LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Terrorisme (Page 1 of 8)

Georges Ibrahim Abdallah : un roman noir

Vendredi 25 juillet, en pleine nuit, les portes de la prison se sont refermées sur Georges Ibrahim Abdallah – dans le bon sens. Aux bleus des gyrophares, une demi-douzaine de véhicules l’ont escorté du centre pénitentiaire de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) à l’aéroport de Tarbes, d’où il s’est envolé pour Roissy.

À quoi pouvait-il penser ?

Quelques heures plus tard, il était dans un vol pour Beyrouth. Plus de 40 ans qu’il n’avait pas revu son pays.

Ses 40 dernières années, il les a passées dans les prisons françaises, et durant tout ce temps, ce chrétien natif du nord du Liban est resté droit dans ses bottes, affirmant n’avoir pas de sang sur les mains, mais refusant de renier ses convictions propalestiniennes ou de se désolidariser des crimes revendiqués par les FARL (Fractions armées révolutionnaires libanaises). Un groupuscule qu’il a créé et qui se veut communiste anti-impérialiste, en tout cas bien à gauche de la gauche.

À l’exception de Carlos, tueur de flics, il était sans doute l’un des derniers taulards de la vague terroriste des années 1980.

Toutefois, à la différence de ce dernier, Georges Ibrahim Abdallah préfère l’ombre à la lumière. C’est un militant aux convictions solides qui, dès son adolescence, s’est aguerri au sein du Parti populaire syrien (PPS), puis du Front populaire de la libération de la Palestine (FPLP). Peu à peu, il se fait un nom auprès des pros de la lutte armée, dont un bon nombre deviendront des mercenaires de la Syrie, de l’Iran ou de l’Union soviétique.

Arrivé sur notre sol en 1979, Georges Ibrahim Abdallah cherche à implanter son réseau : les FARL ne sont pour l’heure qu’une petite entreprise familiale. Bien vite, ses membres seront opérationnels, même si leur première tentative échoue : le 12 novembre 1981, un homme d’une trentaine d’années vide le chargeur de son PA sur Christian Chapman, un diplomate de l’ambassade des États-Unis, alors qu’il sort de son domicile, à Paris, dans le 7° arrondissement. Il se réfugie derrière sa voiture (blindée). Il n’est pas blessé. Six douilles de calibre 7,65 sont retrouvées sur place. En quelques années, les FARL revendiqueront 6 attentats, dont l’assassinat en 1982 de Charles Ray, attaché de l’ambassade des États-Unis, et Yacov Barsimantov, deuxième secrétaire de l’ambassade d’Israël. Le premier est de la CIA et le second est un responsable des services secrets israéliens.

Le 24 octobre 1984, Georges Ibrahim Abdallah pousse la porte d’un commissariat de Lyon. Il affirme craindre pour sa vie, persuadé que des agents du Mossad sont à ses trousses et qu’ils veulent l’éliminer. On imagine la tête des flics… D’abord grognons, puis souriants lorsqu’ils apprennent qu’en fait de Mossad, ce sont des collègues de la DST qui le filochaient et qui se sont fait « détroncher ». Continue reading

La lutte contre le narcotrafic face à l’État de droit

Le 29 avril dernier, la loi « pour sortir la France du piège du narcotrafic » a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale. Une large majorité de députés, 396 sur 498, ont voté ce texte. Dans l’opposition (oups !), bon nombre se sont abstenus, seuls les élus LFI et quelques autres l’ont rejeté, estimant que certaines de ses dispositions sont attentatoires aux libertés publiques et aux principes constitutionnels de notre pays.

Ont-ils raison ?

Le Serpent d’Océan, de Huang Yong Ping, dont le squelette apparaît au rythme des marées.

Même si nombre de parlementaires votent les yeux fermés, la question est fondamentale : la montée en puissance du « commerce » de produits stupéfiants peut-elle justifier l’utilisation de méthodes qui, hier encore, n’auraient pas été envisageables ?

  Le dossier-coffre

Ainsi en est-il du dossier-coffre. Il cristallise toutes les interrogations. Rebaptisé « dossier distinct », puis « procès-verbal distinct », il s’agit en fait d’un dossier noir dont le contenu est inaccessible aux avocats des personnes mises en examen ou placées sous le régime de témoin assisté et, éventuellement, aux avocats représentant les victimes. Il découle d’une technique vieille comme le monde qui consiste pour un juge ou pour un flic à anonymiser certains actes en les plaçant dans un dossier « poubelle », c’est-à-dire un dossier destiné à être classé sans suite. Un dossier que personne n’ouvrira jamais. Une combine juridique qui, bien sûr, n’a jamais été appliquée en France. Mais aujourd’hui, alors que les techniques spéciales d’enquête ont pris le pas sur les enquêtes traditionnelles, la demande était forte de cacher aux avocats les moyens techniques utilisés, voire de ne pas faire état des personnes surveillées, dont le seul tort, parfois, est de faire partie de l’environnement d’un suspect.

Lorsque l’on parle de techniques spéciales d’enquête, il faut comprendre l’accès aux courriers et messages électroniques (mail, texto…), ainsi qu’au recueil des données techniques de connexion, l’interception en direct des correspondances, la sonorisation et la surveillance visuelle que ce soit dans un lieu public, privé ou dans un véhicule, ainsi que la captation de toutes les données informatiques. À cette panoplie, il faut ajouter la possibilité de déclencher à distance le micro et la caméra des portables et des ordinateurs à l’insu de leur utilisateur.

Des moyens de surveillance aujourd’hui largement connus des malfaiteurs, même si chacun se cache de les utiliser. En vrai, il s’agit surtout de dissimuler les acrobaties parfois nécessaires lors d’une installation technique – et d’anonymiser les services intervenants, surtout s’il est fait appel à des prestataires extérieurs.

Mais il n’empêche qu’en l’absence de possibilité de contrôle des parties au procès pénal, il est ainsi créé une présomption de légalité sur ces techniques d’investigation. On pourrait se dire qu’il n’est pas anormal de faire confiance à la police et à la justice, pourtant l’affaire Trident, à Marseille, montre qu’en matière de stups, l’espoir de faire un « gros coup », pousse parfois à la stupidité.

Il n’est donc pas interdit de s’interroger sur le professionnalisme des policiers et des magistrats en charge de la lutte antidrogue… Continue reading

Soupçons sur la Russie : le fantasme des ondes mystérieuses

Titititaaa, titititaaa, titititaaa…

Régulièrement, la presse (branchée) fait état de ces mystérieux messages incompréhensibles qui, occasionnellement ou de façon permanente, occupent certaines fréquences radioélectriques.

En se connectant sur les ondes courtes, notamment la nuit, alors que les liaisons sont meilleures, il n’est pas rare d’entendre des séries de cinq chiffres, soit en phonie, dans des langues dont certaines paraissent bien exotiques, soit en graphie, plus facilement saisissables pour qui connaît le morse. Parfois, on capte aussi des notes de musique ou des sons incongrus qui ressemblent à des parasites.

 

Schémas extraits du livre « Ondes électromagnétiques » de Mohamed Akbi, éditions Ellipses

Alors, signaux venus d’un autre monde ou des services secrets de tel ou tel pays ?

Que faut-il penser, par exemple, de ce son bizarroïde qui semble provenir d’un bâtiment militaire désaffecté situé dans une zone pas très éloignée de Moscou. Dans ces lieux, paraît-il, il y aurait un émetteur invisible qui fonctionnerait tout seul, gardé par un chien immortel (là j’en rajoute, mais cela ressemble tellement à un film de science-fiction), vestige oublié de la guerre froide, du temps de l’URSS. À moins, comme le pensent certains, que ce signal soit un indicateur : tant qu’il est émis, la capitale russe n’a pas été détruite par une bombe nucléaire – un peu comme la commande de « l’homme mort » dont les locomotives des trains sont équipées pour stopper la machine si le conducteur est victime d’une défaillance !

Il y a aussi ces flashes cosmiques, appelés « sursauts radio rapides », des impulsions radioélectriques très brèves dont la source se situerait au-delà de la Voie lactée, devant lesquelles les chercheurs seraient dans l’expectative : s’agit-il d’un phénomène naturel ou la démonstration de l’existence d’une intelligence supérieure à l’homme ! Ces chiffres, ces lettres, ces bruits forment le corps du message, peut-on lire dans un article du journal Le Monde,  À la radio, sur les ondes courtes, l’envoutant mystère des « stations de nombres. « Car il s’agit bien de messages, nous dit le journaliste Guillaume Origoni. Mais qui les envoie ? À qui sont-ils destinés ? »

Et aux effluves du mystère, déjà on se pourlèche les babines : des services secrets, des espions loin de leur base, des militaires qui préparent la prochaine ou de petits bonshommes verts qui chercheraient à établir un contact avec les habitants de la planète Terre, en se demandant s’ils sont très intelligents ou très cons.

Tous les scénarios sont sur la table. Il manque juste le mien. Je vous le livre pour ce qu’il vaut.

Titititaaa, titititaaa, titititaaa…

Cette suite de signaux morses répétant sans fin une série de « v », suivie d’un indicatif, était autrefois le signe d’une station fixe qui signalait sa présence sur une fréquence radio dans l’attente d’un appel ou de l’envoi de sa liste de diffusions. Ces « v », qui ne veulent rien dire, étaient également utilisés par les opérateurs des stations mobiles pour procéder aux réglages de leurs appareils. Puis, avec l’apparition de la BLU (bande latérale unique), la transmission de la parole devint possible, même à grande distance. De ce fait, le message « d’occupation » changea. À Saint-Lys-Radio, par exemple, il prit la forme d’un gimmick de quelques phrases, suivi d’une musiquette reprenant « Hardi les gars, vire au guindeau, good bye farewell, good bye farewell… ». Un appel sans cesse répété tant qu’aucun correspondant ne s’était pas manifesté. Le dernier message (ici) est de 1998, date à laquelle Saint-Lys-Radio, station mythique, a fermé boutique pour laisser la place aux liaisons satellitaires.

Si dans la marmar (marine marchande), les « officiers-radio » étaient transparents et se retrouvaient volontiers dans le boui-boui d’un port du bout du monde, il n’en était pas de même des militaires ni des services de renseignement et de contre-espionnage. Pour ceux-ci une fréquence radio devait être occupée en permanence pour éviter de se la faire piquer. Et, en cas d’urgence, elle devait être immédiatement utilisable.

L’auteur de ce blog dans le PC radio du M/T Pontigny, indicatif FNIQ

C’est ainsi que dans les années 1960, depuis le dernier étage du ministère des Armées, immeuble du boulevard Saint-Germain avec vue sur le jardin du ministre (c’était Messmer à l’époque), une poignée de personnels civils, dont beaucoup venaient de la marmar, et dont je faisais partie, transmettaient jour et nuit de longs textes codés complètement bidons, composés de groupe de cinq chiffres ou de cinq lettres, sur des fréquences radioélectriques jugées stratégiques. Le but était double : occuper la fréquence et former de jeunes recrues qui, du fin fond de leur caserne, étaient tenues de « prendre » ces messages, voire d’y répondre. Sans savoir évidemment qu’il s’agissait d’un jeu de rôle.

Vibro-morse pour une transmission plus rapide

Pour corroborer la fantasmagorie des ondes, voici une anecdote. Je vous la garantis authentique. Une nuit, je suis dans mon pigeonnier du ministère des Armées à m’user les doigts sur mon « vibro » (rien de cochon, voire photo) lorsque l’officier de permanence me fait appeler. « Rejoignez-moi au sous-sol », me dit-il.

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Incarcération du dernier membre du « gang de Roubaix » : retour sur l'affaire

En cavale depuis 1996, Seddik Benbahlouli a été arrêté aux États-Unis en août 2023 pour infraction à la législation sur les étrangers. Extradé vers la France vendredi dernier, il a été appréhendé à son arrivée à Roissy pour répondre d’une condamnation à 20 ans de réclusion criminelle prononcée lors d’un jugement rendu en son absence et sans avocat, en octobre 2001. Il a aujourd’hui 53 ans. C’est le dernier membre – identifié – du trop célèbre gang de Roubaix à ne pas avoir connu la prison alors que ses complices en sont sortis après avoir purgé leur peine. Celui qui est considéré comme le leader, Lionel Dumont, a été libéré fin 2021 et placé sous la surveillance d’un bracelet électronique.

La planque du gang de Roubaix après l’assaut du RAID, le 29 mars 1986 (saisie d’écran)

Il est quasi certain que l’arrestation de Benbahlouli est le fruit d’une collaboration étroite avec la police française. Gérald Darmanin avait d’ailleurs fait allusion à cette affaire devant les parlementaires, l’année dernière, lors de la présentation de son projet de loi d’orientation et de programmation. « Condamné en 2001 par contumace à 20 ans de réclusion criminelle pour vols à main armée en bande organisée (attaque de fourgon blindé), cet individu est resté introuvable à ce jour. » Il a rappelé que pour le rechercher, son entourage avait fait l’objet « de nombreuses interceptions de communication et géolocalisations », mais que ses interlocuteurs restaient particulièrement prudents lors des conversations. Tout cela pour démontrer que « la mise en place de keylogger [enregistreur de touches du clavier informatique] ou de sonorisations aurait permis de contourner l’organisation et la prudence de son entourage ou de ses anciens complices, et de permettre la mise en exécution de la lourde sentence prononcée contre lui. »

La loi a été adoptée et l’interpellation du fugitif montre, qu’utilisés à cette fin, c’est à dire à bon escient, les moyens techniques les plus intrusifs sont payants.

Dès son arrivée en France, le procureur général de Douai a d’ailleurs enfoncé le clou en affirmant que le condamné en cavale serait rejugé, sauf s’il accepte la sentence prononcée en 2001, conformément aux règles aujourd’hui applicables de la procédure de « défaut criminel ».

Euh…, ce n’est pas si simple, mais revenons un instant dans les années 1990… Continue reading

« Les anges gardiens du 36 »

Alors que le « gardien de la paix » disparaît peu à peu du vocabulaire, si ce n’est sur la feuille de paie des policiers de base, il n’est pas sûr que le titre de ce livre soit bien adapté à notre époque. Les anges, en l’occurrence, sont les policiers de la BRI. Mais on peut aussi se dire que ce sont les gardiens du 36 quai des Orfèvres, puisque c’est le seul service de PJ qui soit resté dans l’Île de la Cité, peut-être grâce à l’action de son ancien chef, le commissaire Christophe Molmy. Les autres ont rejoint le New-36, le Bastion, quasi accolé au nouveau Palais de Justice.

Ce livre n’est donc pas un recueil nostalgique de souvenirs de la PJ parisienne, comme il y en a beaucoup, mais un ouvrage qui nous fait vivre en live des interventions de la BRI. Un service créé en 1966 par le commissaire François Le Mouël, essentiellement pour neutraliser des équipes de braqueurs en flag ou, plus tard, en « opération retour ». D’où le nom d’« antigang ». Puis, au lendemain de la prise d’otages meurtrière au cours des JO de Munich, en 1972, une question s’est posée : en France, dans une situation analogue, quel service de police pourrait intervenir ?

Après un tour de table, la réponse est tranchée : la BRI. Et, pour détourner sa compétence territoriale limitée à la zone PP, il est décidé de créer une brigade anti-commando, en fait, un service fantôme regroupant, en cas d’alerte, la BRI et des policiers volontaires qui, le temps de la mission, seront détachés de leurs obligations habituelles. La BRI-BAC n’agit plus alors comme un service de PJ, mais, en droit, dans le cadre d’une mission de police administrative. Elle peut donc intervenir sur n’importe quel coin du territoire. C’était malin. Plus tard, la création du GIGN, puis du RAID a changé le paysage des services d’intervention. Et la lutte contre le terrorisme islamiste a bousculé tous les services de police.

Aujourd’hui les effectifs de la BRI ont considérablement gonflé et, lorsqu’elle intervient dans une affaire de terrorisme, on parle de BRI-CT, pour contre-terrorisme.

Jacques Capela, dessin de Jean-Charles Sanchez, extrait du livre « Les anges gardiens du 36 », Mareuil Editions

L’auteur, Jérémy Milgram (16 ans de BRI) nous entraîne dans les opérations à hauts risques auxquelles il a participé. Il les raconte à la première personne, en évitant habilement de tirer la couverture à lui. Ce qui est sympa. La typographie du livre est originale et les dessins de Jean-Charles Sanchez (autre policier) sont vraiment chouettes. Il a du talent, le monsieur ! Son portrait en pied de l’inspecteur divisionnaire Jacques Capela, chef de groupe à la brigade criminelle, tué lors de la prise d’otages à l’ambassade d’Irak à Paris, en juillet 1978, est saisissant de réalisme.

Olivier Marchal les a côtoyés, ces « opérateurs » de la BRI. Il préface le livre : « Milgram et sa bande de chiens fous vaccinés à la bravoure et à l’adrénaline Continue reading

Copernic : un procès hors du temps

Ce lundi 3 avril s’ouvre le procès de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic. Une synagogue dont l’inauguration, en 1907, est considérée comme un acte fondateur du courant libéral du judaïsme français, dans lequel notamment les hommes et les femmes sont placés sur un pied d’égalité. La question se pose de savoir si l’accusé, Hassan Diab, sera jugé pour un crime terroriste, infraction qui n’existait pas à l’époque des faits.

La fiche d’hôtel, cote D871 de la procédure, le noeud de l’affaire

C’était le 3 octobre 1980. En fin d’après-midi, une moto stationnée à quelques mètres de la porte d’entrée de l’édifice religieux explose, faisant 4 morts et 46 blessés, dont le gardien de la paix en faction sur le trottoir. C’est le premier attentat antisémite commis en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En ce début des années quatre-vingt, le pouvoir doit faire face aux violences urbaines, qui bientôt embraseront les banlieues ; et au terrorisme intérieur, notamment d’Action directe, dont une frange vient d’être neutralisée par les RG. En fait, personne n’est préparé au terrorisme extérieur, antisémite ou non. Il faudra attendre 1982 pour que la DST crée une section antiterroriste. Aussi, à moins d’un an des élections présidentielles, alors que Le Pen grimpe dans les sondages, l’auteur désigné est forcément néonazi. La police judiciaire perd un temps fou à suivre de multiples pistes auxquelles elle ne croit pas. Bizarrement, alors que la majorité présidentielle s’est inversée, on retrouvera la même réaction politique deux ans plus tard, lors de l’attentat de la rue des Rosiers.

Or, loin des charivaris du pouvoir, pour les enquêteurs, les deux attentats antisémites ont la même origine : un groupe dissident de l’OLP de Yasser Arafat, un noyau dur dont le chef de guerre est Abou Nidal.

Invité à réagir à chaud à l’attentat de la rue Copernic, sous les caméras de TF1, le Premier ministre, Raymond Barre, lâchera cette phrase désastreuse qui lui collera à la culotte : « Cet attentat odieux qui voulait frapper des israélites qui se rendaient à la synagogue, et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic […] mérite d’être sévèrement sanctionné. » Sans doute voulait-il dire que les quatre personnes décédées se trouvaient à l’extérieur du bâtiment… Mais le mal était fait. Il tentera de se récupérer quelques jours plus tard à l’Assemblée nationale, dans un discours plus académique, s’interrogeant sur l’équilibre à garder entre libertés individuelles et sécurité, pour conclure d’une phrase qui aujourd’hui sonne à nos oreilles – basses : « Pour le prix d’une sécurité illusoire, personne ne peut accepter l’arbitraire. »

Il n’y a rien pour démarrer l’enquête – sauf la moto. Elle a été achetée chez un commerçant de l’avenue de la Grande Armée, quelques jours avant l’attentat, par un homme caché derrière une fausse identité chypriote. Il l’a payée en liquide. S’ensuit un travail de fourmi pour étudier les « fiches individuelles de police » qu’à l’époque les hôteliers avaient obligation de faire remplir à leurs clients. En fait, elles avaient été supprimées quelques années plus tôt à la demande du président Giscard d’Estaing, dont l’un des amis s’était plaint d’avoir eu à montrer sa carte d’identité lors d’un cinq à sept extraconjugal. Heureusement, cette obligation était restée en vigueur pour les étrangers. Le suspect est un individu qui se fait appeler Alexander Panadriyu. Il est descendu dans un hôtel de la rue Balzac, le 22 septembre 1980.

Les divers témoignages permettent d’établir un portrait-robot de l’individu. Et l’enquête s’arrête sur ce dessin et ce pseudonyme. Il faudra attendre 1999 Continue reading

Cyberattaques : faut-il payer la rançon ?

L’hôpital de Corbeil-Essonnes a refusé de payer la rançon demandée par les hackers qui, dans la nuit du 20 août, ont fomenté une cyberattaque bloquant son système informatique. On parle d’une somme de dix millions de dollars. L’établissement hospitalier avait-il les moyens de réunir une telle somme ? Il semble que la question ne se soit pas posée, puisque la direction du complexe de santé a opposé aux malfaiteurs la même détermination – celle de ne pas céder – lorsque ceux-ci ont ramené leurs exigences à un ou deux millions. Si les choses se sont déroulées ainsi, cela vaut un coup de chapeau ! Cependant, une question titille : que se serait-il passé si l’hôpital s’était prémuni de ce risque en souscrivant une assurance ?

On trouve la réponse dans le projet de loi du ministre de l’Intérieur actuellement en discussion au Sénat, puisque celui-ci prévoit, en cas de cyberattaque, de pérenniser le paiement d’une rançon en insérant un nouvel article dans le code des assurances. Si ce texte est adopté, les assureurs pourront donc payer la rançon demandée par les hackers sous réserve que l’entreprise ait déposé une plainte dans les 48 heures.

Gérald Darmanin serait-il prêt à baisser culotte ?

Il sera intéressant de scruter la réponse du législateur, car depuis les années soixante-dix, alors que les rapts crapuleux étaient fréquents, la position des autorités a été claire : on ne paie pas de rançon ! Et la police œuvrait pour convaincre les proches de l’otage de ne pas céder au chantage à la vie. Même si ça ne marchait pas à tous les coups, comme lors de l’enlèvement par Jacques Mesrine d’Henri Lelièvre, le milliardaire de la Sarthe, en 1979.

Lorsque les enlèvements crapuleux ont fait place à des enlèvements plus ou moins terroristes, la question s’est de nouveau posée et la règle a été assouplie : on paie, mais on ne le dit pas. Même s’il apparaît difficile de le démontrer, la France a souvent fait le dos rond. On comprend bien que la libération de tel ou tel otage ne peut être que le résultat d’une négociation. En 2014, le président Obama s’en était d’ailleurs indigné : « François Hollande dit que son pays ne paie pas de rançons aux terroristes alors qu’en réalité, il le fait ! »  Ce qui revient à admettre, malgré les coups de menton politiques, que l’on finance le terrorisme.

Or, l’article 421-2-2 du code pénal incrimine non seulement le financement d’une entreprise terroriste, mais également le seul fait de gérer des fonds, des valeurs ou des biens dans ce but. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies vont d’ailleurs dans le même sens.

Pour obtenir la libération d’un otage, les autorités sont donc face à un problème contradictoire : financer des organisations terroristes ou ne pas assumer la protection que doit chaque pays à ses ressortissants – le « droit à la vie » tel qu’il est défini par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Mais en est-il de même si l’otage est un système informatique ? Continue reading

Attentat de Conflans-Sainte-Honorine : fatalité ou fiasco ?

La nouvelle de l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, a engendré une onde de choc. Une émotion provoquée par la cruauté de l’acte, mais aussi par la personnalité de la victime : un prof qui tentait de faire son métier du mieux possible. Or, ce prof, quel que soit notre âge, nous l’avons tous eu. Il a marqué notre vie.

Mais, le choc passé, on est en droit de s’interroger : y a-t-il eu défaillance des services de l’État ou doit-on admettre une fois pour toutes que ce terrorisme de coin de rue est imprévisible ?

Qu’est-ce qu’on a raté pour faire de ce jeune homme un terroriste ? Comment des jeunes gens, lui et ses complices, ont-ils pu basculer dans la folie et la haine ? s’est demandé le président Chirac, en 1995. Il parlait de Khaled Kelkal, principal leader d’un groupe de terroristes islamistes auteurs de nombreux attentats à la bombe, dont celui dans le RER B, à Paris ; et devant une école juive de Villeurbanne, près de Lyon.

35 ans plus tard, personne n’a répondu à cette question. La différence, c’est qu’aujourd’hui, plus personne ne se la pose.

À cette approche sociétale, nos dirigeants successifs ont préféré le coup de menton : accumulation de lois (une trentaine), souvent asynchrones avec le droit européen et l’esprit de notre Constitution, et création d’une armada de services.

Au fil du temps, ces services ont été regroupés dans une communauté virtuelle, la « communauté française du renseignement ». Depuis 2017, tout est drivé depuis l’Élysée Continue reading

Attentat de la rue des Rosiers : quand la politique s’emmêle

Deux éléments du dossier d’instruction, déjà anciens, mais soudainement débloqués par le gouvernement, ont replacé l’enquête concernant l’attentat de la rue des Rosiers sur le devant de la scène.

D’abord, l’arrestation de l’un des suspects, Walid Abdulrahman Abou Zayed, alias Osman, en Norvège, où il est installé depuis 1991 et où il a obtenu la nationalité norvégienne. Objet de l’un des mandats d’arrêt délivrés par le juge Marc Trévidic, un peu avant qu’il ne quitte ses fonctions au pôle antiterroriste, sa présence dans ce pays n’était pas un mystère. La presse s’en était d’ailleurs fait l’écho et un journaliste de Paris Match, Pascal Rostain, avait même tournicoté autour de son domicile, à Skien, en mars 2015. On peut donc raisonnablement espérer qu’il en était de même pour les services de renseignement français !

Alors, pourquoi ne s’est-il rien passé ?

Le fait que la Norvège ait assoupli l’an passé les règles de l’extradition est à prendre en compte, mais ce n’est pas satisfaisant. Si l’on compare ce cas à celui du Libano-Canadien Hassan Diab, suspecté d’être l’auteur de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic, à Paris, en octobre 1980, et pour lequel les autorités françaises se sont battues bec et ongles pour obtenir l’extradition, on ne peut être qu’étonné de cette différence de traitement. (Diab a obtenu un non-lieu en France en 2018.)

Cette inertie politique des gouvernements successifs donne plus de crédibilité à la thèse, un rien complotiste, d’un « arrangement » entre le groupe terroriste Abou Nidal et le gouvernement socialiste des années 1980. Cet argument a été avancé par le préfet Yves Bonnet devant les médias, puis devant le juge d’instruction. En deux mots, d’après lui, la France aurait passé un marché non écrit avec Abou Nidal, lui garantissant l’absence de poursuites judiciaires s’il s’engageait à ne plus cibler la France. De quoi faire bondir un juge d’instruction !

Mais voilà que cette hypothèse serait confirmée par des documents récemment déclassifiés, datant de 1985, sortis tout droit des tiroirs de Matignon ! L’un de ces documents évoquerait cet accord. Du moins si l’on en croit certains avocats qui ont accès au dossier d’instruction.

Franchement, je ne suis pas convaincu, je ne vois pas trop les autorités françaises discutailler avec le groupe Fatah-Conseil révolutionnaire (Fatah-CR) du dissident palestinien Abou Nidal. Même si, dans le but de faire cesser les attentats à répétition des années 1980, François Mitterrand avait mangé son légendaire chapeau et s’était risqué à des négociations avec des diplomates de la Kalachnikov.

Pour tenter de se forger une opinion, il faut remonter le temps…

L’attentat antisémite a lieu le lundi 9 août 1982. Peu après 13 heures, un homme lance une grenade dans la salle du restaurant Jo Goldenberg Continue reading

La peur de l’autre

« Nous sommes en guerre », a déclaré Emmanuel Macron, le 16 mars 2020, avant d’égrener les premières mesures qu’il comptait faire adopter pour lutter contre la pandémie Covid-19. Il enfourchait ainsi le cheval de son prédécesseur qui, le 16 novembre 2015, après des attentats sanglants, dont celui du Bataclan, affirmait « La France est en guerre ».

Quel rapport me direz-vous entre des terroristes et un virus ? Aucun, si ce n’est la peur qu’ils nous inspirent.

C’est le propre des faibles de régenter par la peur. Et cela à tous les niveaux. Ce besoin d’emprise sur l’autre, chacun d’entre nous l’a ressenti au quotidien, lorsqu’il a fallu demander l’autorisation pour sortir de chez soi. M’sieur, M’sieur, j’peux sortir ? Et les abus dans les contrôles ont été un marqueur quotidien de ces deux mois de résidence forcée : trop de boîtes de Coca-Cola dans le caddy, paf ! Une seule baguette, repaf ! Dépassement de quelques minutes ou de quelques dizaines de mètres et rerepaf ! Etc. Ou encore ce préfet, en Seine-et-Marne, qui réquisitionne les chasseurs (donc des civils en arme) pour contrôler les habitants de son département. Ou le maire de Perpignan qui chaque soir déclenche la sirène d’alarme comme au temps des bombardements. Tout cela n’a qu’un seul but, plus ou moins conscient : créer l’angoisse qui conduit à la soumission – donc à l’obéissance. On n’est pas très éloigné du syndrome de Stockholm.

Il faut bien le dire, la politique de la peur a marché au nom de la lutte antiterroriste. Devant l’avalanche de lois liberticides, dans la crainte d’un nouvel attentat, nous avons baissé la tête. À force d’entendre, comme une pub, que la sécurité est la première des libertés, cette crainte soigneusement instrumentalisée nous a fait admettre que nous pouvions abandonner une partie de ces libertés individuelles, chèrement payées par nos anciens.

Nous avons mis le doigt dans un engrenage, en comprenant un peu tard que nous nous sommes fait gruger : ces mesures, ces lois, ces montagnes de fric investies dans la sécurité, font tourner la boutique, mais elles ne nous protègent pas. Continue reading

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