Julien Dray voit rouge. Il menace les medias de poursuites devant les tribunaux et l’un de ses avocats a annoncé que des citations visant notamment Le Monde, Midi Libre et Le Journal du Dimanche, étaient en chantier. Le Monde est d’ailleurs sur la sellette, car on apprend que le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour identifier les auteurs des fuites qui ont permis au quotidien de dévoiler (en décembre) le pot aux roses.
Je n’ose à peine imaginer ce qui attend L’Est Républicain. Ce matin, ce journal a mis sur son site (ici) la reproduction intégrale d’un rapport de TRACFIN.
Ce rapport de 37 pages est accablant pour Julien Dray et ses comparses.
On y découvre par exemple qu’il détenait des comptes bancaires au fonctionnement atypique (dico : non conforme au comportement habituel) et une carte American Express Centurion (pub : la carte dont raffole les grands dirigeants) avec des achats multiples d’objets de grand luxe (Hermes, Breguet, Dunhill, Patek philippe, Van Cleef, cartier…). Pour plus de 300.000 € en 3 ans.
Le rédacteur du rapport conclut : « L’ensemble des opérations analysées suscite les interrogations de TRACFIN quant à leur logique économique et pourrait laisser présumer la commission d’agissements délictuels.
Sous réserve de votre appréciation, seule une enquête judiciaire permettrait de justifier les flux financiers précités ou, a contrario, d’établir le lien entre ces mouvements et d’éventuelles infractions. »
Alors, sans prendre la défense de Julien Dray, qu’on sent assez mal dans cette affaire, on est droit de se poser des questions… Ce rapport est probablement destiné à Madame Christine Lagarde, est-il dans les prérogatives d’un ministre des Finances « d’apprécier » le bien-fondé d’une enquête judiciaire ? D’autant que l’article 40 du Code de procédure pénale impose à tout fonctionnaire qui dans l’exercice de ses fonctions découvre l’existence d’un crime ou d’un délit d’en informer le procureur de la République. Et comment justifier qu’on retrouve ledit rapport sur le site d’un grand journal de l’est de la France (journal qui appartient, ça ne s’invente pas, à « la banque à qui parler ») ?
Enfin, et j’allais dire surtout, a-t-on créé TRACFIN pour que ses fonctionnaires viennent farfouiller dans les comptes d’une association, d’une fédération et d’un député, pour tenter d’y déceler des magouilles franco-françaises ?
Si c’est le cas, comme on vient d’apprendre par ailleurs que plus de 4.000 postes de policiers allaient être supprimés, plutôt que de fermer des commissariats, autant rayer de l’organigramme de la police judiciaire « la sous-direction des affaires économiques et financières ».
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Remerciements à Nicolas, pour son commentaire (ici) destiné à me faire rebondir. C’est gagné…
L’ordonnance du 3O janvier 2009 change tout : L’obligation déclarative à Tracfin porte sur tout délit susceptible d’entrainer une peine de plus d’un an, c’est à dire toute fraude fiscale (CGI 1741).
A réception de la dénonciation, les agents de Tracfin doivent déclarer au Parquet en vertu de l’article 40 du Code de Procédure Pénale et de l’article L.562-4 du Code Monétaire et financier…Et Le Parquet lui même doit déclarer au fisc et donc à Bercy en vertu de l’article L.101 du Livre des procédures fiscales !
Big Brother a encore de beaux jours devant lui !!!
Je pense que vous devez être plus familier du Code de Procédure pénal que du Code Monétaire et Financier. Les rapports rédigés par TRACFIN sont destiné à être transmis au Parquet, et en aucune manière au Ministre de l’Intérieur.
Et pour information, TRACFIN est rattaché au Ministère des Finances….
Pour en revenir à l’affaire DRAY, à votre avis qui a dit : « On ne laissera pas passer cette affaire. N’attendez pas de nous la complaisance ou le silence » Il s’agit du député socialiste, et pas des moindres, Jean-Marc Ayrault.
Qui a dit également : « (Monsieur X), qui est un homme courageux et pas trop langue de bois (…), doit s’expliquer publiquement, avant même quelque procès que ce soit ». Il s’agit cette fois du député vert Yves Cochet.
Mais de qui parle t-il de la sorte ? De Monsieur DRAY ? Surtout pas, malheureux. De Monsieur KOUCHNER qui aurait commis quelques « maladresses » en Afrique.
Bizarre tout de même cette disparité de traitement. Vous ne trouvez pas ?
@ Clafoutis
Ce n’est pas Monsieur Moréas qui vous a répondu mais bien moi, Nicolas. Mais je pense que l’animateur de ce blog vous aurait éclairé de la même façon.
Il est évident que le changement envisagé de mode de prescription peut paraître beaucoup plus avantageux pour les auteurs d’abus de biens sociaux. Et c’est sans doute le cas. Mais j’avais oublié de préciser dans mon précédent billet que la prescription serait portée à 5 ans (contre 3 ans actuellement comme tout délit). Tout est donc très relatif.
De plus les personnes jugées pour des ABS commis une dizaine d’années plus tôt bénéficient souvent d’une sorte de droit à l’oubli. On l’accepte pour certains délinquants, pourquoi pas pour les auteurs d’ABS ?
Et puis il y a une petite astuce qui pourrait contourner (dans certains cas) le système : le recours au délit de recel d’ABS, cette infraction étant continue et le délai de prescription ne courant qu’à partir du moment où le recéleur n’est plus au possession de l’objet du délit.
@ M. Moréas
Merci pour ces précisions. Et d’accord : vous n’avez pas dit que la différence était « mineure », vous avez parlé de « remaniement »… J’ai toujours eu du mal à distinguer litote et euphémisme.
Si je comprends bien, la notion de « dissimulation » était un garde-fou que l’on voudrait faire disparaître, permettant ainsi d’accélérer la prescription.
Cela conduit donc bien, de facto, sinon à la dépénalisation des délits financiers – qui serait de mauvais effet dans les circonstances actuelles – mais à la possibilité de se mettre en position de ne plus pouvoir juger les délits…
Pas mal vu.
Au fait, un des heureux et récents bénéficiaires de la Légion d’honneur, a-t-il été sélectionné pour son incompétence ou pour sa malhonnêteté ?
Dans Le Monde il avait déclaré choisir l’incompétence… Son papa ne l’aurait-il pas bien formé ?
Merci encore et continuez de nous éclairer.
@ Clafoutis
Je crois que les choses sont un peu plus compliquées, à savoir que bien souvent les tribunaux retiennent aujourd’hui la notion de « dissimulation ». C’est à dire que si l’ABS a été dissimulé, la prescription retenue reste celle relative au jour de découverte des faits. Si l’ABS n’est pas dissimulé (donc a contrario relativement facile à constater), le prescription commencerait à courir le jour où les tiers ont pu en avoir connaissance (lors par exemple de la publication des comptes ou de la tenue de l’assemblée générale des associés).
Je crois que la dissimulation est très souvent retenue.
Je crois enfin que le nouveau régime en préparation fait disparaitre cette notion jurisprudentielle de « dissimulation » et retiendrait (sous toute réserve) le jour de la présentation des comptes de l’exercice concerné.
Et personne n’a dit que cette différence était mineure.
@ M. Moréas
« L’infraction reine, à savoir l’abus de biens sociaux, ne serait pas dépénalisée, seule son régime de prescription ferait l’objet d’un remaniement. »
C’est bien le problème. Le délai de prescripion court actuellement à compter de la constatation des faits. Tant qu’ils ne sont pas découverts, il n’y a pas d’infraction et donc pas de délai de prescrition qui s’écoule. Le « remaniement » évoqué sera sans doute de revenir à la pratique ancienne : le délai de prescription courrait depuis la date de commission des faits, même s’ils ne sont découverts que 10 ans plus tard…
Il suffit donc que TracFin, puis le ministre des finances, puis le procureur (surtout dans son nouveau rôle, tel que décidé avant même la publication des conclusions de la commission chargée du problème de la réforme de l’instruction) traîne un peu les pieds et la prescription est acquise. Circulez…
C’est mineur, ça ?
Au fait où est est le possible délit d’initié(s) d’EADS, aux dépens de la Caisse des Dépôts (c’est à dire de vous et moi, et d’autres)? Ca traîne, ça traîne…
J’ai tort ?
Ethique a parfaitement raison, l’attitude des établissements bancaires en charge de gérer notamment les comptes de Monsieur DRAY appelle à interrogations. Mais peut-être est-ce eux qui finalement, devant l’ampleur des faits, ont transmis à Tracfin les bonnes infos, passant (à contre-coeur ?) outre la qualité de leur client.
Merci Fc, l’article était donc indisponible de manière temporaire, peut-être le temps suffisant pour le rédacteur en chef du Monde de prendre la décision de le remettre en ligne ?!
Ce 21 janvier à 9 heures…, in le billet de l’Odéon :
http://davidetceline.over-blog.com/
L’article du Monde est toujours disponible (pour l’instant) à l’adresse :
http://www.lemonde.fr/politique/article/2009/01/14/les-depenses-de-julien-dray-pointees-par-tracfin_1141493_823448.html
Cher Monsieur Moréas,
Plutôt d’accord avec votre article sauf son avant dernier § (l’utilité de Tracfin).
Il faut savoir, que quand on est modeste patron de PME, on doit se fendre de répondre aux investigations de sa propre banque qui doit mettre en œuvre ses « meilleurs moyens » pour détecter des « fonctionnements atypiques ».
Pour les gens honnêtes, ces demandes sont un pensum.Pourtant nous expliquons à qui nous effectuons des règlements..
Ce que je critique donc ici, ce n’est pas tant l’attitude de TRACFIN qui fait bien son travail, mais plutôt la coupable complicité des établissements bancaires teneurs des comptes de toute la bande de conjurés(J.Dray, N.Fortis, T.Persuy et Sarah Benichou)qui n’ont pas opéré le moindre signalement sur la période étudiée (2005-2008).
Cette complicité est scandaleuse et a permis non seulement de couvrir les errements de cette bande organisée, mais aussi de leur laisser croire qu’ils ne seraient jamais sanctionnés.
Voici donc venu le moment de « passer à la caisse »,c’est l’apanage des démocraties de demander des comptes à leurs élus (à défaut de les envoyer en taule !)
On ne sait pas a qui le document est adresse mais je crois savoir que si TRACFIN a des doutes, c’est au procureur de la République qu’elle s’en ouvre ledit Procureur statuant, comme c’est sa fonction, sur l’opportunité d’ouvrir ou pas une enquête et déterminant sa nature préliminaire ou judiciaire s’il estime qu’il y a matière. Il est douteux que le Procureur estime qu’il n’y a pas matière. L’ouverture directement d’une enquête judiciaire sans passer par le stade préliminaire tendrait à montrer que le Procureur estime la cas assez clair et qu’il n’a pas a prendre trop de gants.
@ Nicolas;
A défaut de documents officiels, les indications fournies par le QUID peuvent être considérées comme fiables ; « il » puise ses informations aux sources mêmes.
Etablir un bilan comparatif entre le coût pour la société de la délinquance ordinaire et celui de la délinquance en col blanc est tout à fait édifiant. Mais ce qui me semble le plus abjecte dans ce « rapport de force » c’est qu’une ménagère ayant émis des chèques sans provision pour nourrir sa nichée se verra plus sévèrement sanctionnée que manipulateur de comptabilité qui, peinard, après une peine de principe -dans le pire des cas- pourra jouïr tranquillement du fruit de ses détournements.
Ainsi est-il permis de voir des escroc patentés, interdits de gestion, multiplier le montage de sociétés de prestations de services bidons sapées dans l’années, sans aucun préjudice pour eux !
Oui, la direction des affaires économiques et financières a sûrement reçu une instruction très claire, celle d’enquêter sur les faits révélés au Procureur de la République par Tracfin.
Bonsoir,
Je confirme bien qu’a priori, les transactions visées tombent dans le champ d’intervention de TRACFIN.
La question que je me pose est la question du déroulement dans le temps. Entre nous, tout le monde est au courant des pratiques de Dray depuis des années. Un homme politique qui mène un train de vie pareil ne peut pas passer inaperçu. De même, il est de notoriété publique que lesdites associations servaient pour des transactions politico-financières douteuses, et ce depuis des années.
Alors pourquoi les choses ne sont-elles révélées que maintenant? Jusqu’à maintenant on pouvait douter de la réalité des faits qui relevaient de la rumeur publique, mais maintenant que ces agissements sont confirmés, comment comprendre que les services sophistiqués que l’Etat a à sa disposition aient attendu si longtemps pour dénoncer la magouille?
Et si la direction des affaires économiques et financières avaient des instructions… et que les services TRACFIN étaient plus indépendants?
Patrick, la dépénalisation d’une partie des infractions financières est en cours d’élaboration. A priori cela ne concernerait que de petits délits de toute façon plus poursuivis par les Tribunaux depuis longtemps, genre non dépôt au RCS des comptes approuvés ou défaut d’établissement des comptes annuels. L’infraction reine, à savoir l’abus de biens sociaux, ne serait pas dépénalisée, seule son régime de prescription ferait l’objet d’un remaniement. N’allez donc pas trop vite en besogne. Cependant il faut rester vigilant et être, vous avez raison, très attentif à la lutte contre la délinquance économique, y compris (et notamment) lorsque celle-ci touche un représentant de la Nation.
Tracfin intervient soit sur dénonciation, soit sur signalement produit par l’établissement bancaire qui gère le compte… Ce qui reste contestable dans cette affaire, ce n’est pas l’intervention de Tracfin mais la publicité qui en est faite et les fuites organisées vers la presse qui est ainsi instrumentalisée.
Lev Foster, ancien avocat de Pasqua trouvera certainement le biais pour défendre au mieux son client et son idée de jury d’honneur est de nature à compliquer la manoeuvre contre Julien Dray.
On souhaiterait quand même que la délinquence en cols blancs, la vraie, (celle que Sarkozy veut dépénaliser et qui conduit à la suppression des juges d’instruction hors hiérarchie du Parquet), fasse l’objet d’une attention plus soutenue de la part de Tracfin.
je poursuis mon message qui ne passe pas bien. .;Nul doute que des quotidiens si réputés arriveront à établir l’habituelle prise illégale d’intérêt si les proximités douteuses relevées par tracfin entre l’élu et les beneficiaires des marchés publics sont avérées… le bon couple marché public et corruption.. est un bon article et pas seulement dans le code pénal. Pourquoi cet acharnement de la presse, pour soutenir.. les enquêteurs institutionnels (qui n’ont pas du passer de si bonnes fêtes de fin d’année)..? pour dire que tout le monde sait exploiter de simples comptes bancaires? je regrette les anciens journalistes qui savaient attendre et éviter de perturber une enquête Dans une affaire financière tout est écrit , il suffit de faire coller les
faits recueillis (s’ils collent bien sûr) avec le mis en cause… pas de panique..Celà me rapelle un rapport d’un adjudant de BT qui &écrivait .. l’individu paraissait d’autant plus coupable qu’il niait farouchement ».. on y est presque..
« avec des achats multiples d’objets de grand luxe »
Pas multiples les objets, mais des montres. Julien Dray est connu pour être un acheteur compulsif de montre de luxe. En fait, on parle d’un drogué qui cherche par tous les moyens à se procurer sa came…
–Nul doute que nos chers journalistes d’investigation nous rameneront l’habituelle prise illég
Chose (très) étrange : l’article paru ce jour sur le site du Monde et traitant des derniers développements de l’affaire DRAY (c’est à dire notamment la mise à disposition par un quotidien régional du rapport Tracfin) a totalement disparu. Il n’est tout simplement plus accessible, même en passant par le biais des archives.
Ceci dit on peut en effet s’interroger, comme le fait Georges Moréas, sur la divulgation publique de ce rapport rédigé par la cellule Tracfin. Ce n’est pas très sport. On n’a pas besoin de cela pour constater que Monsieur DRAY (député de la République) se trouve actuellement dans de beaux draps. J’avoue, avec un peu de honte tout de même, avoir ressenti un certain amusement en parcourant ce rapport… et une certaine jubilation aussi puisque j’en ai plutôt assez, lorsqu’il y a des affaires dans ce style, de n’entendre que les lamentables déclarations des mis en cause et de leurs avocats, toujours prêts à discréditer (en guise de contre-feux) les enquêteurs et la machine judiciaire.
Quant à Tracfin, d’une manière plus générale, c’est un organisme qui s’intéresse à tous les flux financiers « suspects » opérés sur tous les comptes gérés sur notre territoire, y compris ceux d’associations, de sociétés et de particuliers. Beaucoup d’enquêtes (sans répercussion médiatique) sont confiées, suite à dénonciation Tracfin, aux services financiers de la Police Judiciaire. La surveillance des comptes bancaires permet parfois de révéler des infractions financières importantes qui seraient restées impunies sans cela. Faut-il s’en réjouir ou s’en offusquer ? Chacun a son opinion. Quant à moi, je trouve que l’on sous-estime beaucoup dans ce pays la délinquance « en col blanc », économique, pourtant parfois plus dommageable pour la société qu’un vol de voiture.
Si une (petite) entorse à la déontologie doit servir à lever les « secrets défiances » couvrant toutes les turpitudes des grands de ce monde, sans doute devrions jous la « punir » comme celà se fait en ces comités d’élites ; par une gratification suplémentaires, une grosse médaille après une simili engueulade… etc…
C’est fou comme les législateurs donneurs de lecons de morale se montrent virulent envers les « manquements » envers leur vernis honorifique !