000 fonctionnaires s’activent, pour le plus grand nombre sous le sceau du « secret défense », dans des missions classées… « secret défense ». Que font-ils exactement, on n’en sait rien. Ils assurent notre sécurité, nous dit-on. Mais, au détour d’une affaire de quatre sous (là, j’exagère), où l’on découvre une promiscuité malsaine entre une milliardaire et un ministre, les dirigeants de notre journal favori, Le Monde,  bombent le torse (dans une attitude très sarkozienne smiley.1285146230.png), en criant haut et fort être victimes d’une enquête illégitime de ce service.

Dans le même temps, dans un nuage de fumée, le chef de la DCRI nous affirme que son action nous évite chaque année deux ou trois attentats terroristes (la DCRI a juste deux ans d’âge) et que les menaces n’ont jamais été si fortes. Déclarations relayées par celui qui est l’homme de l’été, et que dans le sérail on surnomme gentiment Brice de Beauvau. Bon, nous, on veut bien les croire. Difficile de dire le contraire. Car si demain il y avait un attentat, on aurait l’air fin. Mais comme le plan Vigipirate est au rouge vif depuis maintenant plus de cinq ans, il est bien difficile de faire plus, sauf à passer du rouge à l’« écarlate ». Avec pour conséquence la mise en œuvre, comme il est dit pudiquement sur Service-Public, de « mesures particulièrement contraignantes ».

Autrement dit, on serait à deux doigts de l’état d’urgence.

Pour l’heure, en dehors de « protéger les intérêts de l’État » (?), comme dans l’affaire Woerth-Bettencourt, ou les rumeurs sur le couple présidentiel, le seul résultat concret que l’on connaît de la DCRI, c’est l’affaire de Tarnac. Vous vous souvenez, ces Corréziens interpellés pour avoir eu l’intention de tenter de saboter les caténaires des TGV… Tiens, où en est donc cette enquête retentissante ? Bon, il y a bien aussi ce projet d’attentat contre l’immeuble qui abrite la DCRI…

Il est quand même bizarre qu’un service secret fasse autant parler de lui. Je me souviens, lorsque j’étais officier de police à la DST, si l’on nous questionnait sur l’utilité de notre boulot, on répondait en souriant : « Vous ne pouvez pas savoir tout ce qu’on fait pour vous, et on ne peut pas vous le dire, puisque c’est secret ».

Parlons net. Alors qu’on remplace les policiers sur le terrain par des caméras, et que pour combler les vides on augmente les prérogatives des polices municipales ou des agents privés ; et qu’en fait les principales mesures pour combattre l’insécurité se cantonnent à des opérations coup de poing, des déclarations d’intentions ou des textes de loi ridicules, on est en droit de demander un audit sur l’action de la DCRI. Cela ne doit pas être difficile, puisqu’il existe au sein de ce service un département chargé de l’évaluation de la stratégie et de la performance.

En tout cas, il faut être vigilant. Dans de mauvaises mains, un service secret doté de prérogatives de police judiciaire pourrait être la pire des choses. On n’en est pas là, heureusement, même si dans notre pays toutes les décisions partent du 8° arrondissement de Paris…

Je crois qu’il est donc temps de faire entracte au spectacle permanent de la classe politique, d’arrêter de nous prendre pour des enfants, et de nous parler franchement, les yeux dans les yeux, tant sur les risques d’un attentat que sur la réforme des retraites.

En fait, on voudrait juste pouvoir faire confiance aux gens qui sont en charge du pays. Et pour l’instant, on est loin du compte.

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Réflexions après l’acquittement du gendarme de Draguignan a été lu 2 101 fois et a suscité 29 commentaires.

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