LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Terrorisme (Page 6 of 8)

Apostille à l’affaire Merah : récit d’une affaire ratée

Manuel Valls a admis qu’il y avait eu des erreurs au niveau de la DCRI. Pour lui, Merah aurait dû être surveillé au vu de son profil et de ses nombreux déplacements au Moyen-Orient et en Afghanistan. Et les conclusions de l’enquête interne entraîneront à coup sûr des réformes sérieuses de la DCRI. Bien au-delà d’un changement de chef. C’est peut-être même l’ensemble de nos services de renseignements (12 à 15 000 personnes ?) qui pourrait être visé. La récente nomination d’un diplomate à la tête de la Direction du renseignement (DR) de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) donne une idée de la nouvelle ligne.

En Norvège, après les massacres perpétrés par Anders Behring Breivik, une commission gouvernementale a reconnu les erreurs de la police et des services de sécurité, estimant qu’ils auraient pu empêcher ou du moins limiter l’action du meurtrier. Chez nous, on n’en est pas là. Et si les propos du ministre de l’Intérieur laissent augurer une remise en cause des services de renseignements, il ne faut pas fermer les yeux sur les erreurs qui ont suivi, en aval du premier meurtre.

Car pour le moins, il n’y a pas eu symbiose entre la PJ et la DCRI. Il a fallu attendre l’assassinat des deux militaires, à Toulouse, pour que le contact s’établisse entre les deux services. Soit 5 jours après le premier assassinat. C’est seulement alors que l’adresse IP de la mère de Merah est repérée parmi les mails reçus par la première victime. Trop tard. Le massacre à l’école juive a lieu le lendemain. Ce délai de 5 jours est incompréhensible, alors que Mohamed Merah était considéré comme une « menace directe », selon M. Valls. Et qu’un rapport les présentait, lui et son frère, comme des proches d’islamistes radicaux qui avaient développé une filière de recrutement de candidats au djihad.

Ensuite, il y a eu la double saisine. De mémoire de flic, un truc qui n’a jamais fonctionné. Lorsque Mohamed Merah est identifié de façon quasi certaine comme l’auteur des crimes, la Brigade de recherche et d’intervention de Toulouse débarque en catastrophe près de son domicile. Avec des instructions simples : on planque sur toutes les issues et on le serre à la première occasion. Dans ce genre d’opération, en général, on attend que l’individu soit dans sa voiture. C’est là où les risques sont les moindres. Une opération classique pour des flics de l’antigang. J’imagine la tête du commandant qui dirigeait le groupe lorsqu’il s’est fait éconduire par les pontes de la DCRI sous prétexte que le poisson était trop gros pour lui. Il ne pouvait pas savoir que, lors d’une réunion qui s’était tenue un peu avant, les autorités avaient décidé de faire intervenir le RAID. Pourtant, le RAID, comme le GIGN, n’est pas là pour faire le boulot des autres mais pour prendre en charge les situations extrêmes. Lorsque les méthodes traditionnelles ne suffisent pas. Et pendant que les uns parlaient et que les autres fourbissaient leurs armes, il semble bien que personne ne surveillait le domicile de Merah. Du moins pas sérieusement, puisqu’il serait sorti de chez lui, peut-être même par deux fois. Sans que personne ne s’en aperçoive.

L’intention des hommes du RAID est de le surprendre dans son « premier » sommeil. En l’absence de toute surveillance physique ou technique, ils ne savent pas que leur client ne dort pas, puisqu’il vient de rentrer chez lui. Les policiers d’élite, équipés légers, s’approchent à pas de loup de la porte. On les imagine en chaussettes, sur la pointe des pieds… C’est une image, évidemment. Alors qu’ils s’apprêtent à faire exploser la porte, celle-ci s’entrouvre et Merah ouvre le feu. Un policier est sauvé par son gilet pare-balles et l’autre par son bouclier de protection. Les hommes du RAID ripostent à travers la porte avant de se replier.

Machine arrière. Ça doit râler pas mal dans les rangs. Y avait-il une autre méthode ? N’étant pas préfet, je ne me permettrais pas de critiquer. Je me souviens pourtant de cette affaire des environs de Nice, où le chef du GIPN avait refusé de donner l’assaut pour déloger un forcené retranché chez lui avec un fusil de chasse. Trop dangereux, avait-il dit. Pas d’otage, on peut attendre. C’était la sagesse. Mais pas l’avis des autorités. On a fait venir un autre patron. Bilan : deux policiers sérieusement blessés et l’individu est abattu, alors qu’il a tiré ses deux cartouches et que son arme est vide.

Pas simple, d’être flic !

C’est alors qu’à Toulouse, commencent des négociations invraisemblables : une véritable vitrine médiatique pour Merah. Au point qu’il pourra dire, plus tard (via le procureur de la République)  « Je suis fier d’avoir mis la France à genoux ». Et cela dure, dure…, au point que cela devient ridicule. Il y a bien quelqu’un qui a dû lâcher : On passe pour des charlots ! Donc, rebelote pour le RAID. En respectant un impératif présidentiel : le capturer vivant. Il faut savoir que les policiers de ce service s’entraînent régulièrement à des tirs de neutralisation dans des parties non-vitales. Pour eux, tuer un suspect, c’est presque un échec. Il s’agissait donc d’une consigne parfaitement inutile et qui, d’une certaine manière, les a déstabilisés. Et les voilà repartis à l’assaut avec un armement léger. Et de nouveau, ils sont accueillis par un feu nourri. Merah tire depuis sa salle de bain, réfugié dans sa baignoire et protégé par un frigo. Les premières balles ont fait péter les canalisations d’eau. Les fuites rendent la porte de la salle de bain étanche aux gaz. Il faudrait donc creuser un trou pour enfumer la pièce. Pas le temps. Merah jaillit de la salle de bain en tirant tous azimuts. C’est le deuxième groupe, celui de couverture, qui riposte, avec des armes en l’occurrence inadaptées dans un local si minuscule. Mais toujours en visant les jambes. Touché plusieurs fois par des munitions puissantes, mais à faible pouvoir d’arrêt, le forcené claudique vers la fenêtre en visant les hommes situés derrière et ceux qui sont en position, un peu plus loin. L’un d’eux tombe du balcon alors qu’il tente de se dégager et qu’une balle lui a éraflé la carotide. Merah arrose dans tous les sens. Un autre policier est blessé au pied. Finalement, un tireur d’élite enfreint la consigne et lui colle une balle dans la tête. Dans son rapport, en termes diplomatiques, le chef du RAID fait remarquer qu’en « s’interdisant l’utilisation de certaines techniques et de certaines armes alors même que les circonstances l’auraient justifiée », on a mis en danger la vie de ses hommes.

Donc, une affaire loupée de A à Z. Pourquoi ce désastre ? Il faut surtout se poser la question de savoir s’il est normal que le ministre de l’Intérieur dirige une opération de police judiciaire. Avec dans son ombre un procureur qui tente de sauver la face. Les policiers et les magistrats ont donc baissé la tête. Aucun n’a eu le courage de dire non.

RAID : Tentative de débriefing

Christian Prouteau, le créateur du GIGN, critique l’opération du RAID. Robert Broussard, créateur de la Brigade anti-commando et initiateur du RAID, critique Prouteau. Tandis que l’ancien patron de l’Unité d’intervention de la police israélienne, Alik Ron, déclare sans ambages : « Toute l’opération ressemble à une démonstration de stupidité ».

Alors qui faut-il croire ?

Prouteau a raison sur un point : Il fallait tendre une souricière. Autrement dit organiser une planque et « sauter » Mohamed Merah au moment où il sortait de chez lui. Les risques n’étaient pas nuls, mais les chances de succès étaient importantes. Broussard, d’ailleurs, ne le reprend pas sur ce point. Il serait bien en peine, puisque c’est la technique que lui-même avait privilégiée pour arrêter Mesrine. Vous me direz, le résultat est le même dans les deux cas. Oui, mais pour Mesrine, aucun policier n’a été blessé.

Donc, c’est une première erreur. Ce n’est pas celle du RAID mais des autorités de l’État qui drivaient l’opération. Le problème, évidemment, c’est que cela pouvait prendre du temps. Mais probablement moins de 30 heures.

Donc, on a préféré la grosse artillerie. Avec ordre d’intervention en pleine nuit, après accord du juge des libertés et de la détention (Art.706-89 du CPP). Eva Joly n’a pas tort de dire qu’on agissait dans le cadre d’une opération de police judiciaire. L’autorité opérationnelle du ministre de l’Intérieur devait donc s’effacer devant celle des magistrats.

Mais ne chicanons pas.

Les  hommes du RAID donnent l’assaut. Peut-être à ce moment-là ont-ils un peu sous-estimé Mohamed Merah. Après tout, un jeune de 23 ans, seul dans un appartement, ils en ont vu d’autres… Ils se font cueillir sèchement. C’est là où survient, me semble-t-il, la plus grosse erreur : on leur enjoint de battre en retraite.

Or, ce qui différencie une opération militaire d’une opération de police, c’est que pour la police (ou la gendarmerie), il ne peut y avoir ni retraite ni reddition. C’est un principe républicain : force doit rester à la loi. On imagine la rage de ces policiers d’élite d’avoir à se replier alors que deux des leurs sont blessés…

On est donc à présent dans la situation où Merah sait qu’il est découvert et cerné. Si l’on se glisse dans sa peau, il a deux possibilités : se rendre ou mourir. Et l’on commence à négocier. Jusqu’à présent, j’avais cru comprendre que la négociation visait à sauver la vie des otages. Mais ici, pas d’otage. En fait, on négocie la vie de l’assassin présumé (fortement) de sept personnes. Normalement, une fois l’opération commencée, on la termine. Certes on fait tout pour éviter de tuer le suspect, mais si on se fait canarder, on riposte. Ça, ce n’est ni de gauche ni de droite, c’est dans la loi.

« Qui attend 30 heures quand il n’y a pas d’otage ? » interroge le policier israélien. Durant ces longues heures de siège, non seulement Merah roule les autorités dans la farine, en leur disant un coup noir un coup blanc, mais il s’organise, il se barricade. Et surtout, il tient la vedette dans tous les médias. Plus grave encore, s’il a des complices, il leur donne le temps de prendre le large et éventuellement de détruire les preuves.

Lorsque le nouvel ordre de donner l’assaut intervient, en haut lieu, on insiste de nouveau : Il faut le capturer vivant. C’est presque une insulte. Les policiers du RAID ne sont pas des tueurs. Au contraire, ils sont formés pour neutraliser les suspects. Et s’ils doivent tirer, ils ont suffisamment d’entraînement et de sang-froid pour viser des parties non vitales. Or, le chef du RAID a, d’après ses dires, doté ses hommes d’armes non létales. Ce qui a dû leur compliquer sérieusement la tâche lorsqu’ils se sont trouvés sous un feu nourri. Ordre ou pas, la réplique a été sévère. Je n’ai pas le souvenir d’une intervention où autant de cartouches aient été tirées dans un si petit espace !

Alors, cette opération est-elle une réussite ? Difficile de dire cela alors que le suspect a été criblé de balles et que cinq policiers ont été blessés. Dans la lettre que le chef du GIGN, le général Thierry Orosco, adresse au chef du RAID, le contrôleur général Amaury de Hautecloque, il conclut en disant : « Je compte sur toi pour nous faire part, au cours d’un débriefing, des enseignements que vous tirerez de cette opération. »

Je voudrais bien être une petite souris…

Mais le plus désastreux, dans cette histoire, c’est la vitrine médiatique que l’on a fournie à Mohamed Merah. Et lorsque l’on entend dire qu’il est mort comme il le souhaitait, les armes à la main, on frissonne. Pour certains extrémistes, ne pourrait-il pas devenir un symbole ?

Mohamed Merah : Loup solitaire ou agent dormant ?

Alors que les négociations se poursuivent pour obtenir la reddition de l’auteur présumé des meurtres de Toulouse et de Montauban, déjà on s’interroge sur son profil : loup solitaire ou agent dormant ?

Les deux plus grandes craintes en matière de terrorisme.

Le loup solitaire est l’individu qui partage une identité idéologique ou philosophique avec un groupe et qui un jour décide de passer à l’acte. En solo. Sans avoir reçu d’instructions et même parfois sans participer activement à la vie de ce groupe. Internet favorise de telles focalisations. C’est un peu la rébellion de la fourmi dans la fourmilière.

Pour Nicolas Lebourg, chercheur à l’Université de Perpignan, cité dans le blog du Monde Droites extrêmes, c’est une tactique inventée par l’Américain Joseph Tommasi, en 1974, pour qui le terrorisme individuel est le seul susceptible de passer entre les mailles des filets de protection mis en place par les États. Métapédia, date le loup solitaire de la fin des années 90, lorsqu’aux États-Unis, un certain Alex Curtis prônait l’utilisation de tous les moyens « individuels » pour lutter contre tous les non-Blancs. Mais peu importe l’origine, cette stratégie terroriste, quasi mythique, consiste à échauffer des esprits faibles pour les inciter à passer à l’action – de leur plein gré. Ces gens se croient chargés d’une mission. Quelle qu’elle soit. Ici des assassinats, mais il peut tout aussi bien s’agir de lettres de menaces, de colis piégés, du plastiquage des radars routiers, etc.

Le norvégien Anders Breivik, qui aurait agi pour combattre « l’islamisation de l’Europe par les gouvernements socialistes », semble bien cadrer avec cette définition.

Qu’en est-il de Mohamed Merah ? Il est trop tôt pour le dire. Mais il aurait effectué plusieurs « stages » aux frontières du Pakistan et de l’Afghanistan, peu après sa sortie de prison. Ce qui incite à penser qu’il a pu faire l’objet d’un endoctrinement et d’un recrutement par un réseau islamiste clandestin derrière les barreaux de sa cellule. On pourrait donc se trouver en présence d’un agent dormant. C’est une technique qui date du siècle précédent et dont le KGB s’était fait le spécialiste. Ce service secret favorisait l’implantation sociale d’un espion et le laissait mener une vie normale. Il pouvait se passer des années, voire des dizaines d’années, avant qu’il ne soit « réactivé ». Certains ont été identifiés (pas nécessairement arrêtés, mais « retournés ») au plus haut niveau de l’administration française.

La préparation de l’attentat du World Trade Center montre qu’Al-Qaida utilise cette stratégie, du moins sur de courtes périodes.

Dans le cas qui nous intéresse, il appartient désormais aux enquêteurs de déterminer dans quelle case se trouve le suspect. C’est très important. Car s’il a été recruté, formé, puis finalement activé pour commettre ces assassinats, cela voudrait dire que la France est devenue une cible pour les terroristes. Et qu’il y a la volonté très nette d’influer sur la campagne présidentielle.

Si c’était l’un des objectifs, c’est une réussite.

Les enquêteurs ont identifié l’assassin, pourtant, l’enquête est déjà critiquée, comme on peut le lire sur le site OWNI. Avec en filigrane cette question : aurait-on pu éviter le massacre de jeunes enfants ? En fait, il semble bien qu’il y ait eu des hésitations, des lenteurs. Mais comment faire travailler ensemble des dizaines de fonctionnaires appartenant à des services différents, aux méthodes différentes et avec autant de chefs au-dessus d’eux ? Si l’on ajoute la pression politique et médiatique, c’est l’usine à gaz. Plus tard, cela nécessitera un débriefing, et j’espère qu’il sera rendu public.

Quant à la question qui nous tarabuste : pourquoi le RAID n’intervient pas ? Je n’ai pas la réponse. C’est la première fois qu’une telle situation se produit, du moins lorsqu’il n’y a pas d’otage. Soit Mohamed Merah détient des explosifs, et l’on craint un guet-apens, soit personne n’ose prendre le risque de le tuer, pour ne pas aller contre la volonté du président de la République, qui a dit : « J’le veux vivant ! »

Faut-il démanteler la DCRI ?

La direction centrale du renseignement intérieur, c’est un peu le fait du prince. Créée par la seule volonté du président Sarkozy, sur les conseils forcément autorisés d’on ne sait trop qui, à ce jour, elle n’a pas réussi à convaincre. Pire, elle draine la suspicion. Sa première affaire, l’arrestation spectaculaire, au fin fond de la Corrèze, de Julien Coupat et de son équipe de pseudo-terroristes, restera dans les annales. Une enquête, affirmait alors sans rire le ministre de l’Intérieur (Mme Alliot-Marie), effectuée en collaboration avec les services secrets américains et ceux de plusieurs pays d’Europe, qui a mis à mal une « structure à vocation terroriste ». Et aujourd’hui, une affaire qui semble en déliquescence. D’autant qu’une information judiciaire a été ouverte pour faux en écriture publique, en raison d’un procès-verbal de surveillance peut-être bidonné. Et une seconde, par un juge de Brive-la-Gaillarde, pour des écoutes sauvages mises en place sur le bar-épicerie que tenaient les « terroristes ».

On pourrait se dire qu’il s’agissait d’une mise en jambes… Sauf que si le service était tout récent, les policiers, eux, ne manquaient pas d’expérience. C’est donc l’organisation même qui a failli. Trop proche du pouvoir politique, diront certains.

C’est sans doute l’avis du député Jean-Jacques Urvoas. Dans une étude de trente pages, que l’on peut télécharger sur le site de la fondation Jean Jaurès, Il revient sur la suppression de la direction de la surveillance du territoire (DST) et des renseignements généraux (DCRG). Une réorganisation effectuée à l’emporte pièces, sans aucune étude préalable, supprimant d’un coup des services qui marchaient bien, même si tous deux ont connu parfois quelques trous d’air. Avec un objectif principal : centraliser le renseignement « fermé », c’est-à-dire secret, voire protégé par l’estampille « secret-défense ». Les RG de Paris, qui dépendent du préfet de police, sont d’ailleurs restés en dehors de la réforme. Même si l’on a changé leur nom : les RGPP sont devenus la DRPP (direction du renseignement de la préfecture de police).

Pour le reste de la France, la direction des renseignements généraux a été dissoute pour faire place à une sous-direction de l’information générale (SDIG) rattachée à la sécurité publique. Perdant au passage plus de la moitié de ses effectifs. Rappelons que si les RG avaient souvent mauvaise presse dans l’opinion publique, aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’avait pris jusqu’ici le risque de s’en passer. Ils étaient un peu le thermomètre de la société. La SDIG, qui les a remplacés, a-t-elle les moyens de suivre les difficultés de la population, des entreprises, des commerçants, des administrations… ? En fait, avec cette réforme, il semble bien que nos dirigeants se soient coupés de la France profonde. Ils sont à présent souvent dans l’impossibilité de prévoir une fermeture d’usine, un mouvement social…, ou tout simplement de prendre le pouls d’une cité de banlieue.

Quant à la gendarmerie nationale, qui excelle dans le domaine du renseignement « ouvert », après une période de flottement, elle a finalement relancé son activité dans ce domaine. Ce qui entraîne une compétition gendarmerie-police qui va à l’encontre de l’objectif fixé par le rapprochement de ces deux grands corps de l’État.

« Comment se fait-il qu’à l’heure actuelle, demande M. Urvoas, en pleine crise économique, aucune synthèse ne vienne centraliser les notes alarmistes qui remontent des services territoriaux, annonçant la fermeture imminente en cascade d’entreprises et d’usines ? » Et de quand date la dernière synthèse nationale sur les violences urbaines ? Le député socialiste propose plusieurs pistes de réflexion pour « reconstruire » le renseignement social, dont la création d’une direction générale. Peu importe les modalités, le plus important, me semble-t-il, tient dans le titre même de la note : Rebâtir le renseignement de proximité.

Et, comme cela suppose des moyens en hommes et en matériel, il est probable que l’on déshabille la DCRI. En deux mots, on reviendrait peu ou prou à la case départ. En essayant de faire mieux, mais en se disant aussi que cela ne marchait pas si mal avant.

Les hackers sont-ils des terroristes ?

Il y a quelques jours, Anonymous piratait le site d’un syndicat de police. L’action des « cyber-activistes » se serait traduite par la publication pendant quelques heures des coordonnées personnelles de 541 policiers.

Publier des informations permettant d’identifier quelqu’un dans l’intention de lui nuire est un délit, mais il n’est pas sûr que le texte soit bien adapté. L’année dernière, pour des événements sensiblement similaires, le ministre de l’Intérieur avait préféré déposer plainte pour diffamation publique. En revanche, le fait de s’introduire dans « tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données » entraîne une kyrielle de sanctions prévues dans les articles 323-1 et suivants du code pénal. Et la volonté d’entraver le fonctionnement d’un système informatique, par exemple en le saturant, est considéré comme un déni de service (5 ans de prison).

Tout cela ne fait pas des Anonymous de dangereux terroristes. Sauf, évidemment, si les autorités du pays estimaient que par leur action, ils portent atteinte aux « intérêts fondamentaux de la Nation ». Dans ce cas, peut-être, l’article 411-9 pourrait s’appliquer (15 ans de détention criminelle)…

Mais alors, pourquoi la DCRI est-elle chargée de ce type d’enquête ? C’est tout simplement que cette direction de la police nationale a hérité des services techniques de la DST. Qui, il n’y a pas si longtemps, étaient chargés entre autres de la « police des communications radioélectriques » (PCR). Et même – un peu plus avant – de la surveillance des pigeons voyageurs. Si, si ! Il y avait un groupe « colombophilie » composé, il est vrai, d’un seul enquêteur. L’ami Raymond. Les anciens de la PCR (comme moi) se souviennent des « nuits gonio » passées dans l’ancien centre d’écoutes de « la Grenouillère », à Noisy-le-Grand ; ou de la chasse aux fanas de la « citizen band », les gentils rebelles des années 60. Bon, d’accord, ce sont les mêmes poulagas qui ont tenté de « bidouiller » les locaux du Canard Enchaîné… Personne n’est parfait.

Heureusement, ces « techniciens » d’aujourd’hui ne semblent pas plus méchants que ceux des décennies précédentes. Du moins si l’on se rapporte au récit que fait Pierrick Goujon de son arrestation, à OWNI, ou sur une page personnelle : « Je ne crache pas sur des mecs qui font leur métier, ceux à qui j’ai eu affaire étaient vraiment sympas (…) Merci pour ce que vous avez fait pour moi. Et de m’avoir laissé fumer 20 clopes en 60 heures, je sais que beaucoup ne l’auraient pas fait. »

C’est vrai qu’ils sont plutôt sympas, à la DCRI. Ils auraient pu verbaliser pour « tabagisme dans un lieu à usage collectif »…

 « Nous traversons le présent les yeux bandés… », dit Soph’, dans un commentaire du billet précédent, citant Milan Kundera.

Il y a 25 ans, le 9 juillet 1986, une bombe explosait dans les locaux de la brigade de répression du banditisme (BRB) de Paris : un mort, l’inspecteur divisionnaire Basdevant, et vingt blessés. L’attentat était revendiqué par un groupuscule inconnu qui aurait voulu venger un jeune homme tué par les CRS. Toutefois, à l’époque, l’enquête s’est plutôt orientée vers l’artificier de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) – aujourd’hui en règle avec la société. Jacques Chirac, alors tout nouveau Premier ministre de François Mitterrand, s’était déplacé Quai de Gesvres : « La police est de nouveau en deuil, une fois encore, etc. ». Bon, sur le petit film de l’Ina, on voit bien qu’il a d’autres soucis en tête que la mort d’un poulet. « Notre nouvelle frontière, ce doit être l’emploi », avait-il déclaré quelques semaines plus tôt, lors de son discours de politique générale prononcé devant l’Assemblée nationale. La même volonté farouche de lutter contre le chômage que dimanche dernier, sur le petit écran…

Tout ça pour dire qu’il n’est pas mauvais de se tourner vers son passé et de vivre le présent avec discernement.

 

Le coup du colis suspect

« Le service est interrompu à la suite d’un colis suspect au Châtelet. Les passagers sont invités à descendre… » Tous les utilisateurs des transports en commun connaissent la chanson. Rien qu’à Paris, cela se produit des dizaines de fois par mois. Les gens rouscaillent, regardent leur montre, sortent leur téléphone portable, lèvent les yeux vers les panneaux, se bousculent, etc.

Personnellement cela m’est arrivé hier à la station Auber. Je me rendais au musée de la police pour préparer mon prochain billet : comment faire pour rejoindre Maubert-Mutualité ? Tout le monde n’y allait pas, c’est sûr, mais tout le monde cherchait son chemin et des groupes de personnes comme moi déboussolécolis-piege_site_terra-economicainfo.1305187790.jpges se pressaient devant les plans de métro. Au demeurant pas très lisibles. J’eus alors un coup de nostalgie pour ces plans lumineux qui ont fait la joie de bien des gosses de ma génération. On appuyait sur un bouton et de petites ampoules de différentes couleurs vous indiquaient votre trajet. Je crois qu’il reste encore quelques tableaux de ce genre. J’espère que la RATP aura le souci de ne pas les détruire…

Dans le M7, où j’étais finalement parvenu à me faufiler, je me disais qu’il doit être bien difficile pour les démineurs du Laboratoire central de la police scientifique de prendre à chaque fois les mesures de sécurité et de précaution comme s’il s’agissait d’une bombe ! Car, bien sûr, ce n’est jamais une bombe, jusqu’au jour où… D’autant que nous serions, paraît-il, le deuxième pays du monde sur la liste noire d’Al-Qaïda. Et comme il est difficile d’aller plus haut dans l’échelle du plan Vigipirate (au rouge fixe depuis des années), le ministre de l’Intérieur a donné des instructions pour renforcer « la densité et la qualité » dudit plan. Nous voilà rassurés.

Sur le terrain, cela veut dire que la simple découverte d’un colis suspect génère une procédure plutôt lourde : périmètre de sécurité, recherche des témoins en attendant l’arrivée des spécialistes du Labo, etc. Et dans le métro, par exemple, cela entraîne généralement l’évacuation des quais et le blocage des rames.

D’où la pagaille aux alentours.

Il s’agit parfois d’une simple étourderie, le quidam stressé ou l’étourneau, mais la plupart du temps, le sac ou le colis a été abandonné sciemment. On peut s’interroger sur la raison qui pousse de petits plaisantins à ainsi foutre le bordel…

J’en étais là de mes supputations lorsque le conducteur du métro a informé les voyageurs qu’ils se devaient d’être vigilants car la police signalait que des pickpockets avaient été repérés sur les quais et dans plusieurs rames.

Un sac judicieusement abandonné sur un coin de quai, et c’est la bousculade. Les circonstances idéales pour mettre la main dans votre poche.

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Les commentaires sont actuellement peu lisibles, car ce blog fait l’objet d’une attaque en règle de spammeurs. Je vous prie de m’en excuser. GM

Attentat de Marrakech : les pièges d’une enquête internationale

«  On semble avoir identifié deux suspects possibles », a déclaré hier Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères. De quoi faire bondir les enquêteurs marocains, alors qu’ils sont tenus de faire équipe avec les experts de plusieurs pays, dont une dizaine de policiers français – que l’on imagine d’ailleurs plutôt mal à l’aise après cette annonce prématurée. Pas le genre de truc à faciliter les contacts. D’autant qu’ils sont là, officiellement, pour aider à l’identification des corps. En fait pour effectuer une argana_marrakeche.1304583367.JPGenquête préliminaire ouverte à Paris. Une enquête en finesse, puisqu’ils ne disposent d’aucun pouvoir d’investigation. Et qu’au moment de cette déclaration pas très… diplomatique, les autorités marocaines s’interrogeaient encore sur l’opportunité de publier ou non les portraits-robots desdits suspects.

On pourrait appeler ça une fuite.

La veille déjà, la posture va-t’en-guerre de Nicolas Sarkozy, « La France ne laissera pas ce crime impuni » avait sérieusement agacé les Marocains. « Le Président français s’érige-t-il en justicier à la manière de George W. Bush après les attentats du 11-Septembre La France va-t-elle s’ingérer dans les affaires intérieures du Maroc ? Va-t-elle mener l’enquête à la place des autorités marocaines, pour rendre justice, punir les responsables ? » s’interrogeait le magazine Yabiladi.

D’autant que personne ne peut aujourd’hui se prononcer sur l’origine de cet attentat. Même si la presse (française) a annoncé l’arrestation d’un homme qui serait lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique.

Ainsi, une vidéo, postée sur le Net trois jours avant le drame, ressemblait fort à un avertissement préalable. On y voit des hommes armés dénoncer les conditions de détention des prisonniers «  religieux ». Il s’agissait donc de menaces claires contre le Maroc. Une manière de prévenir qui n’est pourtant pas dans les habitudes d’Aqmi. Et qui arrive comme un cheveu sur la soupe, puisque de nombreux prisonniers politiques et religieux ont été libérés il y a moins de trois semaines.

On sait aujourd’hui que cette vidéo est un extrait d’un film de propagande qui date de 2007. Quel intérêt de ressortir cette vidéo trois jours avant de commettre l’attentat ? Pour Anne Giudicelli, consultante sur le terrorisme en Afrique et au Moyen-Orient, qui a détecté la supercherie, ce ne serait pas un hasard. « Il y a volonté de prendre un extrait pour probablement peser sur les investigations et essayer de valider l’hypothèse que ce serait Aqmi qui est derrière », a-t-elle déclaré (source AFP).

Selon la même dépêche de l’agence de presse, une autre vidéo, qui promet « une frappe douloureuse contre le royaume impie du Maroc » a également été diffusée avant l’attentat. Or, il s’agit de l’extrait d’un film de janvier 2010. Pour Jean-Charles Brisard, un autre expert français, ces deux faits ne sont pas des coïncidences.

Et du coup, la théorie du complot intérieur prend de l’ampleur. Un moyen de mettre un holà aux réformes promises par le roi Mohamed VI pour éviter la contagion du « Printemps arabe ». Et notamment celle d’inscrire la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice dans la Constitution.

Dans Le Monde des religions, Mohamed Fadil Redouane, spécialiste de l’islamisme au Maroc et doctorant à Paris-Sorbonne, émet de « sérieuses réserves » quant à la piste d’Al-Qaïda, même s’il est trop tôt pour tirer des conclusions. « La théorie du « complot », comme on l’appelle, a très rapidement émergé dans certains médias marocains, dit-il. Et des centres de pouvoir internes ont clairement été accusés d’être derrière ces attentats de Marrakech. Cette hypothèse, si elle est pour l’instant invérifiable, est plausible, parce qu’elle permettrait à une partie du pouvoir de reprendre la main, de décrédibiliser les islamistes et de maintenir une certaine pression sécuritaire sur le peuple marocain tout en le détournant de ses velléités démocratiques auxquelles il semblait jusqu’à présent farouchement accroché. »

Lorsqu’on voit le bond fait dans les sondages par Barack Obama, après la fin brutale de Ben Laden, on peut craindre que cela ne donne des idées à d’autres. Dans l’enquête sur l’attentat de Marrakech, il faut espérer que les experts se trompent et qu’aucun gouvernant, que ce soit au Maroc ou ailleurs, ne s’abaisserait à utiliser la menace terroriste à des fins de politique intérieure…

La révolution ! Et si c’était en France…

Les soulèvements populaires, en Tunisie et en Égypte, sont des événements  probablement décortiqués avec soin par les autorités françaises. Non pas que le souffle de la révolution ait gagné notre pays, mais pour les forces armées et les forces de police, il y a là nécessairement un enseignement à tirer. D’autant que la France, sous l’impulsion du président de la République, s’est préparée à des situations de ce genre. Et le fameux Livre blanc sur la sécurité, même s’il est conçu pour lutter contre le terrorisme, nous donne toutefois certaines clés.

revolution_lenfermement_ecole-de-recherche-graphique.1297498986.jpgQuels moyens pourraient être utilisés pour faire face à un mouvement insurrectionnel ?

Insurrectionnel ! Le mot n’est pas trop fort, puisqu’il a été utilisé en 2005, lors des émeutes dans les banlieues. Peut-être pour justifier la proclamation de l’état d’urgence décidé par le conseil des ministres, à la demande de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur.

À l’origine, en 1955, l’état d’urgence ne pouvait être décidé que par un vote des parlementaires. Mais une ordonnance de 1960 a transféré cette attribution au pouvoir exécutif, du moins pour une période de douze jours. Ensuite, il faut une loi. Cette mesure peut être utilisée en cas d’atteintes graves à l’ordre public, ou pour faire face à une calamité nationale, hypothèse envisagée en 2009, alors que l’on parlait d’une épidémie de grippe qui devait toucher des millions de personnes et désorganiser le pays. On se souvient de ces réunions de crise sous la houlette du ministre de l’intérieur.

L’état d’urgence entraîne un durcissement des pouvoirs de police au détriment des libertés individuelles, comme la liberté d’aller et venir ou la liberté de réunion. Et autorise également la censure de la presse ou le couvre-feu. Dans le même temps, les prérogatives des autorités administratives sont renforcées. L’état d’urgence permet également de mettre en œuvre l’organisation générale de la nation en prévision d’une guerre.

Un échelon au-dessus, on trouve l’état de siège, prévu par la Constitution et le Code de la défense. Il est également décrété en conseil des ministres, dans l’éventualité d’une guerre ou d’une insurrection armée. Il transfère les pouvoirs de police aux autorités militaires, au minimum pour le maintien de l’ordre.

Et enfin, l’article 16 de la Constitution (qui est un peu le fait du prince), lequel s’inspire de circonstances exceptionnelles. Son application est prévue uniquement si les institutions de la République sont menacées. Il est décidé par le chef de l’État, lequel accapare alors tous les pouvoirs. Il n’a été utilisé qu’une seule fois, en 1961, lors du putsch de ce fumeux « quarteron de généraux en retraite ».

La réforme constitutionnelle de 2008 a apporté cependant un garde-fou, en donnant la possibilité aux élus de saisir le Conseil constitutionnel au bout de trente jours pour vérifier que les conditions prévues dans l’article 16 sont bien réunies. À défaut, le Conseil constitutionnel peut se saisir d’office au bout de soixante jours.

Ces dispositions existent de longue date, et l’une ou l’autre s’appliquerait à coup sûr si la France devait connaître des mouvements de foule comme ceux auxquels on a assisté de l’autre côté de la Méditerranée.

Quoique les événements de Mai-68 n’aient pas entraîné de telles mesures. Une autre époque, où la dramaturgie n’était pas une arme politique… Et où l’on a eu la chance d’avoir un Premier ministre à la hauteur : Georges Pompidou, lequel a joué l’apaisement, alors que le président de Gaulle envisageait le pire.

Ce qui a changé récemment, c’est la création d’un Conseil de défense et de sécurité nationale, une sorte de Pentagone à la française, placé sous la coupe du locataire de l’Élysée. Certains y voient un danger pour la République. Il faudrait pour cela que notre pays soit dirigé par un homme ou une femme qui posséderait tous les pouvoirs de décision, et où les membres du gouvernement ne seraient que des figurants, et les parlementaires des béni-oui-oui. La définition d’une autocratie.

Heureusement, ce n’est pas le cas en France !

Pourtant, nos militaires ont pour mission de se préparer à cenzub-panneau-entree-wikipedia.1297500618.JPGtoute éventualité. Philippe Leymarie, dans un article du Monde diplomatique de 2009, affirme que les exercices d’entraînement aux combats urbains sont devenus monnaie courante au sein de l’armée française. « Le souci de contenir le niveau de violence, notamment dans les conflits de type insurrectionnel débouchant sur une « guérilla urbaine », appelle des actions directes, le plus souvent « au contact »… », nous dit-il. Cette année doit d’ailleurs s’ouvrir officiellement le CENZUB (Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine), dont le coût est estimé à 80 millions d’euros. D’après Wikipédia, il comprend (entre autres) la reconstitution d’un village, d’un  bidonville et d’une zone de caravanes.

Et même si cela se justifie par des concentrations urbaines de plus en plus fortes (en 2025, les deux tiers des occupants de la planète bleue devraient résider dans des villes), on ne peut s’empêcher de penser que l’idée d’utiliser l’armée pour le maintien de l’ordre fait peu à peu son chemin. Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur en est la première illustration. Auparavant, les gendarmes mobiles devaient être requis par l’autorité civile pour intervenir, alors qu’aujourd’hui, ils sont sous les ordres des préfets. Nombre de militaires ne sont pas chauds pour des missions de ce type (le terme « pacification » semble avoir la cote, comme au temps de la guerre d’Algérie). Ils estiment que ce n’est pas leur rôle. Pourtant, la frontière devient de plus en plus floue entre défense nationale et sécurité intérieure. Notamment pour nos dirigeants, puisque les deux instances, le Conseil de défense et le Conseil de sécurité intérieure, sont aujourd’hui réunies.

Et, en dehors de toute opinion politique, il faut avouer que les propos belliqueux de Nicolas Sarkozy, ou de certains de ses fidèles, ne sont pas de nature à nous rassurer. À force de nous rabâcher que nous sommes en guerre contre le terrorisme, le crime et manifestant-seul-dans-fumee-gaz_manifs-lyon-2010_extrait-film-lyon-capital.1297499333.JPGla violence, on a l’impression que la France est plutôt en guerre contre elle-même. « La fureur guerrière n’est qu’une neurasthénie collective », disait André Maurois. Alors, peut-être notre vieux pays est-il malade…

En tout cas, à trop fourbir ses armes pourrait bien naître un jour l’envie de s’en servir.

Une loi contre les pirates de la mer

Alors que l’on continue de s’interroger sur les conditions de l’intervention militaire au Niger et au Mali, il est intéressant de se pencher sur cette loi du 5 janvier dernier destinée à mieux lutter contre la piraterie en mer. Elle a pour origine une autre affaire de prises d’otages qui, elle, concernait l’équipage d’un yacht de luxe, Le Ponant.

pirate_site_coloriage-dessin.1295174439.jpgOn se souvient, c’était en avril 2008, ce grand voilier est abordé dans le golfe d’Aden par un groupe de pirates. Grâce à une action conjointe entre les commandos marine (FORFUSCO : force des fusiliers marins et des commandos) et le GIGN, l’opération « Thalatine », les otages sont libérés, et six des ravisseurs sont arrêtés.

Le succès de cette opération est le résultat d’une préparation de longue date, le plan Pirate-Mer, mis en place en 1980 pour des situations de ce genre et notamment pour faire face à une attaque terroriste en mer. Rapidement, dès le début de l’alerte, chacun des intervenants trouve sa place. Tandis que les militaires échafaudent une stratégie d’intervention, l’armateur du Ponant, discrètement conseillé par les spécialistes du GIGN, négocie les conditions pratiques de la remise de la rançon. Imposant ses conditions. Il est convenu que les otages quitteront le voilier au moment où celle-ci sera payée : l’instant idéal pour agir. Car la consigne de l’Élysée est claire : priorité aux otages, mais une fois ceux-ci en sécurité, il faut tout faire pour intercepter les pirates – et récupérer la rançon.

Et même si une partie de l’argent s’est évaporé, cette affaire est une belle démonstration du savoir-faire français : une coordination impeccable, et la participation de toutes les armées : mer, air, terre. Et je regrette d’avoir fait à l’époque sur ce blog, et à chaud, un billet plutôt négatif.

Le plan Pirate-Mer prévoit que le GIGN se concentre sur l’aspect « terroriste » tandis que le commando marine évalue la dimension maritime du problème. Une concertation permanente entre les acteurs politiques et les responsables opérationnels permet de coordonner au mieux l’ensemble de l’opération. « Les clés du succès ont résidé, d’une part, dans la préparation et les compétences des commandos et du GIGN et, d’autre part, dans l’organisation de l’opération », peut-on lire dans le remarquable rapport de l’Assemblée nationale de 2009. Ajoutant un peu plus loin : « Pour combattre la piraterie dans le cadre d’un État de droit et conformément à la convention de Montego Bay, la seule « réponse militaire » ne peut suffire (…) Il ne faut donc surtout pas oublier que les opérations menées contre la piraterie utilisent des moyens militaires mais sont des opérations de police qui auront des conséquences judiciaires. »

C’est d’ailleurs le problème qui s’est posé, à l’issue de l’affaire du Ponant. Il y a eu six prisonniers, mais comment les traiter ? Car si la mobilisation internationale est forte pour lutter contre ce fléau, la multiplication des directives fait un peu fouillis. Et la France ne possédait pas les structures juridiques nécessaires. Les pirates sont néanmoins ramenés en France – malgré le flou du droit. D’où cette loi du 5 janvier 2011. Dorénavant, la procédure s’identifie à celle qui vise la criminalité organisée (alinéa 17 à l’article 706-73 du Code de procédure pénale), avec à la clé une peine de trente ans de réclusion criminelle (art. 224-6-1 du Code pénal).  Et à défaut d’officiers de police judiciaire, les commandants de bâtiments et d’aéronefs d’État et les officiers de la marine nationale pourront exercer des actes de police judiciaire (constatation des infractions, arrestations des suspects, saisies…).

Les pirates ayant porté atteinte à des ressortissants français seront donc désormais traduits devant des tribunaux français – en toute légalité. « (Car) actuellement, dit Nicolas Gros-Verheyde sur son blog Bruxelles2, consacré en partie à l’Europe de la Défense, les pirates pris en flagrant délit ou suspects sont tout simplement remis en liberté, après interrogatoire et prise des empreintes ou identités. Quand c’est possible, ils sont rapatriés en Europe. Mais c’est rare. Moins d’une quarantaine ont été ainsi rapatriés. Peu de pays les acceptent. Et encore en quantité très limitée. La France pourtant très allante dans les actions de piraterie n’a ainsi plus accueilli de suspects, depuis avril 2009. Il faut dire que les premiers pirates transférés, en avril 2008 suite à l’affaire du Ponant n’ont toujours pas été jugés. Cela va faire maintenant trois ans… »

Bizarrement, les choses se présentent différemment si l’on ne parle plus de pirates, mais de terroristes, car il est admis que la lutte contre le terrorisme permet de s’affranchir de certaines contraintes, comme celles qui visent à la protection des libertés individuelles.

On peut cependant s’interroger sur la différence entre un enlèvement crapuleux et une action terroriste… On est dans l’épaisseur du mot. Je crois, pour ma part, qu’il s’agit le plus souvent d’une sémantique de salon. Problème que l’on retrouve d’ailleurs dans notre droit pénal. Le sabotage d’une ligne TGV est-il du vandalisme ou un acte terroriste ?

Ainsi, il y a deux mois, lors d’une opération de grande envergure menée conjointement par la police et l’armée nigériane, 19 otages, dont deux Français, ont été libérés. Ils avaient été enlevés dans la région du delta du Niger. Enlèvement revendiqué, pour la plupart d’entre eux, par le Mend (Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger), lequel justifie ses actions par la volonté d’obtenir une meilleure répartition de la richesse pétrolière. Pour certains, il s’agit d’une façade pour masquer des actes qui relèvent du banditisme, tandis que d’autres estiment son action politique. En tout cas cette opération, rendue possible, paraît-il, grâce aux renseignements fournis par des « repentis », a été un succès.

Pour mémoire, quelques jours auparavant, trois otages français avaient également été libérés, probablement contre l’échange d’une rançon versée par l’entreprise qui les emploie. Dans ce cas-là, un enlèvement spécifiquement crapuleux. Le Point estime que la société Bourbon, une parapétrolière, a versé une rançon d’environ 110 000 €.

Même si la motivation des ravisseurs diffère, peu de choses séparent une prise d’otages d’une autre. Les méthodes et les conditions de détention sont les mêmes et les exigences sont souvent très proches. Et, pour reprendre le parallèle avec les affaires de grand banditisme que l’on a connues en France, l’épidémie de kidnappings des années 70-80 a cessé lorsque les truands ont compris qu’il n’y avait rien à gagner dans ce genre d’aventure.

Niger : toujours des questions

Depuis la mort des deux otages français, les informations les plus contradictoires circulent. Sans doute parce que personne ne sait exactement ce qui s’est passé. La pire des choses serait que l’on nous mente…

Antoine de Léocour et Vincent Delory ont été, nous dit-on, pris au hasard parmi les clients du restaurant Le Toulousain, simplement restaurant-le-toulousain-niamey-copie.1294995253.jpgparce que leur table se trouvait près de la porte. Pourtant, d’après certains témoignages, les deux ravisseurs ont marqué un temps avant de se diriger vers eux. Ils auraient eu, à ce moment-là, l’arme à l’épaule, et ne se seraient vraiment montrés menaçants qu’au moment où leurs amis nigériens tentaient de s’interposer. Les deux jeunes gens sont alors  poussés dans un 4X4 qui démarre en trombe.

Pourtant, à juste raison, les autorités ont estimé qu’une reconstitution s’avérait nécessaire. Des policiers français et le chef de la section antiterroriste du parquet de Paris sont sur place, mais l’enquête, comme il est de règle, est effectuée par des policiers nigériens, sous l’autorité du procureur de Niamey. C’est l’hypothèse du hasard qui semble pour l’instant retenue. Il est évident, que si ce n’était pas le cas, si Antoine de Léocour avait été ciblé (en raison de sa religion ou de son prochain mariage avec une Nigérienne, par exemple), on pourrait sérieusement envisager une complicité dans son entourage ou dans le restaurant.

Dès que l’alerte est donnée, les gendarmes nigériens réagissent. Ils prennent en chasse les véhicules des ravisseurs (probablement deux) et, vers 2 ou 3 heures du matin, à proximité de la frontière malienne, il y a un premier accrochage. Deux gendarmes sont blessés. Les kidnappeurs parviennent à  s’échapper. Ils prennent la fuite en direction du nord. Plus loin, ils tentent de se camoufler et dissimulent leurs voitures sous des bâches. Mais ils sont repérés. Par qui ? On ne sait pas. Un avion de surveillance français a décollé. Mais les Français coopèrent-ils à ce moment-là avec les forces nigériennes ? Les satellites étaient-ils en action ? Nouvel accrochage. Cette foi, un gendarme est tué et les ravisseurs parviennent à s’enfuir en dérobant, en plus, un véhicule de la gendarmerie. C’est semble-t-il à ce moment-là que, depuis les Antilles, le président Sarkozy donne son feu vert. Un hélicoptère décolle de Ouagadougou, au Burkina Faso.

Vers 7 heures du matin, les forces françaises interviennent au Mali. Probablement un (mauvais) tir d’arrêt depuis l’hélicoptère, car deux véhicules sont calcinés et celui de la garde nationale est criblé de balles. Le bilan est de neuf morts : les deux Français, trois gendarmes et quatre ravisseurs. Et cinq blessés parmi les militaires nigériens.

On ignore, pour l’instant, le rôle joué par la garde nationale nigérienne lors de cette ultime intervention. Selon le communiqué du ministère de la Défense des personnes portant l’uniforme de la gendarmerie nigérienne ont participé au combat contre les militaires français. Ce que contestent les autorités nigériennes, qui affirment que leurs gendarmes ont été « victimes de tirs français » alors qu’ils « poursuivaient les gens d’Al-Qaida ». Pour Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), qui a revendiqué le rapt des deux Français, ce sont 25 militaires nigériens qui auraient été tués ou blessés lors de l’assaut des forces françaises.

Dans un premier temps, il avait été question de deux prisonniers, mais cette information a été démentie. Il s’agirait en fait de deux blessés parmi les forces de l’ordre nigériennes.

Si la décision du président de la République n’a demandé que quelques dizaines de minutes, on a bien compris qu’elle s’inscrit dans une stratégie mûrement réfléchie. Il s’agit d’une réponse militaire à une situation envisagée. Un plan qui fait suite à l’opération manquée pour délivrer Michel Germaneau. Raison pour laquelle des forces spéciales sont à pied d’œuvre dans plusieurs pays de la région (Burkina Faso, Tchad, Mauritanie et Niger). Il faut dire qu’en cherchant à pousser nos ressortissants et nos entreprises hors de cette région d’Afrique, la branche maghrébine d’Al-Qaida s’en prend directement aux intérêts de la France.

Alors, pour répondre aux lecteurs qui m’ont interpellé à la suite du précédent billet, je pense qu’on peut envisager une telle situation sous deux aspects différents.

sahel_wikimedia-commons.1294995442.pngSoit on estime que « ne rien faire c’est donner un signal que la France ne se bat plus contre le terrorisme », comme l’a déclaré Alain Juppé. Qu’il est donc indispensable de montrer sa force et sa résolution, quitte à sacrifier la vie de « civils », alors, cette opération est parfaitement justifiée. Mais il ne s’agit pas d’une guerre. Il n’y a pas d’exemple, je crois, d’un « terrorisme » qui aurait été neutralisé par les armes. Et il n’est pas hors de propos, non plus, de rappeler que le Sahel, là où Aqmi a trouvé refuge, est l’une des régions les plus pauvres du monde : dix millions de personnes y souffrent de la faim.

Ou bien, on pense que la vie de deux hommes passe avant tout. Dans ce cas, cette opération est une véritable boulette, car une intervention typiquement militaire ne leur laissait pratiquement aucune chance. Qu’ils aient été tué par leurs ravisseurs ou lors des combats. Et si vraiment il n’y a eu aucun survivant parmi les terroristes, aucun prisonnier susceptible de fournir de précieuses indications, tant sur l’organisation d’AQMI que sur les autres otages français, alors le bénéfice se limite à une bravade qui risque de nous coûter cher. Car aujourd’hui, la France se retrouve en première ligne.

Pour ma part, je ne me vois pas sacrifier la vie d’un homme. Mais je ne suis pas aux manettes.

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