LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : G.Moréas (Page 21 of 82)

Mis en examen dans l’affaire Neyret, un policier raconte…

« Il y avait quelque chose de surréaliste dans cette scène. Le juge seul derrière son grand bureau vide, à sa droite son greffier, encombré de dossiers, derrière l’écran mes deux avocats dans leur belle robe noire (…)  Il a croisé les mains sur son grand bureau vide, m’a fixé droit dans les yeux. J’ai soutenu son regard. Une tentative d’intimidation comme dans les cours d’école. C’est toujours plus facile de jouer, quand on est sûr de gagner. Il m’a mis en examen pour trafic de stupéfiants (…) détournement de scellés, vols en réunion et association de malfaiteurs… »

Christophe Gavat n’est pas allé en prison. Il était tellement soulagé, qu’il a serré la main du magistrat. En lisant son livre, 96 heures – Un commissaire en garde à vue, aux éditions Michalon, j’ai eu l’impression qu’il regrettait son geste… Il a néanmoins fait l’objet d’un contrôle judiciaire drastique qui lui interdisait d’exercer son métier, d’adresser la parole à ses collègues, à ses amis, et même de se déplacer. « Cette affaire m’a changé. Je me suis rendu compte à quel point la machine judiciaire pouvait broyer les hommes. C’est une mécanique de précision déshumanisée. La chance pour le juge d’instruction dans cette affaire, c’est qu’aucun policier ne se soit suicidé. Parce que le suicide, j’y ai pensé. » Les juges ont-ils conscience de la portée de leurs décisions ? Psychologiquement, un contrôle judiciaire peut être plus dur à supporter que la prison, car on est tout seul. Enfin, je dis ça, mais je n’ai vécu ni l’un ni l’autre.

Fortement marqué par cette expérience, depuis la Guyane, là où il exerce aujourd’hui les fonctions de sous-directeur de la police de l’air et des frontières, Christophe Gavat n’a trouvé qu’un moyen pour tirer un trait sur cette période : écrire. Écrire son histoire, son ressenti, son amertume, sa désillusion. Un peu comme un amoureux éconduit fait un poème à sa bien-aimée.

Le 29 septembre 2011, lorsque « l’affaire » a éclaté, il dirigeait l’antenne de PJ de Grenoble. Michel Neyret était donc son patron direct. L’info tourne en boucle sur les ondes et dans sa tête.  « Michel, mon chef, mon modèle », arrêté !… Il ne comprend pas, mais l’idée ne l’effleure même pas qu’il pourrait à son tour être visé par l’enquête. Ou tout au plus comme témoin. Et pourtant…

Le soir, il dîne avec ses parents. L’ambiance n’y est pas. Le téléphone sonne. C’est un copain de promo : « Christophe, j’ai consulté Internet. Ton nom complet est sur les sites. Ils disent que demain à dix heures, tu seras placé en garde à vue… » C’est ainsi qu’il apprend qu’il est sur la liste de l’IGS. « Putain, c’est quoi ce bordel ! (…) La presse au courant. Au courant des futurs gardés à vue par la police des polices (…) Trop forts ces journalistes ! »

Le lendemain à l’aube, il prend le TGV pour Lyon.

Toute l’enquête des bœufs-carottes sera ainsi en live dans les journaux, à la radio, à la télé, sur le Web. Chacun y allant de ses phantasmes. À se demander si certains journalistes n’avaient pas connaissance de la procédure avant les magistrats. Les policiers de l’IGS (à l’époque très proche du Pouvoir) avaient-ils des consignes pour agir de cette manière ? Cette enquête a-t-elle servi d’écran de fumée alors que, dans l’affaire Bettencourt, l’information judiciaire venait d’être dépaysée à Bordeaux et que les soupçons d’un abus de faiblesse au préjudice de la milliardaire commençaient à prendre corps ? Christophe Gavat est mis en cause pour n’avoir pas osé dire non à son chef. Les charges contre lui se résument à deux ou trois coups de fil de Michel Neyret, alors que celui-ci était sur écoute. L’un d’eux, en particulier, lorsqu’il lui demande si, dans sa dernière affaire de stups, il a pu mettre un peu de « produit » de côté pour l’un de ses « amigos » – Et il n’a pas osé l’envoyer se faire foutre. « Oui, oui, qu’il a répondu. C’est fait ! » – Mais pour autant, il ne l’a pas fait. Il n’a pas obéi.

La drogue avait d’ailleurs été brûlée à la déchetterie, selon la procédure habituelle, devant témoins, chacun ayant signé le procès-verbal de destruction. La suspicion du juge d’instruction est-elle là ? D’ailleurs, je crois que les policiers devraient refuser de détruire un scellé. Après tout, un scellé judiciaire est placé sous la responsabilité du Greffe du tribunal et il appartient à la Justice de s’en dépatouiller.

Lorsqu’il se présente pour passer au « tourniquet », Gavat est serein : « Je n’ai jamais remis de came à un indicateur », écrit-il.

Christophe Gavat en opération Harpie en Guyane
(avec son aimable autorisation)

À Lyon, il est reçu par Christian Lothion, le directeur de la PJ. « Je vais pas vous la faire à l’envers, lui dit celui-ci, Michel est accroché. Ils le tiennent. Pour vous, je ne sais pas ce qu’il y a exactement dans le dossier. Mais il semble que ce soit plus fragile (…) Sauvez vos couilles de là. Tant qu’on le pourra, on sera derrière vous. »

« À l’époque, dit Christophe Gavat, je n’ai pas compris tous les messages qu’il a voulu me faire passer, ils ont pris un sens plus tard, mais je dois reconnaître qu’il a toujours été là. »

Plus tard, c’est maintenant. Il ne sait toujours pas ce que l’on lui reproche. Son dossier lambine à l’instruction. Le juge ne semble pas pressé, puisque, en 18 mois, les policiers de l’IGS n’ont pas eu le temps de lui retourner sa commission rogatoire – et que cela ne le dérange pas.

Ce livre était forcément difficile à écrire, et le lecteur a parfois du mal à suivre, à s’accrocher aux allers-retours de l’auteur, tant il a de choses à dire. Mais c’est un livre chargé d’émotion. Bien sûr, Christophe Gavat a dû se limiter à son propre vécu, revenant   sur les enquêtes qui l’ont le plus marqué. On peut se sentir un peu frustré. On aimerait en savoir plus sur l’affaire de Lyon. Percer les arcanes. Mais déjà, comme ça, en le publiant, il a pris d’énormes risques. Une manière de fermer la porte de l’Intérieur pour mieux l’ouvrir sur l’extérieur. Et là, je sais de quoi je parle. A son âge, j’ai fait la même chose.

J’ai l’impression que le commissaire Gavat pourrait bien reprendre le fil d’un vieux rêve : le théâtre, le cinéma… Il ne sera pas tout seul : des amis l’attendent, comme Olivier Marchal et Bruno Wolkowitch, les deux flics de la pièce Pluie d’enfer.

La PJ va donc s’enrichir d’un nouvel Office central

Pour mieux lutter contre la fraude fiscale, François Hollande a annoncé la création d’un parquet et d’un office central spécialisés. Oubliant au passage que dans ce domaine les poursuites pénales ne sont pas l’apanage du procureur mais le privilège de l’administration fiscale. Pour faire simple, la peine de prison, c’est un peu le bâton que l’on agite sous les yeux du fraudeur pour l’inciter à négocier au mieux pour les caisses de l’État.

Parmi la ribambelle de crimes et délits, ceux qui touchent à l’argent sont les plus compliqués à établir. Dans un hold-up, il y a les braqueurs, les complices et éventuellement les receleurs. Alors que dans un dossier de fraude fiscale ou de blanchiment, on peut tout aussi bien trouver des criminels, des trafiquants, des margoulins et… d’honnêtes gens. Comme le montre la mésaventure de Florence Lamblin, l’élue écolo, prise à son insu dans l’engrenage d’un blanchiment d’argent de la drogue. D’ailleurs, même si ce n’est pas dans les textes, les juges font la distinction entre l’argent sale, issu du crime, et l’argent gagné proprement, uniquement sali par un détournement des règles fiscales.

Le délit de fraude fiscale résulte de la dissimulation de sommes soumises à l’impôt. Cela va du montage international sophistiqué à la simple omission de déclaration sur sa feuille d’impôts. Il est le plus souvent sanctionné par des pénalités, déterminées par l’administration elle-même sous le contrôle du juge des impôts. Quant aux sanctions pénales, elles sont exceptionnelles. Leur effet dissuasif est d’ailleurs très incertain du fait de la modestie des peines prononcées : le plus souvent une simple amende (autour de 5 000 €). Pourtant, depuis la dernière loi des Finances, dans certains cas, les peines prévues peuvent aller jusqu’à 7 ans de prison et 1 million d’euros d’amende (art. 1741 du CGI). Et, pour sourire un peu au souvenir des avant-dernières déclarations du président de la République, il n’est pas inutile de rappeler que toute personne condamnée pour fraude fiscale peut perdre ses droits civiques.

Pour s’affranchir du bon vouloir de l’administration fiscale, policiers et magistrats préfèrent s’intéresser au blanchiment de fraude fiscale. Il consiste pour un fraudeur ou ses complices à réintroduire l’argent douteux dans un circuit légal. Et pour cela, toutes les combines sont bonnes. Il y a encore quelques années, l’un des moyens souvent utilisé consistait à se faire prêter de l’argent par un établissement bancaire installé en France, en garantissant ce prêt par un dépôt en espèces effectué à l’étranger (back to back). Souvent en Suisse. Un autre procédé ressemblait à un de jeu de chaises musicales, faisant tourner l’argent des clients d’une même banque d’un pays à l’autre. À une toute autre échelle, ces procédés sont toujours utilisés pour le blanchiment du produit du crime organisé. Une plongée dans certains comptes chypriotes serait sans doute révélatrice de ce système. Le blanchiment simple est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende.

Ces deux infractions sont fortement imbriquées mais pour qualifier le blanchiment, il faut d’abord établir l’existence d’une fraude fiscale, même si l’infraction n’est pas poursuivie. Un peu comme un cambrioleur pourra faire l’objet de poursuites pour recel si l’on ne parvient pas à établir sa participation au vol.

Pour lutter contre la fraude et le blanchiment, une loi du 12 juillet 1990 a créé Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Cet organisme est considéré comme un service secret. Il est donc protégé, un peu comme la DCRI. Je ne sais pas si un sénateur peut s’en faire ouvrir les portes… En tout cas pour Bercy, c’est une arme redoutable, la clé de voûte de la lutte anti-blanchiment. D’autant qu’à la différence des journalistes qui peuvent s’abriter derrière la loi sur la protection des sources (comme l’a fait Le Monde pour les documents dits « Offshore Leaks »), des tas de professions (banquiers, assureurs, notaires, huissiers, agents immobiliers, casinotiers…) sont tenus de lui dénoncer toute transaction inhabituelle. Même les avocats sont concernés (CEDH : aff. Michaud contre la France). Deux situations opposées : les journalistes disent ne pas vouloir faire le métier de la police et les autres ont juste le droit de s’exécuter. Dans les deux cas, cela peut poser un problème de conscience. Je me demande s’il y a eu débat à la rédaction du Monde

On envisagerait d’ailleurs, Place Beauvau, un système d’alerte qui lui s’adresserait à tout le monde, avec, pour le dénonciateur, la carotte du statut de repenti.

Pour mémoire, en 2001, Arnaud Montebourg (avocat de profession) avait déposé un amendement devant ses collègues députés pour faire de la non-dénonciation en matière fiscale un délit.

Le 9 avril dernier, Pierre Moscovici et ses homologues, britannique, allemand, espagnol et italien, ont demandé au Commissaire européen en charge de la fiscalité l’instauration d’un projet multilatéral d’échange du renseignement inspiré de la législation américaine (FATCA).

On a vraiment l’impression d’une histoire sans fin. Pourtant, ce n’est pas faute pour la police d’avoir accumulé les structures…

Tentons de décortiquer le mille-feuille de ces dernières années :

En mai 2002, il a été mis en place au sein de chaque région administrative des Groupes d’intervention régionaux (GIR) dans lesquels se mélangent plusieurs administrations avec l’objectif essentiel de lutter contre l’économie souterraine. Une coordination nationale de ces groupements est assurée au sein de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière.

Cette sous-direction de la PJ chapeaute également la division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF) – dont dépendent la brigade de répression de la délinquance financière (BRDFi), la brigade centrale de lutte contre la corruption (BCLC), créée en 2004, et la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui a vu le  jour en 2010.

Services auxquels il faut ajouter l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) au sein duquel sont placés la brigade centrale pour la répression des fraudes communautaires (BCRFC), la brigade de recherches et d’investigations financières nationales (BRIFN) et la plate-forme d’identification des avoirs criminels (PLAC).

Et j’en oublie sans doute, comme la brigade nationale d’enquêtes économiques, dont je découvre l’existence.

Et cela uniquement pour la direction centrale de la police judiciaire.

Le nouvel office central de lutte contre la fraude fiscale et la corruption (OCLCFFC ? – ça se complique) va donc s’insérer dans cet organigramme, probablement en regroupant deux ou trois de ces services – sans doute sans l’ombre d’un effectif supplémentaire. Mais cela aura peut-être le mérite de mieux harmoniser les efforts…

Toutefois, le plus important dans la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment et la corruption, ne se trouve pas dans l’Hexagone, mais au-delà des frontières. Or, ce nouvel office va indéniablement faciliter les échanges internationaux (la DCPJ assure en effet la gestion et le suivi des trois canaux de coopération internationale : Interpol, Europol, et le système d’information Schengen).

Mais restons lucide, cela ne réglera pas le problème. Pour mémoire, l’OCRTIS (Office central pour la répression du Trafic illicite des stupéfiants) a été créé en 1953. Il a donc 60 ans – Et le trafic international de stupéfiants n’a jamais été aussi prospère, car, comme en matière de fraude fiscale, la solution du problème (si elle existe) se trouve en amont de la répression – et certainement pas dans une réaction coup de poing à une affaire ponctuelle.

Il n’est d’ailleurs pas interdit de s’interroger sur le bien-fondé de cette chasse aux simples évadés fiscaux avec des moyens d’investigation (notamment techniques) identiques à ceux utilisés pour lutter contre le grand banditisme, le trafic de stups ou le terrorisme. Chacun en pense ce qu’il veut. Moi, je suis perplexe, car nous sommes tous contribuables, donc tous suspects… Or, à chaque fois que l’on pénètre plus avant notre sphère privée, que l’on cherche à nous rendre plus transparent, notre autonomie en prend un coup. Et on nous moutonne un peu plus.

Projet ReLIRE : Hold-up sur les écrivains

L’autre jour, je reçois un courriel d’un ami qui est en train de créer sa maison d’édition numérique. Il m’annonce que mes livres étant dans le domaine public, il aimerait bien en inscrire un ou deux dans son portefeuille d’auteurs. Je sursaute. Dans le domaine public, mes livres ! En France, la propriété intellectuelle s’étend durant 70 ans après la mort de l’auteur. Ce qui me laisse un peu de temps… En poursuivant la lecture et en cliquant sur le lien qu’il m’indique (ici), je comprends mieux : dix de mes romans (et un ouvrage collectif) sont offerts aux enchères – ou presque. Ils font partie de la première liste de titres sélectionnés par un « conseil scientifique » parmi les livres du siècle dernier.

Ce que c’est de vieillir !

60 000 livres à l’encan – C’est ainsi que je découvre que le 21 mars 2013, le site ReLIRE de la Bibliothèque nationale de France (BNF) a publié une liste de 60 000 livres parus avant 2001 qui ne sont plus commercialisés. Ces livres sont offerts à qui veut les éditer sous forme électronique. Non pas pour être mis gratuitement à la disposition des lecteurs, mais pour être vendus. C’est l’aboutissement d’un accord secret ourdi en février 2011, qui a abouti à la loi du 1er mars 2012 sur « l’exploitation numérique des livres indisponibles du XX° siècle ». Quant au décret d’application, il date du 1er mars 2013. (Le joli mois de mars est le mois du salon du Livre.) En tout cas, un bel exemple de la continuité de l’État, puisque deux ministres de la Culture différents ont paraphé ces textes : Frédéric Mitterrand et Aurélie Filippetti.

Comme les ministres aiment bien donner leur nom à certaines lois, pour sourire, on pourrait dire qu’il s’agit de la loi Mi-Fi. Mais je ne suis pas sûr que les écrivains aient envie de sourire. Car, d’une certaine manière, quasiment en douce, on vient de les spolier de leur droit d’auteur.

Un procédé qui manque d’élégance – Le projet ReLIRE consiste à numériser d’office, et plus ou moins aux frais du contribuable, des livres que les éditeurs ont retiré de la vente (ce qui est le cas de la plupart des livres au bout de quelques années) pour qu’ils soient versés dans un fonds collectif : la Sofia (Société française des intérêts des auteurs de l’écrit). Agréée par le ministre de la Culture, la Sofia est gérée par la Société des gens de lettres et le Syndicat national de l’édition. Au bout de 6 mois, si les auteurs ne se sont pas manifestés, les éditeurs pourront piocher dans cette manne numérisée et éditer les titres de leurs choix. Du moins les « grands », car bien sûr il y aura un filtrage. Une manière comme une autre d’éloigner de ce beau monde tous les petits concurrents qui fleurissent sur le Web. Tout cela sans demander ni l’avis ni l’accord des auteurs ou de leurs ayants droit. Comme disait un vieil ami, lui-même éditeur, « L’édition serait un métier formidable s’il n’y avait pas les auteurs ». Grâce à la MI-FI, c’est fait.

Un objet immatériel – Le droit d’auteur, dit Franck Macrez, maître de conférences au CEIPI (Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle), a pour véritable objet l’œuvre de l’esprit, c’est-à-dire un objet immatériel. Or le législateur, en modifiant le Code de la propriété intellectuelle, l’a assimilé à un bien commercial. Et dorénavant, ce n’est plus l’auteur qui importe, mais l’exploitant. En droit pénal, lorsqu’un cambrioleur force une serrure, il commet un vol avec effraction. Mais aucun verrou ne peut protéger un « objet immatériel ». Seule la loi peut le faire.

C’est ainsi qu’aux États-Unis, un tribunal fédéral a estimé qu’il était interdit de revendre d’occasion un fichier MP3 acquis légalement. La personne qui télécharge une musique ou un livre numérique, ont dit les juges, devient seulement propriétaire du droit de les écouter ou de les lire. Alors qu’il est évidemment possible de revendre un disque ou un livre, objet matériel. Un coup dur pour l’entreprise ReDigi visée par cette décision de justice. Elle a fait appel. Il semble toutefois que la Cour de justice de l’Union européenne ait une opinion différente. Elle aurait repris à son compte un slogan de Mai-68 : il est interdit d’interdire.

Les écrivains, des nantis ? – En France, peu d’auteurs ont fait fortune grâce à leurs livres. Si certains parviennent à vivre de leur plume, c’est souvent en empruntant des chemins annexes, comme l’écriture de scénarios ou la traduction d’ouvrages étrangers. Mais pourquoi les écrivains refuseraient-ils que leur œuvre soit rééditée ? D’abord, parce que ce passage en force est inadmissible. Et ensuite, le procédé est grossier, malhonnête, et probablement anticonstitutionnel. En fait, cette décision politique droite-gauche est le résultat d’un lobbying pressant des éditeurs. Arc-boutés sur leur fonds de commerce, ils ont lutté des années contre le livre numérique avant de se rendre à l’évidence : le vent tourne. L’édition numérique est en train de révolutionner le monde littéraire. Alors, ils prennent le train en marche, piquant au passage l’idée de Google Books et implorant l’aide de l’État. Dans d’autres pays, les solutions ont été différentes. Au Québec, la situation est bien plus claire : un programme d’aide rembourse aux éditeurs une partie des frais de numérisation. Les Pays-Bas ont signé un accord avec Google pour numériser 80 000 livres anciens : une bibliothèque gratuite pour les étudiants, les chercheurs… Chez nous, on tape sur ceux qui ne sont pas organisés pour se défendre : les auteurs ; pour finalement créer avec des fonds publics une bibliothèque numérique qui sera payante.

La rébellion des tâcherons – Cependant, le ton monte chez les écrivains. Ainsi Didier Daeninckx refuse de se voir publié par un éditeur qu’il n’aurait pas choisi. Mais il refuse également de se plier au diktat de ReLIRE : remplir un formulaire, y joindre une photocopie de sa carte d’identité et justifier qu’il est bien l’auteur de ses propres livres. Onze fois, puisqu’il a onze titres dans la fameuse liste. Il s’est donc fendu d’un courrier recommandé pour s’opposer à la mise en ligne de ses romans. Réponse : « La Sofia vous notifiera, dans un délai maximum de 3 mois, le résultat de l’instruction de votre demande ».  – Inutile de dire qu’il a les boules.

Les œuvres orphelines – On peut se demander si les autorités françaises n’ont pas cherché à couper l’herbe sous les pieds du Conseil de l’Union européenne. En effet, une directive de 2012 a établi un cadre juridique pour créer un fonds numérique européen des œuvres (livres, journaux, revues, enregistrements, films, etc.) protégées par les droits d’auteur mais dont les propriétaires ne peuvent être identifiés ou localisés. L’objectif étant de créer une bibliothèque numérique européenne (probablement) gratuite.

Somme toute, je pourrais être flatté d’avoir été distingué par un « conseil scientifique », mais je suis surtout en colère. Ces romans, peu importe qu’ils soient bons ou mauvais, je les ai portés, je les ai écrits. Des heures et des heures à tapoter sur un clavier. Parfois, ils m’ont fait rêver, souvent ils ont pourri mes nuits. Mais sur chacun j’ai écrit le mot fin, avec un petit pincement au cœur et la peur, comme un navigateur solitaire, de revenir sur la terre ferme. Certains ont trouvé leurs lecteurs. D’autres pas. Lorsque les éditeurs ont arrêté leur diffusion, j’ai récupéré mes droits. Je pensais donc être le seul à pouvoir en disposer. Eh ben, non !

Et qu’on ne vienne pas me parler de « livres orphelins ». Papa est toujours là !

Cocaïne : existe-t-il une filière française ?

En tout cas, c’est ce que semblent penser les magistrats et les policiers spécialisés, puisque à la suite de la saisie record de 682 kg de cocaïne à Punta Cana, en République dominicaine, une enquête a été ouverte en France.

C’était le 20 mars dernier. Alors qu’il s’apprêtait à décoller, un Falcon 50 est immobilisé sur le tarmac. L’appareil, immatriculé F-GXMC, port d’attache Paris Le Bourget, appartient (via la société de leasing Lixxbail du groupe Crédit Agricole) à la SA Alain Afflelou. Il est géré par une petite société de transport aérien, au capital social de 3 000 €, inscrite en juin 2011 au Tribunal de commerce de Lyon : SN Trans Hélicoptère services. D’après la presse, la feuille de route du pilote mentionnait Versailles comme destination. Vraisemblablement l’aéroport d’affaires de Toussus-le-Noble.

L’opération de Punta Cana aurait été, semble-t-il, téléguidée par la DEA (Drug enforcement administration), laquelle suspectait l’existence d’un gang de passeurs au sein du personnel de l’aéroport. En tout cas, le tuyau est bon car la police interpelle 35 personnes : des militaires, des policiers et des douaniers…, ainsi que 4 Français. Une affaire qui tombe à pic pour le gouvernement, au moment où le ministre de l’Intérieur de la République dominicaine envisage une réforme drastique de la police nationale, notamment pour éliminer la corruption. Et elle doit être conséquente, car les trafiquants n’ont même pas pris la peine de dissimuler la drogue. Elle se trouve dans 28 valises : 682 paquets contenant chacun 1 kg de cocaïne.

Pendant ce temps, en France, les gendarmes poireautent. D’après Le Point, ils auraient eu un tuyau, il y a de cela plusieurs mois, concernant les déplacements suspects de cet avion. Ils l’auraient même contrôlé une fois dans le sud du pays sans résultat. En tout cas leur enquête est suffisamment avancée pour avoir obtenu du procureur de Draguignan l’ouverture d’une information judiciaire. Si tout cela est vrai, aujourd’hui, ça doit souffler à la direction de la PJ, car il semble bien que l’OCTRIS (Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants) n’ait pas été dans la confidence. Il faut dire que lorsqu’on récupère un tuyau de cette nature, que l’on soit flic ou gendarme, on n’a aucune envie de le partager. Sinon, on change de métier.

Pour la petite histoire, selon Le canard Enchaîné, c’est l’avion que Nicolas Sarkozy devait prendre pour se rendre à la convocation du juge Gentil. Il a eu chaud ! Avec tous les ennuis qu’il a déjà…

D’après l’OEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies), chez nous, le prix du gramme de cocaïne varie entre 50 et 80 €. Petite multiplication et cela nous donne une valeur à la revente de 34 à 54 millions d’euros. De quoi faire pâlir d’envie nos dealers de banlieue.

Et à vous décourager de jouer au Loto !

On imagine bien que si des trafiquants confient un tel chargement à des passeurs, c’est qu’ils sont en confiance. Ce n’est donc pas un coup d’essai. Autrement dit, les fins limiers de l’Office des stups chargés d’exécuter la commission rogatoire de la Jirs (Juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille ont du pain sur la planche. Il s’agit pour une fois non pas de remonter la filière, mais au contraire de la descendre. Car si cet avion était arrivé à bon port, comment 28 valises de 25 kg auraient-elles pu être débarquées au nez et à la barbe des autorités ? Il aurait bien fallu des complicités. La République dominicaine est membre d’Interpol, on peut donc penser que la coopération entre les deux pays sera effective. Et je ne suis pas sûr que là-bas, l’avocat assiste aux gardes à vue… Les confidences des uns pourraient bien permettre de décortiquer la chaîne de distribution. Ces temps-ci, il doit y avoir quelques personnes, dans le beau monde, qui dorment moins bien.

Les policiers sont-ils les enfants gâtés de la fonction publique ?

Cela semble l’avis de la Cour des comptes. Dans un récent rapport, elle souligne que malgré la perte de quelques milliers d’emplois, les dépenses concernant les rémunérations des policiers ont augmenté de 10.5 % en cinq ans (2006-2011). Alors que dans le même temps, l’augmentation n’était que de 5.1 % dans la gendarmerie et de 4.2 % pour l’ensemble de la fonction publique.

Mais il faut se méfier des chiffres…

Prenons l’exemple d’un capitaine de police avec 20 ans d’ancienneté. Il perçoit un salaire brut mensuel d’environ 2700 €. Si on ajoute les primes (résidence, sujétion, postes difficiles, commandement, etc.) son traitement tourne autour de 3200 €. En sécurité publique, il peut avoir la responsabilité d’une centaine de gradés et gardiens. Cette rémunération est-elle en rapport avec de telles responsabilités ? Je ne le crois pas. Un commissaire qui remplirait les mêmes fonctions coûterait nettement plus cher. Sans parler du privé. Il est vrai que tous les policiers ne sont pas dans cette situation. Certains cocoonent derrière un bureau, les pieds dans un tiroir…

Alors, où est passée cette augmentation de la masse salariale ? La réforme dite des « corps et carrières », entamée en 2004, a notablement faussé la donne en instituant un flux par le haut, qui en a favorisé certains, tandis que d’autres restaient sur le carreau. Je ne sais pas si les officiers de police en devenant cadre A ont fait une bonne affaire, mais ce que je sais, c’est que pas mal aujourd’hui déchantent et fustigent les syndicats qui les ont entraînés dans cette galère. À court terme, ils ont raison. Cette réforme sera sans doute profitable à la génération suivante. Car évidemment, à l’horizon de quelques années (l’horizon des gens qui nous gouvernent se limite à cinq ans), c’est l’employeur qui est gagnant.

Après cette réforme, la police est devenue l’armée mexicaine. Il y avait des chefs partout. Sauf sur le terrain, comme l’a démontré le scandale de la BAC de Marseille. Le nombre des brigadiers a été multiplié par 2.4, tandis que l’effectif des brigadiers-chefs faisait un bond de 84 %. Dans le même temps, les officiers prenaient la mesure de leur nouvelle fonction d’encadrement. Puis, pour rétablir l’équilibre, on a fermé la porte. En une demi-douzaine d’années, le corps des officiers a fondu de 25 %. Le nombre de lieutenants a diminué de 64 %. Or ces lieutenants, que l’on recrute toujours au compte-gouttes, sont l’encadrement de demain. Quant aux commissaires, leur nombre a baissé de 7 %. Ils étaient 1 740 à la fin 2011.

Pour continuer à faire tourner la machine à moindre coût, on s’est mis à recruter des ADS (adjoints de sécurité). Ils sont payés au niveau du SMIC et ils sont plus malléables que leurs ainés. Si j’avais un conseil à donner à un jeune qui n’a pas de diplôme, il y a là une formidable opportunité de faire carrière dans la police. C’est dans ces moments de mutation qu’il faut saisir la balle au bond. L’embauche des personnels administratifs a également augmenté, notamment pour la police scientifique, qui a le vent en poupe (+73 %). Ce qui laisse augurer de la police de demain.

À son arrivée, Manuel Valls a annoncé la fin des suppressions de postes, ce qui veut dire une reprise (probablement timide) du recrutement. Ce qui ne fait pas l’affaire de la Cour des comptes. Du coup, elle préconise une pause salariale, « notamment par la limitation étroite des nouvelles mesures catégorielles et l’encadrement plus rigoureux des mesures d’avancement et de promotion ». Une mauvaise nouvelle pour ceux qui espèrent un avancement : on entrouvre la porte extérieure et l’on cadenasse à l’intérieur.

Ce chambardement des services ne s’est pas fait sans mal. Et cela a entraîné un afflux d’heures supplémentaires récupérables. Il y en aurait 19 millions dans la nature. Une petite bombe à retardement. L’équivalent de 12 000 à 13 000 emplois à temps plein sur une année. Pour les fonctionnaires qui ne peuvent récupérer ces heures, il existe de fait une sorte de compte épargne-temps qui permet d’anticiper le départ en retraite. D’après la Cour de comptes, certains, notamment en PJ, pourraient ainsi partir 18 mois avant l’âge… Cela me paraît beaucoup, mais même s’il s’agit de 3 ou 4 mois, c’est au détriment du service, car durant cette période, ils ne peuvent pas être remplacés.

Comme pour tous les fonctionnaires, les primes disparaissent à l’âge de la retraite. Notre capitaine du début touchera donc environ 2000 € par mois. Et il n’aura pas vraiment le temps de bénéficier de la retraite additionnelle de la fonction publique, la RAFP, mise en place en 2005 (dont la gestion a d’ailleurs été épinglée par la Cour des Comptes) qui devrait capitaliser une somme de 75 milliards, mais d’ici 2050.

L’analyse de la Cour des comptes nous montre que cette réforme des corps (comme d’ailleurs le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur) a été mal préparée. Elle a un petit relent démagogique. Elle a coûté un fric fou et on a fait croire aux policiers à un effet d’aubaine. Dans les faits, pas mal sont restés à la traîne, notamment ceux qui n’étaient pas dans la fourchette haute de leur grade. Ces inégalités ont plombé l’ambiance, ce qui explique en partie la morosité qui pèse sur certains services. C’est peut-être l’une des raisons qui pourrait conduire à une nouvelle réforme, le « corps et carrières II ». L’idée est dans l’air. Et les oreilles des commissaires doivent siffler, car cette fois, on pourrait s’acheminer vers deux corps de police : les sous-officiers et les officiers. À défaut d’une parité dans les rémunérations entre gendarmes et policiers, on aurait au moins la parité des corps. – En attendant la prochaine réforme.

Les tribulations d’un narco-pilote de brousse

Ce 18 novembre 1992, Raymond Boulanger met toute la gomme pour faire décoller son Convair 580. Agrippé au manche à balai, il sait que son avion est trop chargé. Entre le « fret » et la quarantaine de barils d’essence, il est trop lourd de plusieurs tonnes. À peine éclairée, la piste défile sous les roues et, tout au bout, si ça passe pas : la mer. Le temps menace sur la péninsule de Guarija, tout au nord de la Colombie. In extremis, les roues se soulèvent. Tel qu’on l’imagine, Raymond Boulanger a dû éclater d’un rire – « tonitruand » !

Il y a quelques jours, il est sorti de prison. C’est sans doute le plus important passeur de drogue jamais arrêté : 4 343 kilos de cocaïne.

Celui que l’on a surnommé le pilote de Casey est né en 1948, à Rimouski, au Québec. Il a passé son enfance pratiquement sur un aéroport, où sa mère dirigeait une école. « J’ai commencé à voler sur les genoux de mon père, j’avais 8 ou 9 ans », aime-t-il à raconter. Mais c’est en Écosse qu’il a passé son brevet de pilote. Il avait 16 ans.

Un sacré bonhomme, quand même ! Belmondo des années 70. Il aurait été contacté par le cartel de Cali, l’un des plus importants réseaux mafieux de l’Amérique du Sud (démantelé en 1995), alors qu’il travaillait pour la CIA. L’agence appréciait ses qualités de pilote de brousse. On dit même qu’il aurait accompli quelques raids armés pour le compte des services secrets américains lorsque ceux-ci, de crainte de voir s’instaurer un régime communiste au Nicaragua, cherchaient à neutraliser les guérilleros de Daniel Ortega.

Une fois en altitude, la tension retombée, Raymond Boulanger se connecte pour capter le trafic des autorités. Un « drug flight »  est signalé. Peu après, par radio, l’un des membres du cartel lui lance « Tieni cola ! (T’as une queue !) ». Aussitôt, il change son plan de vol et bifurque vers l’est, au-dessus de l’Atlantique. Mais cette fois, c’est la météo qui s’en mêle. Une tempête à environ 200 miles au nord-est des Bermudes, avec un vent de face de 150 nœuds. Pendant plus d’une heure, dans le cockpit, le pilote et le copilote se battent contre les éléments déchainés, tandis qu’à l’arrière, les deux membres de l’équipage transvasent le carburant des barils aux réservoirs à  l’aide d’un système de tuyauterie rudimentaire. L’avion pique alors vers la Nouvelle-Écosse. Soudain, un nouveau danger surgit ! Boulanger surprend les échanges radio de deux F-18 de l’armée canadienne. Les pilotes informent leur PC qu’ils ont capté le suspect sur leur radar. « Ils volaient à une vitesse de 1.8 mach. Ce qui n’était pas une manœuvre brillante parce qu’ils ont gaspillé du carburant pour rien. Ils auraient pu attendre et m’intercepter lorsque j’étais proche du Nouveau-Brunswick », dit-il. Effectivement, l’un des appareils est contraint de cesser la poursuite. L’autre s’approche alors tout près de l’avion-cargo. « Il était au bout de mon aile. Le pilote me faisait signe de descendre avec le pouce en bas. » On imagine la réponse du ruffian, le médius en haut. Mais il se contente de rapporter qu’il a fait un « bye-bye » ironique au pilote de chasse, sachant qu’il devait décrocher à son tour au risque de n’avoir plus assez de carburant pour retourner à sa base.

Neuf heures après son décollage, Raymond Boulanger atteint enfin le Québec et atterrit sans encombre à Casey, sur une vieille piste abandonnée. Plus tard, c’est une histoire qu’il racontera à ses enfants dans le lieu paradisiaque où, sans doute, il compte se retirer, fortune faite. Car ce convoyage doit lui rapporter gros : 5 millions de dollars pour le vol et 2 % du total de la vente, un montant estimé selon certains à un milliard de dollars et selon d’autres à 2.5 milliards. Les hommes de Vito Rizzuto, le chef de la mafia québécoise, doivent l’attendre, prêts à charger la marchandise sur des camions, comme la dernière fois. Un autre voyage, quelques mois auparavant, seulement 500 kilos de came. Il pilotait alors un petit avion dont les sièges avaient été remplacés par des jerrycans d’essence. En une demi-heure, la cargaison avait été débarquée et il avait pu reprendre les airs. Ni vu ni connu. Un coup d’essai, mais pas un coup pour rien, car il avait quand même encaissé 1.5 million de dollars.

Mais cette fois, il n’y a personne. Les hommes de la mafia québécoise ont préféré ne pas trop traîner dans le secteur. Les quatre trafiquants poireautent en vain une bonne heure. Puis, ils décident de faire du stop pour rejoindre un lieu habité. De là, ils téléphonent à leurs complices, mais personne ne répond. Déconfits, ils reviennent près de l’avion. Impossible de redécoller. Ils sont bloqués. En désespoir de cause, Boulanger retourne au garage d’où il a téléphoné tout à l’heure pour commander un avion-taxi. Serviable (avec toutefois un gros pourboire à la clé), le mécanicien les ramène sur la piste d’atterrissage. Une vingtaine de minutes plus tard, les deux F-18 font un rase-motte au-dessus de leur tête. « J’ai alors su que tout était fini », dit Raymond Boulanger. Les trois Colombiens ont dû penser la même chose car ils grimpent dans le pick-up du garagiste et démarrent à toute allure. Ils ne vont pas loin, le véhicule s’enlise dans la neige. Ils l’abandonnent et prennent la fuite à pied. En sandales. Il fait -30°. Je suis sûr qu’ils ont dû être heureux de voir les policiers arriver ! Lorsqu’ils leur mettent la main au collet, ils sont quasi morts de froid.

Plus loin, deux hommes ont également été arrêtés à un barrage routier, dont l’un Christian Deschênes, est un associé de Vito Rizzuto (dont le père a été abattu en novembre 2010).

Boulanger, lui, est resté sur place.

Le Corvair 580 de R. Boulanger (capture d’écran TVA-Nouvelles)

Il contemple son avion et son précieux chargement. Il a du mal à quitter ses rêves. Puis, il réagit. Il tente de trouver quelqu’un pour le conduire à Montréal. Personne n’accepte : la GRC (gendarmerie royale du Canada) a donné des consignes. Il est tellement sûr de se faire arrêter, qu’il enterre l’argent qu’il a sur lui, environ deux millions de pesos.

Alors, il s’assoit et sirote un café. Lorsque les gendarmes arrivent, il ne cherche pas à s’enfuir. Il est mené au camp forestier, transformé en prison provisoire. Lorsqu’il en sort, solidement encadré, pour être conduit à Montréal, son clin d’œil aux journalistes va le rendre célèbre.

Jugé l’année suivante, il écope de 23 ans d’emprisonnement. La plus lourde peine jamais infligée au Canada pour un trafiquant de stups. Il aurait sans doute pu négocier en donnant quelques noms, mais il s’est tu. Et son silence lui a valu la reconnaissance tout aussi silencieuse mais néanmoins efficace des narcotrafiquants.

En 1998, il profite d’une permission de 4 jours pour se faire la belle. Il retourne en Colombie où il prépare un « voyage » pour le compte des FARC, mais un pneu de son avion éclate au décollage. Le temps de la réparation, alors qu’il se promène en ville, il est kidnappé par un autre groupe de rebelles qui le prennent pour un Gringo. C’est la mafia qui aurait payé sa rançon (mais où commence la légende ?). En tout cas, 18 mois après son évasion, la police colombienne lui met le grappin dessus et il est extradé vers le Canada.

En 2001, alors qu’il effectue des travaux pour la communauté, il rebelote. Une deuxième cavale au cours de laquelle on ne sait pas trop ce qu’il a fait. Il serait allé au Mexique pour mettre de l’ordre dans ses affaires. Un business plus classique, peut-être ! Il est finalement arrêté à Montréal, où il est venu voir son père, malade.

À 65 ans, cet aventurier remplit en prison la modeste fonction de commis à l’entretien. Pour un salaire de 6.95 dollars par jour. Dans sa cellule, il découvre le plaisir de peindre. À des journalistes venus l’interviewer, il déclare « Je suis tellement proche de la fin et j’ai payé le bill. Les vols pour les cartels, ça a été une partie de ma vie, mais c’est enterré. C’est fini ». Pourtant, il ne regrette rien, si ce n’est de s’être fait prendre. Il n’a aucun problème avec ses valeurs morales, « pas plus que les gouvernements ailleurs dans le monde […] dans leur soi-disant démocratie ». Raymond Boulanger milite dans un mouvement pour la décriminalisation des drogues.

Il affirme qu’il a des rêves simples, comme aller à la pêche ou retaper de vieux coucous. Il envisage d’ailleurs d’acheter une maison en Gaspésie. Ne dit-on pas que c’est la terre d’accueil des Micmacs !

Vacations : lorsque policiers et gendarmes font payer leurs services

Le 15 mars, c’est la fin de la trêve hivernale pour les gens qui ne peuvent plus régler leur loyer. On peut craindre qu’ils soient de plus en plus nombreux. Heureusement, nos élus s’en inquiètent. Ainsi, un député vient de poser une question écrite au ministre de l’Intérieur : Pourquoi existe-t-il une différence de traitement entre les policiers et les gendarmes lorsqu’ils assistent un huissier de justice dans le cadre d’une expulsion ?

Eh oui, braves gens ! Lorsque nos forces de l’ordre assistent un huissier pour une expulsion, celui-ci facture des frais à son « client », ce qu’on appelle une vacation, dont le montant varie selon le nombre de taux de base (valeur 2.2 €). Avec un maximum de 33 euros pour les policiers et seulement 11 euros pour les gendarmes.

Cet argent ne va pas directement dans leur poche, mais atterrit dans un fonds de concours. Comme chacun le sait, les ministères peuvent, s’ils le souhaitent, ouvrir un « fonds de concours et d’attribution de produits ». Cette caisse est alimentée par des rentrées non fiscales, des donations, des legs, etc. ; et par des recettes qui correspondent à des prestations diverses. Je ne sais pas si l’Intérieur reçoit beaucoup de donations, d’autant que cela ne doit pas être défiscalisé, mais son fonds est quand même bien garni. Même si l’année dernière la branche « sécurité » n’a pas tenu ses objectifs. Les temps sont durs. Heureusement, il reste l’assistance aux productions audiovisuelles, la mise à disposition de moyens pour une course cycliste, une manifestation sportive, etc. Et les vacations d’huissier.

Les vacations funéraires suivent le même chemin. Longtemps, les morts ont été une véritable manne pour certains commissaires de police. Il n’était pas rare de voir les têtes de liste des promos de l’École de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or choisir un poste dans une circonscription en fonction de l’importance de son hôpital. Choix un peu affligeant pour des jeunes gens qui embrassaient une carrière au service de la société… Mais dès que l’on parle fric, le cynisme est de mise. Ce n’est pas Monsieur Mittal qui me contredira.

À l’époque, chaque mise en bière nécessitait la pose d’un scellé.  Donc, le paiement d’une vacation. Mais ces dernières années, les formalités ont été simplifiées. L’intervention de la police se limite à présent à sceller le cercueil lorsque le défunt est transporté hors de la commune de décès ou s’il est destiné à la crémation. La surveillance officielle est également de mise pour les opérations d’exhumation.

Si à Paris, dans le temps, il existait un système de répartition pour les vacations funéraires, il n’en était pas de même en province. Puis, les choses ont évolué. Les sommes ont été déposées sur un compte ouvert auprès d’un comptable public et réparties entre les policiers ayant participé à l’opération et une caisse de solidarité des commissaires de police.

Aujourd’hui, les vacations (autour de 20/25 euros) sont versées à la recette municipale à charge pour le maire de faire suivre les fonds au ministère de l’Intérieur lorsque l’opération a été assurée par un fonctionnaire de la police nationale.

Par une bizarrerie qui résulte d’un assemblage à la va-vite, les gendarmes ne peuvent toujours pas effectuer de vacations funéraires. Dans les communes où la police nationale est absente, cette tâche revient donc au garde-champêtre ou à un représentant de la police municipale. À défaut, dans les petites communes, c’est un élu de la municipalité qui doit se déplacer (il n’est pas défrayé).

Depuis 1996, le produit des vacations funéraires et des vacations d’huissier est donc versé au fonds de concours du ministère de l’Intérieur. À l’époque, les commissaires ont renâclé. Dans les « bonnes villes » (beaucoup d’HLM et un grand hôpital), il était possible de doubler son traitement. Pour faire passer la pilule, magnanimes, les députés ont rajouté quelques lignes dans la loi de finances afin de compenser leur manque à gagner par une allocation spéciale.

Si certains y ont laissé des plumes, l’image des commissaires s’est éclaircie. La corporation en avait besoin, car cette course aux pourboires des patrons de sécurité publique avait quelque chose de pernicieux.

Je me souviens, alors que j’étais stagiaire, de ce commissaire divisionnaire de Poissy qui m’avait fait passer pour le serrurier lors d’une saisie mobilière. Je suppose que lui et l’huissier de justice s’étaient ensuite partagé les quelques dizaines de francs supplémentaires facturés à cette famille surendettée !

Pourtant, il n’était pas méchant. Il était juste dans le système. Un système qui a fonctionné durant des dizaines d’années au détriment de la bonne gestion des commissariats. Tous les anciens se souviennent du sourire en coin des gardiens de la paix, lorsqu’on leur demandait où était le commissaire… Ces temps sont révolus, et même si on la critique souvent, et même si on jabote, la police d’aujourd’hui est devenue plus fonctionnelle. Moins de poésie, mais plus d’efficacité.

J’ai l’AD-haine

Il y a une dizaine de jours, à Marseille, deux frères jumeaux âgés de 25 ans ont été mis en examen et écroués pour une série de viols et d’agressions sexuelles. Ils ont été confondus par leur ADN. Mais lequel des deux est le coupable ? Une question à laquelle la police scientifique ne peut répondre. Et qui pourrait cependant devenir de moins en moins exceptionnelle, puisque le nombre de jumeaux ne cesse d’augmenter. En une quarantaine d’années, il a presque doublé en France – même s’ils ne sont pas tous monozygotes. Les techniques actuelles de la police scientifique ne sont pas assez fines pour prendre en compte ces cas particuliers. Pour faire la distinction entre les deux hommes, il faudrait faire appel à un labo privé et la facture pourrait monter à plusieurs centaines de milliers d’euros. Comme le dit Simoneduchmole sur Twitter, le bon vieux bottin coûtait quand même moins cher…

Extrait du livre « Notre ADN et nous », aux éditions Vuibert

Les journalistes ont relaté cette affaire sans étonnement (la presse serait-elle blasée ?), comme si l’on pouvait mettre deux suspects à l’ombre sous le prétexte que l’un est forcément coupable. Il existe bien sûr d’autres charges contre eux, sinon le juge d’instruction aurait une bizarre conception de la justice.

Pourtant, dès que l’on parle d’ADN, les excès ne sont pas rares, tant du côté de la police, de la gendarmerie que de la justice. Ainsi, lorsqu’un magistrat décide de passer tous les mâles d’un village breton au tamis pour tenter d’identifier un incendiaire, ne dépasse-t-il pas les bornes ?

Ce n’est probablement pas l’avis de la Chancellerie, puisque dans l’enquête sur le viol et le meurtre d’une collégienne anglaise, Caroline Dickinson, en 1996, le juge chargé du dossier qui avait refusé d’effectuer un test systématique a été remplacé par son collègue Van Ruymbeke, qui, lui, ne fait pas dans la dentelle. Si la pêche au filet n’a pas permis d’identifier le meurtrier, l’assassin a néanmoins été démasqué par ses gènes – mais grâce à une enquête des plus traditionnelles.

Le coton-tige n’a rien d’une baguette magique ! Bien sûr, je n’ai pas la haine de l’ADN (je n’ai pas résisté à ce titre), c’est un formidable atout pour découvrir les criminels, mais il faut prendre garde de ne pas tomber dans l’excès de confiance. La police scientifique ne doit pas engourdir « les petites cellules grises » chères à Hercule Poirot. Ainsi, ce mégot que l’on jette (à tort) dans le caniveau pourrait très bien se retrouver sur la scène d’un crime. Et l’on aura beau crier son innocence, sans alibi béton, on risque fort de passer quelques jours de vacances dans un hôtel Taubira.

Comme le dit en résumé le commissaire Cécile Moral, du service régional d’Identité judiciaire de Paris, dans la revue PPrama, le rôle de l’Identité judiciaire consiste à remettre des éléments aux enquêteurs, à eux d’en faire bon usage. Et tant pis pour les séries télé.

Chez nous, le législateur a tenté de placer des garde-fous en limitant l’utilisation du fichier national (FNAEG) à la simple comparaison. Un peu comme pour les empreintes digitales. Un seul marqueur est archivé : celui qui correspond au sexe. Toutefois, les prélèvements sont soigneusement conservés. L’enregistrement des traces est effectué pour les condamnés et les mis en cause pour les crimes et les délits énumérés à l’article 706-55 du Code de procédure pénale. Si l’ADN d’un simple suspect peut être prélevé pour réaliser un rapprochement, la formulation ne doit pas être introduite dans la base de données. Si l’on revient un instant sur l’affaire de l’incendiaire du Morbihan, les habitants de Larmor-Baden sont-ils tous des suspects ? La réponse est non. Les enquêteurs doivent donc obtenir leur consentement pour effectuer un prélèvement salivaire. Et – à mon avis – si l’un d’eux refuse, la sanction de l’article 706-56 du CPP (1 an de prison et 15 000 € d’amende) ne s’applique pas. On peut en discuter à l’infini, mais cela ne vaut pas le coup, puisque ledit réfractaire deviendrait illico un suspect. Il serait donc tenu de se soumettre. Et la boucle serait bouclée.

Faut-il s’inquiéter de l’archivage de notre ADN ? Je crois que oui. D’abord, parce que l’on touche à notre moi profond et surtout, parce qu’on est à l’aube d’un gigantesque marché industriel. « L’accroissement massif de la quantité d’information disponible sur l’ADN humain est l’émergence d’une nouvelle industrie basée sur l’exploitation de ces données », écrit le professeur Colin Masters dans son livre Notre ADN et nous (Ed. Vuibert). Par simple rapprochement d’idées, on se souvient que lors de la discussion de la dernière loi sur la sécurité (Loppsi 2, en 2011), M Hortefeux avait envisagé de créer un fonds alimenté par les compagnies d’assurance  pour assurer le financement du FNAEG. J’ai comme l’impression que notre patrimoine génétique excite bien des convoitises. Cela va bien au-delà d’un simple fichier de police.

Allez, ceux qui se plaignent du flicage de notre société n’ont encore rien vu !

Le journaliste scientifique Pierre Barthélémy, sur son blog, Passeur de sciences, nous raconte qu’une artiste new-yorkaise, en partant de quelques mégots et d’un chewing-gum récupérés au hasard dans la rue, a réussi à reconstituer le visage de leurs propriétaires respectifs. L’anecdote est exagérée. On ne peut évidemment pas (pas encore) reconstituer un visage à partir d’un prélèvement ADN. Mais il est possible d’établir des éléments distinctifs : l’origine ethnique, le sexe, la couleur de la peau, des yeux, des cheveux… Autant d’éléments qui peuvent venir compléter des témoignages visuels pour dresser un portrait-robot pas très éloigné d’une photographie. Et demain, le résultat pourra être introduit dans l’informatique d’un système de vidéosurveillance pour une détection quasi automatique.

L’affaire Boulin revue par France 3 : dérapage ou faits nouveaux ?

En diffusant à une heure de forte audience un téléfilm soutenant la thèse de l’assassinat de Robert Boulin, France 3 pose une vraie question : Quelle est la limite entre la fiction et la diffamation ?

François Berléand dans le rôle de Robert Boulin

Je sais bien que pour de nombreuses personnes la mort de M. Boulin est un assassinat perpétré par des hommes de main agissant pour le compte de personnages en vue ; selon les versions, soit parce que le président Giscard d’Estaing voulait faire de ce gaulliste son Premier ministre, soit parce qu’il menaçait de dévoiler des magouilles dans le financement de partis politiques. Certains ont fait de cette thèse leur gagne-pain. Chacun a, évidement, le droit de penser ce qu’il veut – et de le dire.

Sous certaines réserves.

Ainsi, lorsque les faits sont présentés dans une fiction, jouée au demeurant par de remarquables comédiens, cela prend une tout autre dimension. On nous a donc présenté mardi, sur une chaîne publique, en prime time un téléfilm mettant en scène l’assassinat de Robert Boulin (alors qu’un documentaire relatant des faits plus étayés avait été diffusé en deuxième partie de soirée, la veille). Un assassinat fomenté par plusieurs personnalités politiques de droite nettement désignées. Malgré l’avertissement du pré-générique, les choses sont claires : on sait qui a commandité le meurtre. Certains des protagonistes sont aujourd’hui morts, d’autres sont vivants. J’imagine la tête de la petite-fille de l’un d’entre eux arrivant à l’école pour s’entendre dire : « Alors, c’est vrai que ton papy a tué Boulin ? »

Dans ce film, Messieurs Sanguinetti, Pasqua, Foccart, Debizet, Chirac, etc., sont identifiés comme les instigateurs. Les exécutants, eux, sont des membres du SAC. Et si ce crime reste impuni, c’est grâce à la complicité de plusieurs magistrats, de deux médecins légistes et de dizaines de policiers de la PJ de Versailles.

De plus, dans le débat qui a suivi, Jean Charbonnel, ancien ministre et ami de Robert Boulin, nous révèle qu’Alexandre Sanguinetti (mort en 1980) lui a donné les noms « de deux personnalités politiques toujours vivantes » qui auraient participé à ce complot. Noms qu’il refuse de communiquer, sauf à un juge d’instruction.

A partir de là, il n’y a que deux solutions : soit on rouvre le dossier pour recueillir le témoignage de tous ces gens (aussi bien les accusateurs que les accusés) ; soit on poursuit en diffamation ceux qui portent « atteinte à l’honneur et à la considération » des personnes incriminées dans ce scénario. Mais l’article 29 de la loi sur la presse s’applique-t-il à une fiction diffusée sur une chaîne de télévision ?

La police face aux parents d’enfants disparus

La mère de la petite Typhaine et son compagnon viennent d’être respectivement condamnés à 30 ans de réclusion. Au cours du procès, des propos terribles ont été tenus : l’enfant ne parvenait pas à dormir, sa mère, Anne-Sophie Faucheur, lui assène alors une série de coups. Puis elle enfile des baskets avant de la frapper de nouveau, cette fois, au ventre. Pendant ce temps, Nicolas Willot, son compagnon, maintient Typhaine. Elle n’a que 5 ans. Pourtant, au mois de juin 2012, devant les caméras, ce couple faisait pitié en implorant qu’on leur rende leur enfant. Aussi, devant la Cour d’assises, lorsque l’expert psychiatrique affirme qu’il n’existait pas chez la mère « une volonté consciente, claire, affirmée » de tuer sa fille, on comprend bien que les jurés soient restés dubitatifs.

Il y a quelques jours, en Seine-et-Marne, ce sont les parents d’une fillette de deux ans, disparue en 2011, qui ont été mis en examen pour homicide volontaire. Elle était enterrée (son corps n’a pas été formellement identifié à ce jour) à 500 mètres de leur domicile.

Ces affaires, et bien d’autres, attirent l’attention sur les difficultés que rencontrent les policiers ou les gendarmes lorsqu’ils sont confrontés à la disparition d’un enfant. Il n’est pas facile de rester de marbre devant des parents qui sont au désespoir. Et pourtant, pas question de céder à l’empathie ou au moindre sentiment qui pourrait brouiller le jugement. Entre les pleurs de parents coupables et ceux de parents accablés de douleur, comment faire la différence ? Et souvent, au sein même du groupe des enquêteurs, les avis sont partagés.

Il n’y a pas de formule miracle. Pas de profileur magique, comme dans les séries télé. Ici, même la police scientifique marque le pas et doit laisser la place aux vieilles méthodes : le flair ou la technique en apparence éculée du bon et du méchant flic. Ainsi, après la disparition de Typhaine, les policiers du SRPJ de Lille ont placé le couple en garde à vue durant quelques heures, puis l’ont relâché. Car la pratique montre que ce n’est pas le moment opportun pour obtenir des aveux. Dans ces affaires où l’on se rapproche de l’infanticide, le déni est trop important. Une enquête qui démarre sur des certitudes finit souvent en déconfiture.

Et il ne faut pas se tromper de priorité : d’abord, retrouver l’enfant. Mais, le temps de l’urgence révolu, les investigations traditionnelles reprennent leurs droits : vérifications, témoignages, recoupements, reconstitution,  planques, filatures, surveillances techniques, etc. C’est qui s’est passé pour Typhaine. Et les comptes-rendus de surveillance sont accablants. « Faire des blagues salaces sur la juge d’instruction, se masturber le soir en webcam sur des sites porno, aller sur des sites de rencontre, danser à un baptême, à un mariage, faire la fête, faire des dîners, faire des projets de mariage… Tout ce qu’on voyait en sous-marin était loin, très loin de l’image du couple dévasté qu’ils avaient voulu donner en conférence de presse », déclare un policier à la barre de la Cour d’assises.

Les policiers savent, mais ils n’interviennent pas. À défaut de preuves, ils accumulent des éléments. Et, sans doute pour mieux mettre Anne-Sophie Faucheur et Nicolas Willot en confiance, le juge d’instruction les convoque pour les entendre en tant que partie civile. « Ça veut dire qu’on reconnaît leur qualité de victimes », dira alors leur avocat.

Le piège se referme. Devant un jeune policier, un nouveau visage, la maman laisse échapper qu’elle a vu sa fille mourir. Elle parle d’un accident. Un premier aveu, ou plutôt une confidence. Il ne reste plus qu’à tirer doucement sur le fil. Du grand art.

Dans ce type d’enquête, on marche sur des œufs. La hantise, c’est de se tromper et de passer à côté de la moindre chance de sauver l’enfant. Car l’expérience ne joue pas vraiment tant chaque situation est différente. Ainsi, lors de la disparition du petit Antoine, le 11 septembre 2008, les enquêteurs ont d’abord pensé à une fugue. Trois jours plus tard, le procureur déclare : « Plus le temps passe, plus l’hypothèse de la fugue perd de la consistance… » Une douzaine de jours après les faits, la mère de l’enfant, Alexandrine Brugerolle de Fraissinette, et plusieurs personnes de son entourage, sont placées en garde à vue. L’appartement de la jeune femme est investi par les techniciens de l’identité judiciaire. Les murs sont sondés, des lamelles de parquet soulevées, les lieux passés à la lumière fluorescente. Deux petites gouttes de sang, minuscules, d’un millimètre de circonférence, sont finalement détectées près de l’interrupteur, dans la chambre d’Antoine. Et c’est tout. Autrement dit, rien ! « Il faut tout reprendre à zéro » , déclare l’un des responsables de l’enquête. Aujourd’hui, le dossier n’est pas classé, bien sûr ! D’ailleurs, récemment, la mère a été de nouveau placée en garde à vue. Mais on ne sait toujours pas ce qui est arrivé au petit Antoine. Il avait 6 ans et ½.

Dans l’affaire de la petite Maddie, disparue le 3 mai 2007, au Portugal, on touche aux limites de l’absurde. Un flic y a laissé sa carrière : le commissaire Gonçalo Amaral. Dès le début de l’enquête, il relève des contradictions dans les déclarations des parents, les McCann, des britanniques en vacances, qui tout de suite cherchent à se protéger en prenant contact avec les autorités de leur pays. Le policier pense à une mort accidentelle de la petite fille que les parents auraient dissimulée en laissant croire à un enlèvement. Mais il n’est pas suivi par sa hiérarchie. Viré de la police note pour avoir fait part de ses doutes à des journalistes, il a écrit un livre pour expliquer sa thèse. Aujourd’hui, ruiné, il doit se battre contre les avocats des McCann qui lui réclament 1.2 million de livres de réparations civiles.  À noter que le procès qui devait avoir lieu prochainement a été ajourné. Y aurait-il de nouveaux éléments dans cette enquête qui a fait la Une des journaux du monde entier ?

En France, les policiers et les gendarmes possèdent toutes les armes juridiques pour enquêter sur la disparition d’un enfant (ou d’un majeur protégé). Avec un principe : tout signalement doit être considéré comme une disparition inquiétante et doit donner lieu à une enquête. S’il existe un désaccord entre eux et les déclarants, il appartient au procureur de trancher. Et dès qu’apparaît le moindre indice qui laisserait supposer une infraction, ce dernier actionne la procédure de flagrant délit. Avec les pouvoirs qui vont avec. Si au bout de quelques jours, l’enfant n’est toujours pas retrouvé, il peut ouvrir une information judiciaire ou décider de poursuivre les recherches en préliminaire.

Devant la disparition d’un enfant, plus que dans toute autre affaire, le procureur est l’élément clé. Il décide à chaud. C’est d’ailleurs lui qui détermine s’il faut déclencher l’alerte enlèvement. Souvent, le résultat de l’enquête dépendra de la justesse de ses décisions, de la symbiose entre lui et les policiers ou les gendarmes et aussi… de son aptitude à résister à la pression des médias.

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