Le site d’informations Huffington Post, version française, ouvre largement ses pages aux blogueurs et, dans le même temps, la juge parisienne Sylvia Zimmermann vient de rappeler aux puissants de ce monde qu’on ne rigole pas avec le secret des sources des journalistes. Peut-on rapprocher ces deux éléments ? En deux mots, les blogueurs peuvent-ils profiter eux aussi de la loi qui consacre la protection des sources?
Sur le plan intellectuel, la question est amusante, mais elle n’est pas complètement gratuite. Alors que l’on potinait pas mal sur l’affaire visant le commissaire Michel Neyret, un ami lyonnais m’a demandé : « Tu tiens un blog sur le site du Monde, mais est-ce-que tu bénéficies du secret des sources? » Sourcils au ras du front, je lui ai répondu que je ne n’en savais rien – probablement pas.
Pourtant, aujourd’hui, les blogueurs « d’information » tiennent une place de plus en plus présente sur le Net. Sans que l’on sache d’ailleurs très bien s’il s’agit de professionnels ou non. En effet, beaucoup de journalistes tiennent un blog et animent des réseaux sociaux. Faut dire que l’employeur met souvent la pression. « Incontournable, Coco, il faut créer un lien avec les lecteurs ». Mais ces mêmes journaux, comme LeMonde.fr, ouvrent également leurs colonnes à leurs abonnés, parfois en mixant leurs billets aux articles des journalistes de leur rédaction.
Que dit le législateur ?
Cette loi du 4 janvier 2010, prise sous la pression de la CEDH, a modifié l’article 2 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.
Par parenthèse, et pour coller un peu à l’actu, on voit qu’elle prévoit des exceptions. Mais comme celles-ci sont basées sur une appréciation subjective des événements, tout cela n’est pas très clair. Une loi tellement évasive, que même les magistrats s’emmêlent les pinceaux… Pour les fadettes des journalistes du Monde qui enquêtaient sur l’affaire Woerth/Bettencourt, la Cour de cassation a estimé que ces faits ne constituaient pas un « impératif prépondérant d’intérêt public ». En revanche, les choses sont moins évidentes pour le procureur de Marseille qui, lui aussi, a demandé les fadettes de journalistes de ce journal, à la suite d’un article sur le banditisme corse, mais en argumentant sur « la gravité du crime ».
Mais pour en revenir au blogueur, à la première lecture, on se dit qu’il n’est pas concerné – sauf s’il est journaliste. Il faut donc, pour y voir clair, tenter de définir le blogueur et le journaliste.
J’ai trouvé cette définition du blog dans le répertoire Dalloz : « C’est en fait un outil de communication au public en ligne par lequel l’internaute exprime ses avis et opinions, promeut des produits et services, ou encore réagit dans le cadre de sa vie personnelle ou professionnelle. »
Et la loi de 2010 donne une définition « légale » du journaliste (voir l’encadré). En deux mots, et juste pour ce qui nous intéresse, c’est quelqu’un qui exerce la profession de communicant en ligne. Sous-entendu : il faut gagner sa vie sur Internet. Je ne sais pas s’il y a des journaux qui rémunèrent leurs blogueurs. Sur le site du Monde, pour les « blogueurs invités », il n’y a pas de salaire, mais une répartition des recettes publicitaires qui sont reversées sous forme de droits d’auteur. Et je ne pense pas que l’on puisse en vivre. (Ou alors, il faut avoir de petits besoins.) Pour le site Huffington Post, j’ai cru comprendre que les blogueurs seraient des bénévoles. Pourtant, il y a des pointures. Et même Anne Sinclair, ne sera pas payée. Et c’est là où ça fait tilt : Peut-on exercer une profession sans être rétribué ? La loi ne l’interdit pas (au passage, je me permets de recommander, sur HuffPo (?), ce billet du professeur Guy Carcassonne : Il est désormais recommandé d’interdire). La question est de savoir si la loi de 2010 peut s’appliquer à un journaliste qui n’est pas rétribué ? Je n’ai pas la réponse, mais si c’est non, on arriverait à cette situation drolatique où la directrice éditoriale d’un organe de presse ne serait pas protégée, tandis que ses journalistes, eux, le seraient. Amusant, non ! D’autant que cette loi donne également des protections juridiques en cas de perquisition tant dans les locaux professionnels qu’au domicile des journalistes.
Mais, à l’inverse, si l’on estime que Mme Sinclair est protégée, alors, je ne vois pas pourquoi « les blogueurs professionnels non rémunérés » ne le seraient pas. D’autant, qu’en toute logique, on s’acheminera peu à peu vers des blogueurs normalement rétribués pour leur travail. Aujourd’hui, sur le site américain de Huffington Post, ce serait le cas pour environ 450 d’entre eux (sur 9 000).
Dans une décision de décembre 2011, la Cour de cassation a quant à elle estimé que le journaliste professionnel est celui qui apporte à une entreprise de presse une collaboration constante et régulière et qui en tire l’essentiel de ses ressources. Si l’on comprend bien, et contrairement à l’article L.7111-3 du Code du travail, il ne serait pas obligatoire qu’il s’agisse d’une « activité principale ».
En matière pénale, le blogueur est souvent considéré comme directeur de publication. Et, à ce titre, il est tenu de respecter toutes les règles issues de la loi sur la presse (diffamation, injure, provocation, incitation, etc.), ainsi que les lois qui protègent la propriété intellectuelle ou celles qui concernent le respect de la vie privée.
Alors la fameuse loi de 1881 serait à géométrie variable…
On peut en sourire. Et se dire que les blogueurs comptent pour peu de choses dans l’information. Et pourtant, aux États-Unis, c’est en partie grâce à leur mobilisation que le Congrès fait actellement du rétropédalage dans la loi qui durcit la répression en matière de chargement illégal. « Les geeks libertaires et les blogueurs de l’Amérique profonde ont remporté une victoire politique mémorable sur la « vieille économie » d’Hollywood et des médias classiques… », peut-on lire dans Le Monde de ce jour. Avec cette prophétie de Chris Dodd, le nouveau patron de l’industrie du cinéma : « C’est une ère nouvelle. Attendez-vous à tout. »
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– 26 janvier : Un problème technique bloque les commentaires sur ce billet. Désolé.
– 27 janvier : Problème réglé.
La question intéressante est soulevée en fin d’article : c’est la prise en compte différente du statut selon qu’il s’agit de sanctionner l »infraction pénale de diffamation par voie de presse ou de protéger le secret des sources.
Dans le premier cas effectivement le blogueur peut se retrouver assimilé à un directeur de la publication d’un organe de presse. Dans ce cadre il pourrait invoquer le secret des sources même si ça ne servirait à rien dans un procès en diffamation : si la diffamation est établie la source importe peu.
Or la condition de journaliste insiste sur 3 mots essentiels: profession, rémunéré et régulier ; la carte de presse applique les même critères avec en plus celui de la rémunération principale. Est donc titulaire d’une carte un journaliste qui ne gagne pas assez par ailleurs.
Le blogueur isolé cumule bien évidemment les rôles de rédacteur et de directeur de la publication ; s’il n’est pas rémunéré ou si ce n’est pas son activité principale, le secret des sources n’est pas garanti par le statut de journaliste et il y a donc cumul des inconvénients : responsabilité pénale du directeur de la publication et pas de secret des sources.
Mais le non-journaliste non tenu au secret des sources pourrait protéger les sources en son rôle de directeur de la publication . Exemple dans le Canard ce cette semaine avec le procès Bouygues contre le directeur de la publication du Canard, le directeur de la publication protège les sources de son organe de presse, et les récents arrêts de la Cour Européenne insistent plus sur l’intérêt de l’information du public que sur le statut de l’informateur.
Pour ce qui est de la distinction entre activité principale et rémunération, je pense que le service de la carte de presse les confond à tort, un rentier héritier ou un auteur à succès peut consacrer tout son temps au journalisme sans pour autant en tirer la moitié de ses revenus.
La question intéressante est soulevée en fin d’article : c’est la prise en compte différente du statut selon qu’il s’agit de sanctionner l »infraction pénale de diffamation par voie de presse ou de protéger le secret des sources.
Dans le premier cas effectivement le blogueur peut se retrouver assimilé à un directeur de la publication d’un organe de presse. Dans ce cadre il pourrait invoquer le secret des sources même si ça ne servirait à rien dans un procès en diffamation : si la diffamation est établie la source importe peu.
Or la condition de journaliste insiste sur 3 mots essentiels: profession, rémunéré et régulier ; la carte de presse applique les même critères avec en plus celui de la rémunération principale. Est donc titulaire d’une carte un journaliste qui ne gagne pas assez par ailleurs.
Le blogueur isolé cumule bien évidemment les rôles de rédacteur et de directeur de la publication ; s’il n’est pas rémunéré ou si ce n’est pas son activité principale, le secret des sources n’est pas garanti par le statut de journaliste et il y a donc cumul des inconvénients : responsabilité pénale du directeur de la publication et pas de secret des sources.
Mais le non-journaliste non tenu au secret des sources pourrait protéger les sources en son rôle de directeur de la publication . Exemple dans le Canard ce cette semaine avec le procès Bouygues contre le directeur de la publication du Canard, le directeur de la publication protège les sources de son organe de presse, et les récents arrêts de la Cour Européenne insistent plus sur l’intérêt de l’information du public que sur le statut de l’informateur.
Pour ce qui est de la distinction entre activité principale et rémunération, je pense que le service de la carte de presse les confond à tort, un rentier héritier ou un auteur à succès peut consacrer tout son temps au journalisme sans pour autant en tirer la moitié de ses revenus.
en direct sur bambuser, il y a plein de masques et un commentaire entre autres :
« pas d’arrestations… les gens achètent des masques ! »
Votre point de vue , M Moréas, est toujours intéressant et bienveillant.
Il soulève les bonnes questions même indirectement.
Il serait fort intéressant d’organiser un débat, table ronde, n’importe …, avec quelques autres blogueurs apportant un éclairage différent.
On ferait ainsi le tour du sujet.
Par exemple ici, en dehors du secret des sources, il y a le fait que d’aucuns travaillent gratuitement pour une entreprise – ce qui selon moi relevant du bénévolat ne doit pas être licite. Le côté irrégulier du travail gratuit pour une entreprise qui dégage du profit, Arianna Huffington, notamment, n’étant pas altruiste ; et ce pour des raisons d’évidence (droit du travail, droit fiscal, couverture en cas de risque, responsabilité du dirigeant etc.).
En revanche les « blogueurs », en participation volontaire façon courrier des lecteurs, peuvent fournir des contributions à titre gracieux: leur responsabilité est individuelle et plumitive, en ce qui concerne le contenu de leur apport, le support étant responsable de la diffusion et de l’impact sur le plus grand nombre (en cas de diffamation par ex. ou de communication portant atteinte mettons à la santé publique ou incitation à je ne sais quoi ).
Bref pour en revenir au débat à organiser il serait passionnant de rassembler avec vous mettons:
http://combatsdroitshomme.blog.lmonde.fr, http://convictionspolitiques.midiblogs.com/, http://www.maitre-eolas.fr/, http://dechiffrages.blog.lemonde.fr/, http://jprosen.blog.lemonde.fr/, http://bercy.blog.lemonde.fr/, http://insecurite.blog.lemonde.fr/, http://www.huyette.net/, http://jlhuss.blog.lemonde.fr/, http://www.philippebilger.com/,
et d’autres sans doute . Avec un ou deux dessinateurs dont tOad peut être. Un sujet par mois ? Enfin c’est juste une idée comme cela.
Merci. Faire un mensuel, en quelques sortes… Une idée intéressante. Qui se lance le premier ?
… « Dans cette frénésie à communiquer, dans cette tyrannie à informer en temps réel, dans c souci de transparence qui révèle notre invisibilité sociale, l’homme du monde néolibéral révèle plus qu’un autre l’extrême de sa solitude et l’angoisse de séparation de lui-même et des autres.
…
… Les techniques de communication actives ou passives tendent à désavouer une part silencieuse de l’être…, alors que les récits tricotent à l’infini de l’oeuvre d’art et de la parole. »…
Roland Gori in La dignité de penser (Les Liens qui Libèrent)
Le secret de la source… c’est le récit, la parole. Et les geeks des US ont trouvé un bon moyen de ’causer’, de’ nous causer’, de ’causer de et à notre société’.
Bravo… mêmes aux Anonymous qui ont trouvé là un autre moyen d’exercer ZE LIBERTE, en dehors de toute réglementation fascisante.
Je trouve que la question est à la fois intéressante et importante, et l’aborder du point de vue du droit est essentielle. Je crois qu’on peut aussi l’aborder du point de vue de la liberté d’expression, de l’usage des pseudonymes, de tout ce qui touche à la peur et au mensonge et à ce qui permet d’y surseoir. Je suis incapable d’apprécier la valeur juridique de la loi sur le secret des sources, mais dans un contexte très policier comme ce que j’ai connu à Nice, et comme je le vis parfois sur certains sujets, cette loi me semble limiter l’autocensure tant pour les journalistes que pour leurs sources, autant que freiner l’intrusion malveillante du monde policier dans celui de la presse et des blogs accueillis dans les structures de presse légitimes. Alors bien sûr, on peut aussi se demander, mais limiter l’autocensure pour dire quoi, et de quelle malveillance est ce que je parle … Et je reconnais que ces questions là sont aussi importantes.
Bonjour,
Je fais peut-être une erreur, mais, pour moi, qui dit « journaliste » dit « carte de presse » donc professionnel couvert par la loi. Ensuite que le dit journaliste soit, ou non rémunéré, c’est son problème personnel (un retraité ou un rentier peut-il être journaliste s’il ne perçoit pas obligatoirement un salaire ?).
Très récemment, j’ai lu une information qui disait que les « journalistes » du « Petit journal » n’auraient plus leur carte de presse car ils ne produisaient pas ce que l’Autorité concernée considérait comme de l’information … Donc, qui peut être journaliste ?
Hors sujet, mais pour votre curiosité personnelle, au sujet de si on peut vivre des rétrocession de publicité sur les blogs invités du Monde, vous pouvez lire la page où cela a été évoqués (http://vidberg.blog.lemonde.fr/2012/01/24/lemploi-du-temps-dun-blogueur-amateur/) et prendre contact, éventuellement, avec M Vidberg.
Cordialement.
La carte de presse n’est pas systématique. Pour l’obtenir, il faut la demander à la Commission de la carte (CCIJP) et justifier qu’au moins la moitié de ses revenus provienne d’un organe de presse. Les revues professionnelles, syndicales, municipales, etc. sont exclues. Un journaliste au chômage depuis plus de deux ans ne peut plus l’obtenir. Elle permet de justifier de son métier et facilite l’accès dans les endroits « protégés », comme les ministères. Plutôt par tradition, elle offre la gratuité dans les musées et certains salons. Si Martin Vidberg qui tient le blog L’actu en patates vit de son blog, il pourrait donc demander la carte de presse. Je me demande quelle serait la réaction de la Commission.
Oui, oui, il faudrait réserver plus de choses, plus de place dans le débat public ne particulier, aux professionnel de toutes le professions, si possible aux mieux payés, comme ça il savent ce qu’ils doivent défendre, il nous égarent moins avec des trucs d’amameurs à peine conscients des problèmes
Savants, experts, journalistes, de nouveaux prêtres pour un nouveau troupeau ?
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5507
Pas grave, pas grave. Je vais me faire bêêle dans ce miroir.
Mais je pige pas le secret des sources, ça s’applique déjà bien, mêm pour des choses publiques.
Aucun journal, et surtout pas ceux qui participent à la « chasse à la fraude sociale », ne dit qu’il y a 300 000 visites domiciliaires par an effectuées par des agents contrôleurs CAF. Ces nombreuses intrusion sont à la limite de la légalité, juridiquement trsè fragiles, mais elles terrorisent et permettent de couper les vivres à pas mal de monde.
Il existe d’ailleurs des conseils pour y faire face, c’est pas secret, c’est là :
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5808
Mais ça parait où ce genre de petites choses qui ne concernent presque personne, jamais dans la presse. La CAF parmi les actionnaires ? On me l’avait caché ?
« le journaliste professionnel est celui qui apporte à une entreprise de presse une collaboration constante et régulière et qui en tire l’essentiel de ses ressources. Si l’on comprend bien, et contrairement à l’article L.7111-3 du Code du travail, il ne serait pas obligatoire qu’il s’agisse d’une « activité principale ».
tirer l’essentiel de ses ressources d’une activité en fait ipso facto une activité principale. Donc les 2 notions se rejoignent plutôt que de s’opposer. Il suffit de relire le texte :
Article L7111-3
Modifié par LOI n°2008-67 du 21 janvier 2008 – art. 3
Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa.
Ce qui m’étonnera toujours c’est le secret des tarissement, l’obscurité, la manière qu’a la presse main stream de se pencher complaisamment sur les micro media sans chercher jamais à donner les infos qui font mauvais genre selon leurs proprios.
Aujourd’hui, personne, nulle part, ne cause de l’occupation de la direction de Pôle emploi à Rennes :
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5964
Les chômeurs on veut bien les dénoncer (des assistés), pleurer sur eux (des victimes, pas qu’ils prennent la parole et agissent.