En parcourant le rapport préparatoire sur la réforme pénale, dont Le Monde a publié l’intégralité, les policiers ont dû pousser un ouf ! de soulagement : la police judiciaire ne sera pas rattachée au ministère de la Justice. Les arguments avancés sont un régal. Il s’agit de garantir la démocratie :
– en maintenant policiers et gendarmes sous une double hiérarchie (administrative et judiciaire) ;
– en conservant une force de sécurité civile et une force de sécurité militaire (alors que depuis le 1er janvier les gendarmes sont rattachés au ministère de l’Intérieur).
Pourtant, avant de se réjouir, les officiers de police devraient y regarder de plus près et relire avec attention cette petite phrase : « Il a toutefois été jugé qu’il serait opportun que la loi précise que les officiers de police judiciaire agissent toujours sous le contrôle de leurs chefs hiérarchiques ».
On appelle ça une reprise en main.
Donc, exit le juge d’instruction et nous aurons à la place des procureurs universels. Ça renâcle dur du côté des syndicats de magistrats : « Le parquet deviendrait le seul maître des procédures pénales sans aucune modification de son statut », disent-ils dans un communiqué commun.
C’est marrant comment les gens qui n’ont pas les mains dans le cambouis voient les choses… Car actuellement, le procureur est – déjà – le maître de l’enquête (rappelons que c’est lui qui décide de saisir un juge d’instruction), mais tous les flics vous le diront, il s’agit d’une autorité symbolique qui n’intervient réellement que dans un nombre limité de cas. La plupart du temps, les contacts entre l’OPJ et le proc se limitent à un coup de fil au moment du renouvellement de la garde à vue, et un autre coup de fil, pour fixer l’heure de la présentation des suspects. Je schématise, évidemment.
Le véritable patron dans une enquête, c’est celui qui fait l’enquête : le policier. De quels pouvoirs disposent-ils ? L’arrestation, les perquisitions, les saisies et… la garde à vue. Question : augmente-t-on les pouvoir du policiers ? En tout cas, il y a une volonté très nette de modifier la garde à vue.
Cette mesure tient une place importante dans l’étude du comité. Il renforce tout d’abord la présence de l’avocat durant la GAV et lui donne la possibilité de prendre connaissance de la procédure. Il remarque aussi, avec justesse, qu’elle est souvent interprétée comme une mesure protectrice, tant pour la personne entendue que pour les enquêteurs. Mais il ajoute : « (…) Il doit être expressément rappelé dans la loi que la garde à vue est une mesure de contrainte et qu’une personne ne doit être placée en garde à vue que si cette contrainte est nécessaire. Dans les autres cas, la personne, même s’il existe des indices à son encontre, doit être entendue librement ».
C’est une renversée. Car à ce jour la jurisprudence a toujours estimé que l’OPJ était seul juge de l’opportunité de la garde à vue. On peut donc envisager que le nombre de GAV va aller en diminuant. Et contrairement à ce qu’on pense, les policiers ne sont pas contre, car la paperasse qui entoure une telle mesure est une perte de temps considérable dans le déroulement d’une enquête. Surtout à son début, lorsqu’il faut aller vite. Le rapport préconise même l’impossibilité de la GAV pour des faits susceptibles d’une peine d’emprisonnement de moins d’un an (il n’y en a pas beaucoup).
En contrepartie, et c’est là où le bât blesse, on instaurerait une GAV a minima, dite « retenue judiciaire », d’une durée maximale de 6 heures, applicable pour tous les délits dont la peine encourue est égale ou inférieure à 5 ans. Et dans ce cas, les droits de la personne seraient réduits comme peau de chagrin et les formalités se limiteraient (sans doute) à une simple mention en bas d’un procès-verbal.
Au nom de l’efficacité, on donnerait là un pouvoir exorbitant aux policiers, du moins sans un encadrement sérieux. Surtout si l’on envisageait d’étendre cette mesure aux agents de police judiciaire ou agents de police judiciaire adjoints (police municipale).
Je subodore que cette mesure va faire couler pas mal d’encre.
Je ne suis pas dans la critique systématique, et j’ai volontairement étudié ce texte par le petit bout de la lorgnette, en évacuant les questions centrales dont d’autres parlent beaucoup mieux que moi.
Il y a plein de choses nouvelles dans ce rapport, avec du pour et du contre. Ainsi, l’Union des jeunes avocats retient un élément favorable : « Les 96 % des affaires où il n’y a aucune intervention d’un juge pendant l’enquête à l’heure actuelle vont enfin passer sous le contrôle d’un juge ». Le comité prévoit en effet des possibilités de recours contre le procureur en s’adressant au juge de l’enquête et des libertés. Pour prendre un cas concret, avec cette réforme, Julien Dray (ici) aurait pu exiger du procureur qu’il prenne une décision: poursuite ou classement. Je crois qu’il aurait bien aimé.
Mais il y a aussi beaucoup d’hypocrisie. On nous dit par exemple, pour nous rassurer, que le parquet et la police mèneront des enquêtes à charge ou à décharge…
Mouais !…
Le jour où dans les statistiques des services de police on ajoutera à côté de la colonne « personnes présentées à la justice », une colonne « personnes innocentées », alors, on en reparlera.
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Pour télécharger le rapport, cliquer ici
Police et reforme penale.. Nifty 🙂
Non, Atlantic, ma réponse, certes teintée d’une certaine ironie, n’était absolument pas hors sujet. De telles interdictions sont décidées dans le cadre d’un contrôle judiciaire, alternative à la détention provisoire. Si vous n’acceptez pas ces quelques restrictions à votre liberté d’aller et venir, décidées dans le cadre d’une bonne administration de l’enquête, les magistrats en tireront les conséquences qui s’imposent. Quant à la présomption d’innocence, son respect n’est absolument pas contraire à ces mesures restrictives de liberté, parfois indispensables avant même tout prononcé de jugement ou toute ordonnance de non-lieu.
Bonjour,
Votre réponse est en dehors du sujet. Ce qui est scandaleux c’est qu’un mis en examen ne puisse rencontrer d’autres mis en examen ou des proches au prétexte que ce sont des témoins. Il ne s’agit pas naturellement des victimes. rien ne justifie une telle pratique, qui peut géner la défense, mais au delà m^me de la défense géner la vie quotidienne d’une personne présumée innocente.
C’est vrai ça, Atlantic, quel scandale ! Pourquoi interdirait-on à un violeur ou plus généralement un agresseur d’approcher à nouveau sa victime ? De quel droit interdirait-on un escroc d’exercer la profession qui lui a servi à berner ses victimes ? Non, mais… Incroyables ces juges d’instruction ! Manquerait plus qu’ils puissent demander au JLD l’incarcération des meurtriers ou des pédophiles !
Un des aspects les plus contestables de l’instruction actuelle est l’ensemble de prérogatives hallucinantes données au juge d’instruction: interdire au mis en examen de voir telle ou telle personne, interdiction d’exercer une activité, etc…
Ces pouvoirs excessifs vont-ils disparaitre dans le projet de réforme ou seront-ils réattribués au parquet?
Pour Nicolas,
Ce n’est pas tout à fait celà. Il faut bien distinguer la police judiciaire (que tous les services de police et de gendarmerie pratique) à savoir celle qui traite de toutes les infractions que ce soit un crime, un délit ou une contravention de la Police Judiciaire qui est un service spécialisé (environ 5% des effectifs ) et c’est ce service que je vise car il ne s’occupe que des affaires les plus graves et les plus sensibles bien que le magistrat du Parquet ou le juge d’instruction ait le libre choix du service enquêteur. Je me souviens de l’affaire du bar du téléphone à Marseille, il y a plus de 30 ans, qui est le plus grand réglement de comptes sur notre territoire et pour laquelle la suerté urbaine de Marseille est restée saisie 2 semaines avant que le SRPJ le soit. C’est comme cela que l’on perd du temps. Tous les professionnels le savent: les premières constatations sont cruciales et il faut saisir les spécialiste le plus vite possible.Mais dans ce pays, ce n’est pas l’efficacité qui compte c’est la division du pouvoir : d’ailleurs nous avons bien une police et une gendarmerie comme l’Espagne et l’Italie et quelques autres pays alors que tous les pâys de culture anglo saxonne ont une ou des polices dont la caractéristique essentielle est une plus grande indépendance que la notre vis à vis du pouvoir politique. Oui, la police judiciiare ne fait que de la police judiciaire et ses seuls interlocuteurs officiels sont ou devraient être les magistrats. C’est vraiment une question d’indépendance qui est en jeu. C’est la raison pour laquelle je préconise que l’enquêteur qu’il soit commissaire, opj ou juge d’instruction aient des pouvoirs d’investigation renforcés. Les magistrats sont dans la plupart des cas extrememnt dependants dans les premieres phases de l’enquête des enqueteurs de la police et de la gendarmerie. Le procureur ou le juge d’instruction (bien evidemment j’exclue ici les juges du siège ) sont seuls , à coté la police et la gendarmerie peut aligner des dizaines voire des centaines d’enqueteurs . Ce qui n’est pas normal d’une certaine manière c’est cette dychotomie entre les pouvoirs et les moyens. C’est pour cela que je préconise que le directeur d’enquête (j’aime bien ce mot en fait) ait des moyens sous ses ordres c’est à dire des enqueteurs, des voitures etc… comme un peu les bureaux des procureurs aux USA.
Mais le chemin dans les esprits sera long et j’en veux pour preuve la réaction de la gendarmerie: elle vient d’être rattachée (terme impropre car elle n’avait jamais été attachée) au ministère de l’Intérieur et depuis pas mal d’années déja il y a une mixité police:gendarmerie dans 2 services à savoir le SCTIP pour la coopération internationale et les offices centraux de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (le nec le plus ultra des spécialistes). Pourquoi ne pas avoir été plus loin et ne pas intégrer les brigades et sections de recherche dans les directions régionales de police judiciaire (on aura
@ Eric Stemmelen
Ce que vous préconisez c’est le rattachement de la police judiciaire à l’autorité judiciaire, à savoir au Ministère de la Justice. Je crois que cela existe ailleurs, notamment en Italie. C’est à ma connaissance une piste qui a été étudiée en France mais qui n’est pour l’instant pas retenue. Demain peut-être ?
Pourquoi ne pas unifier le corps des commissaires de police et celui des magistrats judiciaires. Les études et le concours sont les mêmes et le statut des commissaires à la différence des OPJ indique expréssément qu’ils exercent les fonctions de magistrat de l’ordre judiciaire et administratif.
Une commission rogatoire, pour les affaires les plus complexes, c’est quand même un juge d’instruction qui délègue une partie de ses pouvoirs non pas à un enquêteur mais en fait à une équipe, pouvant être nombreuse, de policiers ou de gendarmes. Il aurait été plus simple d’unifier en fait les fonctions de juge d’instruction et de commissaire de police judiciaire ce qui aurait permis d’avoir une équipe opérationnelle d’enquêteurs (et réglerait d’ailleurs ces problèmes hiérarchiques puisque tous les opj sont égaux en droit (ce qui pose d ‘ailleurs un vrai problème de secret de l’enquête judiciaire vis à vis des supérieurs administratifs). Dans un monde normal l’OPJ doit rendre compte de ses activités judiciaires à son supérieur c’est à dire en ce domaine au procureur ou au juge d’instruction. Il rend aussi compte (en a t-il kin fne le droit?) à son chef de service. Quid alors du directeur central de la police judiciaire ou d’un autre directeur vis à vis du directeur général de la police nationale (qui pour la première fois est un policier mais très souvent un préfet donc un non OPJ) et vis à vis du cabinet du ministre??
Que je sache le secret de l’enquête s’applique à tous et on l’a un peu trop souvent oublié.
Donc ce serait bien d’avoir un magistrat instructeur qui ait sous ses ordres directs une équipe d’enquêteurs et bien sur il convient de laisser le parquet et les juges du siège dans leurs fonctions actuelles.
Maintenant, le juge d’instruction faisant partie des magistrats du siège est ce un problème?
Je souhaiterais apporter un commentaire à la démonstration de Georges Moréas et une assurance au commentaire d’Eln:
– la gendarmerie nationale n’est pas seulement une force de police militaire (sous cette définition, c’est la prévoté), c’est un corps militaire chargé de missions de police et je ne doute pas que la portée de cette précision n’échappe pas au fin exégète qu’est le titulaire de ce blog fort intéressant. Son appartenance factuelle (car non encore entérinée par la loi) au ministère de l’intérieur n’y change rien, comme pour les pompiers militaires rattachés à la direction de la sécurité civile par rapport à leurs homologues de province qui sont des volontaires ou des professionnels civils
– Antoine est peut-être oublié des médias, mais pas des enquêteurs qui continuent de rechercher la vérité, dans un contexte que je me contenterai de qualifier de « compliqué »…
Pour répondre à Geoges Moréas sur deux ou trois points :
1 – Ce dernier se pose la question de savoir si les pouvoirs des policiers augmentent ? La réponse est naturellement non. Je rajouterai même qu’ils diminuent. J’y ai fait allusion dans mon premier commentaire. En effet nous ne disposerons plus des prérogatives (relativement coercitives il faut le reconnaître) de la Commission rogatoire. La plupart de nos dossiers (notamment les plus importants, y compris les plus « sensibles ») seront traités sous la forme préliminaire, avec donc des moyens d’action réduits (peu « traumatisants » pour les mis en cause).
2 – En ce qui concerne la garde à vue qui ne peut être décidée qu’en cas de nécessité (absolue ?), j’espère que nous (les OPJ) disposerons toujours de la faculté de juger de cette nécessité. Mais il arrivera sûrement un temps où (hors cas de flagrance) l’OPJ sera tenu de demander au Parquet une autorisation à placer en garde à vue. C’est juste une question de temps.
3 – Je ne vous suis pas lorsque vous sous-entendez que la « retenue judiciaire » (d’un délai max de 6 heures, avec entretien avocat) donnerait aux policiers « un pouvoir exorbitant », au regard de la situation actuelle.
4 – Vous ne pouvez vous empêcher de revenir sur l’affaire Dray. Je pensais que votre « expertise » vous aurait permis d’éviter de prêter une oreille attentive et complaisante aux discours démagogiques de certains politiques et des avocats de cet honorable député de la République.
5 – Je vous étonnerai peut-être mais lorsque je traite mes dossiers, je fais bien attention de recueillir et d’acter en procédure les éléments à charge mais également ceux dits à décharge. La recherche de la vérité est notre objectif. La Police n’est pas là pour présenter à la Justice un coupable, mais uniquement le coupable.
Une petite « retenue judiciaire » et un lynchage médiatique concomitant.
La présomption d’innocence, ce principe qui existait il y a très longtemps, ferait encore des progrès.
Bonjour ! Rien à voir avec article, mais a t’on des nouvelles sur la disparition du petit Antoine ? Car là, oui, on peut dire que oui, c’ est un enfant oublié
Au sujet de la proposition de « retenue judiciaire »: le plus grand problème est que le concept même est contraire au respect des droits humains. La jurisprudence européenne et internationale sur les questions de garde à vue est extensive (CEDH, Conseil de l’Europe, Commité des Droits de l’Homme de l’ONU notamment) mais il semblerait que l’Etat français ne se sente pas concerné.
Le même commentaire s’applique sur sur la supression du juge d’instruction sans garantie d’indépendance du mécanisme que va le remplacer…
A l’évidence ces propositions avancées par le Comité Léger ne satisfont personne, ou presque.
Puisque votre papier s’intitule « Police et réforme pénale », je vais me limiter à ne faire quelques commentaires que sur les dispositions qui concernent en premier lieu les enquêteurs.
Je pensais naïvement que la disparition de l’information judiciaire et donc du régime de la Commission rogatoire serait l’occasion de remettre à plat les cadres d’enquête existants, ce qui n’est visiblement pas le cas. Nous disposerons toujours de la flagrance et de la préliminaire, et ce sans que ces régimes ne changent véritablement. C’est donc selon moi un recul des pouvoirs des enquêteurs, ces derniers ne bénéficiant plus des prérogatives non négligeables que leur déléguaient les juges d’instruction.
L’enquête préliminaire (avec son aspect non-coercitif) sera la règle, en tout cas dans le service où j’officie. Je disposerai donc de moins de pouvoirs qu’aujourd’hui. Certains trouveront certainement cela merveilleux… il faut espérer pour eux qu’ils ne soient jamais victimes… et il ne faut pas ensuite qu’ils se plaignent de l’efficacité amoindrie des enquêtes à l’égard des auteurs de crimes et délits. Je grossis un peu le trait c’est vrai.
Quant à la garde à vue, le fait qu’elle ne serait plus possible pour les infractions punissables de moins d’un an de prison ne change pas grand chose.
S’agissant de la « retenue judiciaire », je ne sais pas quoi en penser. Doit-elle être obligatoire ou pourra t-on toujours entendre librement, quelques heures, les mis en cause que l’on ne désire pas placer en garde à vue ?
L’avocat donc ! Premier entretien en début de garde à vue. Pas de changement. Deuxième entretien à l’issue de la 12ème heure avec accès aux procès-verbaux d’audition. Cela n’apportera pas grand chose selon moi au gardé à vue. Mais ça pose néanmoins le problème de la prise de connaissance des points sensibles du dossier par l’avocat qui pourra ensuite faire ce qu’il veut avec ces informations, notamment vis à vis d’éventuels autres mis en cause pas encore interpellés ou entendus. Je me comprends.
L’avocat serait ensuite présent lors des auditions au cours de la prolongation de garde à vue. Tout d’abord quelles seront ses prérogatives ? Devra t-il assister passivement aux interrogatoires de son client ou pourra t-il intervenir en lieu et place de ce dernier ? Ensuite je me demande comment les avocats arriveront-ils à organiser leurs emplois du temps s’ils doivent passer des journées entières dans les locaux de police et de gendarmerie. Tout cela va être très compliqué matériellement. Si le gardé à vue exige sa présence, comment l’avocat pourra t-il refuser de rester parce qu’il a d’autres chats à fouetter au Palais ?
Bref, beaucoup d’interrogations à la lecture de ce pré-rapport… beaucoup d’autres points à soulever (ce que Georges Moréas a d’ailleurs fait)… mais aussi beaucoup de déception, moi qui attendais une réforme d’ampleur, intelligente, équilibrée et surtout susceptible d’améliorer la Justice de notre pays.