LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Les fichiers (Page 2 of 4)

Les policiers ont-ils le droit d'interroger un fichier ?

Alors qu’on parle de nouveau des fichiers de police, dans une affaire récente, les tribunaux se sont penchés sur la légalité de la consultation d’un fichier de police – par des policiers – sans l’autorisation du Procureur. En l’occurrence, il s’agissait d’un banal contrôle routier : empreinte_main.jpgles agents constatent que l’une des serrures du véhicule porte des traces d’effraction. Par radio, ils contactent le fichier national des immatriculations qui confirme que la voiture est signalée volée. Arrestation. Procédure. La routine.

Et voilà-t-il pas que l’avocat du suspect soutient que cette consultation du fichier est illégale car elle ne fait pas mention de l’autorisation du Procureur ! Pire, la Cour d’appel suit ce raisonnement et lui donne raison en appliquant à la lettre les prescriptions de l’article 77-1-1 du Code de procédure pénal, qui dit : l’autorisation du procureur de la République est nécessaire à l’OPJ pour requérir toute personne, tout établissement ou organisme privé ou public, ou toute administration publique, dans le but d’obtenir les documents susceptibles d’intéresser une enquête, « y compris ceux issus d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives ».

La police étant une administration publique, les policiers seraient donc contraints de demander l’accord du Proc pour consulter leurs propres fichiers…

Qu’on se rassure, dans un arrêt du 15 septembre 2009, la chambre criminelle de la Cour de cassation a corrigé le tir. En fait, elle a biaisé, estimant que l’aval du magistrat n’était pas nécessaire pour solliciter une information et que la personne interrogée était parfaitement libre de lui répondre. Un échange de bonnes manières, quoi !

Il est quand même amusant de constater que les fichiers de police ne peuvent être consultés « légalement » par les policiers qu’en s’appuyant sur une argumentation aussi fragile…

On comprend bien que le législateur s’est un peu fourvoyé en rédigeant cet article 77-1-1. Il donne en fait le pouvoir à tout OPJ de consulter n’importe quel fichier, qu’il soit administratif ou privé. Cela va de la sécu à votre opérateur téléphonique en passant par votre magasin habituel ou votre employeur. Et il est impossible d’opposer un refus lié par exemple à la protection du secret professionnel, sauf pour certaines professions (avocats, médecins, presse…) où le consentement est nécessaire.

Cela dit, et pour en revenir aux deux nouvelles « bases de données » annoncées par le ministre de l’Intérieur, celle qui concerne la réalisation « d’enquêtes administratives liées à la sécurité publique » est assez inattendue. On peut penser qu’il s’agit là d’un premier pas vers la reconnaissance officielle de certaines activités privées (agents de surveillance, enquêteurs privés, etc.).

Il faut dire que la sécurité est devenu un enjeu économique bien réel, avec à la clé 1.500.000 emplois en Europe.

Quant au bien-fondé de ces fichiers, je ne sais pas. Ce qui est inquiétant, c’est qu’ils s’ajoutent à une liste déjà longue, avec la tentation, en arrière-fond, de les raccorder les uns aux autres – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

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Le billet précédent, Treiber : le pompon, c’est la forêt de Bombon, a été lu 1.500 fois en 2 jours et a suscité 15 commentaires.

Le fichier d’analyse sérielle : nouvelle technique d'enquête

L’analyse sérielle n’est pas réservée aux serial killers, mais au plus grand nombre, c’est-à-dire à chacun de nous. Pour que cela fonctionne, il faut recueillir un maximum de renseignements sur un maximum de gens. Ensuite le policier lance son filet, aux mailles plus ou moins fines, et il fait le tri.

peche-filet.jpgBanni donc le temps où la police ne s’intéressait qu’aux suspects. La démarche actuelle part d’un syllogisme à la Socrate : Tous les hommes naissent innocents, les coupables sont des hommes, donc pour trouver les coupables, il faut ficher les innocents.

C’est du moins ce que laisse présager la nouvelle loi sur la sécurité intérieure qui semble entériner le fichier d’analyse sérielle.

Il s’agit de faire ce qu’on a toujours dit qu’on ne ferait pas : le croisement de tous les fichiers (pas seulement ceux de la police) et de toutes les informations qu’on peut recueillir sur un individu, qu’elles soient judiciaires, policières, administratives, ou personnelles (ce qui explique, pour répondre à un lecteur, que les policiers posent parfois des questions saugrenues, alors qu’auparavant on se limitait à la petite ou à la grande identité).

L’analyse sérielle appliquée à la criminalité est le résultat d’une démarche entreprise à la fin des années 90 par des groupes de chercheurs universitaires, des psychologues, des médecins et des gendarmes. C’est ce qui est indiqué dans le préambule du livre Identification et sérialité, publié sous la direction de Loick M. Villerbu et Pascal Le Bas, aux éditions L’Harmattan.

Voici la définition (très simplifiée) qu’en donnent les auteurs : Analyse psycho-criminologique qui vise tous les champs d’un individu (personnalité, habitudes, comportement, déplacements, etc.) afin de bâtir un historique en repérant par rapprochement analogique tout ce qui dans une vie s’opère par répétition.

Autrement dit, si j’ai bien compris, il s’agit de repérer notre manière de vivre, nos habitudes, etc., pour obtenir un portrait informatisé de notre personnalité.

Ensuite, pour rechercher l’auteur d’un crime ou d’un délit, on opère en trois temps :

1) Il faut « reconstruire » l’auteur (inconnu) en accumulant le maximum de détails concrets tant sur sa manière d’agir que sur son comportement et son aspect physique, voire psychologique.

2) L’ordinateur restitue la liste des individus auxquels les éléments recueillis peuvent s’appliquer.

3) Il ne reste plus qu’à faire le tri.

Il est évident que plus il y a d’infractions identiques, plus il devient possible d’affiner la recherche.
Et plus on possède d’éléments sur un grand nombre d’individus, plus la pêche est bonne.

Cette nouvelle forme d’enquête nécessite donc de stocker le plus de choses possibles sur le plus de monde possible, et cela le plus tôt possible, voire dès la naissance. meilleurdesmondes.jpg

Je n’exagère pas. Le 15 janvier 2007, lors d’une réunion qui regroupait les 27 ministres de l’intérieur de l’UE, pour mettre en place le croisement des fichiers Adn, le représentant de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a déclaré : « Les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance. »

Son nom ? Tiens, je vous laisse deviner. Juste pour vous mettre sur la piste disons qu’aujourd’hui, il se verrait bien place Beauvau.

Quand l'ADN décode

bisou-adn_notre-adn-et-nous.1238345262.jpgLe fichier génétique renferme ce qu’on a de plus secret : nos gènes. On est pour ou contre, mais peu de gens contestent son efficacité. On aurait même tendance à le considérer comme infaillible.

Voici en trois petites histoires de quoi y réfléchir…

La première serait amusante si l’on ne parlait pas d’affaires criminelles :

Les policiers allemands traquent une tueuse en série. On la soupçonne de nombreux crimes et délits. Notamment du meurtre d’une policière de 22 ans, tuée d’une balle dans la tête, en avril 2007. On suit même sa trace en Autriche et en France. À force d’en parler sans jamais rien découvrir sur elle, sur son identité, les enquêteurs ont fini par la surnommer « le fantôme de Heilbronn », une ville du sud de l’Allemagne. Et puis, au bout d’une quinzaine d’années, ils se rendent compte d’un certain nombre d’invraisemblances. Au point « d’oser » mettre l’Adn en question. Finalement, ils découvrent que les bâtonnets utilisés pour effectuer les prélèvements sont pollués (probablement) par l’Adn d’une employée de l’atelier de fabrication. Cet assassin en jupon n’a jamais existé et l’enquête doit repartir de zéro.

La seconde est assez dérangeante, mais elle se termine bien:

En décembre 2002, le corps d’une femme de 39 ans découpée en morceaux est découvert dans des sacs, à Mulhouse. Peu d’indices. Un cheveu dont la comparaison avec l’Adn de son mari amène celui-ci tout droit en prison, même si l’un des experts admet une très légère marge d’incertitude (2 %). Il y restera quatorze mois avant que le juge ne le remette en liberté, sous contrôle judiciaire. Je ne sais pas qui a eu la bonne idée d’aller livre-marc-macin.1238345537.jpgfarfouiller dans les fiches Adn ? En tout cas, cet enquêteur curieux découvre que l’empreinte génétique du suspect correspond à la fiche d’un individu, condamné pour proxénétisme, et décédé en 2007. Le mari de la victime vient d’être définitivement blanchi. Ce proxénète était-il nouvellement inscrit au fichier génétique ou s’agit-il d’un loupé ? On ne sait pas. Il faut espérer que le FNAEG n’est pas dans le même état que le STIC…

Et la troisième, pour un homme qui croupissait en prison, c’est un conte de fées :

Il avait 19 ans, il était un peu paumé et il a reconnu avoir tué une femme, sous le Pont de Neuilly. En 2004, il est condamné à 18 ans de réclusion. L’année dernière, un autre détenu s’accuse du meurtre. On ne le croit pas. adn-test.1238345645.jpgPourtant, le procureur de Nanterre demande un test Adn. Bingo ! Marc Machin est innocent. Libéré en septembre 2008, il attend la révision de son procès. Il a écrit un livre, Seul contre tous ! éditeur Pascal Galodé.

Le problème de la preuve scientifique, c’est qu’elle est utilisée par des gens qui ne sont pas des scientifiques : magistrats, policiers, gendarmes… Et le risque existe de prendre l’avis d’un expert pour argent comptant, sans chercher à comprendre, sans chercher plus loin…

La partie non codée représente 90 % de notre masse Adn (ici). C’est celle qu’on utilise pour obtenir la signature génétique. Et, petit détail amusant, l’homme et le chimpanzé ont 98,5 % d’Adn codant en commun*.

Vous allez dire, c’est pas une raison pour faire le singe.

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* D’après Colin Masters, Notre ADN et nous, aux éditions Vuibert (les dessins viennent de son livre).

STIC et TOC

Une femme gardien de la paix écope d’un blâme pour avoir imprimé 500 fiches du STIC (système de traitement des infractions constatées) concernant des stars du showbiz. Un commandant de police est suspendu de ses fonctions et mis en examen pour avoir imprimé 2 fiches de stars du showbiz. Cherchez l’erreur…

justice-yeux-bandes_lestribunationsde-frankie.1233857934.jpg« La première aimait trop les people » nous dit Isabelle Mandraud dans Le Monde. « Nulle tricoche, nul service monnayé », affirme-t-elle. Juste un petit plaisir. Mieux que Gala. À moins qu’il s’agisse d’un TOC (trouble obsessionnel compulsif).

L’AFP complète l’information en rappelant que cette dame a été placée en garde à vue au mois de décembre 2008, en même temps que le commandant de police Philippe Pichon, et pour des faits similaires.

Ce dernier après 48 heures de garde à vue a été mis en examen pour violation du secret professionnel (ici). Il a été suspendu de ses fonctions et il est convoqué devant le conseil de discipline le 26 février. On dit même que son arrêté de révocation est déjà signé. Il manquerait juste la date.

Alors pourquoi cette différence de traitement ? C’est que Pichon a eu le malheur de confier ces deux fiches STIC à Nicolas Beau, journaliste à Bakchich, afin de lui prouver les erreurs, les anomalies, les manquements à la loi, du fichier STIC – autant de faits qui ont été confirmés par la Commission national informatique et liberté.

Entre une fliquette qui rêve d’être une star, et un flic qui rêve d’un monde plus juste, il n’y a pas photo.

Mais pourquoi cette information sort-elle aujourd’hui ? De loin comme ça, on a l’impression qu’au ministère de l’Intérieur, une grcommandant-philippe-pichon_rmc-copie.1233857629.jpgosse tête s’est dit qu’il était temps d’allumer un contre-feu, avant que cette histoire ne fasse trop de bruit.

Sûr qu’on en reparlera, d’autant que Philippe Pichon a comme défenseurs Me Antoine Comte et Me William Bourdon, deux avocats connus pour leur engagement en faveur des droits de l’homme.

Le secret dans la police

L’année dernière la justice a mis son nez dans plusieurs affaires où des policiers étaient soupçonnés d’avoir « monnayé » des informations puisées dans les fichiers de police ou les registres de main-courante. On se souvient des relations quasi contractuelles découvertes entre des détectives (anciens policiers) et des policiers en activité, dans l’enquête privée sur Olivier Besancenot. Ou du commissaire Patrick Moigne, soupçonné d’avoir encaissé vingt mille euros d’une société de conseil en intelligence économique et mis en examen pour corruption et violation du secret professionnel.

enqueteur.1232703531.jpgLe policier est tenu au secret selon les termes de l’article 11 du Code de procédure pénale qui visent tant la procédure au cours de l’enquête que l’instruction. Pour le législateur, la violation du secret de l’instruction est assimilée à la violation du secret professionnel (art. 226-13 et 14 du CP), et cela concerne toutes les personnes qui concourent à l’enquête, magistrats compris (des exceptions possibles pour le procureur). Toutefois, vu les révélations diffusées régulièrement dans la presse, on peut se demander si ce fameux secret n’est pas une tartuferie ! En tout cas, pour le policier, la Cour de cassation a estimé que le secret s’appliquait à l’ensemble des informations auxquelles il pouvait accéder dans l’exercice de sa profession. Donc les fichiers de police.

La « tricoche », comme on dit dans le jargon, est un truc vieux comme la police, sauf que ces dernières décennies, il semble que la chose se soit intensifiée. La raison ?
Les entreprises françaises ont été sensibilisées (par les autorités) à accentuer leur protection vis-à-vis de la concurrence étrangère et à mieux protéger leurs petits secrets. Mais comme elles n’ont pas le mode d’emploi, elles se sont tournées vers des spécialistes de l’intelligence économique. Et des retraités, parfois jeunes, de la police et de la gendarmerie, ont profité de ce créneau. Et comme il n’existe aucun moyen légal d’investigation pour des enquêteurs privés, la tricoche a augmenté.

Pourtant, les sanctions pleuvent. Procureurs et juges d’instruction se montrent impitoyables dans la poursuite des policiers qui ont « vendu » des informations. La mise en examen est quasi systématique dès qu’il existe le moindre soupçon. Les condamnations qui suivent sont le plus souvent assorties du sursis, mais les amendes peuvent être conséquentes. Et en général, l’administration prononce la révocation du fonctionnaire indélicat.

Cependant, on sait bien que le risque d’une sanction n’est guère dissuasif, quel que soit le délit, quelle que soit la peine. L’un des moyens de mettre un terme à la tricoche serait la création d’un service chargé de la protection des entreprises. Ce qui se faisait à la DST, pour les établissements considérés comme stratégiques – il y a une trentaine d’années.

jpg_jamel1-3a2ca-55150.1232704884.jpg

Bien souvent, les policiers farfouillent dans les fichiers non pas pour de l’argent, mais pour rendre service à un proche, à un ami. L’infraction subsiste, mais elle fait rarement l’objet de poursuites judiciaires. Ainsi, dans la revue du syndicat des commissaires de police, La tribune du Commissaire, du mois de décembre 2008, le commissaire Martial Berne, de l’IGS, écrit : « En l’absence de contreparties, on se situe davantage dans une appréhension des situations au « cas par cas », même si les peines encourues restent théoriquement lourdes (…) Les autorités judiciaires engagent exceptionnellement des poursuites pour des faits d’atteinte au secret professionnel concernant des policiers lorsqu’ils ne s’accompagnent pas de contreparties. Encore s’agit-il le plus souvent d’un rappel à la loi… »

Le genre de phrase qui fait bondir le commandant de policetribune-commissaire.1232708046.jpg Philippe Pichon. Lui qui a été placé en garde à vue pendant 48 heures (ici), mis en examen et suspendu de ses fonctions pour avoir voulu dénoncer, avant la CNIL, les carences du STIC. Pour cela, il a eu la… faiblesse de fournir – sans contrepartie – à un ami, journaliste à Bakchich, une copie de la fiche de Johnny Halliday et de Jamel Debbouze (les explications de Pichon ici). Les exemples étaient bien choisis, car à la lecture de leur pedigree, on a l’impression d’avoir affaire à de dangereux récidivistes. On y trouve pêle-mêle ce qu’ils ont fait, ce qu’ils auraient pu faire et ce qu’ils n’ont pas fait. Avec pour Johnny des péripéties qui remontent à la saint-glinglin. Par exemple une procédure pour rébellion de 1972, mention qui aurait donc dû être effacée en 1992. Sauf qu’en 1992, le STIC n’existait pas. Cette mention a donc été inscrite après « qu’elle aurait dû être effacée »… Allô, Courteline!?

Avec beaucoup de prudence, Berne argumente que les chefs de service, de par leurs fonctions, peuvent être amenés à divulguer des informations confidentielles. Il cite les relations avec les élus et même les journalistes. Et il conclut en disant : « En l’absence de contreparties, compte tenu des contraintes inhérentes au métier de policier, les fonctionnaires de police et, en premier lieu, les chefs de service, peuvent bénéficier d’une certaine indulgence de la part des autorités judiciaires et administratives. Il serait toutefois souhaitable qu’une réflexion soit menée sur les limites de la notion de secret professionnel… ».

flic_grognon_lessor.1232703816.jpgUn groupe de travail piloté par le criminologue Alain Bauer a déjà planché sur les fichiers de police et de gendarmerie. Le rapport, remis au ministre de l’Intérieur le 11 décembre dernier était intitulé « Mieux contrôler la mise en œuvre des dispositifs pour mieux protéger les libertés ». Tout un programme. Le secret dans la police n’était pas à l’ordre du jour.

On peut toujours créer un nouveau groupe de travail sur la question. Non sans ironie, Philippe Pichon m’a soufflé à l’oreille qu’il était disponible.

Fichiers : le piège à flics

Le commandant de police Philippe Pichon a été mis en examen pour « détournement de données confidentielles et violation du secret professionnel ». On le soupçonne d’avoir communiqué à des journalistes des informations provenant du STIC, le fichier des infractions constatées.
Après l’affaire Besancenot, où des policiers sont poursuivis pour des motifs identiques, on est en droit de se demander si l’inspection générale n’a pas ouvert une boîte à malice…

coq_landais_umourcom.1229677366.jpgQuel policier peut en effet affirmer qu’un jour ou l’autre, une fois dans sa carrière, il n’a pas fait « une petite recherche » pour une raison personnelle, ou pour dépanner un ami ?  C’est pas bien, certes, mais ce n’est pas un crime (je ne parle pas de vendre des informations, évidemment).
Et du coup, il suffit de se trouver dans le collimateur de « l’administration » pour que les bœufs-carottes tendent leurs filets : une écoute téléphonique ou deux, un traçage des accès aux fichiers par le poulet-pigeon, et la messe est dite. Un piège à flics. C’est « la faute grave » comme on dit dans le privé, lorsqu’un patron veut virer son salarié.

En écrivant ces mots, je me demande d’ailleurs qui surveille la police des polices…, surtout maintenant, alors que les sénateurs viennent d’adopter l’intégration de la gendarmerie dans le giron du ministère de l’intérieur…

Donc, pour en revenir à Pichon, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’est pas raccord dans la police actuelle. Un type qui dérange. L’homme à abattre. C’est fait. D’après Le Nouvel Obs (ici), il a été suspendu de ses fonctions.

Hier, j’ai discuté avec l’un de ses anciens « taulier ». Voici ce qu’il dit de lui : « Atypique, certes, pour un homme de terrain, doté d’un certain sens de la poésie et de la dérision il m’a toujours donné satisfaction en Seine-Saint-Denis où je lui avais confié le commandement des UMS (NDR : l’ancêtre des brigades anticriminalité). Cet aspect  » intello » du personnage, doublé d’un sens inné du commandement font de lui un officier attachant, au charisme incontestable, que certains chefs de service n’ont pas été capables de canaliser. Son image de  » chef de meute » (c’est ainsi que je l’ai qualifié lors de la rédaction de bulletins annuels), s’accommode mal d’une nouvelle génération de commissaires, plus aptes à déférer un officier devant le conseil de discipline qu’à chercher à tirer profit des qualités qu’il est capable de développer sur le terrain. »

Donc un bon flic, un rien marginal. Certains s’interrogent sur ses opinions politiques (ici). Il a écrit un essai sur Céline et il a osé, le bougre, adresser une supplique à Nicolas Sarkozy pour « sortir l’écrivain maudit de son purgatoire littéraire ».
Je ne l’ai pas lue, mais je vais vous dire un truc : si Pichon m’avait demandé de cosigner sa lettre, je l’aurais fait. Céline est pour moi l’un des plus grands écrivains français du siècle dernier et ce n’est pas sous le prétexteles-temps-modernes.1229679439.jpeg qu’il a tenu des propos antisémites durant la guerre qu’il faut priver la génération actuelle de son œuvre. Ceci n’a rien à voir avec cela.

À lire et à écouter ce qu’on dit sur lui, j’ai l’impression de connaître Philippe Pichon. Je crois que le bonhomme dérange par ses réactions imprévisibles. Un peu (dans un tout autre registre) comme dérange Bernard Kouchner en déblatérant sur l’incompatibilité de la politique internationale avec le respect des droits de l’homme.

Il y a ainsi des personnages qui ne sont jamais là où on les attend – car ils sont déjà ailleurs.

Pichon, simple flic

Philippe Pichon est commandant de police, mais il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages, poèmes, essais et romans, dont le plus connu (mais ce n’est sans doute pas le plus important) est Journal d’un flic, aux éditions Flammarion.

commandant-philippe-pichon_rmc-copie.1229511339.jpgCe livre, paru en 2007, dans lequel il parle d’une manière critique de son métier a été plutôt mal perçu par l’administration. Il lui a valu une mise en garde pour manquement à l’obligation de réserve et des soucis à répétition. Je crois que ce n’est pas tant ses propos qui dérangent que ses contacts privilégiés avec les médias. Depuis le passage à l’Intérieur d’un certain Joxe, les policiers ont en effet appris à boycotter les journalistes. Une contrainte qui est devenue au fil des ans une coutume, une règle non écrite.

Pichon n’a pas la quarantaine. Il est en poste au commissariat de Meaux, où il est chargé du transfert des détenus entre la prison et le tribunal. Un job sans aucun intérêt. Un placard.

Son dernier livre, L’enfance violée, aux éditions Flammarion, est – hélas – autobiographique. « On m’avait inscrit contre mon gré à des cours de judo, dit-il dans Paris Match (ici). Tous les mercredis après-midi. Le gymnase était à 50 mètres du magasin de fleurs de mes parents. J’étais à l’époque un garçon timide, réservé, peu sûr de lui (…) Les trois premiers cours s’étaient relativement bien passés (…) Dès la quatrième séance, j’ai senti que le prof se faisait de plus en plus pressant…»

C’est homme est un écorché vif, et l’on se demande s’il est vraiment à sa place dans la police…  C’est d’ailleurs la question que doit se poser sa hiérarchie.journal-dun-flic.1229511594.jpg

Lundi dernier, Philippe Pichon a été convoqué par l’IGPN (la police des polices) et placé en garde à vue. Au moment où j’écris ces lignes, on en ignore les raisons. On murmure que c’est l’aboutissement de l’enquête pour manquement à son obligation de réserve. Mais, selon le Nouvel Obs (ici), « il serait soupçonné d’avoir diffusé des informations confidentielles à caractère professionnel ».

Je n’en sais pas plus. Véritable délit ou acharnement administratif ?

Le + et le – du fichier génétique

Le FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques) est toujours aussi controversé. Il en a été question à plusieurs reprises sur ce blog et, comme beaucoup, j’ai émis des réserves (ici), non pas sur son efficacité mais sur l’utilisation qui pourrait en être faite et cette volonté qu’on sent sous-jacente de ficher l’ensemble des Français.

adn_betapolitique.1227952179.gifMais il faut être objectif. Aussi ai-je repris dans le bulletin mensuel de l’Observatoire national de la délinquance (ici), les derniers chiffres et les exemples précis d’enquêtes réussies grâce à ce fichier au cours de l’année écoulée.

En douze mois, la base de données s’est enrichie de 19.642 profils génétiques supplémentaires, ce qui porte son total à 958.317. (Le million pour le réveillon du nouvel an !) Durant cette même période, 959 affaires ont été « rapprochées ».

Et voici les exemples qui ont donc été fournis par les services de police et de gendarmerie :

En Maine et Loire, au mois d’octobre 2007, une fillette disparaît. Les recherches s’organisent. On la retrouve trois jours plus tard. Morte. Des traces Adn sont prélevées sur son corps et inscrites au FNAEG. Elles concordent avec celles d’un individu connu pour être l’auteur de plusieurs cambriolages. Il sera arrêté peu après par les gendarmes de la section de recherches d’Angers.

Dans le Rhône, l’auteur d’une tentative de meurtre sur la personne d’un commerçant, lors d’un vol à main armée, perd sa fausse moustache. Les prélèvements Adn sur le postiche permettent aux enquêteurs de la PJ d’identifier un individu condamné pour des vols à main armée commis dix ans plus tôt. Il sera interpellé et écroué.

En décembre de l’année 2000, dans les Yvelines, à la suite d’une collision entre deux véhicules, un homme est brûlé vif dans sa voiture. L’auteur de l’accident prend la fuite. Son véhicule (volé) est retrouvé peu après. Sur un mouchoir et un mégot de cigarette découverts dans l’habitacle, les enquêteurs relèvent des traces Adn. En 2008, le FNAEG s’enrichit d’un nouveau profil, cette fois identifié. Ce qui permet aux policiers de la PJ des Hauts-de-Seine d’identifier les deux auteurs de cet accident vieux de huit ans, dont l’un est déjà incarcéré pour « car jacking ».

En Seine-et-Marne, l’auteur d’une multitude de cambriolages est identifié grâce aux traces Adn relevées sur place, alors qu’il est emprisonné pour d’autres causes.

Idem dans le Nord, où l’exploitation d’empreintes Adn relevées sur des vols avec effraction dans des chalets situés en zones touristiques a permis l’arrestation de l’auteur d’une quarantaine de cambriolages.bebe_portail-anarchiste-theyliewedie.1227952322.jpg

Il est certain que ces crimes et ces délits n’auraient jamais été résolus sans le fichier génétique. Si dès la naissance on archivait notre Adn, les statistiques policières approcheraient sans doute les cent pour cent de réussite. Mais est-ce vraiment ce qu’on veut ?

Vous seriez prêt, vous, à donner aux flics l’Adn de votre bébé ?

Entre l’envie d’une société sans crime et le risque d’une dérive sécuritaire, il existe sans doute un équilibre. A nous de le trouver.

 

Le fichier des pirates

C’est un nouveau fichier, il ne porte pas encore de nom, il est destiné à recenser les données nominatives des abonnés à Internet convaincus de téléchargement illégal. Alors, que va-t-il contenir ?

hacker_boutillonfreefr.1225726378.jpgAprès le vote de la loi Création et Internet (déjà adoptée par le Sénat), des sociétés privées vont scanner en toute légalité les réseaux pour collecter les adresses IP des ordinateurs suspects. Ces adresses seront ensuite communiquées par lots à l’Hadopi (la Haute autorité) qui se retournera vers Orange, Free, etc., pour obtenir les coordonnées exactes des Internautes. Les renseignements seront archivés dans un fichier tenu par cette Haute autorité.

Le coût de ce gymkhana est estimé à près de 10 millions d’euros la première année, dont une part à la charge des fournisseurs d’Internet. Ceux-ci ne sont pas forcément d’accord. Ainsi, Xavier Niel, le président d’Iliad (Free), disait il y a quelques mois (Le Monde diplomatique) : « L’Hadopi n’est pas aujourd’hui une bonne loi pour les Français. S’il s’agit de préserver les intérêts de quelques artistes qui gagnent beaucoup d’argent, ça n’a peut-être pas grand sens. Redéfinissons un certain nombre de choses, reprenons la licence légale, étudions un certain nombre de solutions alternatives, ne forçons pas le filtrage de milliers de choses pour simplement rendre service à quelques-uns. »

La ministre de la culture n’est pas de cet avis. Elle pense qu’il faut protéger les artistes et leurs œuvres à sa manière, et pour mieux s’expliquer, elle a ouvert un site « J’aime les artistes », plus spécialement destiné aux jeunes. Il faut dire que parfois, elle fait flop !

À la question de savoir pourquoi la France veut adopter cette loi – en urgence – alors que le Parlement européen traîne les pieds, elle nous donne cette leçon de démocratie: « La prise de position du Parlement européen le 10 avril 2008, défavorable à la suspension de l’accès Internet est manifestement mal fondée. Le vote de l’amendement Bono a été acquis à une majorité très courte (314 voix contre 297)… »

À la question de savoir si les familles sanctionnées ne seraient pas du même coup privées de téléphone et de télévision : « Personne ne sera privé de télévision ou de téléphone…  La seule question qui se pose est celle des contraintes qui peuvent résulter de la mise en œuvre de ce découplage pour les différents opérateurs… » Autrement dit, le problème technique n’est pas réglé.

Et la conclusion vaut son pesant de cacahuètes : « (…) Il convient que l’abonné soit désormais plus attentif… Bien entendu, lorsque son accès aura été utilisé par fraude, l’abonné ne sera pas tenu pour responsable. Et il pourra faire valoir ses arguments dans le cadre d’un recours devant le juge judiciaire… »

Autrement dit, si on vous coupe Internet, prenez un avocat ! En non-droit, cela s’appelle un retournement de preuve. Et comme pour les infractions routières, il appartiendra à chacun de démontrer qu’il n’est pas coupable…

Bah ! Cela ne me concerne pas ! serait-on tenté de se dire. Certes, mais il y a des chiffres qui font réfléchir. Hadopi enverra automatiquement 10.000 courriels préventifs et 3.000 lettres recommandées ; et coupera Internet à environ un millier d’utilisateurs – chaque jour.

La CNIL est opposée à cette loi. Elle en souligne son imprécision et ses lacunes. Son président Alex Türk constate surtout qu’on laisse aux « plaignants » (les maisons de disques…) la possibilité de qualifier les faits dont ils se disent victimes, puisqu’ils pourront saisir à leur choix l’Hadopi, le juge civil, ou le juge pénal. Il ajoute qu’en l’état, il n’existe pas un juste équilibre entre le respect de la vie privée et le respect des droits d’auteur.

logo.1225726121.jpgLes artistes sont-ils satisfaits de cette loi ? Certains pensent qu’elle est surtout destinée à préserver les finances des maisons de disques et de cinéma. Les majors, comme on dit pudiquement. On peut se demander ce qu’elle leur apporte de plus que la « licence globale », dont le principe avait été voté par le Parlement en 2005, texte retiré en catimini par le ministre de la culture de l’époque, Renaud Donnedieu de Vabres.

Personnellement, je n’ai aucune compétence pour me prononcer sur le bien-fondé de ce texte. J’ai écrit quelques bouquins qui se sont retrouvés, comme la plupart des livres, sur les étagères des bibliothèques municipales. Ça ne rapporte pas un sou, mais c’est flatteur.

D’un trait de plume on transfère l’autorité judiciaire dans le domaine privé. Car c’est bien de ça qu’il s’agit. Une nouvelle forme de société…

Les pirates du Net

Le Sénat examine le projet de loi anti-piratage, joliment dite « loi création et internet ». Si ce texte devait aboutir, on arriverait à cette bizarrerie : la condamnation des internautes fautifs sans aucun jugement et cela pour défendre les intérêts des artistes.

Le projet de loi prévoit la création d’une « Haute autorité pour la hacker_googlestoriescom.1225272643.jpgdiffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet ». Il appartiendra à celle-ci de détecter les « fraudeurs » et de les punir. Les sanctions iraient de l’avertissement à la suspension de l’abonnement à Internet.

Mais pour détecter les fraudeurs, il faut des moyens d’investigations… On dit que cet organisme aurait accès aux bases de données des serveurs…

Le Parlement européen a nettement dit non au projet français. « Aucune restriction aux droits et libertés des internautes ne peut être imposée sans une décision de justice », ont affirmé les parlementaires.

De nombreuses associations militent contre l’adoption de ce texte. L’association de défense des consommateurs, UFC-Que Choisir a sollicité la commission européenne pour bloquer le processus en attendant que le parlement européen ait légiféré.

Le collectif La quadrature du Net est également parti en guerre. Il estime qu’une telle décision porterait gravement atteinte à nos droits fondamentaux sans rapporter un seul centime de plus aux artistes.

christine-albanel_wikipedia.1225272741.JPGL’argent et l’art, l’art et l’argent. On aimerait bien entendre quelques-uns de nos artistes se manifester et nous donner leur opinion. En attendant, le gouvernement de François Fillon a bien l’intention de passer en force. La ministre de la culture, Christine Albanel a même demandé, via le rapporteur du projet, que la procédure d’urgence s’applique à l’examen de ce texte. Quant aux sénateurs, ils traînent des pieds. Certains estiment que le piratage est déjà un délit puni par la loi, d’autres penchent pour une amende « administrative ».

 

P.S. Pour être objectif (et pour répondre au commentaire du compositeur Bernhard Elsner), j’aurais dû ajouter que la SACEM ouvre une pétition (cliquer ici) en faveur de la loi Création et Internet.

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