Le PDG d’un groupe industriel qui pèse 22 milliards de francs a vraisemblablement un agenda chargé. Mais le 23 janvier 1978, à 10 h 30, tout s’arrête pour Édouard-Jean Empain. Ce qui était important ne l’est plus, lorsqu’il se retrouve couché au fond de sa propre voiture, une cagoule sur la tête. À ce moment-là, il est persuadé qu’il part pour son dernier voyage. Il en reviendra, mais il ne s’en relèvera pas.
Il est conduit dans une maison en ruines, du moins sous sa cagoule l’imagine-t-il, sans eau, sans électricité. En guise de bienvenue, on lui dit : On va vous couper un doigt. Et en fait, il a tellement cru que sa dernière heure était arrivée, que ces mots pourtant terribles le rassurent. « Tout ce qui n’est pas pire est mieux que le pire », se plaît-il à dire. Il est placé sous une tente, des chaînes aux poignets, aux chevilles et au cou, comme les bagnards, dans les livres de notre jeunesse.
Il va rester là un mois, sans aucune hygiène, avec des repas de misère et l’obligation d’enfiler sa cagoule dès que quelqu’un approche. « Si tu nous vois, t’es mort ! »
Cette cagoule, il la portera jusqu’au dernier moment, lors de sa libération. Ce soir-là, 63 jours plus tard, ses ravisseurs le déposent sur un coin de trottoir. « T’es libre ! » Il n’y croit pas. Pourtant, il entend la voiture s’éloigner. Non sans crainte, il soulève sa cagoule : « Je me dis, on va entendre boum, boum ! Et c’est fini. » Rien. C’est la première chose interdite qu’il ose faire depuis deux mois (Faites entrer l’accusé, 2005).
Mais revenons en arrière…
Un bout de doigt
Dès le lendemain de son kidnapping, un bref coup de fil parvient au siège de l’entreprise : « Les instructions sont dans la consigne 595 de la gare de Lyon. » C’est Jean-Jacques Bierry, l’ami le plus proche d’Empain, qui se rend sur place. Il est accompagné d’un policier, tandis que d’autres surveillent les alentours. Les ravisseurs exigent une rançon extravagante : 80 millions de francs. Leur revendication est accompagnée d’un petit flacon contenant la phalange d’un doigt. Le policier, se fiant à son expérience, se veut rassurant : « Vous savez, ils ont sans doute coupé le doigt d’un cadavre pour vous impressionner. Il n’y a aucune raison que ce soit lui. » Mais il ne convainc pas son interlocuteur : « J’ai vu tout de suite que c’était lui, il se rongeait les ongles », dira-t-il plus tard, en privé.
Pour les enquêteurs de la brigade criminelle, c’est la première fois qu’un otage est mutilé avant même le début des négociations.
Cette rapidité des ravisseurs à se manifester et cette preuve incontestable, coupent l’herbe sous les pieds des farfelus qui tentent de prendre l’affaire à leur compte, comme les Noyaux armés pour l’autonomie populaire (NAPAP), qui, sinon, auraient pu être crédibles, surtout après l’enlèvement et l’assassinat de Hanns Martin Schleyer, le patron des patrons, l’année précédente, en Allemagne.
Les flics sont dans le vent
Les enquêteurs se trouvent dans cette situation étrange où, malgré la demande de rançon, ils ne parviennent pas à dresser un profil des ravisseurs – et certains d’entre eux, dubitatifs, doutent même de l’authenticité de ce kidnapping hors norme. Continue reading
Les flics sont sortis du roman.
Le lendemain, Jean-Jacques Bierry, le principal collaborateur du baron, récupère dans la consigne d’une gare la troisième phalange de l’un de ses doigts et un mot d’Empain lui-même, indiquant le montant de la rançon : 80 millions de francs, soit plus de 40 millions d’euros, si du moins j’en crois un convertisseur qui tient compte de l’érosion monétaire.
Comment en effet imaginer qu’un homme puisse être abattu sans qu’il y ait une enquête, ne serait-ce que pour démontrer que les violences mortelles étaient légitimes et nécessaires !
Il faut dire que cette directive de 2003, adoptée à l’initiative de la France, impose des temps de repos inhabituels dans les services actifs. Pour la gendarmerie, qui l’applique partiellement depuis un an, cela constituerait une perte d’activité d’environ 6 %, soit l’équivalent de 6 000 gendarmes-temps.
Sans remonter à la création de l’OCRTIS (office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants), le plus ancien office après celui de la fausse monnaie (OCRFM), les turpitudes actuelles qui font l’actualité démarrent bien loin de chez nous, en Républicaine dominicaine, lors de cette fameuse nuit du 19 au 20 mars 2013, au moment où un avion privé appartenant à la SA Alain Afflelou, le Falcon F-GXMC, est stoppé in extremis sur le tarmac de l’aéroport de Punta Cana.
Cette requête était assez incompréhensible dans la mesure où les contraintes du contrôle judiciaire sont justement faites pour éviter ce genre de situations. Trop souvent, la justice ferme les yeux sur l’article 137 du code de procédure pénale qui rappelle que si une personne mise en examen et présumée innocente peut être mise en détention, ce n’est qu’à titre exceptionnel. La pratique montre qu’on est loin du compte. Mais dans le cas présent, il est quand même difficile de penser que les suspects vont détruire des preuves d’une affaire passée au tamis depuis plus de trente ans, ou qu’elles vont soudain se rendre coupables d’une « concertation frauduleuse », comme il est dit à l’article 147 du code de procédure pénale.
C’est ce qu’il ressort de la nouvelle loi sur la prescription pénale du 27 février 2017. Auparavant, le délai de prescription en matière criminelle était de dix ans, mais dans les faits, cela ne change pas grand-chose, car certains dossiers semblent ne jamais se prescrire, comme la mort du ministre Robert Boulin (1979) ou l’attentat antisémite de la rue des Rosiers (1982).
Cette méconnaissance du principe même de la police de proximité est tout simplement affligeante.
