Il y a quelques jours, un jeune homme est convoqué devant une chambre correctionnelle pour des violences volontaires à la suite d’une bagarre de rue. Au dernier moment, l’avocat qu’il avait choisi lui a fait faux bond. Pris par le temps, il décide de demander un avocat commis d’office. À l’accueil du public de l’ordre des avocats, porte close : c’est la grève ! Il décide alors de se défendre tout seul. Pour cela, il lui faut prendre connaissance de son dossier. Oui mais pour avoir accès à votre dossier, lui répond-on au greffe, il faut venir avec votre avocat.
On n’en sort pas. Il se retrouve donc bien seul devant ses juges mais le ténor de la partie adverse (qui lui ne fait pas grève), ne veut rien savoir : il exige une décision immédiate. Après avoir vérifié la bonne foi du prévenu, le président a estimé que le jugement ne serait pas équitable : Affaire renvoyée !
Ce n’est pas toujours le cas.
La justice, c’est souvent l’histoire du pot de terre contre le pot de fer. C’est la raison d’être de l’aide juridictionnelle. Le meilleur moyen de se rapprocher de l’engagement de toute société démocratique : l’égalité de tous devant la loi.
La profession est d’ailleurs née de ce désir d’aider les plus faibles et/ou les plus démunis. Une pratique qui fut entérinée par la loi du 22 janvier 1851 créant « l’assistance judiciaire ». Mais ce n’est qu’en 1972 que fut prévue la possibilité d’une rémunération pour les avocats. Puis la loi du 10 juillet 1991 encadra l’aide juridictionnelle : « Les personnes physique [et, exceptionnellement, les personnes morales] dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leur droit en justice peuvent bénéficier d’une aide juridictionnelle. »
L’aide juridictionnelle permet donc aux personnes aux revenus modestes (sauf si elles disposent d’un contrat d’assurance juridique) la prise en charge (totale ou partielle) par l’État des honoraires d’avocats ou d’huissiers et des frais de justice. Ainsi que la rétribution des avocats désignés d’office pour le temps de la garde à vue. À noter qu’en dehors de la garde à vue, l’avocat commis d’office n’est pas forcément gratuit.
Le budget 2015 de l’aide juridictionnelle serait de l’ordre de 379 millions d’euros. En très nette augmentation par rapport aux années précédentes. Et comme la France est au bord de la cessation de paiement, le gouvernement cherche la formule alchimique pour continuer d’assurer ce service public à moindre frais. Un classique. Dans le cas présent, il suffit 1) de moins payer les avocats 2) de créer un impôt qui n’ose pas dire son nom spécialement réservé aux avocats.
Or, à l’exception des jeunes avocats qui, en l’absence de clientèle, peuvent couvrir leurs premiers frais de fonctionnement en pratiquant l’aide juridictionnelle, la plupart des autres, dans ce domaine, travaillent déjà à perte, ou ric-rac. Et aucun ne s’enrichit de cette manière. En Seine-Saint-Denis, où la demande est très forte, le revenu médian mensuel d’un avocat exerçant depuis moins de dix ans est de 1 750 € (chiffre 2008). A formation équivalente (4 à 6 ans de droit + 18 mois pour le CAPA), un magistrat en début de carrière gagne mille euros de plus.
Si les avocats y sont de leur poche, on peut se demander pourquoi ils continuent d’assurer l’aide juridictionnelle. En fait, l’avocat est là dans sa mission de service public, il ne peut refuser un client pour la seule raison que celui-ci bénéficie de cette aide. Et celui qui est désigné d’office est tenu d’effectuer la mission.
Mais certains vont plus loin, en réservant une partie de leur temps à une activité non rémunérée. Depuis maintenant quatre ans, le barreau de Paris encourage d’ailleurs les avocats ou les cabinets qui, de façon bénévole, se rendent utiles aux populations les moins favorisées, en attribuant notamment des « trophées pro bono ».
Aussi, la décision de diminuer les indemnités versées aux avocats et dans le même temps de piocher dans les réserves des Carpa, tout cela pour financer leur propre travail, a bien du mal à passer. D’autant que la loi sur le renseignement a déjà passablement énervé la profession en s’attaquant au secret professionnel. C’est dire que, malgré le rétropédalage de Madame Taubira, le malaise persiste.
Les Caisses de règlements pécuniaires des avocats (Carpa) ont été créées par la loi portant réforme des professions judiciaires et juridiques du 31 décembre 1971 pour mettre à l’abri les fonds qui transitent par les avocats mais qui appartiennent à leurs clients, par exemple, des dommages-intérêts. Chaque barreau possède sa caisse (parfois une pour plusieurs barreaux) qui prend la forme d’une association et qui n’a évidemment pas vocation à faire des bénéfices. La Carpa ouvre un compte général auprès d’une banque et autant de sous-comptes qu’il y a d’avocats ou groupements d’avocats. Et pour chacune des affaires traitées par ceux-ci, un sous-sous-compte. L’ouverture d’un compte Carpa est obligatoire et aucun argent entre l’avocat et son client ne peut circuler autrement que par ce sous-sous-compte (cela ne concerne pas les honoraires).
Ces sommes, même si elles ne font que passer, génèrent des intérêts. Ils ne vont pas dans la poche des avocats. Ils sont essentiellement utilisés pour la formation, pour l’organisation des consultations gratuites, pour la défense de certaines personnes non prises en charge par l’aide juridictionnelle, etc. Les Ordres utilisent donc ces produits bancaires pour couvrir les frais afférents à une mission d’aide publique sans recourir à la participation de l’État. Ce qui renforce l’indépendance de la profession.
Bien sûr, dans cette grève, les avocats défendent leurs intérêts, mais on peut dire aussi qu’ils défendent ceux des justiciables. Je crois que ce gouvernement a tort de les prendre à rebrousse-poil. Dans la chaîne judiciaire, la défense constitue un droit fondamental. Elle a d’ailleurs un caractère constitutionnel.
D’autant que notre société est sans cesse en mouvement. Il n’y a qu’à voir le nombre de projets ou de propositions de loi qui s’entassent sur le bureau de nos parlementaires. Et les textes s’accumulent, se compliquent et viennent de plus en plus dans le détail s’immiscer dans notre vie privée – et même dans le droit de choisir sa mort. La possibilité de se retrouver face à des juges s’accentue. Dans l’ombre des ministères, des agents de l’État s’intéressent à notre manière de vivre, de penser et même à nos intentions cachées, autant de paramètres qui, traités par un algorithme, pourraient faire de chacun de nous un suspect. Les risques de devenir un justiciable sont devenus omniprésents. Au point que l’on peut se demander si un jour il ne faudra pas se protéger de la puissance de l’État comme on se protège de la maladie. Alors, plutôt que d’aller à la confrontation, il serait peut-être plus judicieux de s’asseoir autour d’une table et de réfléchir à une solution mieux adaptée à notre époque que l’aide juridictionnelle de papa. Peut-être, en s’inspirant des contrats de protection juridique, une « sécurité sociale » du droit.
g@moreas.fr
En tant que bailleur, j’ai l’expérience répétitive de locataires mauvais payeurs qui utilisent l’aide judiciaire pour résister à l’expulsion. Au bout du compte, ils sont bien sûr très généralement condamnés à payer, y compris les frais d’Huissiers, mais ne le font jamais, ayant organisé leur insolvabilité entre temps. Alors je dis : d’accord pour la généreuse aide judiciaire, mais quand des gens utilisent l’argent public (le nôtre) pour être finalement condamnés en justice, l’équité imposerait, s’ils sont défaillants, que l’Etat paye le créancier à leur place. Sinon -et c’est malheureusement le cas actuellement- le système est totalement perverti par la malhonnêteté de certains.
Financer l’AJ par l’impôt !!!! En gros, je paye pour que mon agresseur soit défendu ? Ouais, la double peine quoi…
Je ne comprends pas la fronde des avocats concernant le prélèvement sur les intérêts de la CARPA pour financer l’aide juridictionnelle, si comme le dit l’article, ces intérêts ont vocation à être utilisés « pour la formation, pour l’organisation des consultations gratuites, pour la défense de certaines personnes non prises en charge par l’aide juridictionnelle (…) pour couvrir les frais afférents à une mission d’aide publique sans recourir à la participation de l’État. ».
Si l’aide juridictionnelle bat de l’aile, la priorité me paraît bien de lui donner tout ce qui en est l’accessoire…
Quant à la suppression de la postulation, voir la profession pousser des cris d’orfraie, moi ça me fait rire. Ce truc, dans mon boulot, je le perçois juste comme une opportunité de se servir deux fois de la bonne soupe: l’avocat saisi va chercher son postulant, et les deux ont de quoi manger…
Prélever sur les intérêts de la CARPA reviendrait à demander aux médecins de payer la CMU de leur poche, ou aux enseignants de payer pour les bourses scolaires des élèves pour reprendre les termes du Bâtonnier parisien… Vous trouvez ça logique?
Je constate juste que les intérêts de la CARPA (qui sont des intérêts sur des fonds client…) financent des activités accessoires à l’aide juridictionnelle, qui est mal en point.
Votre comparaison ne me paraît pas tenir la route.
Mais que les médecins paient la CMU ou que les enseignants paient les bourses scolaires, à un niveau de revenus, ce ne me paraît pas absurde.
» Nul rempart ne sauvera celui qui, enivré de sa richesse, a renversé l’auguste autel de la Justice: il périra. » Eschyle.
Et des revenus démesurés, chez les enseignants, chez les médecins, les avocats le savent bien, ce n’est pas monnaie rare. Alors oui, il y a aussi des crève la faim. Pour eux, Eschyle ne dit rien.
Avec un bémol important à ce que vous dites : les intérêts de la CARPA n’ont pas vocation initiale à appartenir aux avocats…
Papy,
Quant à la propriété des intérêts aux clients et pas aux avocats, je ne dis pas le contraire, puisque je précise qu’ils naissent sur des fonds client.
Bémol important, c’est d’un ton et demi ? 🙂
Merci de cet article clair, précis, équilibré, et à rebours des choses approximatives que l’on lit et entend ces jours-ci.
Une piste très peu utilisée hélas par les magistrats, surtout judiciaires (et sans doute sous-exploitée par les avocats eux-mêmes, alors même qu’elle ne peut que motiver à assurer la défense des plus démunis): les articles 37 et 75 de la loi du 10/7/1991 sur l’aide juridictionnelle, et qui permettent à l’avocat de demander lorsqu’il gagne la procédure, en lieu et place de la pathétique indemnité d’AJ, la condamnation de la partie adverse à lui verser directement une somme remplaçant les rais et honoraires que le client ne peut lui verser.
Jean-Éric Malabre, avocat, ancien président de l’Anafé (association nationale d’assistance aux frontières des étrangers)
C’est le système entier de l’AJ qui doit être revu. Lorsque l’usager ne paie rien, c’est comme en matière de soins, il a tendance à abuser du système.
Doit-on, parce que l’intéressé a des revenus très faibles, lui payer (même mal) un avocat tous les 6 mois pour réclamer une diminution de la pension alimentaire dont il est redevable ? Laisser un salarié faire convoquer un employeur devant le conseil de prud’hommes pour 55 € ? Permettre à un usager d’assigner la SNCF devant le juge de proximité pour obtenir le remboursement de son billet de train au motif qu’il est arrivé en retard car l’horloge de la gare n’était pas à l’heure exacte, et qu’il a raté son train ?
Toutes procédures que j’ai personnellement vues, et qui ne sont pas rares. Et qui engorgent les juridictions.
Regardons un peu à l’étranger : aucun système de ce genre…
Alors, OK pour l’AJ, et même OK pour bien mieux payer les avocats, mais il faut faire un tri préalable et ne pas autoriser chacun à engager une procédure inutile ou vouée à l’échec aux frais du contribuable.
Et il faut aussi surveiller la prestation produite : après tout, c’est de l’argent public.
Je me rappelle une demande de pension alimentaire contre un père naturel formée par une étudiante dont l’avocat n’a pas produit la copie de l’acte de naissance, seul document permettant au juge de vérifier qu’elle agissait bien contre son père… et ce malgré la demande du juge.
Et ces demandes dans lesquelles l’avocat se contente de reproduire la réclamation de son client en visant un vague texte, sans aucune motivation en droit. J’ai de nombreux exemples de ce genre en magasin.
Dernière observation : le système permettant de financer l’AJ, on l’avait : c’était le timbre à 35 € que devait acquitter tout demandeur à une procédure, sauf … les bénéficiaires de l’AJ. Sarko l’avait créé, Taubira l’a rapidement abrogé. Les tribunaux ont encore tout le matériel qui permettait d’enregistrer l’acquittement du timbre.
Il suffit de le remettre en vigueur, de le porter à une somme supérieure, somme qui sera le cas échéant remboursée au demandeur par son adversaire si ce dernier est perdant à la procédure, et d’exiger que même le bénéficiaire de l’AJ en paie une partie, 15 € par exemple, le prix de 2 paquets de cigarettes.
Mais voilà, ce serait reconnaître que le gouvernement précédent avait eu une bonne idée. Pas sûr que notre Président « Normal » et son gouvernement en soient capables… Le conflit va donc continuer, et se terminera sans doute par une de ces usines à gaz coûteuses et peu productives dont la France a le secret. Et nos socialistes se demanderont pourquoi donc les électeurs se tournent vers d’autres formations politiques…
L’idée de filtrer les demandes des justiciables me parait pertinente : elles doivent être substantielles, qualitatives, sinon c’est l’engorgement assuré.
Par contre, je suis en désaccord sur le rétablissement du droit de timbre de 35 € lors de l’introduction d’une procédure ! c’est une vraie-fausse bonne idée. La vérité, c’est qu’il faut en finir avec le budget de misère de la justice, son personnel bien insuffisant par rapport aux autres pays, notamment l’Allemagne. L’AJ doit être acquittée par l’impôt.