LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Terrorisme (Page 5 of 8)

L’attentat de la rue des Rosiers vu avec nos yeux d’aujourd’hui

Il y a quelques jours, l’attentat de la rue des Rosiers est revenu dans l’actualité après que le juge Trévidic ait lancé des mandats d’arrêt internationaux contre trois suspects. Une annonce qui tombe à pic dans le contexte actuel, au point que cela fait un peu coup de com’. Mais ne boudons pas : la justice et les enquêteurs se sont montrés à la hauteur.

Pourtant, devant ce rappel d’un événement vieux de 33 ans, il m’a paru intéressant d’opérer un petit retour en arrière. Voici ce que j’écrivais, en 2007 dans La petite histoire de la PJ, sur l’année 1982 :

rue marbeuf

Cliquer sur l’image pour voir la vidéo de l’Ina

« La France est un champ de bataille. Action directe se scinde en trois. Une partie renonce à la lutte armée, un autre fait alliance avec la Fraction armée rouge et la dernière, dite branche lyonnaise, se lance dans des actions antisémites. En mars, une bombe explose dans le train Le Capitole : cinq morts, vingt-sept blessés. En avril, une voiture piégée explose, rue Marbeuf, à Paris [devant les bureaux d’un hebdomadaire libyen] : un mort et soixante-trois blessés. Continue reading

Lutte antiterroriste : où va-t-on ?

Après les événements tragiques du mois de janvier, Manuel Valls a annoncé un nouveau plan de lutte contre le terrorisme. Il s’agit, a-t-il dit, de prendre des mesures « exceptionnelles, et non pas d’exception ». Comme j’ai parfois du mal à comprendre le langage politique, j’ai sorti mon dico, lequel, pour le mot exceptionnel, donne cette définition : qui n’est pas habituel, qui n’est pas ordinaire, qui constitue une exception.

J’ai refermé.

Capture6Parmi ces mesures exceptionnelles, il y a celles qui existent déjà, comme le plan Vigipirate, qui mobilise plus de 120 000 policiers et gendarmes et 10 000 militaires, ou le remplacement de la DCRI par la DGSI, ou la création du SCRT (service central du renseignement territorial), qui se rapproche de plus en plus de ce qu’étaient les RG, supprimés en 2008.

Dans celles qui sont à venir, il y a la création sur 3 ans de 2680 postes dont 1400 pour le ministère de l’Intérieur, dont 1100 pour les services chargés de lutter contre le terrorisme, dont 500 pour la DGSI. Continue reading

Des policiers, larme à l’œil, sous le feu des applaudissements… la révolution n’est pas loin

La presse se répète un peu dans l’après 11-Janvier, les politiques mouillent le doigt pour prendre le vent, les analystes nous abreuvent d’idées réductrices et la vie reprend – mais pas comme avant.

Agent CharlieNormal, lorsque près de 4 millions de personnes relèvent la tête pour dire ça suffit, il y a nécessairement un avant et un après.

Pour envisager l’après, il n’est peut-être pas inutile de se souvenir de l’avant…

C’est au début des années 90 qu’apparaît pour la première fois l’expression « sécurité intérieure » dans un texte officiel, un décret qui installe un service destiné à la réflexion et à la recherche créé deux ans plus tôt par Pierre Joxe : l’Institut des hautes études de sécurité intérieure.

Mais rapidement la sécurité intérieure va devenir un enjeu politique. Ce qui, dans les années suivantes, conduit à autant de dispositions m’as-tu-vu qu’à des mesures sérieuses. Parmi ces dernières, certaines entraînent de sérieux bouleversements dans les services de l’État Continue reading

Débriefing grognon

Hier, j’ai essayé de regarder un concert de Nolwenn Leroy à la télé, mais je n’ai pas accroché. Alors, j’ai zappé sur BFM et je suis resté planté devant ces images où, pendant des heures, rien ne se passait. Putain, je m’en veux !

En fait, comme tout le monde, je me suis senti concerné par cette chasse à l’homme – concerné et inutile. Avec l’envie infantile de prendre les armes et de participer. Alors aujourd’hui, le calme presque revenu, je ressasse les événements. Et en récupérant mes années de trop et mon sens critique, je reste devant cette interrogation : La France est-elle en guerre ?

On a entendu beaucoup de fadaises durant ces 48 heures, les spécialistes-sic y sont allés de leur refrain, mais il y a eu quand même quelques voix intelligentes. Les propos de Serge July me sont revenus en mémoire. Interviewé sur une radio, il disait que l’attaque contre Charlie Hebdo n’était pas un attentat, mais une exécution. Autrement dit (ce n’est plus lui qui parle) une sorte de mission commando. Eh oui ! aujourd’hui, on utilise un vocabulaire qui rappelle 39-45. Nous sommes donc en guerre, non pas contre un État, mais contre une idéologie obscure. Il faut bien en être conscient puisque des militaires français sont engagés sur plusieurs fronts.

Et si l’on raisonne froidement, nous sommes bien obligés d’en accepter les risques… Continue reading

Quinzième loi antiterroriste

Cette année 2014 est celle des commémorations. Les principaux chefs d’État ont rendu hommage à ces hommes qui ont mis leur sécurité entre parenthèses au nom de la liberté. Aujourd’hui, on nous soutient que nous devons mettre nos libertés entre parenthèses au nom de la sécurité.

Capture

Commémoration du débarquement, 6 juin 2014 (capture d’écran, cliquer sur l’image pour voir la vidéo)

Nous vivons une époque troublante. Un monde paradoxal où la France est hélas dans le groupe de tête. Avec un chef qui marche à tâtons, sauf lorsqu’il s’agit de faire la guerre, et une gauche qui ravale les idées qu’elle a si longtemps défendues. Même là où on l’attendait le moins. Ainsi, pour faire passer cette nouvelle loi liberticide destinée à lutter contre le terrorisme, on manipule nos peurs. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, soutient que la menace d’attentat est d’autant plus dangereuse qu’elle est diffuse ; tandis que le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, va plus loin en affirmant que « nous sommes au bout du fusil ». Quant au député Jean-Jacques Urvoas, qui chaque mois qui passe doit manger son chapeau, il nous explique le revirement de son parti en affirmant avoir « accès à des informations que nous n’avions pas dans l’opposition ». Quelles informations ? Nous ne sommes pas habilités à les connaître. Dans notre société, il y a les sachants et les autres. Nous. Continue reading

Tarnac : la filoche s’effiloche

Rarement une simple filature aura fait couler autant d’encre. Ou du moins le procès-verbal qui la retrace, le fameux P-V 104, qui est paraît-il bourré d’invraisemblances. D’après la presse, et notamment les journalistes du Monde et de Mediapart, qui visiblement connaissent le dossier Tarnac sur le bout des doigts, l’élément fort réside dans le compte-rendu des surveillances effectuées sur Julien Coupat et son amie Yildune Lévy. Les policiers ont noté que le véhicule à bord duquel ils se trouvaient a stationné un quart d’heure dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 à proximité de la ligne TGV où, au petit jour, il a été découvert un crochet métallique posé sur la ligne caténaire.

Sans remettre en cause le travail des journalistes, notamment l’épluchage des procès-verbaux effectué par Laurent Borredon sur son blog, plus d’un policier a dû sourire en lisant les analyses et les reconstitutions d’une filature qui a duré une vingtaine d’heures. Continue reading

Des agents paramilitaires pour affronter les pirates de la mer

Nos parlementaires viennent d’adopter une loi autorisant la mise en place d’une force armée privée à bord des navires de commerce. La France, deuxième puissance maritime mondiale (presque à jeu égal avec les États-Unis) est pourtant l’un des derniers pays d’Europe à franchir ce cap. Il n’a pas dû être facile pour nos autorités de déléguer ainsi au « privé » le devoir régalien d’assurer la protection des personnes et des biens. Mais dans une société où les comptables sont rois, l’enjeu était trop gros : un préjudice évalué entre 7 et 12 milliards d’euros. D’autant que certains armateurs français louchaient vers les pays où il existe déjà des sociétés militaires privées, envisageant même de changer de pavillon.

CaptureLa loi a mis près de deux ans à sortir du chapeau. Elle est compliquée, contraignante et un rien timorée, au point de se demander si les entreprises françaises qui vont se lancer dans l’aventure parviendront à rester concurrentielles ? Il faut l’espérer, car c’est un marché en pleine expansion. Continue reading

L’arrestation de l’extrémiste norvégien montre les limites d’une enquête proactive

Kristian Vikernes, présenté par le ministre de l’Intérieur comme étant « susceptible de préparer un acte terroriste d’envergure », a été relâché à l’issue de sa garde à vue. Et l’emballement médiatique sur ce « néonazi sataniste et meurtrier de l’un de ses amis » n’a pas mis longtemps à retomber. Peut-on en déduire que Manuel Valls a volontairement grossi l’affaire ? Ou qu’il a été mal informé ? Ou que la DCRI s’est plantée ?

Lors de son jugement en 1994 (capture d’écran)

En fait, même si l’on est en droit de s’étonner que les enquêtes de police judiciaire se traitent autant dans les salles de rédaction que dans les bureaux cotonneux des magistrats, cette arrestation préventive met en exergue une question importante – maîtresse depuis l’affaire Merah : faut-il prendre le risque d’agir trop tôt pour ne pas intervenir trop tard ?

Nous sommes ici dans le flou d’investigations et de surveillances d’individus que l’on suppose capables du pire mais qui ne sont pas passés à l’action. C’est la définition même de l’enquête proactive. Par opposition à l’enquête réactive, qui, elle, résulte d’un crime ou d’un délit bien réel.

Dans la vie de tous les jours, les contrôles d’identité, par exemple, sont souvent proactifs : ils sont destinés à éviter une infraction ou un trouble à l’ordre public. Tandis que les policiers qui viennent sur les lieux d’un cambriolage sont eux « réactifs » à une infraction consommée. Plus de 60 % des enquêtes sont proactives.

L’enquête proactive a deux casquettes : l’une police, l’autre justice. Les policiers, qu’ils soient de la DCRI ou de la PJ peuvent démarrer des surveillances et des investigations sur des individus qu’ils pensent susceptibles de fomenter un mauvais coup. Cela depuis la nuit des temps. C’est l’abc de la lutte contre la criminalité organisée. C’était même l’une des missions confiée aux brigades mobiles par Georges Clemenceau. Les enquêteurs ne disposent alors d’aucun pouvoir particulier, si ce n’est éventuellement l’utilisation d’écoutes administratives. S’ils vont au-delà, c’est à leurs risques et périls. Comme ce fut le cas pour les enquêteurs de la BRB, empêtrés dans une procédure pour justifier une balise GPS placée « au cas ou » sous un véhicule suspect, deux jours avant la fusillade de Villiers-sur-Marne, le 20 mai 2010. Comment envisager alors que cette « pêche à la ligne » se terminerait par une fusillade et la mort d’une jeune policière municipale ! C’est pourtant cette initiative qui a permis l’identification des auteurs présumés, dont le fumeux Redouane Faïd. Car le principe veut que les éléments de ces « surveillances » de police ne figurent pas dans la procédure. C’est un travail hors justice. Toutefois, les enquêteurs peuvent à tout moment franchir le pas et rédiger un procès-verbal. Auquel cas, ils passent de l’enquête d’initiative à l’enquête préliminaire, dont les règles sont fixées par le code de procédure pénale. Ils doivent alors en rendre compte au procureur de la République. Même s’il s’agit toujours d’une enquête proactive, la différence est de taille : les policiers perdent leur liberté d’agir ou de ne pas agir.

Kristian Vikernes était dans le collimateur de la DCRI depuis pas mal de temps, probablement depuis son arrivée en France, en 2010. Vu le profil du personnage, une surveillance normale pour un service de renseignements, et qui peut s’éterniser. D’autant que le terrorisme n’est pas nécessairement violent. En droit français, il peut prendre d’autres formes (terrorisme écologique, cyberterrorisme…). Il ne se traduit donc pas nécessairement par une atteinte à l’intégrité physique. Et dans ce cas, il n’y a pas urgence à intervenir.

Mais lorsque sa compagne a acheté plusieurs carabines, la DCRI s’est fait peur et elle a refilé la patate chaude à la section antiterroriste du parquet de Paris. Plaçant du même coup son action sous la responsabilité d’un magistrat. Qu’est-ce qu’ils me disent, ceux-là ? Un loup solitaire en Corrèze… Avec le profil de Breivik ! Le procureur ne pouvait guère prendre une autre décision que celle d’intervenir. Pas question de jeter la pierre à l’un ou à l’autre, on peut simplement regretter qu’aujourd’hui, dans toutes les administrations et au plus haut niveau de l’État, c’est le principe de précaution qui génère l’action.

Dans la police, l’époque du flag est révolue. Il est d’ailleurs inenvisageable en matière de terrorisme violent, et inutile, car il existe à présent des « infractions obstacles » qui permettent d’intervenir avant le moindre préjudice. En effet, pour éviter le pire, on peut opérer dès que les suspects se préparent en vue de commettre un crime ou un délit. Une arrestation proactive ! Peu importe qu’ils aient ou non l’intention de passer à l’action. Leur comportement suffit. L’infraction n’est pas constituée par un « commencement d’exécution », comme pour la tentative, mais par la simple matérialisation de la pensée criminelle. À la limite du délit d’intention. Une limite déjà franchie par certains pays, comme l’Italie.

La planque d’Action directe dans le Loiret (21 février 1987 – capture d’écran)

Que voulez-vous, il faut vivre avec son temps ! Au risque d’y perdre son âme, le droit pénal moderne est comme notre société, à la recherche d’efficacité. La conception romantique du délinquant politique n’est plus de mise. On imagine mal François Hollande faire adopter une loi d’amnistie pour absoudre des terroristes, comme l’a fait François Mitterrand, en 1981, pour des membres d’Action directe. Six ans plus tard, ils étaient de nouveau arrêtés à Vitry-aux-Loges (Loiret).

Peu à peu notre société glisse donc vers la répression des comportements à risque. Ce que démontre parfaitement l’arrestation de Kristian Vikernes : ses allures de néonazi ont fait peser sur lui la suspicion, alors qu’il n’est probablement que le « Canada Dry » du terrorisme. C’est du moins l’impression que l’on ressent après l’interpellation et la libération de ce Corrézien d’adoption. À moins, évidemment, que les enquêteurs de la DCRI ne cachent quelques mystérieux secrets dans leur sac à malices.

La lutte contre le terrorisme passe-t-elle par les armes ou par le droit ?

En ce mois de mai 2013, les parlementaires se sont penchés sur deux rapports concernant les services de renseignement français. Le premier concerne l’encadrement juridique de leur action, tandis que le second analyse leur fonctionnement « dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés ». Et comme les deux portent la griffe du député Jean-Jacques Urvoas, on retrouve un peu de l’un dans l’autre. À la lecture de ces documents, au demeurant fort intéressants (que l’on peut trouver ici et ici), il reste une question en suspens : Faut-il accorder aux agents qui luttent contre le terrorisme des pouvoirs extra-judiciaires ?

Conférence de Jean-Jacques Urvoas

De quoi s’agit-il ? De donner à des policiers des pouvoirs de police administrative équivalents à ceux qu’ils détiennent dans le cadre d’une enquête judiciaire : surveillance, captation d’images, de sons, géolocalisation, intrusion occulte dans un domicile, une voiture… Tout cela sur des personnes qui n’ont commis aucun crime, aucun délit. De simples suspects.

Quels sont les services concernés ?

Les principaux acteurs du renseignement français sont au nombre de six, mais trois seulement ont un rôle important dans la lutte contre le terrorisme :

La DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), autrefois surnommée La Piscine en raison de la proximité de ses bureaux avec la piscine des Tourelles, est chargée du renseignement et de l’action à l’extérieur des frontières. Sous sa forme actuelle, ce service a été créé en 1982. Il a remplacé le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), lequel a été rattaché au ministère de la Défense en 1966, après l’affaire Ben Barka. La DGSE n’a aucune relation avec la Justice.

Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est rattaché au ministère des Finances. Ce service a été créé en 1990 pour lutter contre le blanchiment d’argent. Dix ans plus tard, il a vu ses compétences élargies à la lutte contre le financement du terrorisme, et, en 2007, il a rejoint la communauté du renseignement.  Il y a deux ans, une cellule spécifique a été créée pour mieux détecter le financement du terrorisme. Un travail de fourmi. C’est un service d’enquêtes administratives.

La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) a été créée en 2008 en mariant la DST (Direction de la surveillance du territoire) et une grande partie de la DCRG (Direction centrale des renseignements généraux). Particularité française, c’est à la fois un service secret et un service de police judiciaire.

C’est cette double casquette qui pose problème, car, comme tout service secret, une partie de son activité est clandestine, voire entachée d’illégalité. En revanche, dès qu’un OPJ de la DCRI rédige un procès-verbal, il doit respecter scrupuleusement la loi et il agit alors sous le contrôle d’un magistrat. Or, les informations recueillies en tant « qu’agent secret » ne peuvent figurer dans une procédure, sauf à se livrer à des acrobaties qui aboutissent souvent à des dossiers bancales et à mettre les magistrats dans l’embarras (l’affaire de Tarnac en est un bon exemple). Ainsi, le juge anti-terroriste Marc Trévidic n’hésite pas à déclarer devant les parlementaires : « J’ai moi-même été amené à faire des choses qui ne sont pas légales, car il n’est pas possible de faire autrement… ».

Source : rapport de la Commission d’enquête C.Cavard/JJ.Urvoas

Alors, pour pallier cette difficulté, le député Urvoas, qui est aussi le président de la Commission des lois, propose de faire adopter une loi qui aurait l’avantage de rendre les choses illégales légales.

Aucun risque de dérapage, nous assure-t-il, car aujourd’hui l’État ne peut se soustraire aux juridictions administratives ou à l’acuité des médias. Lire dans un rapport parlementaire que les journalistes sont là pour assurer le contrôle de l’État est assez surprenant…

Yves Bertrand, l’ancien directeur des RG, qui vient de mourir, déclarait l’année dernière à Médiapart (cité par Wikipédia) en parlant de la création de la DCRI  « On ne fusionne pas un service dont la vocation est avant tout judiciaire et opérationnelle, comme la DST, avec un service d’information, comme les RG (…) sinon pour créer une  » police politique  » ». Je ne suis pas loin de partager son avis. En tout cas, si le rapport parlementaire sur « le nouveau cadre juridique pour les activités du renseignement » est suivi d’effet, on prend le risque de s’en approcher un peu plus.

Vous me direz, il faut bien se donner les moyens de lutter contre le terrorisme !

Comment lutter contre le terrorisme ? – En fait il y a deux méthodes pour combattre ce fléau. Soit on estime qu’il s’agit d’une guerre, et alors le terroriste est un ennemi qu’il faut éliminer à tout prix. Dans ce cas, la Justice devient un obstacle. C’est la voie choisie par les États-Unis. Pour les autorités de ce pays, on se trouve en présence d’un conflit d’un nouveau genre, sans uniforme et sans patrie, et l’on peut par conséquent s’affranchir de toutes les conventions internationales. – Mais ceux qui font le sale boulot ne sont pas des policiers.

Soit on considère les terroristes comme des criminels et on les combat par le code pénal. C’est la méthode européenne. Pour nous, Français, cette démarche est conforme à notre passé qui veut que l’on ne déclare pas la guerre à des hommes mais seulement à des États et que l’on ne condamne pas a priori un mouvement, mais uniquement ceux qui, à l’intérieur de ce mouvement, se livrent à des actes criminels. Et cependant, il faut bien reconnaître que la menace islamiste remet les pendules à l’heure, car l’action d’un juge ne sera jamais suffisante.

Pourtant, il n’y a pas d’alternative : le terroriste est un ennemi ou un justiciable. Et se cacher derrière une loi pour effectuer des opérations hors la loi relève du clair-obscur. Dans les services techniques de la DST où j’ai œuvré durant plusieurs années, il y avait des fonctionnaires qui posaient des micros, d’autres ouvraient les serrures, d’autres le courrier… Chacun savait qu’il faisait une chose illégale, mais c’était pour la bonne cause, du moins le croyait-on (le contre-exemple étant la pose de micros dans les locaux du Canard Enchaîné). Si ces actes avaient été couverts par une loi, ils n’auraient eu que l’apparence de la légalité. Ce que le professeur Massimo Donini, de l’Université de Modène, qualifie de « droit pénal de l’ennemi », et qu’il ne considère en aucun cas comme un droit légitime. Il faut prendre garde de ne pas glisser de l’État de droit à l’État de police, ajoute-t-il dans la Revue de science criminelle 2009.

À ce jour, on peut dire que les deux méthodes sont plutôt inefficaces. Mais la méthode américaine présente au moins l’avantage de bien séparer le terrorisme des autres activités criminelles. Alors que chez nous, il y a fréquemment confusion des genres et les décisions prises pour lutter contre le terrorisme s’appliquent souvent à des infractions de droit commun. Et, à l’arrivée, nos libertés individuelles sont de plus en plus écornées, au point aujourd’hui de pouvoir condamner quelqu’un non pas pour un crime ou une tentative de crime, mais pour une simple intention criminelle.

Chérie, tu peux arrêter l’aspirateur ! Je suis en train de lire Urvoas dans le texte.. et le bruit m’empêche de me concentrer.

Il n’existe sans doute aucune solution satisfaisante, mais notre exigence de sécurité ne doit pas nous inciter à faire n’importe quoi. Il faut faire le moins mal possible. Il existe bien l’article 15 de la Convention européenne de droits de l’homme qui prévoit des dérogations à certains grands principes. Et notre Constitution, elle, renforce sérieusement les pouvoirs de police administrative lorsque l’état d’urgence est décrété. Alors, il y a peut-être quelque chose à envisager en se rapportant à ces textes… Une sorte d’état d’urgence au coup par coup : pour un temps déterminé et pour des faits précis, il serait accordé des pouvoirs exceptionnels à des services de police spécialement désignés… Et leur action serait contrôlée a posteriori. Mais finalement c’est peut-être ça que préconise M. Urvoas.

Allez, je vais relire les 360 pages de ses deux rapports…

Le drone, l’arme des crimes d’État

Mercredi dernier, un chef taliban, le mollah Nazir, a été tué par un drone américain. L’affaire n’a pas fait les gros titres. Et pourtant, cet homme a été assassiné par des tirs qui auraient fait au moins une dizaine de victimes. Le lendemain, ce sont quatre autres insurgés qui auraient été abattus. Pour les USA, ces hommes étaient une menace, tandis que pour le Pakistan (leur allié), Maulvi Nazir était plutôt considéré comme un précieux auxiliaire dans leur lutte contre les talibans locaux. Et hier dimanche, ce sont une douzaine de personnes qui auraient été tuées par des missiles tirés depuis des drones américains, faisant au passage de nombreux blessés.

Je suis comme beaucoup, j’ai du mal à comprendre ce qui se passe réellement dans cette région du monde. J’ai l’impression que chacun place ses billes avant le départ de la coalition militaire, l’année prochaine. Pourtant, devant ces assassinats qui s’enchaînent, on doit se rendre à l’évidence : le crime d’État est devenu une banalité.

Et l’arme quasi invisible de ce mécanisme inquiétant est le drone.

Depuis 2004 (le second mandat de George W. Bush), la CIA aurait effectué des centaines de frappes au Pakistan, tuant 2 560 à 3 325 personnes, selon les estimations, dont 474 à 881 civils. « Les drones survolent les populations du nord-ouest vingt-quatre heures sur vingt-quatre, frappent des véhicules, des maisons et des espaces publics sans sommation. Leur présence terrorise les hommes, femmes et enfants, créant un traumatisme psychologique. Les habitants doivent vivre dans la crainte permanente de pouvoir être frappés à tout moment par un bombardement meurtrier, sachant qu’ils n’ont aucun moyen de s’en protéger », peut-on lire dans le rapport d’un groupe d’experts américains cité dans Le Monde. Si l’on compte les autres opérations, notamment au Yémen, en Somalie et aux Philippines, combien de personnes ont ainsi trouvé la mort, alors que ces pays ne sont pas en guerre contre les États-Unis ? De plus en plus de voix s’élèvent d’ailleurs Outre-Atlantique contre ces actions répétées. Sont-elles toutes justifiées ? D’autant que depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, les raids de drones se sont multipliés. C’est aujourd’hui l’un des principaux volets de sa stratégie militaire mondiale.

M. Obama restera peut-être dans l’histoire comme le Prix Nobel de la paix qui a le plus de morts innocents sur la conscience. Car non seulement les dégâts collatéraux sont inévitables, mais en plus, ces assassinats ciblés sont souvent fomentés sur des hypothèses bâties par les services secrets. Des mises à mort sans procès. C’est une guerre d’intellectuels qu’il a déclenchée, disent ses détracteurs. En pointillé, une guerre sans honneur. Durant la récente campagne pour son second mandat, afin de leur couper l’herbe sous les pieds, il s’est plus ou moins engagé à « régulariser » la procédure de ces pratiques meurtrières. Ce à quoi Amnesty international a répondu qu’il n’y avait pas à fixer de nouvelles règles mais à appliquer les règles existantes : les droits de l’homme et les lois humanitaires reconnus internationalement. C’est-à-dire, en langage non châtié, la ligne qui sépare l’action de guerre du crime de guerre. De leur côté, les Nations unies pourraient cette année ouvrir un bureau, à Genève, pour enquêter sur les victimes civiles des attaques par drones. Plusieurs familles de celles-ci auraient d’autre part déposé plainte contre la CIA.

Dans le Courrier International, on peut lire les confidences troublantes de Brandon Bryant, 27 ans, un ancien pilote de drones… Le Predator, un avion délicat et argenté, décrit des huit dans le ciel afghan. À plus de 10 000 kilomètres de là, Brandon est aux commandes. Il attend les instructions. Lorsque l’ordre d’ouvrir le feu tombe, il fixe la cible dans son viseur laser : une étable pour les chèvres. Près de lui, le deuxième pilote actionne alors un joystick. Il reste 16 secondes avant l’impact. Soudain, sur l’écran, un enfant apparaît au coin de la bâtisse. Une lueur. L’explosion.  « On vient de tuer un gamin ? » demande Brandon à son collègue. « Je crois », lui répond celui-ci. Quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, enfermé ailleurs, dans un poste de commandement, intervient alors sur les ondes : « Non, c’était un chien ! »

Lorsque Brandon sort de son conteneur, ce jour-là, sur la base de Creech, au Nevada, à une cinquantaine de kilomètres de Las Vegas, l’Amérique lui paraît sans doute moins belle. Jamais il n’aurait imaginé tuer tant de gens.

Lors d’un récent débat à l’ONU, les représentants de plusieurs pays ont souligné le mauvais exemple donné par la plus grande puissance militaire mondiale. Un engrenage qui pourrait s’avérer ravageur. Car le drone va se « vulgariser ». Que se passera-t-il lorsque les armées des grandes puissances seront toutes dotées de drones de combat ? A l’opposé de la Kalachnikov, arme symbolique des combattants les plus pauvres, le drone pourrait bien devenir le symbole de leur hégémonie.

À ce jour, il semble que l’armée française ne possède que des drones de surveillance. Mais le mois dernier, Dassault Aviation a présenté le Neuron (qu’il faut parait-il écrire nEUROn), un drone de combat de 10 mètres de long et de 12.50 mètres d’envergure issu d’une coopération européenne dans l’industrie de défense. D’ici deux ans, nos militaires seront donc équipés de ces engins. Comment les utiliserons-nous, alors que la France est le pays d’Europe le plus engagé à l’étranger ?  Lors de la campagne de Libye, le général Vincent Tesnière a insisté sur le rôle déterminant des drones américains. « Si on avait eu 30 ou 40 drones armés, on aurait fait ce qu’il y avait à faire », a-t-il déclaré.

On dit d’ailleurs que c’est un drone américain qui aurait repéré Kadhafi lors de sa cavale. Nos alliés dans la coalition ont-ils passé l’information à la France ? Cela pourrait expliquer le mystère qui entoure la mort du dictateur. Mais alors, s’agirait-il d’un crime d’État ?

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