LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Firminy : homicide involontaire ?

Le procureur de la République déclare que Mohamed Benmouna s’est pendu dans sa cellule. Si dans la foulée il annonce l’ouverture d’une information judiciaire pour homicide involontaire, c’est que ce jeune homme n’aurait pas dû « pouvoir » se suicider. Il existe donc un dysfonctionnement tant au niveau de la surveillance que des conditions matérielles de garde à vue. On touche là à la responsabilité pénale pour les délits non intentionnels.

cellule-de-gav_montsaintegreve-copie.1247393395.jpgEn garde à vue, une personne est « dépendante », comme peut l’être un malade, un vieillard, un enfant ou un infirme – et à ce titre, elle doit être protégée. Il appartient donc à l’officier de police judiciaire de s’assurer de ses conditions de détention. Sa santé et sa vie ne doivent pas être menacées. Et au-delà de la personne du policier ou du gendarme, c’est tout l’appareil de l’État qui est concerné.

Dans une décision prise en octobre 2005, concernant une requête déposée par les parents de Pascal Taïs*, décédé dans les locaux du commissariat d’Arcachon en 1993, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France essentiellement sur deux postulats :

1/ Les personnes placées en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et par conséquent, lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et qu’il meurt par la suite, il incombe à l’État de fournir une explication plausible sur les faits qui ont conduit au décès.

2/ Une réponse rapide des autorités lorsqu’il s’agit d’enquête sur le décès d’une personne détenue, peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le principe de la légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux.

La Convention européenne des droits de l’homme  a d’ailleurs rappelé récemment que « face à des personnes détenues, placées en garde à vue ou venant de faire l’objet d’une arrestation et se trouvant donc dans un rapport de dépendance par rapport aux autorités de l’État, ces dernières ont une obligation de protection de la santé ».

Coïncidence ou à-propos, dans une interview au Figaro, le nouveau garde des Sceaux envisage de revoir les conditions de garde à vue et de détention provisoire. Quant au nouveau ministre de l’Intérieur, à ce jour, il n’a rien dit.

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* Pascal Taïs, alors âgé de 33 ans, est mort dans une cellule de dégrisement le 7 avril 1993. Lui et sa compagne avaient été interpellés à la suite d’une rixe et conduits à l’hôpital pour être examinés.  Mais Pascal Taïs refuse les examens et son comportement violent amène les policiers à lui porter des coups afin de le maîtriser. Il est alors examiné par un médecin qui délivre un certificat de non-hospitalisation. À 00h15, il est placé en cellule de dégrisement. À 7h30, on le découvre mort, gisant dans son sang et ses excréments. D’après la feuille d’écrou, 23 contrôles auraient été effectués durant ce temps, portant tous la mention « RAS ». Les parents déposent plainte avec constitution de partie civile. Le juge prend une ordonnance de non-lieu le 28 juin 1996 en arguant que les policiers ne pouvaient être mis en cause. Cette décision est confirmée par la Cour d’appel de Bordeaux 7 ans plus tard. Quant à la Cour européenne, elle a condamné la France avec cette conclusion : « La Cour constate que la France n’a pas fourni d’explication plausible sur l’origine des blessures ayant provoqué le décès de Pascal Taïs et estime dès lors que sa responsabilité est engagée quant à ce décès. En outre, la Cour considère que l’inertie des policiers face à la détresse physique et morale de l’intéressé et l’absence de surveillance policière effective et médicale ont enfreint l’obligation qu’a la France de protéger la vie des personnes en garde à vue ».

Elle a aussi noté que dix ans pour une enquête judicaire, c’était un peu long.

6 Comments

  1. Journaux Francais

    tout est flou dans cette affaire

  2. Patrick

    « delit non intentionnel », ca me parait vite dit…

    Ignorer est il un délit, la variante de non assistance à personne en danger?
    Comment un (des) professionnel (s) peut(vent) il(s) négliger/ignorer ou feindre(nt) d’ignorer la situation dans laquelle se trouvait « l’individu » en garde à vue?

    Peut on encore parler d’homicide involontaire? Involontaire me parait un terme inapproprié, même si l’on ne peut parler d’homicide
    volontaire dans le plus pur sens du terme.

    L’ignorance est parfois criminelle, et dans ce cas, peut etre intentionnelle.

    « Et au-delà de la personne du policier ou du gendarme, c’est tout l’appareil de l’État qui est concerné »

    Je dirais concerné au premier titre. Si on est tout a fait honnête, on s’apercoit vite que le véritable criminel, ce n’est pas « l’état » mais les politiques au pouvoir qui le compose, donnons des noms plutôt que des flous artistiques comme le mot « état ».

    Négligences au niveau des moyens, des formations, de la vetusté des locaux de police etc..
    Voila de vrais coupables mais hormis ce cas et quelques autres, la police sert régulièrement de bouc émissaire, c’est tellement plus pratique….

    On pourrait sérieusement approfondir sur les véritables responsabilités quand à ces situations, mais pour cela, il faut en avoir… du courage, au dela des étiquettes politiques et de ce point de vue, les francais sont lâches, et la conclusion c’est que l’on peut ne jamais ressortir vivant d’un commissariat. Surtout si on s’appelle Mohamed. Mais je me garderais bien de généraliser. Il y a d’excellents policiers, tous ne sont pas racistes.
    Il y a par contre beaucoup de mauvaises politiques, qu’elles soient de gauche ou de droite.

  3. johnny

    @ Daniel milan

    j’y suis allé, votre blog a le mérite d’etre lisble, mais c’est vite lassant de lire ces gros caractères. Amicalement.

  4. Daniel Milan

    Je crois comprendre à la lecture des articles et des commentaires laissés sur ce blog que M. Georges Moréas a pris du recul par rapport à son ancienne profession de policier et j’en suis heureux pour lui.

    J’ai cru aussi comprendre qu’il écrivait maintenant des polars.

    Cette affaire de « suicide » d’un jeune de 21 ans dans un commissariat de la banlieue de Saint-Etenne serait un beau sujet de polar, si elle n’était pas si monstrueuse pour la famille de la victime ainsi que pour les personnes pourvues de bon sens et d’humanité.

    Un vieil adage populaire dit « que plus gros est le mensonge, plus il passe ».

    Mais dans le cas du suicide de ce jeune de 21 ans, il ne passe-pas.

    Ni dans les banlieues, ni ailleurs, en dehors des milieux racistes et/où proches du pouvoir, toujours prêts à enfourcher le cheval de bataille de « l’innocence policière ».

    Y croient-ils vraiment d’ailleurs ? J’en doute !

    Du reste j’ai parcouru divers forums au sujet de cette affaire.

    Les racistes se sont vraiment mobilisés et lâchés à cette occasion, sur des forums pour vomir leur haine des Arabes et des Musulmans; comme chaque fois qu’un homme meurt de « mort naturelle » ou se « suicide » dans un commissariat, lors d’un contrôle ou d’une interpellation. Quand l’affaire fait des vagues évidemment !

    J’aurais beaucoup trop à développer sur ce sujet, donc afin de faire court ;je vous invite donc plutôt à lire mes deux derniers articles traitant de cette affaire sur mon blog : http://journaldesvivants.centerblog.net

    Daniel Milan

  5. ebolavir

    La dernière fois que je suis allé dans un commissariat (c’était pour déclarer qu’on m’avait volé mon téléphone portable), j’ai été frappé par la misère dans laquelle les policiers travaillent, même dans des locaux neufs comme c’était le cas: manque de place, pas de dégagements pour mettre un « client » hors de vue quand c’est nécessaire, pas d’endroit pour se reposer. Et pas assez de personnel. Après que j’aie attendu longtemps, j’ai vu arriver cinq ou six citoyens plus ou moins cabossés et pris de boisson, menés par des policiers. On m’a dit « Vous savez, on a de la procédure à faire. Si vous pouviez revenir plus tard … » (c’était une bagarre familiale).

    Les Français ne mettent pas assez d’argent dans leur police, et après ils crient vertueusement que c’est mal fait.

    Je vais faire du mauvais goût: dans ma grande ville chinoise, les bureaux de la sécurité publique sont nettement mieux installés que les commissariats français, et plus accueillants (j’y vais de temps en temps pour renouveler ma déclaration de résidence, ça prend un instant).

    Je continue de payer mes impôts en France. J’aimerais bien qu’il y en ait plus pour les policiers (et les juges aussi), et moins pour l’arrosage des bonnes oeuvres subventionnées qui crachent dessus (veuillez excuser ce mouvement d’humeur; je viens de lire les plus récentes déclarations de l’avocat de Julien Dray).

  6. Tom

    Hallucinante, l’histoire de Pascal Taïs…

    Des policiers l’ont laissé mourir (s’ils ne l’ont pas battu à mort), puis ils ont menti éhontément, mais « on ne peut pas les mettre en cause ». Et ces barbares sont encore en fonction quelque part.

    Enfin, ce n’est pas si surprenant que ça: France, chaque policier est le dictateur de son bout de trottoir… Avec le soutien du ministère de l’intérieur (MAM, incroyable de sans gêne, remplacée maintenant par Hortefeux, qui n’a pas honte de cracher sur ses propres électeurs). On s’étonne que les « jeunes » n’aiment pas l’autorité, et en particulier la police.

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