LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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Meurtre de Léa : le droit jusqu’à l’absurde

Le jeune homme qui a avoué avoir violé et tué Léa, à Montpellier, une nuit de la Saint-Sylvestre, sera-t-il un jour jugé ? En tout cas, si, malgré les arguties juridiques, il doit rendre compte de ses actes devant un jury d’assises, son procès sera bardé d’incertitudes. Mais pas sûr qu’il ait lieu. On le saura le 18 mai prochain.

Pourtant, pour Thomas Meindl, le juge qui a instruit l’enquête, les faits ne font guère de doutes. Rarement une affaire criminelle n’aura été aussi carrée. Du moins dans les actes – car sur le plan juridique, on patauge dans la semoule. Aussi, il y a une quinzaine de jours, il a refermé son dossier en ordonnant la mise en accusation du dénommé Seureau Gérald, 26 ans, pour avoir dans la nuit du 31 décembre 2010 donné volontairement la mort à Léa. Crime accompagné de plusieurs viols caractérisés.

Mais l’avocat du (futur ?) accusé ne l’entend pas de cette oreille. Il a fait appel de cette décision et demande à la chambre d’instruction de constater l’insuffisance de charges, en tenant compte du fait que les aveux de son client ne sont pas conformes au droit : absence d’avocat lors des auditions et droit de garder le silence. Pour lui, avec ce qu’il reste dans le dossier, il pourrait tout au plus être poursuivi pour des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

On imagine la consternation de la famille de la victime. Et ce sentiment de révolte, cet écœurement, contre une justice qui ne ferait pas justice.

Et pourtant, dans cette affaire, les enquêteurs, les magistrats, tout le monde a fait son job. Aucune erreur.

Enfin si. On peut quand même reprocher aux policiers de ne pas avoir prévu que quelques mois après ce crime, les députés allaient adopter une loi pour réformer la garde à vue. Un truc qu’on n’apprend pas encore dans les écoles de police : prévoir le futur.

Donc, en ce 1er janvier 2011, Gérald Seureau a reconnu ses crimes, après avoir – comme c’était la règle à l’époque – simplement consulté son avocat. Et, 3 mois plus tard, nos élus pondent un texte plus conforme au droit européen applicable en principe au 1er juin 2011. Toutefois, pour éviter l’annulation des procédures en cours, on déroge et l’on applique les grandes lignes dans l’urgence. Et urgence il y a, puisqu’au lendemain de cette loi, la Cour de cassation estime en deux mots que toutes les gardes à vue antérieures sont entachées de nullité. Une tempête judiciaire. Heureusement, il y a dans le code de procédure pénale un petit article, le 173-1, qui fixe la durée de l’appel à 6 mois après la mise en examen. Ouf ! On limite la casse.

Mais pour le meurtre de Léa, on est en plein dedans.

Durant sa garde à vue, Gérald Seureau fait des aveux circonstanciés. Et comme c’était à craindre, en juin 2012, la Cour d’appel de Toulouse annule tous les procès-verbaux d’auditions ainsi que les enregistrements audiovisuels afférents et certaines investigations connexes.

Néanmoins, le dossier n’est pas vide. Il existe contre lui de nombreux témoignages et des éléments matériels : sa gourmette retrouvée sur les lieux du crime, ses vêtements tâchés du sang de la victime, saisis à son domicile, et surtout des traces de sperme, identifié comme étant le sien, prélevées en plusieurs endroits sur le corps de la jeune fille.

Mais aujourd’hui, Gérald Seureau, ne se souvient plus de rien. Tout au plus reconnaît-il un flirt avec Léa et quelques coups sans conséquences qu’il lui aurait administrés.

Alors, peut-il s’en sortir comme ça ?

On peut résumer les premières heures de l’enquête de la manière suivante :

Vers 21 heures, le père de Léa vient signaler au commissariat la disparition de sa fille. Il est accompagné de Seureau, la dernière personne à lui avoir parlé. Les policiers enregistrent son témoignage, mais, lorsqu’il retire un gant pour signer son P-V, ils constatent l’existence d’ecchymoses sur sa main. On peut penser qu’ils le pressent de questions. Il y a peut-être quelque part une jeune fille à sauver ! Dans le même temps, un témoin déclare que, lorsqu’il a aperçu le jeune homme vers 14 heures, il a remarqué qu’il avait des griffures sur les avant-bras, que son tee-shirt était déchiré et que son pantalon portait une large tache de sang.

Spontanément, Gérald Seureau avoue alors qu’il a abandonné Léa dans un parc, sans trop savoir dans quel état elle se trouvait. Et il accepte de conduire les enquêteurs sur place. Sur ses indications, ceux-ci découvrent le corps dénudé et sans vie de la jeune fille. Lors de l’autopsie, les médecins légistes noteront de nombreuses blessures et des lésions en plusieurs endroits consécutives à des pénétrations sexuelles.

Entre ces événements et les éléments matériels subsistants après l’écrémage de la Cour d’appel, il reste probablement suffisamment d’éléments pour convaincre les jurés d’une Cour d’assises. Mais qu’en dit le droit, ou plutôt la jurisprudence ?

« Quand bien même des aveux auraient été recueillis au cours d’une garde à vue s’étant déroulée dans des conditions irrégulières, il reste possible à la juridiction de jugement de prononcer une déclaration de culpabilité dès lors que cette déclaration se fonde sur des éléments autres que ces aveux » (Xavier Salvat, avocat général à la Cour de cassation – Revue de science criminelle 2013). Mais encore faut-il que ces « éléments autres » n’aient aucun lien avec les aveux obtenus hors de la présence de l’avocat, a décrété la Cour de Strasbourg en 2012. En fait, pour résumer, en cas de jugement et de condamnation, il appartiendrait probablement à la plus haute juridiction pénale, voire à la Cour de Strasbourg, de vérifier que cette condamnation a été faite sans tenir compte des zones de l’enquête invalidées.

Un long parcours judiciaire.

Karine Bonhoure, la maman de Léa, crie son indignation : « Le procès, initialement prévu au début de l’année 2012, n’a toujours pas eu lieu. Je me trouve aujourd’hui confrontée, pour la quatrième fois, à un recours de la défense… » Face aux techniciens du droit, elle n’a que sa douleur. Seuls les élus locaux l’appuient. Dans la mairie de Mauguio, près de Montpellier, un livre de soutien a été ouvert. Et, le 15 mai à 18 heures 30, une réunion silencieuse est prévue à Montpellier, Toulouse et Paris.

À qui devons nous ce pataquès ? Je vous laisse juge. En tout cas, si Gérald Seureau évitait le procès, ou s’il devait être acquitté aux seuls bénéfices de règles de procédure pénale, je me demande si la famille de Léa ne pourrait pas attaquer la France devant la Cour européenne pour déni de justice.

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Sur son blog,  Maître Éolas voit les choses de façon différente : De l’absurde jusqu’au droit.

Claude Guéant et le fric des flics

L’ancien ministre de l’Intérieur a justifié des dépenses en liquide par des primes reçues de la main à la main alors qu’il était directeur de cabinet Place Beauvau. Du coup, l’ancienne ministre de la Solidarité Roselyne Bachelot se désolidarise de son pair et le traite gentiment de menteur ou de voleur. Et, bouclant le grand 8, si j’ose dire, M. Guéant lui rétorque qu’elle n’y connaît rien et qu’il y avait sous l’ère Sarkozy deux régimes de primes différents. Ce que dément un autre ancien ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant.

Comment s’y retrouver dans cet embrouillamini ? On est tiraillé entre l’idée qu’ils nous racontent tous des craques ou celle qu’ils n’y connaissent rien. Et je ne sais pas ce qui est le plus inquiétant.

Si les primes de cabinet en liquide ont été supprimées par Lionel Jospin en 2002, n’en déplaise à ceux qui veulent que ça saigne, M. Guéant a raison. Il a existé, après cette date, au sein du ministère de l’Intérieur, une sorte de pompe à fric parallèle pour attribuer aux policiers des primes qui officiellement n’en étaient pas. Et cette carotte n’est pas celle d’un homme, mais d’un système qui a duré plusieurs décennies. Cela concernait aussi bien les frais de déplacements plus ou moins bidons que des fonds spéciaux, au cas où. Et pour les « belles affaires », il y avait les primes de réussite. Ce qu’on appelait si j’ai bonne mémoire les « secteur 2 ».

À une époque plus lointaine, à la préfecture de police, dans leur chasse aux proxénètes, les enquêteurs de la brigade mondaine parlaient de la prime au julot ou « julot casse-croûte ». Un brin de poésie ne nuit pas à l’efficacité…

Tout cela en bon argent sonnant et trébuchant. Bien entendu, pour débloquer ces fonds, il fallait l’aval du contrôleur financier, mais ensuite, il n’y avait pratiquement pas de contrôle sur la répartition. Et entre le ministre et le policier de base, les intermédiaires étaient nombreux.

Il est donc exact, comme l’affirme M. Guéant que, même après 2002, et durant encore plusieurs années, des milliers de fonctionnaires de police touchaient chaque mois une enveloppe en argent liquide. Même si, pour le lampiste, elle n’était pas très épaisse. Une somme qui dépendait du grade et du service et dont le percepteur ne voyait jamais la couleur. Parfois, bobonne non plus ! Et comme les billets de la Banque de France s’entassaient chaque mois sur le bureau du ministre avant de redescendre toute la hiérarchie, il n’est pas invraisemblable de penser que chacun se servait au passage… D’après ses dires, M. Guéant faisait partie de la chaîne.

D’ailleurs, à la direction générale, tout le monde se souvient de la « boite à biscuits d’Henriette ». C’était elle, la secrétaire du grand patron, qui assurait la distribution. Inutile de dire qu’elle était chouchoutée…

Ces temps sont évidemment révolus. Aujourd’hui, toutes les primes portent des abréviations énigmatiques et sont virées en même temps que le traitement. Enfin, presque toutes… il existe encore ici et là, des sommes en liquide mises à la disposition des chefs de service pour des missions exceptionnelles. Et si, en fin d’année, tout n’a pas été dépensé, ledit chef de service distribue le solde à ses hommes. Bof, un pourboire !

Alors, même si tout le monde lui tombe dessus, Claude Guéant ne ment pas. Mais on peut aussi se dire que ce grand commis de l’État, comme disent ses amis, tapait dans la caisse des flics. Et je trouve finalement assez amusant qu’à la suite d’une perquisition effectuée par ces mêmes flics, il soit obligé de justifier l’origine de ces fonds.

Allez, soyons miséricordieux. Après tout, comme disait Jean-Paul Sartre dans Les mains sales : Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ? 

Mis en examen dans l’affaire Neyret, un policier raconte…

« Il y avait quelque chose de surréaliste dans cette scène. Le juge seul derrière son grand bureau vide, à sa droite son greffier, encombré de dossiers, derrière l’écran mes deux avocats dans leur belle robe noire (…)  Il a croisé les mains sur son grand bureau vide, m’a fixé droit dans les yeux. J’ai soutenu son regard. Une tentative d’intimidation comme dans les cours d’école. C’est toujours plus facile de jouer, quand on est sûr de gagner. Il m’a mis en examen pour trafic de stupéfiants (…) détournement de scellés, vols en réunion et association de malfaiteurs… »

Christophe Gavat n’est pas allé en prison. Il était tellement soulagé, qu’il a serré la main du magistrat. En lisant son livre, 96 heures – Un commissaire en garde à vue, aux éditions Michalon, j’ai eu l’impression qu’il regrettait son geste… Il a néanmoins fait l’objet d’un contrôle judiciaire drastique qui lui interdisait d’exercer son métier, d’adresser la parole à ses collègues, à ses amis, et même de se déplacer. « Cette affaire m’a changé. Je me suis rendu compte à quel point la machine judiciaire pouvait broyer les hommes. C’est une mécanique de précision déshumanisée. La chance pour le juge d’instruction dans cette affaire, c’est qu’aucun policier ne se soit suicidé. Parce que le suicide, j’y ai pensé. » Les juges ont-ils conscience de la portée de leurs décisions ? Psychologiquement, un contrôle judiciaire peut être plus dur à supporter que la prison, car on est tout seul. Enfin, je dis ça, mais je n’ai vécu ni l’un ni l’autre.

Fortement marqué par cette expérience, depuis la Guyane, là où il exerce aujourd’hui les fonctions de sous-directeur de la police de l’air et des frontières, Christophe Gavat n’a trouvé qu’un moyen pour tirer un trait sur cette période : écrire. Écrire son histoire, son ressenti, son amertume, sa désillusion. Un peu comme un amoureux éconduit fait un poème à sa bien-aimée.

Le 29 septembre 2011, lorsque « l’affaire » a éclaté, il dirigeait l’antenne de PJ de Grenoble. Michel Neyret était donc son patron direct. L’info tourne en boucle sur les ondes et dans sa tête.  « Michel, mon chef, mon modèle », arrêté !… Il ne comprend pas, mais l’idée ne l’effleure même pas qu’il pourrait à son tour être visé par l’enquête. Ou tout au plus comme témoin. Et pourtant…

Le soir, il dîne avec ses parents. L’ambiance n’y est pas. Le téléphone sonne. C’est un copain de promo : « Christophe, j’ai consulté Internet. Ton nom complet est sur les sites. Ils disent que demain à dix heures, tu seras placé en garde à vue… » C’est ainsi qu’il apprend qu’il est sur la liste de l’IGS. « Putain, c’est quoi ce bordel ! (…) La presse au courant. Au courant des futurs gardés à vue par la police des polices (…) Trop forts ces journalistes ! »

Le lendemain à l’aube, il prend le TGV pour Lyon.

Toute l’enquête des bœufs-carottes sera ainsi en live dans les journaux, à la radio, à la télé, sur le Web. Chacun y allant de ses phantasmes. À se demander si certains journalistes n’avaient pas connaissance de la procédure avant les magistrats. Les policiers de l’IGS (à l’époque très proche du Pouvoir) avaient-ils des consignes pour agir de cette manière ? Cette enquête a-t-elle servi d’écran de fumée alors que, dans l’affaire Bettencourt, l’information judiciaire venait d’être dépaysée à Bordeaux et que les soupçons d’un abus de faiblesse au préjudice de la milliardaire commençaient à prendre corps ? Christophe Gavat est mis en cause pour n’avoir pas osé dire non à son chef. Les charges contre lui se résument à deux ou trois coups de fil de Michel Neyret, alors que celui-ci était sur écoute. L’un d’eux, en particulier, lorsqu’il lui demande si, dans sa dernière affaire de stups, il a pu mettre un peu de « produit » de côté pour l’un de ses « amigos » – Et il n’a pas osé l’envoyer se faire foutre. « Oui, oui, qu’il a répondu. C’est fait ! » – Mais pour autant, il ne l’a pas fait. Il n’a pas obéi.

La drogue avait d’ailleurs été brûlée à la déchetterie, selon la procédure habituelle, devant témoins, chacun ayant signé le procès-verbal de destruction. La suspicion du juge d’instruction est-elle là ? D’ailleurs, je crois que les policiers devraient refuser de détruire un scellé. Après tout, un scellé judiciaire est placé sous la responsabilité du Greffe du tribunal et il appartient à la Justice de s’en dépatouiller.

Lorsqu’il se présente pour passer au « tourniquet », Gavat est serein : « Je n’ai jamais remis de came à un indicateur », écrit-il.

Christophe Gavat en opération Harpie en Guyane
(avec son aimable autorisation)

À Lyon, il est reçu par Christian Lothion, le directeur de la PJ. « Je vais pas vous la faire à l’envers, lui dit celui-ci, Michel est accroché. Ils le tiennent. Pour vous, je ne sais pas ce qu’il y a exactement dans le dossier. Mais il semble que ce soit plus fragile (…) Sauvez vos couilles de là. Tant qu’on le pourra, on sera derrière vous. »

« À l’époque, dit Christophe Gavat, je n’ai pas compris tous les messages qu’il a voulu me faire passer, ils ont pris un sens plus tard, mais je dois reconnaître qu’il a toujours été là. »

Plus tard, c’est maintenant. Il ne sait toujours pas ce que l’on lui reproche. Son dossier lambine à l’instruction. Le juge ne semble pas pressé, puisque, en 18 mois, les policiers de l’IGS n’ont pas eu le temps de lui retourner sa commission rogatoire – et que cela ne le dérange pas.

Ce livre était forcément difficile à écrire, et le lecteur a parfois du mal à suivre, à s’accrocher aux allers-retours de l’auteur, tant il a de choses à dire. Mais c’est un livre chargé d’émotion. Bien sûr, Christophe Gavat a dû se limiter à son propre vécu, revenant   sur les enquêtes qui l’ont le plus marqué. On peut se sentir un peu frustré. On aimerait en savoir plus sur l’affaire de Lyon. Percer les arcanes. Mais déjà, comme ça, en le publiant, il a pris d’énormes risques. Une manière de fermer la porte de l’Intérieur pour mieux l’ouvrir sur l’extérieur. Et là, je sais de quoi je parle. A son âge, j’ai fait la même chose.

J’ai l’impression que le commissaire Gavat pourrait bien reprendre le fil d’un vieux rêve : le théâtre, le cinéma… Il ne sera pas tout seul : des amis l’attendent, comme Olivier Marchal et Bruno Wolkowitch, les deux flics de la pièce Pluie d’enfer.

La PJ va donc s’enrichir d’un nouvel Office central

Pour mieux lutter contre la fraude fiscale, François Hollande a annoncé la création d’un parquet et d’un office central spécialisés. Oubliant au passage que dans ce domaine les poursuites pénales ne sont pas l’apanage du procureur mais le privilège de l’administration fiscale. Pour faire simple, la peine de prison, c’est un peu le bâton que l’on agite sous les yeux du fraudeur pour l’inciter à négocier au mieux pour les caisses de l’État.

Parmi la ribambelle de crimes et délits, ceux qui touchent à l’argent sont les plus compliqués à établir. Dans un hold-up, il y a les braqueurs, les complices et éventuellement les receleurs. Alors que dans un dossier de fraude fiscale ou de blanchiment, on peut tout aussi bien trouver des criminels, des trafiquants, des margoulins et… d’honnêtes gens. Comme le montre la mésaventure de Florence Lamblin, l’élue écolo, prise à son insu dans l’engrenage d’un blanchiment d’argent de la drogue. D’ailleurs, même si ce n’est pas dans les textes, les juges font la distinction entre l’argent sale, issu du crime, et l’argent gagné proprement, uniquement sali par un détournement des règles fiscales.

Le délit de fraude fiscale résulte de la dissimulation de sommes soumises à l’impôt. Cela va du montage international sophistiqué à la simple omission de déclaration sur sa feuille d’impôts. Il est le plus souvent sanctionné par des pénalités, déterminées par l’administration elle-même sous le contrôle du juge des impôts. Quant aux sanctions pénales, elles sont exceptionnelles. Leur effet dissuasif est d’ailleurs très incertain du fait de la modestie des peines prononcées : le plus souvent une simple amende (autour de 5 000 €). Pourtant, depuis la dernière loi des Finances, dans certains cas, les peines prévues peuvent aller jusqu’à 7 ans de prison et 1 million d’euros d’amende (art. 1741 du CGI). Et, pour sourire un peu au souvenir des avant-dernières déclarations du président de la République, il n’est pas inutile de rappeler que toute personne condamnée pour fraude fiscale peut perdre ses droits civiques.

Pour s’affranchir du bon vouloir de l’administration fiscale, policiers et magistrats préfèrent s’intéresser au blanchiment de fraude fiscale. Il consiste pour un fraudeur ou ses complices à réintroduire l’argent douteux dans un circuit légal. Et pour cela, toutes les combines sont bonnes. Il y a encore quelques années, l’un des moyens souvent utilisé consistait à se faire prêter de l’argent par un établissement bancaire installé en France, en garantissant ce prêt par un dépôt en espèces effectué à l’étranger (back to back). Souvent en Suisse. Un autre procédé ressemblait à un de jeu de chaises musicales, faisant tourner l’argent des clients d’une même banque d’un pays à l’autre. À une toute autre échelle, ces procédés sont toujours utilisés pour le blanchiment du produit du crime organisé. Une plongée dans certains comptes chypriotes serait sans doute révélatrice de ce système. Le blanchiment simple est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende.

Ces deux infractions sont fortement imbriquées mais pour qualifier le blanchiment, il faut d’abord établir l’existence d’une fraude fiscale, même si l’infraction n’est pas poursuivie. Un peu comme un cambrioleur pourra faire l’objet de poursuites pour recel si l’on ne parvient pas à établir sa participation au vol.

Pour lutter contre la fraude et le blanchiment, une loi du 12 juillet 1990 a créé Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Cet organisme est considéré comme un service secret. Il est donc protégé, un peu comme la DCRI. Je ne sais pas si un sénateur peut s’en faire ouvrir les portes… En tout cas pour Bercy, c’est une arme redoutable, la clé de voûte de la lutte anti-blanchiment. D’autant qu’à la différence des journalistes qui peuvent s’abriter derrière la loi sur la protection des sources (comme l’a fait Le Monde pour les documents dits « Offshore Leaks »), des tas de professions (banquiers, assureurs, notaires, huissiers, agents immobiliers, casinotiers…) sont tenus de lui dénoncer toute transaction inhabituelle. Même les avocats sont concernés (CEDH : aff. Michaud contre la France). Deux situations opposées : les journalistes disent ne pas vouloir faire le métier de la police et les autres ont juste le droit de s’exécuter. Dans les deux cas, cela peut poser un problème de conscience. Je me demande s’il y a eu débat à la rédaction du Monde

On envisagerait d’ailleurs, Place Beauvau, un système d’alerte qui lui s’adresserait à tout le monde, avec, pour le dénonciateur, la carotte du statut de repenti.

Pour mémoire, en 2001, Arnaud Montebourg (avocat de profession) avait déposé un amendement devant ses collègues députés pour faire de la non-dénonciation en matière fiscale un délit.

Le 9 avril dernier, Pierre Moscovici et ses homologues, britannique, allemand, espagnol et italien, ont demandé au Commissaire européen en charge de la fiscalité l’instauration d’un projet multilatéral d’échange du renseignement inspiré de la législation américaine (FATCA).

On a vraiment l’impression d’une histoire sans fin. Pourtant, ce n’est pas faute pour la police d’avoir accumulé les structures…

Tentons de décortiquer le mille-feuille de ces dernières années :

En mai 2002, il a été mis en place au sein de chaque région administrative des Groupes d’intervention régionaux (GIR) dans lesquels se mélangent plusieurs administrations avec l’objectif essentiel de lutter contre l’économie souterraine. Une coordination nationale de ces groupements est assurée au sein de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière.

Cette sous-direction de la PJ chapeaute également la division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF) – dont dépendent la brigade de répression de la délinquance financière (BRDFi), la brigade centrale de lutte contre la corruption (BCLC), créée en 2004, et la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui a vu le  jour en 2010.

Services auxquels il faut ajouter l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) au sein duquel sont placés la brigade centrale pour la répression des fraudes communautaires (BCRFC), la brigade de recherches et d’investigations financières nationales (BRIFN) et la plate-forme d’identification des avoirs criminels (PLAC).

Et j’en oublie sans doute, comme la brigade nationale d’enquêtes économiques, dont je découvre l’existence.

Et cela uniquement pour la direction centrale de la police judiciaire.

Le nouvel office central de lutte contre la fraude fiscale et la corruption (OCLCFFC ? – ça se complique) va donc s’insérer dans cet organigramme, probablement en regroupant deux ou trois de ces services – sans doute sans l’ombre d’un effectif supplémentaire. Mais cela aura peut-être le mérite de mieux harmoniser les efforts…

Toutefois, le plus important dans la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment et la corruption, ne se trouve pas dans l’Hexagone, mais au-delà des frontières. Or, ce nouvel office va indéniablement faciliter les échanges internationaux (la DCPJ assure en effet la gestion et le suivi des trois canaux de coopération internationale : Interpol, Europol, et le système d’information Schengen).

Mais restons lucide, cela ne réglera pas le problème. Pour mémoire, l’OCRTIS (Office central pour la répression du Trafic illicite des stupéfiants) a été créé en 1953. Il a donc 60 ans – Et le trafic international de stupéfiants n’a jamais été aussi prospère, car, comme en matière de fraude fiscale, la solution du problème (si elle existe) se trouve en amont de la répression – et certainement pas dans une réaction coup de poing à une affaire ponctuelle.

Il n’est d’ailleurs pas interdit de s’interroger sur le bien-fondé de cette chasse aux simples évadés fiscaux avec des moyens d’investigation (notamment techniques) identiques à ceux utilisés pour lutter contre le grand banditisme, le trafic de stups ou le terrorisme. Chacun en pense ce qu’il veut. Moi, je suis perplexe, car nous sommes tous contribuables, donc tous suspects… Or, à chaque fois que l’on pénètre plus avant notre sphère privée, que l’on cherche à nous rendre plus transparent, notre autonomie en prend un coup. Et on nous moutonne un peu plus.

Projet ReLIRE : Hold-up sur les écrivains

L’autre jour, je reçois un courriel d’un ami qui est en train de créer sa maison d’édition numérique. Il m’annonce que mes livres étant dans le domaine public, il aimerait bien en inscrire un ou deux dans son portefeuille d’auteurs. Je sursaute. Dans le domaine public, mes livres ! En France, la propriété intellectuelle s’étend durant 70 ans après la mort de l’auteur. Ce qui me laisse un peu de temps… En poursuivant la lecture et en cliquant sur le lien qu’il m’indique (ici), je comprends mieux : dix de mes romans (et un ouvrage collectif) sont offerts aux enchères – ou presque. Ils font partie de la première liste de titres sélectionnés par un « conseil scientifique » parmi les livres du siècle dernier.

Ce que c’est de vieillir !

60 000 livres à l’encan – C’est ainsi que je découvre que le 21 mars 2013, le site ReLIRE de la Bibliothèque nationale de France (BNF) a publié une liste de 60 000 livres parus avant 2001 qui ne sont plus commercialisés. Ces livres sont offerts à qui veut les éditer sous forme électronique. Non pas pour être mis gratuitement à la disposition des lecteurs, mais pour être vendus. C’est l’aboutissement d’un accord secret ourdi en février 2011, qui a abouti à la loi du 1er mars 2012 sur « l’exploitation numérique des livres indisponibles du XX° siècle ». Quant au décret d’application, il date du 1er mars 2013. (Le joli mois de mars est le mois du salon du Livre.) En tout cas, un bel exemple de la continuité de l’État, puisque deux ministres de la Culture différents ont paraphé ces textes : Frédéric Mitterrand et Aurélie Filippetti.

Comme les ministres aiment bien donner leur nom à certaines lois, pour sourire, on pourrait dire qu’il s’agit de la loi Mi-Fi. Mais je ne suis pas sûr que les écrivains aient envie de sourire. Car, d’une certaine manière, quasiment en douce, on vient de les spolier de leur droit d’auteur.

Un procédé qui manque d’élégance – Le projet ReLIRE consiste à numériser d’office, et plus ou moins aux frais du contribuable, des livres que les éditeurs ont retiré de la vente (ce qui est le cas de la plupart des livres au bout de quelques années) pour qu’ils soient versés dans un fonds collectif : la Sofia (Société française des intérêts des auteurs de l’écrit). Agréée par le ministre de la Culture, la Sofia est gérée par la Société des gens de lettres et le Syndicat national de l’édition. Au bout de 6 mois, si les auteurs ne se sont pas manifestés, les éditeurs pourront piocher dans cette manne numérisée et éditer les titres de leurs choix. Du moins les « grands », car bien sûr il y aura un filtrage. Une manière comme une autre d’éloigner de ce beau monde tous les petits concurrents qui fleurissent sur le Web. Tout cela sans demander ni l’avis ni l’accord des auteurs ou de leurs ayants droit. Comme disait un vieil ami, lui-même éditeur, « L’édition serait un métier formidable s’il n’y avait pas les auteurs ». Grâce à la MI-FI, c’est fait.

Un objet immatériel – Le droit d’auteur, dit Franck Macrez, maître de conférences au CEIPI (Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle), a pour véritable objet l’œuvre de l’esprit, c’est-à-dire un objet immatériel. Or le législateur, en modifiant le Code de la propriété intellectuelle, l’a assimilé à un bien commercial. Et dorénavant, ce n’est plus l’auteur qui importe, mais l’exploitant. En droit pénal, lorsqu’un cambrioleur force une serrure, il commet un vol avec effraction. Mais aucun verrou ne peut protéger un « objet immatériel ». Seule la loi peut le faire.

C’est ainsi qu’aux États-Unis, un tribunal fédéral a estimé qu’il était interdit de revendre d’occasion un fichier MP3 acquis légalement. La personne qui télécharge une musique ou un livre numérique, ont dit les juges, devient seulement propriétaire du droit de les écouter ou de les lire. Alors qu’il est évidemment possible de revendre un disque ou un livre, objet matériel. Un coup dur pour l’entreprise ReDigi visée par cette décision de justice. Elle a fait appel. Il semble toutefois que la Cour de justice de l’Union européenne ait une opinion différente. Elle aurait repris à son compte un slogan de Mai-68 : il est interdit d’interdire.

Les écrivains, des nantis ? – En France, peu d’auteurs ont fait fortune grâce à leurs livres. Si certains parviennent à vivre de leur plume, c’est souvent en empruntant des chemins annexes, comme l’écriture de scénarios ou la traduction d’ouvrages étrangers. Mais pourquoi les écrivains refuseraient-ils que leur œuvre soit rééditée ? D’abord, parce que ce passage en force est inadmissible. Et ensuite, le procédé est grossier, malhonnête, et probablement anticonstitutionnel. En fait, cette décision politique droite-gauche est le résultat d’un lobbying pressant des éditeurs. Arc-boutés sur leur fonds de commerce, ils ont lutté des années contre le livre numérique avant de se rendre à l’évidence : le vent tourne. L’édition numérique est en train de révolutionner le monde littéraire. Alors, ils prennent le train en marche, piquant au passage l’idée de Google Books et implorant l’aide de l’État. Dans d’autres pays, les solutions ont été différentes. Au Québec, la situation est bien plus claire : un programme d’aide rembourse aux éditeurs une partie des frais de numérisation. Les Pays-Bas ont signé un accord avec Google pour numériser 80 000 livres anciens : une bibliothèque gratuite pour les étudiants, les chercheurs… Chez nous, on tape sur ceux qui ne sont pas organisés pour se défendre : les auteurs ; pour finalement créer avec des fonds publics une bibliothèque numérique qui sera payante.

La rébellion des tâcherons – Cependant, le ton monte chez les écrivains. Ainsi Didier Daeninckx refuse de se voir publié par un éditeur qu’il n’aurait pas choisi. Mais il refuse également de se plier au diktat de ReLIRE : remplir un formulaire, y joindre une photocopie de sa carte d’identité et justifier qu’il est bien l’auteur de ses propres livres. Onze fois, puisqu’il a onze titres dans la fameuse liste. Il s’est donc fendu d’un courrier recommandé pour s’opposer à la mise en ligne de ses romans. Réponse : « La Sofia vous notifiera, dans un délai maximum de 3 mois, le résultat de l’instruction de votre demande ».  – Inutile de dire qu’il a les boules.

Les œuvres orphelines – On peut se demander si les autorités françaises n’ont pas cherché à couper l’herbe sous les pieds du Conseil de l’Union européenne. En effet, une directive de 2012 a établi un cadre juridique pour créer un fonds numérique européen des œuvres (livres, journaux, revues, enregistrements, films, etc.) protégées par les droits d’auteur mais dont les propriétaires ne peuvent être identifiés ou localisés. L’objectif étant de créer une bibliothèque numérique européenne (probablement) gratuite.

Somme toute, je pourrais être flatté d’avoir été distingué par un « conseil scientifique », mais je suis surtout en colère. Ces romans, peu importe qu’ils soient bons ou mauvais, je les ai portés, je les ai écrits. Des heures et des heures à tapoter sur un clavier. Parfois, ils m’ont fait rêver, souvent ils ont pourri mes nuits. Mais sur chacun j’ai écrit le mot fin, avec un petit pincement au cœur et la peur, comme un navigateur solitaire, de revenir sur la terre ferme. Certains ont trouvé leurs lecteurs. D’autres pas. Lorsque les éditeurs ont arrêté leur diffusion, j’ai récupéré mes droits. Je pensais donc être le seul à pouvoir en disposer. Eh ben, non !

Et qu’on ne vienne pas me parler de « livres orphelins ». Papa est toujours là !

Cocaïne : existe-t-il une filière française ?

En tout cas, c’est ce que semblent penser les magistrats et les policiers spécialisés, puisque à la suite de la saisie record de 682 kg de cocaïne à Punta Cana, en République dominicaine, une enquête a été ouverte en France.

C’était le 20 mars dernier. Alors qu’il s’apprêtait à décoller, un Falcon 50 est immobilisé sur le tarmac. L’appareil, immatriculé F-GXMC, port d’attache Paris Le Bourget, appartient (via la société de leasing Lixxbail du groupe Crédit Agricole) à la SA Alain Afflelou. Il est géré par une petite société de transport aérien, au capital social de 3 000 €, inscrite en juin 2011 au Tribunal de commerce de Lyon : SN Trans Hélicoptère services. D’après la presse, la feuille de route du pilote mentionnait Versailles comme destination. Vraisemblablement l’aéroport d’affaires de Toussus-le-Noble.

L’opération de Punta Cana aurait été, semble-t-il, téléguidée par la DEA (Drug enforcement administration), laquelle suspectait l’existence d’un gang de passeurs au sein du personnel de l’aéroport. En tout cas, le tuyau est bon car la police interpelle 35 personnes : des militaires, des policiers et des douaniers…, ainsi que 4 Français. Une affaire qui tombe à pic pour le gouvernement, au moment où le ministre de l’Intérieur de la République dominicaine envisage une réforme drastique de la police nationale, notamment pour éliminer la corruption. Et elle doit être conséquente, car les trafiquants n’ont même pas pris la peine de dissimuler la drogue. Elle se trouve dans 28 valises : 682 paquets contenant chacun 1 kg de cocaïne.

Pendant ce temps, en France, les gendarmes poireautent. D’après Le Point, ils auraient eu un tuyau, il y a de cela plusieurs mois, concernant les déplacements suspects de cet avion. Ils l’auraient même contrôlé une fois dans le sud du pays sans résultat. En tout cas leur enquête est suffisamment avancée pour avoir obtenu du procureur de Draguignan l’ouverture d’une information judiciaire. Si tout cela est vrai, aujourd’hui, ça doit souffler à la direction de la PJ, car il semble bien que l’OCTRIS (Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants) n’ait pas été dans la confidence. Il faut dire que lorsqu’on récupère un tuyau de cette nature, que l’on soit flic ou gendarme, on n’a aucune envie de le partager. Sinon, on change de métier.

Pour la petite histoire, selon Le canard Enchaîné, c’est l’avion que Nicolas Sarkozy devait prendre pour se rendre à la convocation du juge Gentil. Il a eu chaud ! Avec tous les ennuis qu’il a déjà…

D’après l’OEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies), chez nous, le prix du gramme de cocaïne varie entre 50 et 80 €. Petite multiplication et cela nous donne une valeur à la revente de 34 à 54 millions d’euros. De quoi faire pâlir d’envie nos dealers de banlieue.

Et à vous décourager de jouer au Loto !

On imagine bien que si des trafiquants confient un tel chargement à des passeurs, c’est qu’ils sont en confiance. Ce n’est donc pas un coup d’essai. Autrement dit, les fins limiers de l’Office des stups chargés d’exécuter la commission rogatoire de la Jirs (Juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille ont du pain sur la planche. Il s’agit pour une fois non pas de remonter la filière, mais au contraire de la descendre. Car si cet avion était arrivé à bon port, comment 28 valises de 25 kg auraient-elles pu être débarquées au nez et à la barbe des autorités ? Il aurait bien fallu des complicités. La République dominicaine est membre d’Interpol, on peut donc penser que la coopération entre les deux pays sera effective. Et je ne suis pas sûr que là-bas, l’avocat assiste aux gardes à vue… Les confidences des uns pourraient bien permettre de décortiquer la chaîne de distribution. Ces temps-ci, il doit y avoir quelques personnes, dans le beau monde, qui dorment moins bien.

Les policiers sont-ils les enfants gâtés de la fonction publique ?

Cela semble l’avis de la Cour des comptes. Dans un récent rapport, elle souligne que malgré la perte de quelques milliers d’emplois, les dépenses concernant les rémunérations des policiers ont augmenté de 10.5 % en cinq ans (2006-2011). Alors que dans le même temps, l’augmentation n’était que de 5.1 % dans la gendarmerie et de 4.2 % pour l’ensemble de la fonction publique.

Mais il faut se méfier des chiffres…

Prenons l’exemple d’un capitaine de police avec 20 ans d’ancienneté. Il perçoit un salaire brut mensuel d’environ 2700 €. Si on ajoute les primes (résidence, sujétion, postes difficiles, commandement, etc.) son traitement tourne autour de 3200 €. En sécurité publique, il peut avoir la responsabilité d’une centaine de gradés et gardiens. Cette rémunération est-elle en rapport avec de telles responsabilités ? Je ne le crois pas. Un commissaire qui remplirait les mêmes fonctions coûterait nettement plus cher. Sans parler du privé. Il est vrai que tous les policiers ne sont pas dans cette situation. Certains cocoonent derrière un bureau, les pieds dans un tiroir…

Alors, où est passée cette augmentation de la masse salariale ? La réforme dite des « corps et carrières », entamée en 2004, a notablement faussé la donne en instituant un flux par le haut, qui en a favorisé certains, tandis que d’autres restaient sur le carreau. Je ne sais pas si les officiers de police en devenant cadre A ont fait une bonne affaire, mais ce que je sais, c’est que pas mal aujourd’hui déchantent et fustigent les syndicats qui les ont entraînés dans cette galère. À court terme, ils ont raison. Cette réforme sera sans doute profitable à la génération suivante. Car évidemment, à l’horizon de quelques années (l’horizon des gens qui nous gouvernent se limite à cinq ans), c’est l’employeur qui est gagnant.

Après cette réforme, la police est devenue l’armée mexicaine. Il y avait des chefs partout. Sauf sur le terrain, comme l’a démontré le scandale de la BAC de Marseille. Le nombre des brigadiers a été multiplié par 2.4, tandis que l’effectif des brigadiers-chefs faisait un bond de 84 %. Dans le même temps, les officiers prenaient la mesure de leur nouvelle fonction d’encadrement. Puis, pour rétablir l’équilibre, on a fermé la porte. En une demi-douzaine d’années, le corps des officiers a fondu de 25 %. Le nombre de lieutenants a diminué de 64 %. Or ces lieutenants, que l’on recrute toujours au compte-gouttes, sont l’encadrement de demain. Quant aux commissaires, leur nombre a baissé de 7 %. Ils étaient 1 740 à la fin 2011.

Pour continuer à faire tourner la machine à moindre coût, on s’est mis à recruter des ADS (adjoints de sécurité). Ils sont payés au niveau du SMIC et ils sont plus malléables que leurs ainés. Si j’avais un conseil à donner à un jeune qui n’a pas de diplôme, il y a là une formidable opportunité de faire carrière dans la police. C’est dans ces moments de mutation qu’il faut saisir la balle au bond. L’embauche des personnels administratifs a également augmenté, notamment pour la police scientifique, qui a le vent en poupe (+73 %). Ce qui laisse augurer de la police de demain.

À son arrivée, Manuel Valls a annoncé la fin des suppressions de postes, ce qui veut dire une reprise (probablement timide) du recrutement. Ce qui ne fait pas l’affaire de la Cour des comptes. Du coup, elle préconise une pause salariale, « notamment par la limitation étroite des nouvelles mesures catégorielles et l’encadrement plus rigoureux des mesures d’avancement et de promotion ». Une mauvaise nouvelle pour ceux qui espèrent un avancement : on entrouvre la porte extérieure et l’on cadenasse à l’intérieur.

Ce chambardement des services ne s’est pas fait sans mal. Et cela a entraîné un afflux d’heures supplémentaires récupérables. Il y en aurait 19 millions dans la nature. Une petite bombe à retardement. L’équivalent de 12 000 à 13 000 emplois à temps plein sur une année. Pour les fonctionnaires qui ne peuvent récupérer ces heures, il existe de fait une sorte de compte épargne-temps qui permet d’anticiper le départ en retraite. D’après la Cour de comptes, certains, notamment en PJ, pourraient ainsi partir 18 mois avant l’âge… Cela me paraît beaucoup, mais même s’il s’agit de 3 ou 4 mois, c’est au détriment du service, car durant cette période, ils ne peuvent pas être remplacés.

Comme pour tous les fonctionnaires, les primes disparaissent à l’âge de la retraite. Notre capitaine du début touchera donc environ 2000 € par mois. Et il n’aura pas vraiment le temps de bénéficier de la retraite additionnelle de la fonction publique, la RAFP, mise en place en 2005 (dont la gestion a d’ailleurs été épinglée par la Cour des Comptes) qui devrait capitaliser une somme de 75 milliards, mais d’ici 2050.

L’analyse de la Cour des comptes nous montre que cette réforme des corps (comme d’ailleurs le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur) a été mal préparée. Elle a un petit relent démagogique. Elle a coûté un fric fou et on a fait croire aux policiers à un effet d’aubaine. Dans les faits, pas mal sont restés à la traîne, notamment ceux qui n’étaient pas dans la fourchette haute de leur grade. Ces inégalités ont plombé l’ambiance, ce qui explique en partie la morosité qui pèse sur certains services. C’est peut-être l’une des raisons qui pourrait conduire à une nouvelle réforme, le « corps et carrières II ». L’idée est dans l’air. Et les oreilles des commissaires doivent siffler, car cette fois, on pourrait s’acheminer vers deux corps de police : les sous-officiers et les officiers. À défaut d’une parité dans les rémunérations entre gendarmes et policiers, on aurait au moins la parité des corps. – En attendant la prochaine réforme.

L’affaire Boulin revue par France 3 : dérapage ou faits nouveaux ?

En diffusant à une heure de forte audience un téléfilm soutenant la thèse de l’assassinat de Robert Boulin, France 3 pose une vraie question : Quelle est la limite entre la fiction et la diffamation ?

François Berléand dans le rôle de Robert Boulin

Je sais bien que pour de nombreuses personnes la mort de M. Boulin est un assassinat perpétré par des hommes de main agissant pour le compte de personnages en vue ; selon les versions, soit parce que le président Giscard d’Estaing voulait faire de ce gaulliste son Premier ministre, soit parce qu’il menaçait de dévoiler des magouilles dans le financement de partis politiques. Certains ont fait de cette thèse leur gagne-pain. Chacun a, évidement, le droit de penser ce qu’il veut – et de le dire.

Sous certaines réserves.

Ainsi, lorsque les faits sont présentés dans une fiction, jouée au demeurant par de remarquables comédiens, cela prend une tout autre dimension. On nous a donc présenté mardi, sur une chaîne publique, en prime time un téléfilm mettant en scène l’assassinat de Robert Boulin (alors qu’un documentaire relatant des faits plus étayés avait été diffusé en deuxième partie de soirée, la veille). Un assassinat fomenté par plusieurs personnalités politiques de droite nettement désignées. Malgré l’avertissement du pré-générique, les choses sont claires : on sait qui a commandité le meurtre. Certains des protagonistes sont aujourd’hui morts, d’autres sont vivants. J’imagine la tête de la petite-fille de l’un d’entre eux arrivant à l’école pour s’entendre dire : « Alors, c’est vrai que ton papy a tué Boulin ? »

Dans ce film, Messieurs Sanguinetti, Pasqua, Foccart, Debizet, Chirac, etc., sont identifiés comme les instigateurs. Les exécutants, eux, sont des membres du SAC. Et si ce crime reste impuni, c’est grâce à la complicité de plusieurs magistrats, de deux médecins légistes et de dizaines de policiers de la PJ de Versailles.

De plus, dans le débat qui a suivi, Jean Charbonnel, ancien ministre et ami de Robert Boulin, nous révèle qu’Alexandre Sanguinetti (mort en 1980) lui a donné les noms « de deux personnalités politiques toujours vivantes » qui auraient participé à ce complot. Noms qu’il refuse de communiquer, sauf à un juge d’instruction.

A partir de là, il n’y a que deux solutions : soit on rouvre le dossier pour recueillir le témoignage de tous ces gens (aussi bien les accusateurs que les accusés) ; soit on poursuit en diffamation ceux qui portent « atteinte à l’honneur et à la considération » des personnes incriminées dans ce scénario. Mais l’article 29 de la loi sur la presse s’applique-t-il à une fiction diffusée sur une chaîne de télévision ?

La police face aux parents d’enfants disparus

La mère de la petite Typhaine et son compagnon viennent d’être respectivement condamnés à 30 ans de réclusion. Au cours du procès, des propos terribles ont été tenus : l’enfant ne parvenait pas à dormir, sa mère, Anne-Sophie Faucheur, lui assène alors une série de coups. Puis elle enfile des baskets avant de la frapper de nouveau, cette fois, au ventre. Pendant ce temps, Nicolas Willot, son compagnon, maintient Typhaine. Elle n’a que 5 ans. Pourtant, au mois de juin 2012, devant les caméras, ce couple faisait pitié en implorant qu’on leur rende leur enfant. Aussi, devant la Cour d’assises, lorsque l’expert psychiatrique affirme qu’il n’existait pas chez la mère « une volonté consciente, claire, affirmée » de tuer sa fille, on comprend bien que les jurés soient restés dubitatifs.

Il y a quelques jours, en Seine-et-Marne, ce sont les parents d’une fillette de deux ans, disparue en 2011, qui ont été mis en examen pour homicide volontaire. Elle était enterrée (son corps n’a pas été formellement identifié à ce jour) à 500 mètres de leur domicile.

Ces affaires, et bien d’autres, attirent l’attention sur les difficultés que rencontrent les policiers ou les gendarmes lorsqu’ils sont confrontés à la disparition d’un enfant. Il n’est pas facile de rester de marbre devant des parents qui sont au désespoir. Et pourtant, pas question de céder à l’empathie ou au moindre sentiment qui pourrait brouiller le jugement. Entre les pleurs de parents coupables et ceux de parents accablés de douleur, comment faire la différence ? Et souvent, au sein même du groupe des enquêteurs, les avis sont partagés.

Il n’y a pas de formule miracle. Pas de profileur magique, comme dans les séries télé. Ici, même la police scientifique marque le pas et doit laisser la place aux vieilles méthodes : le flair ou la technique en apparence éculée du bon et du méchant flic. Ainsi, après la disparition de Typhaine, les policiers du SRPJ de Lille ont placé le couple en garde à vue durant quelques heures, puis l’ont relâché. Car la pratique montre que ce n’est pas le moment opportun pour obtenir des aveux. Dans ces affaires où l’on se rapproche de l’infanticide, le déni est trop important. Une enquête qui démarre sur des certitudes finit souvent en déconfiture.

Et il ne faut pas se tromper de priorité : d’abord, retrouver l’enfant. Mais, le temps de l’urgence révolu, les investigations traditionnelles reprennent leurs droits : vérifications, témoignages, recoupements, reconstitution,  planques, filatures, surveillances techniques, etc. C’est qui s’est passé pour Typhaine. Et les comptes-rendus de surveillance sont accablants. « Faire des blagues salaces sur la juge d’instruction, se masturber le soir en webcam sur des sites porno, aller sur des sites de rencontre, danser à un baptême, à un mariage, faire la fête, faire des dîners, faire des projets de mariage… Tout ce qu’on voyait en sous-marin était loin, très loin de l’image du couple dévasté qu’ils avaient voulu donner en conférence de presse », déclare un policier à la barre de la Cour d’assises.

Les policiers savent, mais ils n’interviennent pas. À défaut de preuves, ils accumulent des éléments. Et, sans doute pour mieux mettre Anne-Sophie Faucheur et Nicolas Willot en confiance, le juge d’instruction les convoque pour les entendre en tant que partie civile. « Ça veut dire qu’on reconnaît leur qualité de victimes », dira alors leur avocat.

Le piège se referme. Devant un jeune policier, un nouveau visage, la maman laisse échapper qu’elle a vu sa fille mourir. Elle parle d’un accident. Un premier aveu, ou plutôt une confidence. Il ne reste plus qu’à tirer doucement sur le fil. Du grand art.

Dans ce type d’enquête, on marche sur des œufs. La hantise, c’est de se tromper et de passer à côté de la moindre chance de sauver l’enfant. Car l’expérience ne joue pas vraiment tant chaque situation est différente. Ainsi, lors de la disparition du petit Antoine, le 11 septembre 2008, les enquêteurs ont d’abord pensé à une fugue. Trois jours plus tard, le procureur déclare : « Plus le temps passe, plus l’hypothèse de la fugue perd de la consistance… » Une douzaine de jours après les faits, la mère de l’enfant, Alexandrine Brugerolle de Fraissinette, et plusieurs personnes de son entourage, sont placées en garde à vue. L’appartement de la jeune femme est investi par les techniciens de l’identité judiciaire. Les murs sont sondés, des lamelles de parquet soulevées, les lieux passés à la lumière fluorescente. Deux petites gouttes de sang, minuscules, d’un millimètre de circonférence, sont finalement détectées près de l’interrupteur, dans la chambre d’Antoine. Et c’est tout. Autrement dit, rien ! « Il faut tout reprendre à zéro » , déclare l’un des responsables de l’enquête. Aujourd’hui, le dossier n’est pas classé, bien sûr ! D’ailleurs, récemment, la mère a été de nouveau placée en garde à vue. Mais on ne sait toujours pas ce qui est arrivé au petit Antoine. Il avait 6 ans et ½.

Dans l’affaire de la petite Maddie, disparue le 3 mai 2007, au Portugal, on touche aux limites de l’absurde. Un flic y a laissé sa carrière : le commissaire Gonçalo Amaral. Dès le début de l’enquête, il relève des contradictions dans les déclarations des parents, les McCann, des britanniques en vacances, qui tout de suite cherchent à se protéger en prenant contact avec les autorités de leur pays. Le policier pense à une mort accidentelle de la petite fille que les parents auraient dissimulée en laissant croire à un enlèvement. Mais il n’est pas suivi par sa hiérarchie. Viré de la police note pour avoir fait part de ses doutes à des journalistes, il a écrit un livre pour expliquer sa thèse. Aujourd’hui, ruiné, il doit se battre contre les avocats des McCann qui lui réclament 1.2 million de livres de réparations civiles.  À noter que le procès qui devait avoir lieu prochainement a été ajourné. Y aurait-il de nouveaux éléments dans cette enquête qui a fait la Une des journaux du monde entier ?

En France, les policiers et les gendarmes possèdent toutes les armes juridiques pour enquêter sur la disparition d’un enfant (ou d’un majeur protégé). Avec un principe : tout signalement doit être considéré comme une disparition inquiétante et doit donner lieu à une enquête. S’il existe un désaccord entre eux et les déclarants, il appartient au procureur de trancher. Et dès qu’apparaît le moindre indice qui laisserait supposer une infraction, ce dernier actionne la procédure de flagrant délit. Avec les pouvoirs qui vont avec. Si au bout de quelques jours, l’enfant n’est toujours pas retrouvé, il peut ouvrir une information judiciaire ou décider de poursuivre les recherches en préliminaire.

Devant la disparition d’un enfant, plus que dans toute autre affaire, le procureur est l’élément clé. Il décide à chaud. C’est d’ailleurs lui qui détermine s’il faut déclencher l’alerte enlèvement. Souvent, le résultat de l’enquête dépendra de la justesse de ses décisions, de la symbiose entre lui et les policiers ou les gendarmes et aussi… de son aptitude à résister à la pression des médias.

Le drone, l’arme des crimes d’État

Mercredi dernier, un chef taliban, le mollah Nazir, a été tué par un drone américain. L’affaire n’a pas fait les gros titres. Et pourtant, cet homme a été assassiné par des tirs qui auraient fait au moins une dizaine de victimes. Le lendemain, ce sont quatre autres insurgés qui auraient été abattus. Pour les USA, ces hommes étaient une menace, tandis que pour le Pakistan (leur allié), Maulvi Nazir était plutôt considéré comme un précieux auxiliaire dans leur lutte contre les talibans locaux. Et hier dimanche, ce sont une douzaine de personnes qui auraient été tuées par des missiles tirés depuis des drones américains, faisant au passage de nombreux blessés.

Je suis comme beaucoup, j’ai du mal à comprendre ce qui se passe réellement dans cette région du monde. J’ai l’impression que chacun place ses billes avant le départ de la coalition militaire, l’année prochaine. Pourtant, devant ces assassinats qui s’enchaînent, on doit se rendre à l’évidence : le crime d’État est devenu une banalité.

Et l’arme quasi invisible de ce mécanisme inquiétant est le drone.

Depuis 2004 (le second mandat de George W. Bush), la CIA aurait effectué des centaines de frappes au Pakistan, tuant 2 560 à 3 325 personnes, selon les estimations, dont 474 à 881 civils. « Les drones survolent les populations du nord-ouest vingt-quatre heures sur vingt-quatre, frappent des véhicules, des maisons et des espaces publics sans sommation. Leur présence terrorise les hommes, femmes et enfants, créant un traumatisme psychologique. Les habitants doivent vivre dans la crainte permanente de pouvoir être frappés à tout moment par un bombardement meurtrier, sachant qu’ils n’ont aucun moyen de s’en protéger », peut-on lire dans le rapport d’un groupe d’experts américains cité dans Le Monde. Si l’on compte les autres opérations, notamment au Yémen, en Somalie et aux Philippines, combien de personnes ont ainsi trouvé la mort, alors que ces pays ne sont pas en guerre contre les États-Unis ? De plus en plus de voix s’élèvent d’ailleurs Outre-Atlantique contre ces actions répétées. Sont-elles toutes justifiées ? D’autant que depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, les raids de drones se sont multipliés. C’est aujourd’hui l’un des principaux volets de sa stratégie militaire mondiale.

M. Obama restera peut-être dans l’histoire comme le Prix Nobel de la paix qui a le plus de morts innocents sur la conscience. Car non seulement les dégâts collatéraux sont inévitables, mais en plus, ces assassinats ciblés sont souvent fomentés sur des hypothèses bâties par les services secrets. Des mises à mort sans procès. C’est une guerre d’intellectuels qu’il a déclenchée, disent ses détracteurs. En pointillé, une guerre sans honneur. Durant la récente campagne pour son second mandat, afin de leur couper l’herbe sous les pieds, il s’est plus ou moins engagé à « régulariser » la procédure de ces pratiques meurtrières. Ce à quoi Amnesty international a répondu qu’il n’y avait pas à fixer de nouvelles règles mais à appliquer les règles existantes : les droits de l’homme et les lois humanitaires reconnus internationalement. C’est-à-dire, en langage non châtié, la ligne qui sépare l’action de guerre du crime de guerre. De leur côté, les Nations unies pourraient cette année ouvrir un bureau, à Genève, pour enquêter sur les victimes civiles des attaques par drones. Plusieurs familles de celles-ci auraient d’autre part déposé plainte contre la CIA.

Dans le Courrier International, on peut lire les confidences troublantes de Brandon Bryant, 27 ans, un ancien pilote de drones… Le Predator, un avion délicat et argenté, décrit des huit dans le ciel afghan. À plus de 10 000 kilomètres de là, Brandon est aux commandes. Il attend les instructions. Lorsque l’ordre d’ouvrir le feu tombe, il fixe la cible dans son viseur laser : une étable pour les chèvres. Près de lui, le deuxième pilote actionne alors un joystick. Il reste 16 secondes avant l’impact. Soudain, sur l’écran, un enfant apparaît au coin de la bâtisse. Une lueur. L’explosion.  « On vient de tuer un gamin ? » demande Brandon à son collègue. « Je crois », lui répond celui-ci. Quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, enfermé ailleurs, dans un poste de commandement, intervient alors sur les ondes : « Non, c’était un chien ! »

Lorsque Brandon sort de son conteneur, ce jour-là, sur la base de Creech, au Nevada, à une cinquantaine de kilomètres de Las Vegas, l’Amérique lui paraît sans doute moins belle. Jamais il n’aurait imaginé tuer tant de gens.

Lors d’un récent débat à l’ONU, les représentants de plusieurs pays ont souligné le mauvais exemple donné par la plus grande puissance militaire mondiale. Un engrenage qui pourrait s’avérer ravageur. Car le drone va se « vulgariser ». Que se passera-t-il lorsque les armées des grandes puissances seront toutes dotées de drones de combat ? A l’opposé de la Kalachnikov, arme symbolique des combattants les plus pauvres, le drone pourrait bien devenir le symbole de leur hégémonie.

À ce jour, il semble que l’armée française ne possède que des drones de surveillance. Mais le mois dernier, Dassault Aviation a présenté le Neuron (qu’il faut parait-il écrire nEUROn), un drone de combat de 10 mètres de long et de 12.50 mètres d’envergure issu d’une coopération européenne dans l’industrie de défense. D’ici deux ans, nos militaires seront donc équipés de ces engins. Comment les utiliserons-nous, alors que la France est le pays d’Europe le plus engagé à l’étranger ?  Lors de la campagne de Libye, le général Vincent Tesnière a insisté sur le rôle déterminant des drones américains. « Si on avait eu 30 ou 40 drones armés, on aurait fait ce qu’il y avait à faire », a-t-il déclaré.

On dit d’ailleurs que c’est un drone américain qui aurait repéré Kadhafi lors de sa cavale. Nos alliés dans la coalition ont-ils passé l’information à la France ? Cela pourrait expliquer le mystère qui entoure la mort du dictateur. Mais alors, s’agirait-il d’un crime d’État ?

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